- 55 - Enfants des Dames

└ Nous nous arrêtons. Notre guide doit boire, nous allons faire une courte halte. ┐ fit Carnyx en stoppant le chariot.

Ils faisaient régulièrement des pauses pour permettre au Damhän qui le tirait de se reposer. La bête était âgée, et Carnyx était très attentif, ayant toujours un œil sur elle pour pouvoir s’arrêter dès qu’elle en avait besoin.

David soupira de soulagement et se traîna lentement vers un rocher pour s’asseoir. Il aurait aimé être aussi respecté que cet animal. Ses pieds étaient en feu et ses genoux tremblaient de douleur.

Carnyx avait tenu sa promesse. Pour punir David d’avoir ignoré ses ordres, ce dernier étant entré dans le village alors que cela lui avait été expressément interdit, il le forçait à marcher à côté du chariot. David devait continuer ainsi jusqu’à la fin de la journée.

Et c’est pour cette raison qu’il appréciait l’existence de son bâton, qui était fort utile pour l’empêcher de s’écrouler.

Au moins, la punition avait eu l’effet escompté. David regrettait déjà son geste et se faisait maintenant la promesse de ne plus désobéir aux ordres de Carnyx. Ou plus exactement, il se jura qu’il ne se ferait plus prendre sur le fait.

└ Je suis impressionné. ┐ fit Gaïtin en lui tendant une gourde. └ Malgré ton endurance, je pensais que tu te serais écroulé bien avant. Ta plaie à l’œil te prend beaucoup d’énergie. Je ne connais pas grand monde qui tiendrait aussi longtemps.

– Je suis trop fier pour ça. ┐ rétorqua David en acceptant l’eau avec reconnaissance. └ Je ne veux pas laisser cette joie à Carnyx. Ça lui ferait trop plaisir.

– Que de médisances ┐ fit Carnyx, qui les rejoignit et s’assit aussitôt à côté de David. └ J’ai été assez gentil pour te laisser utiliser ton bâton, et c’est ainsi que tu me remercies ? Voilà qui me blesse.

– Ce sont mes pieds qui sont blessés. ┐

David retira ses bottes en poussant un nouveau soupir, avant de se masser les pieds. Il avait terriblement mal. Carnyx plissa le nez et se releva instantanément, avant de s’éloigner sans un mot.

David renifla, un peu vexé. Il se retourna vers Gaïtin pour lui demander :

└ Mes pieds puent à ce point ? ┐

Mais ce dernier s’était également enfui.

Depuis le chariot, Rhaen observait David qui avançait péniblement à leurs côtés. Tout en s’appuyant sur son bâton, il luttait contre la fatigue. Chaque pas semblait plus difficile que le précédent, mais il n’avait pas le choix. Sa fierté lui ordonnait de tenir jusqu'au bout.

Son seul réconfort était que Gaïtin leur avait annoncé quelques minutes plus tôt qu’ils s’arrêteraient bientôt pour la nuit.

Rhaen, les yeux brillants de curiosité, se pencha en avant pour mieux voir le bâton de David, un sourire timide se dessinant sur ses lèvres. Il semblait enfin prendre son courage à deux mains, lui qui avait paru hésiter à parler tout l’après-midi.

└ Il est trop joli ton bâton. ┐

David tourna la tête lentement vers lui, épuisé, et esquissa un sourire fatigué.

└ Merci. ┐ souffla-t-il. └ Je l’ai eu… comme ça. Je voulais le décorer… avec mon compagnon, mais on n’a… pas eu le temps… finalement.

– Oh. ┐ fit Rhaen, presque enthousiaste, qui s’empressa d’ajouter. └ C’est vrai qu’il fait vide. Je pourrais t’aider à le décorer si tu veux ? Et ça veut dire que les rubans sont d’origine… ? ┐

Avant que David puisse répondre, une voix agacée s’éleva.

└ Rhaen, tu vois bien qu’il n’a plus de souffle, l’embêtes pas avec tes questions. ┐ fit Nephos.

Rhaen se recroquevilla instantanément dans le chariot, une expression gênée sur le visage.

└ Pardon ! ┐

David secoua la tête, mais ce geste fit glisser la sueur qui stagnait sur son front. Elle se faufila dans son œil et il fit une petite grimace. Ça piquait !

└ Non, c’est bon. ┐ murmura-t-il en s'essuyant les yeux, tout en tentant de reprendre son souffle. └ Le temps passe plus vite…quand on parle. Tu disais ? ┐

Rhaen se redressa à nouveau.

└ Tu savais qu’ils ont des rubans similaires dans le village des Unna ? Hedera m’en a parlé, elle a des tissages identiques dans sa collection.

– Le village des… quoi ?

– Des Unna. ┐

Rhaen se pencha davantage, les yeux brillants d’excitation comme à chaque fois qu’il pouvait partager quelques bribes de ce qu’on lui avait enseigné.

└ À ce qu’il paraît, ce sont des Aytrus très différents de nous, qui vivent dans une région du Creux, très éloignée d’ici. Tellement éloignée qu’il est impossible de s’y rendre depuis ici.

– … ah ? ┐

David avait tendance à oublier que les Sylènes n'utilisaient pas ce mot pour se décrire, utilisant plutôt le terme Aytrus. Il ne s'y était pas encore habitué.

└ Et Hedera m’a dit qu’ils pouvaient respirer sous l’eau ! Tu imagines ? J’aimerais tellement pouvoir faire ça moi aussi ! ┐

David, durant une fraction de seconde, oublia sa douleur.. Son regard se perdit dans les ténèbres alentours, cherchant à imaginer ce peuple. Mais aucune image précise ne lui vint.

└ Je me demande à quoi ils ressemblent.... Il y a beaucoup de variété d’Aytrus… dans le Creux ?

– Hum, pas mal. Mais dans cette partie du Creux, nous sommes surtout des descendants des Aserva.

– Des Aserva ? ┐

David fronça les sourcils, une nouvelle vague de confusion l’envahissant. Qu’était-ce ?

└ Ceux qui appartenaient aux ogres. ┐ expliqua Carnyx en posant un bras sur le rebord du chariot.

Il avait écouté la conversation d’une oreille distraite, mais s’était retourné en entendant ce mot.

└ La magie des Aytrus s’est liée à celle du Creux, qui est l’incarnation de celle des Ogres. C’est pour ça qu’ils leurs ressemblent tant. Ils ont hérité de certaines caractéristiques de leurs ancêtres, et les ont poussées à l’extrême. Ce qui fait qu’ils sont capables de s’adapter à leur environnement. ┐ ajouta-t-il. └ Et au cas où tu n’aurais pas compris, les Unna sont un peuple qui vit dans un milieu très humide. Ils ont même des villages sous l’eau. ┐

David remarqua aussitôt la façon qu’avait Carnyx de ne pas s’inclure dans la description et fronça les sourcils.

└ Et donc Rhaen, tous les membres.... du village... êtes des Aytrus ?

– Oui.

– Ah bon ? ┐ rétorqua Carnyx. └ Même Hedera ? Adrepo ? Nenia ? ┐

Rhaen, pris au dépourvu, se redressa aussitôt.

└ Ce n’est pas pareil ! Ce ne sont pas des…

– Je suis sûr qu’ils seront ravis de savoir qu’ils ne sont pas considérés comme des membres du village. ┐

Rhaen rougit, se cachant le visage dans ses mains, complètement embarrassé. Il bredouilla :

└ Non, je ne voulais pas dire ça… Je suis désolé ! ┐

Carnyx gloussa, se détournant pour reprendre sa place sur le chariot, tandis que Nephos tapotait gentiment la tête d’un Rhaen complètement mortifié.

David s’était écroulé à l’instant même où le chariot s’était arrêté, et avait eu besoin de longues minutes avant d’être de nouveau capable, et surtout d'avoir envie, de se relever.

Le groupe avait fait halte près d’un lac. L’endroit parfait pour se reposer et se laver. David mentirait s'il affirmait ne pas en avoir besoin.

Ce fut aidé par Nephos, après que le camp ait été installé et que le reste du groupe soit parti, qu'il fut guidé jusqu’au lac où les guerriers barbotaient déjà.

└ Je crois que tu as obtenu le respect de tout le monde aujourd’hui, tu sais ? Aucun de nous n’aurait réussi cet exploit. ┐ fit Nephos. └ On s’attendait tous à ce que tu t’écroules avant l’arrivée. Marcher au même rythme que le chariot en plus !

– J’ai toujours été endurant. ┐

David laissa échapper un grognement quand il posa un pied dans l’eau, la fraîcheur étant à la fois un soulagement et une sensation très désagréable. Nephos se tenait à côté de lui pour le rattraper et l’aider s’il en avait besoin. Sa prévenance était agréable.

└ Allez, ça va te faire du bien. ┐ fit-il en tirant David vers l’avant.

Ce dernier fit un bruit de désapprobation, mais s’enfonça tout de même un peu plus dans l’eau.

└ Je crois que je vais être congelé avant même de pouvoir me sentir soulagé.

– Le froid calme la douleur.

– Mouais. ┐ fit David, peu convaincu.

Nephos rit doucement et lâcha le bras de David pour s’avancer et s’immerger entièrement. Contrairement à lui, il semblait apprécier la fraîcheur. Décidant que David serait maintenant capable de se débrouiller seul, Nephos s’éloigna pour rejoindre Aylin.

De l’autre côté du lac, elle était tranquillement assise sur un rocher, son regard attentif scrutant les alentours. Elle était sans doute celle qui agissait le plus sérieusement dans ce groupe, toujours aux aguets, une guetteuse qui observait et scrutait chaque mouvement autour d’eux à l’affût des dangers.

David comprenait parfaitement pourquoi Adrepo l’avait choisie pour ce voyage : son sérieux était à toute épreuve.

Il s’avança pour rejoindre Gaïtin, Rhaen et Carnyx. Ce dernier était en grande concentration, scrutant avec un peu trop d’attention l'entrejambe de Gaïtin.

└ J’oublie tout le temps sa taille. À chaque fois que je te vois nu, je suis surpris. ┐

Gaïtin, insensible aux paroles de Carnyx, se contentait de se laver tranquillement. Il semblait totalement désintéressé de l’attention que lui portait le meneur du groupe, comme s’il en avait l'habitude.

Après une longue contemplation, Carnyx releva la tête et se tourna vers David. Par pudeur, ce dernier s’était accroupi dans l’eau, n’ayant aucune envie d’être la prochaine cible des commentaires de Carnyx.

└ Hé David ! Tu sais ce qu’on dit chez nous ?

– Quoi ?

– La taille de la queue d’un Aytrus est proportionnelle à celle de son autre queue. Plus elle est longue, plus… Tu vois ce que je veux dire ? Si tu regardes, ça fonctionne plutôt bien sur Gaïtin. ┐

David ferma des yeux, déjà épuisé de cette conversation. Cette légende avait un goût de déjà vu qu'il n'appréciait pas particulièrement. Pourquoi les gens faisaient une fixette là dessus ?

└ Heureusement que tu n’es pas un Aytrus du coup. ┐ continua Carnyx. └ Sinon elle serait toute petite. Plus que Gaïtin. Tu me montres la tienne que je compare ?

– Non. ┐ grogna David. └ Mais chez nous, on dit plutôt que c’est la taille des oreilles qui compte. ┐

Carnyx éclata de rire.

└ Vu les tiennes, ce n’est pas forcément mieux, hein ? ┐ répondit-il en désignant les oreilles courtes de David. └ Rhaen non plus d’ailleurs, mais c'est un cas particulier. Nephos, par contre… ┐

À l’autre bout du lac, la voix furieuse de Nephos s’éleva.

└ NON. NE M’IMPLIQUEZ PAS DANS VOS TRUCS. ┐

La nuit était tombée sur le camp. L’obscurité enveloppait les tentes et leur maigre feu de camp, dont il ne restait maintenant que des braises.

Nephos montait la garde, tandis que le reste du groupe dormait, attendant le moment où ils devraient prendre la relève.

David, allongé sur sa couverture, soupira. Son esprit refusait de s’endormir, et la douleur dans ses jambes ne l’aidait pas. Il était bien trop conscient pour réussir à trouver le sommeil.

Finalement, il se leva. À quelques pas, il aperçut Carnyx qui rangeait le camp. David hésita un instant, puis s’approcha. Il ramassa les bols qui leur avaient servi pour le repas et les lui tendit.

« David ? » chuchota Carnyx, surpris. « Tu ne dors pas ?

– Je crois que je suis un peu nerveux. Nous arrivons bientôt, pas vrai ? J’appréhende la suite.

– Je vois. Oui, nous atteindrons demain la cité des Pins. Tu m’accompagnes au lac ? Je vais rincer tout ça. »

David opina et emboîta le pas du guerrier.

« Tu sais, ce ne sera pas facile de convaincre le roi. » expliqua Carnyx en attrapant une lanterne. « Mais avec un peu de chance, notre offrande le mettra dans de bonnes dispositions. Il a beau ne pas aimer Yphen, il n’a jamais su résister aux bonnes choses.

– Mais pourquoi déteste-t-il Yphen ? À cause de l’esprit dont Adrepo et toi vous parliez ? » se souvint David. « Tu m’avais dit que tu m’en parlerais en chemin. »

Carnyx se stoppa un instant, son regard devenant plus grave, comme s’il se préparait à parler d’un sujet qu’il n’évoquait pas souvent.

« Oui, c’est vrai. Nemus. » confirma-t-il. « Tu as déjà entendu parler des ogres ? C’est un tabou à la surface, non ? »

David hocha la tête en frissonnant. Comme Öta, il avait grandi à Morthebois, l’un des seuls lieux dans le Nord où les histoires sur les ogres continuaient d’alimenter les légendes.

Un peuple supérieur et puissant qui avait fondé le nord, dont il ne fallait pas se jouer. Tels des divinités, ils étaient autant crains que respectés.

Mais depuis qu’il se trouvait dans le Creux, David commençait à comprendre que les légendes étaient bien plus complexes, nuancées, et parfois trompeuses. Il n’était plus certain de rien.

« Oui mais pas d'où je viens.

– Bien. Nemus était l’un des ogres qui a fondé et régné sur le Creux autrefois. L’un des plus puissants. Mais il y a eu une grande guerre avec d’autres esprits, et… disons que les siècles n’ont pas effacé les tensions.

– Il y a un ogre à Yphen ? » murmura David. « Vraiment ? Tu l’as déjà vu ?

– Oui et techniquement, ce n’est pas le seul. Il vit surtout dans le bois sacré, c'est un lieu assez spécial hors du village. La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a fort longtemps. Je n’ai pas l’autorisation de l’approcher. Mais il est impressionnant, crois-moi. » confirma Carnyx tandis qu’ils arrivaient au lac.

Il s’accroupit au bord de l’eau et commença à laver les bols tandis que David s’appuyait sur un rocher.

« Bref, le peuple des Pins est dirigé par un roi qui s’est opposé à Nemus à l’époque. » continua Carnyx. « Le fait que ce dernier soit encore en vie et protégé à Yphen n’est pas vraiment à son goût. Et c’est le cas de la majorité des villages du Creux, c’est pour ça que c’est si difficile de négocier avec eux.

– Mais ce roi doit être très âgé alors, non ? »

Carnyx hocha la tête lentement, son regard se perdant un instant dans l'obscurité.

« Comme beaucoup d'esprits. » confia t-il. « Tu verras que les vieilles reliques du passé sont nombreuses dans ce coin du Creux. On n’aime pas vraiment laisser la place aux nouvelles générations. »

David resta silencieux. Il buvait les paroles de Carnyx, fasciné par tout le savoir que cet homme possédait et acceptait de lui partager aussi facilement.

« Et à quoi ressemble cet ogre ? Nemus ? » demanda-t-il. « Tu sais, il y a de nombreuses carcasses près de GemmeNoire. Lorsque je les ai vues pour la première fois, ça m’a vraiment perturbé. Je me demande à quoi ils ressemblaient de leur vivant. »

Carnyx se redressa et sembla réfléchir un instant, légèrement surpris.

« Oh. Tu parles des silhouettes organiques et masquées qui sont dans les souterrains sous la capitale ? » demanda-t-il.

David acquiesça, son ventre se serrant au souvenir de ces formes déformées qui n’avaient plus rien de vivant.

« Je les ai vues aussi, ça fait longtemps qu’elles sont là. » répondit Carnyx. « Mais ce ne sont pas des ogres.

– Quoi ?

– Enfin, disons plus exactement que ce ne sont pas des esprits. Ce sont leurs serviteurs. Ce sont les restes des hommes qui ont passé des pactes avec eux et qui ont sacrifié leur conscience pour ne faire plus qu’un avec la nature. Ils étaient très respectés, tu sais ? Mais quand les ogres avec lesquels ils étaient liés sont morts, les serviteurs se sont éteints également. C’est pour ça qu’il y en a autant. Les ogres, eux, étaient bien moins nombreux.

– Oh. J’étais persuadé que… »

Carnyx sourit, un éclat amusé dans les yeux.

« Désolé de briser tes rêves. » plaisanta-t-il, mais son sourire s’effaça aussi vite tandis qu’il continuait. « Hum. À vrai dire, je ne connais l’emplacement que d’un seul ogre sur la route entre GemmeNoire et ici.

– Ah bon ? Qui ? »

Carnyx baissa la voix, comme s’il s’apprêtait à révéler un secret.

« Racine. Je sais que son corps traîne sur le territoire de la Dame fleurie depuis qu’il s’est fait tuer là-bas. Je m’en souviens comme si c’était hier, c’était juste avant la guerre. Son meurtrier traîne d’ailleurs tout le temps dans ce coin, il le surveille comme s’il avait peur que Racine se réveille. Quel idiot. »

David fronça les sourcils.

« Son meurtrier est toujours en vie ?

– Ouais, un lutinae. Et tu sais quoi ? C’est un p’tit con. » grogna Carnyx. « Mais comme Lierre l’aime bien, je n’ai pas l’autorisation de lui faire du mal. C’est très frustrant, tu sais ? J’aimerais bien arracher une par une les feuilles sur son crâne.

– Ah…

– Heureusement, depuis que Coenan s’est installé entre nos deux territoires, il ne vient plus à Yphen. C’est dommage, j’ai combattu pour sauver des lutinaes, mais dans son cas j’aurais préféré qu'il se fasse becqueter. »

David hocha la tête en silence. La situation était trop complexe et il y avait trop de choses qu’il ignorait pour qu’il puisse juger la réaction de Carnyx. Il y avait d’anciennes rancœurs entre des créatures des souterrains, qu’il ne pourrait sans doute jamais comprendre.

Il se sentait plus petit que jamais.

Carnyx se leva, s’étirant les bras, tandis que David bâillait.

« Bon. Rentrons. Et va dormir. Je suis sûr que tu n’as même pas compris la moitié de ce que je t’ai raconté.

– Je n’en ai pas compris les trois quarts. » plaisanta David. « Mais c'est toujours un plaisir de t'écouter. »

Carnyx roula des yeux, un sourire en coin sur les lèvres.

David n’avait pas réussi à dormir cette nuit-là. Sa discussion avec Carnyx n’avait pas cessé de tourner dans sa tête, tandis qu’il reliait progressivement les points de tout ce qu’il avait appris.

Il n’en revenait pas qu’Yphen puisse abriter des ogres. Cela signifiait qu’il y en avait encore en vie ? Ils n’avaient pas tous disparu ?

Et cela signifiait aussi qu’il en avait été proche durant tout ce temps ? Il frissonna. Cette idée le terrifiait.

Ôta était toujours au village. Était-il au courant ? Sans doute. Avec sa grande curiosité, il n’était pas impossible qu’en quelques jours il en ait appris plus que David.

Mais s’il avait raison, comment Öta avait-il réagit l en l’apprenant ? D’ailleurs, comment Öta avait-il vécu sa descente dans le Creux ? Quelles avaient été ses réactions ? Il imaginait sans peine son regard émerveillé et son débit de paroles sans fin, tandis qu’il réalisait l’un de ses rêves.

Maintenant qu'il avait eu le temps de réfléchir, David regrettait de plus en plus son attitude lors de leurs retrouvailles. Il se rendait compte qu’ils auraient pu partager de nombreuses choses, s’il n’avait pas été aveuglé par sa colère.

À cet instant, il aurait tellement aimé que Tyra et lui soient là à ses côtés.... Il soupira en caressant doucement la tête de Rhaen, qui s’était encore blotti contre lui pour dormir.

Il repensait aussi aux nombreuses carcasses, comprenant que son masque de veilleur n’avait donc jamais été fabriqué à partir de celui d’un ogre. Cela signifiait qu’il n’avait pas profané l’une de ces créatures ancestrales.

Cette idée le rassurait, tout autant qu’elle le décevait.

Il avait hâte de raconter ça à Tyra en rentrant. Tout ce qu’il croyait se déconstruisait progressivement. Mais il y avait tant de choses qu’il ne comprenait pas encore. Il espérait que Carnyx puisse continuer de répondre à ses questions. Il aimait la sincérité du guerrier. Tyra et Öta se seraient bien entendus avec lui.

└ C’est qui Öta ? ┐ fit soudain la voix de Rhaen.

David sursauta en voyant le jeune homme le fixer, ses grands yeux brillants le dévisageant avec curiosité. Il s’était visiblement réveillé.

└ Que, quoi ?

– Tu as marmonné ce nom. Et les autres nuits, tu le répétais dans ton sommeil.

– Je le… Oh. ┐ bredouilla David, surpris.

Rhaen, les bras croisés sous son menton et posé confortablement sur David, pencha légèrement la tête.

└ Nephos m’a dit que tu avais un amoureux, c’est lui ? Il te manque ?

– Non. Ce n’est pas… mêle-toi de tes affaires. ┐ grogna David en fermant les yeux. └ C’est juste un vieil ami qui fait partie des réfugiés. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps, alors ça me travaille. Rien de plus.

– Il ressemble à quoi ?

– Tu veux pas dormir plutôt ? ┐ grogna David. └ C’est pas l’heure.

– Mais…

– Rhaen, ferme ta gueule et retourne pioncer avant de réveiller tout le monde. ┐ grogna la voix pâteuse de Nephos depuis sa propre paillasse.

Rhaen fit une moue déçue, mais n’insista pas.

Le lendemain, David décida qu’il profiterait au maximum du chariot. Hors de question d’en bouger, il avait trouvé une position confortable et comptait bien y rester le plus longtemps possible.

Le bruit des sabots du Damhän sur le sol, qui devenait de plus en plus dur tandis que le paysage changeait autour d’eux, était agréable et rassurant.

Le territoire, qui jusqu’alors avait été très forestier et plat, laissait progressivement place à un environnement plus caverneux qui lui rappelait le territoire autour du village de Söl.

Rhaen se glissa près de lui, ses grands yeux brillants le dévisageant avec curiosité. David n’avait aucun doute, il ne pourrait sans doute pas dormir durant le voyage.

└ Alors ? ┐ fit Rhaen. └ C’est qui Öta ?

– Tu es toujours bloqué là-dessus ?

– Il ne te lâchera pas. Peluche est insupportable quand il veut savoir un truc. ┐ répondit Nephos à côté d’eux.

Ce dernier fabriquait des flèches avec du matériel qu’il avait récolté aux aurores. Très concentré, il parla sans lever les yeux de son ouvrage.

└ C’est Hedera qui m’a dit que je devais toujours aller au bout de ma curiosité ! ┐ se défendit Rhaen.

David soupira. Plus Rhaen parlait d’Hedera, plus il se questionnait sur ce qu’elle lui apprenait.

└ C’est mon ami d’enfance.

– C’est un des réfugiés ? Il est venu avec vous ou il vit à la surface ? Il ressemble à quoi ? Pourquoi tu répètes son nom dans ton sommeil, il te manque ?

– Tu sais quoi ? Si tu veux tant le connaître, t’auras qu’à aller lui parler quand on sera de retour. ┐ grogna David, agacé par le flot de questions. └ Il a les cheveux blonds et des cornes, et se pavane partout comme s’il était chez lui. Il est difficile à manquer.

– Il est à Yphen ? ┐ demanda Nephos, intrigué, tandis que Rhaen semblait réfléchir. └ C’est un des réfugiés ? On ne parle que de vous, tu sais ? Vous êtes l’attraction préférée des commères du village.

– Je me doute. Oui, mais il est venu après mon groupe et ne campe pas avec nous. Je ne l’ai vu qu’une fois depuis son arrivée à Yphen.

– Oh ! Je vois qui c’est ! C’est celui que Cissus a pris sous son aile ? C’est tellement rare qu’il s’intéresse réellement à quelqu’un que même Hedera était surprise ! ┐ s’exclama Rhaen.

Son regard s'était soudainement éclairé. Il poussa un soupir et ajouta rêveusement :

└ Il est si joli. Je l’ai vu que de loin, mais… tu es sûr que ce n’est pas ton amoureux ? Il est si beau... Tu crois que tu pourrais me le présenter ?

– Tu n’as aucune chance avec lui. Il préfère les femmes, et surtout celles qui ont un sale caractère. Je me souviens de ses précédentes conquêtes, c’étaient toutes des pestes. ┐

David avait terminé sa phrase avec un reniflement de dédain.

└ Je suis déçu. Tu es sûr que je ne peux pas l'intéresser ?

– Je croyais que tu en pinçais pour Gaïtin, c’est déjà fini ?

– Quoi ? Comment tu… ┐ s’exclama Rhaen en écarquillant les yeux, son visage devant rouge vif.

Il se retourna vers Nephos, le fusillant du regard, tandis que ce dernier lui répondait avec un petit rire moqueur.

Au fur et à mesure de la journée, le paysage avait fini par totalement changer. Les belles forêts d’Yphen, verdoyantes et fournies, avaient définitivement été remplacées par des grottes.

Le plafond n’avait jamais été aussi bas et les murs jamais aussi proches. Ils empruntaient maintenant des chemins étroits qui les menaient au cœur de cavernes.

└ Tu sais quoi ? Je préfère les forêts de chez vous. Jusqu’à maintenant j'oubliais presque qu’on était sous terre.

– Moi aussi. ┐ répondit Carnyx, qui marchait à ses côtés. └ Ce n’est pas mon coin préféré du Creux. ┐

Derrière eux, le Damhän tirait lentement le chariot. Le bruit de ses sabots sur le sol en pierre résonnait dans l’obscurité. Si certains passages étaient très éclairés par la présence de cristaux, d’autres étaient terriblement sombres.

Carnyx comparait chaque passage, chaque intersection qu’ils passaient, avec une carte qu’il tenait dans les mains, qu’il éclairait à l’aide de sa magie.

David avait regardé plusieurs fois au-dessus de son épaule, tentant de comprendre ce qui était représenté, mais ce n’était qu’un langage inconnu pour lui.

└ Il n’existe qu’un moyen pour rejoindre la cité des pins, c'est de passer par ces cavernes. ┐ expliqua Carnyx. └ Et parmi tous les chemins possibles, nous n’en connaissons qu’un.

– Ce n’est pas très pratique.

– C’est un peuple très prudent. ┐ répondit-il en désignant des symboles de différentes couleurs qu’ils croisaient de temps en temps. └ Tu vois ces peintures sur les murs des cavernes ? Ce sont des indications qui ne sont compréhensibles qu’avec cette carte qu’ils nous ont fournies. Nous ne faisons que rarement le voyage, et les cavernes sont très changeantes, donc sans elles, nous ne pourrions pas nous orienter.

– J’ai entendu dire que vous aviez eu un petit différent avec eux quand tu es devenu membre d’Yphen. ┐ ajouta Gaïtin en les rejoignant. └ À ce qu’il paraît, ils avaient effacé toutes les marques, si bien que tous les guerriers que vous aviez envoyés pour négocier ont disparu. Vous ne les avez jamais retrouvés.

– C’est vrai. C'est arrivé quelques fois. À vrai dire, ils font ça à chaque fois qu’ils nous boudent. ┐

David grimaça. Il n’était pas certain de trouver cela très rassurant. Et il avait bien raison de s’inquiéter, car une heure plus tard, Aylin revint vers eux avec une expression inquiète.

La jeune femme, qui servait d'éclaireuse, s’arrêta devant eux et sortit une flûte. Elle joua quelques notes, qui firent aussitôt froncer les sourcils des guerriers.

└ Vraiment ? Tu es sûre de toi ? ┐ fit Carnyx, et elle hocha la tête. └ Merde. Pas moyen de déblayer ? Ou de se faufiler dans un trou ?

– Que se passe-t-il ? ┐ demanda David. └ Un problème ?

– Il semblerait qu’un éboulement bloque la route un peu plus loin. ┐

Carnyx et Gaïtin se rendirent jusque l’éboulement, avec encore l’infime espoir de trouver une solution pour pouvoir passer. Mais comme Aylin le leur avait précisé, la voie était complètement obstruée.

└ Alors ? ┐ demanda Gaïtin en se penchant au-dessus de Carnyx, qui examinait le sol avec un air sombre. └ Tu penses que c’est intentionnel ?

– Sincèrement ? Je ne sais pas. Mais même si c'était le cas, je pense que nous sommes justes au mauvais endroit au mauvais moment. ┐

Lorsqu’ils regagnèrent le chariot, l’expression de leurs visages était parlante. La mauvaise nouvelle était évidente. Nephos s’approcha et demanda :

└ On ne peut pas déblayer pour passer ?

– Non, ça me semble instable. On risquerait de déclencher un autre éboulement, plus grand cette fois. C’est trop dangereux de s'en approcher.

– Que fais-ton alors ? ┐ demanda à son tour David en croisant les bras. └ On ne va quand même pas abandonner la mission pour une raison aussi idiote ?

– Bien sûr que non. On va faire ce qu’on peut pour trouver une solution. ┐

Carnyx se dirigea vers le chariot et fouilla dans les sacs pour en sortir plusieurs cartes, qu’il se mit à feuilleter avec attention. Il se focalisa finalement sur l’une d’elles et au bout de plusieurs secondes, s’exclama :

└ Il y a une grotte pas très loin. On devrait pouvoir y monter le camp. ┐

Le groupe suivit son indication. Au bout d'une dizaine de minutes, ils arrivèrent à destination. La grotte qui s’ouvrit devant eux était vaste et accompagnée d’un petit lac souterrain.

Ses parois colorées brillaient sous la lumière de leurs lampes. Des peintures anciennes ornaient les murs, dont les nombreuses couleurs avaient été en partie effacées par le temps.

Contrairement à la plupart des peintures que David voyait dans le Creux, celles-ci ne représentaient ni des hommes, ni des animaux, ni des esprits.

Il s’agissait uniquement de motifs circulaires, similaires à ceux que l’on trouvait souvent gravés sur les rochers disséminés dans les souterrains.

└ Carnyx ? ┐ fit David qui les admirait avec curiosité, tandis que le reste du groupe montait le camp. └ Que signifient les dessins sur les murs ?

– Ça t'intrigue, pas vrai? Ce sont des motifs traditionnels pour honorer la magie des Dames. ┐

Carnyx se délesta de sa cape et de sa fourrure, qu'il déposa sur le chariot, avant de s'approcher. Se servant de la magie pour éclairer les murs, il continua :

└ Les Dames ont un fort lien avec la nature, et plus précisément la pierre. Leur magie laisse souvent des traces dans la roche, qui prennent généralement cette forme. ┐ expliqua-t-il. └ Tu as dû remarquer les nombreux rochers gravés dans le Creux ? Ce sont des marques laissées par les Dames. ┐

David acquiesça. Il n’avait donc pas imaginé la ressemblance. Carnyx lui tapota l’épaule et s’éloigna pour retourner près des autres. Après avoir flatté le Damhän, il s’assit sur le chariot, avec en main les différentes cartes qu’il possédait.

Tout le monde s’approcha alors, attendant silencieusement les conclusions de Carnyx.

└ Alors ? Tu penses être capable de trouver une autre route ? ┐ demanda Gaïtin au bout de quelques minutes. └ Un détour pour contourner le couloir bloqué ?

– Peut-être. Tout dépend de l’état de la grotte qui se trouve un peu plus loin. Il est possible qu’on puisse passer là-bas, mais il faudra voir si l’éboulement a perturbé l’ensemble des passages. Il faut rester prudent.

– Je croyais qu’il ne fallait pas s’éloigner du sentier officiel ? ┐ fit David, surpris. └ On ne risque rien ?

– On se base sur des suppositions, dans un territoire inconnu et changeant. C’est très dangereux. C’est pour ça qu’on se divisera. Seuls ceux qui veulent vraiment venir m’accompagneront. Les autres rentreront à Yphen avec le Damhän.

– Quoi ? On ne prendra pas le chariot ?

– Hors de question de risquer la vie d’une bête sacrée. ┐ fit Carnyx, catégorique. └ Elle connaît bien le chemin et pourra retourner seule au village. Et puis, je doute que les cavernes hors du sentier soient suffisamment larges et plates pour elle. ┐

Un silence s’installa avant que Carnyx ne conclue :

└ Nous allons passer la nuit ici et nous repartirons demain. Cela vous laisse le temps de réfléchir. N’ayez aucune honte à retourner au village, je pense, notamment à toi, Rhaen. Tu n'es pas un guerrier, tu...

– Je veux venir.

– Je comprends, mais réfléchis bien. Et vous aussi, Nephos, Aylin. Vous êtes jeunes, je préférais vous voir rentrer. ┐

Le regard que Nephos lança à Carnyx ne laissait aucun doute : il considérait cette proposition comme une insulte.

└ Je te l’ai déjà dit, c’est hors de question. ┐ grogna sèchement Nephos.

Il avait haussé la voix. Elle résonna dans la caverne, attirant les regards vers lui. Reniflant avec agacement, il se dirigea vers David, s’assit près de lui, croisant les bras avec une moue irritée.

└ Laisse-moi deviner… ┐ fit David. └ Après avoir échoué avec Rhaen, c'est toi que Gaïtin essaie de persuader de rentrer ?

– Ouais. Aylin a décidé de ne pas poursuivre le voyage, alors comme on est tous les deux de jeunes recrues, il pense que je devrais rentrer avec elle. ┐

David haussa les sourcils, perplexe.

└ Carnyx a dit que vous aviez le choix. Il ne peut pas te forcer. ┐ répondit-il, étonné. └ Mais pourquoi Aylin ne continue pas ? Elle n’a pas l’air d’être du genre à avoir peur du danger.

– Elle a accepté de participer à la mission parce que c’est une bonne expérience pour elle, mais elle n’a aucune envie de risquer sa vie dans ces cavernes. Il y a trop de guerriers expérimentés qui sont morts comme ça. ┐

Un silence lourd s’installa, brisé par Rhaen qui, assis à côté d'eux, se racla la gorge et ajouta :

└ Aylin n’a pas vocation à être une guerrière. Elle veut devenir garde et surveiller les remparts du village. Risquer sa vie dans une mission à l’extérieur, ce n’est pas trop ce qui l’intéresse. ┐

David hocha lentement la tête, tout s’éclairant dans son esprit. Il comprenait mieux maintenant l’attitude réservée et prudente de la jeune femme durant tout le voyage. Elle prenait cette expérience très au sérieux, mais ne l’appréciait guère.

└ Contrairement à toi, Nephos. ┐ fit David avec un léger sourire. └ Toi, tu veux être un guerrier. ┐

Le jeune homme se redressa légèrement, ses yeux étincelants d’ambition.

└ Oui et non. Moi aussi j’veux devenir un garde. ┐

David cligna lentement des yeux, perdu. Lui, un garde ? C’était un rôle honorable, mais… Nephos n'était pas le genre d'homme que l'on imaginait rêver d'être assigné à la sécurité du village.

Devant l’air ahuri de David, Rhaen éclata de rire.

└ Pas n’importe quel garde ! Il rêve d’être un membre de la garde rapprochée de Nenia et même un jour devenir son second !

– Oh. ┐

Nephos rougit légèrement. Il haussa les épaules pour tenter de garder un air détaché, mais murmura avec un peu d’embarras :

└ J’ai rien contre Adrepo, et je me porterai volontaire pour participer à ses raids, mais c’est Nenia qui m’a aidé à trouver ma place dans le village. J’ai envie de la servir, elle est la seule cheffe qui a su gagner mon respect. Elle au moins, elle est à l’écoute. ┐

Rhaen acquiesça vivement.

└ Elle est un peu effrayante parfois, mais au fond, elle est très gentille. Elle prend soin de nous et nous écoute quand ça va pas. ┐

David sourit. Il avait eu l’occasion de parler quelques fois avec la cheffe du village, et il savait de quoi ils parlaient. Nenia était stricte, souvent perçue comme distante, mais elle possédait une sagesse rare.

La froideur qu’elle dégageait n’était qu’une façade. Elle était à l’écoute, et ses décisions, bien que sévères, étaient toujours justes.

└ Garde rapprochée de Nenia, hein ? ┐ répéta David. └ Ça te va bien, en fait. Mais du coup, te perdre dans les cavernes, ça n’est pas vraiment l’expérience idéale pour ça, non ? ┐

Nephos secoua la tête avec un air décidé.

└ Non, mais Carnyx veut pas que je vienne, alors j’vais venir. Et puis, Rhaen est décidé à le suivre, et c’est hors de question que je le laisse seul.

– Tu es la garde rapprochée de Rhaen dans ce cas. Ça te fait une expérience finalement.

– Oh ! Oui ! ┐ s’exclama Rhaen. └ Ça veut dire que je suis une personne importante ? ┐

Nephos leva les yeux au ciel, un sourire amusé se dessinant sur le bout des lèvres.

└ Évidemment que tu es important. Tu es ma Peluche. ┐

Sans prévenir, il attrapa Rhaen par l’épaule, lui ébouriffa les cheveux avec affection.

└ Non, pas mes cheveux ! J’ai pris du temps à les coiffer ! ┐ gémit Rhaen.

Les flammes du feu de camp éclairaient la grotte, lui offrant une ambiance rassurante et chaleureuse. David tendait les mains devant lui en appréciant sa présence, tandis qu’il continuait de discuter avec Rhaen et Nephos.

└ Attendre une nuit pour nous laisser prendre une décision, c’est absurde. On lui a déjà donné notre réponse. ┐ s’agaça Nephos. └ Ou alors, c’est lui qui a besoin de temps pour se décider ? Carnyx n’est peut-être pas si courageux qu’il veut nous le faire croire. ┐

Il avait ressorti le matériel qu’il avait récolté le matin même pour faire des flèches et s’était attelé à la tâche. En fabriquer lui occupait suffisamment les mains pour atténuer sa frustration.

└ Carnyx ne craint pas la mort, contrairement à nous.┐ répondit Rhaen en haussant les épaules. └ S’il se passe quoi que ce soit, il sera le seul à s’en sortir. Ça ne doit pas être très amusant à vivre. ┐

Les trois hommes se tournèrent vers Carnyx, qui, assis un peu à l’écart, était plongé dans ses cartes avec une intensité rare.

Ses yeux scrutaient chaque détail, chaque repli du papier, et il mordillait doucement sa lèvre avec concentration.

David soupira.

└ Je devrais lui dire de laisser tomber cette mission. On cherche juste une sortie pour mon peuple. Ce n’est pas une urgence vitale ? Pourquoi risquer la vie de tous ici ? On peut rentrer et revenir quand la route sera plus sûre.

– Il ne fait pas cette mission pour ton peuple, mais pour notre chef. Adrepo vous a promis une issue. C’est son honneur qui est en jeu. ┐ répondit Gaïtin.

Le guerrier se préparait à sortir avec Aylin vers le chemin principal pour y récolter des racines lumineuses. Par mesure de sécurité, ils comptaient refaire leur stock pour leurs lampes.

David trouvait cela intéressant que les sylènes utilisent les mêmes plantes que le village de Söl pour s’éclairer.

Mais de ce qu’il avait pu comprendre, ils les broyaient et les infusaient de magie pour qu’elles durent. Selon la qualité de la plante, la poudre obtenue pouvait briller plus longtemps que la racine coupée.

└ Ils ont dû te le dire, tous les autres villages que nous avons contactés jusque maintenant ont refusé. On n’est pas très appréciés. ┐ continua Gaïtin.

David fit une moue contrariée. Adrepo lui en avait effectivement parlé. Et il savait que s’il continuait d’essuyer des refus, Adrepo n’hésiterait pas à faire couler le sang.

Décidant que cette conversation était bien trop déprimante à son goût, il décida de changer de sujet. Il regarda autour de lui et sourit.

Il se leva pour saisir son bâton et le tendit à Rhaen.

└ Parlons d’autre chose. Il t’intéressait, non ? Si tu veux l’examiner de plus près, je t’en prie. ┐

Le visage de Rhaen s’éclaira, un sourire lumineux s’étirant sur ses lèvres tandis qu’il dévorait le baton du regard.

└ Je peux vraiment ?

– Vas-y. Je m’en fiche. C’est juste un bout de bois. ┐

Rhaen prit l’objet entre ses mains avec une curiosité silencieuse, ses doigts parcourant la surface rugueuse du bois, l’examinant sous toutes ses coutures. Nephos pencha la tête, intrigué par la curiosité de son petit frère.

└ Hum… ┐ murmura Rhaen en le soupesant avec attention. └ C’est bien ce que je pensais. Je le sentais, mais j’étais pas sûr. ┐

David, perdu, fronça les sourcils. Il était très intéressé par ce que Rhaen pourrait lui apprendre. Ce bâton ne venait pas d’Yphen à l’origine. Il faisait partie des armes que les guerriers rapportaient après leurs victoires. Son histoire et sa fonction étaient inconnues.

David avait paniqué lorsqu’il avait du se choisir une arme, et l’avait pris sans vraiment réfléchir.

└ Quoi ?

– C’est du bois de Berzüt. ┐ murmura-t-il.

Il s’interrompit un instant avant de continuer plus bas, comme s’il partageait un secret.

└ C’est un bois magique. Je ne connais pas toutes ses utilisations, mais je sais qu’Hedera s’en sert dans son atelier pour fabriquer les meubles où elle conserve certaines choses assez dangereuses.

– Pourquoi faire un baton dans ce bois ? C’est quoi l’intérêt ? ┐

Rhaen fit mine de réfléchir.

└ Bonne question. Normalement, ce n’est pas quelque chose qui est accessible à n’importe qui. Cet arbre pousse uniquement là où les Dames se reposent alors son bois est sacré. On dit que c’est parce que leur magie les nourrit au fil du temps que ces arbres deviennent si puissants.

– Oh. Comme l’arbre qui pousse dans votre Lutinae Fora ? ┐ demanda David, qui se souvenait parfaitement de l’arbre gigantesque au pied duquel il avait rencontré Hedera pour la première fois.

Il y avait le même genre d’arbre à Morthebois dans leur propre Lutinae Fora. Ce ne devait pas être un hasard.

└ Oui. Exactement ! Bref, ce bâton est intéressant. Il a plus de valeur qu’il n’en a l’air.

– Et dire que je l’ai pris au hasard.

– Ta magie à du lui faire écho. ┐ répondit Rhaen. └ Il faudra que tu lui trouves une utilité. Tu pourrais y incruster un sort ? Pourquoi pas un sort de lumière ou de protection, ce ne serait pratique pour demain ?

– Tu veux incruster un sort dedans ? Tu sais faire ça ?

– Je pensais plutôt que tu le ferais. À vrai dire j’ai très envie de te voir à l’œuvre. Enfin si tu veux ? Je sais que votre magie est sacrée et tout, mais la curiosité, tu sais… ┐ murmura Rhaen sur le ton de la confidence.

David fronça les sourcils.

└ Quoi ? Mais je sais pas faire de magie moi.

– Oh. Ah bon ? Mais je croyais que c’était inné chez vous ?

– Chez nous ?

– Bah oui. ┐ répondit Rhaen sur le ton de l’évidence. └ La magie, c’est censé être inné chez les Enfants ? ┐

David pencha la tête, l’incompréhension se lisant sur ses traits. Il répondit, le plus simplement possible :

└ Rhaen. La magie est peut-être innée chez les enfants de ton peuple, mais ce n’est pas le cas chez moi.

– Les enfants de… oh. Non. Je ne veux pas dire les enfants, je veux dire les Enfants. Je pensais que… ta peau, zut. Je suis désolé ! ┐

Il était fréquent que David ne saisisse pas totalement ce que disaient les sylènes, mais il parvenait toujours à combler les lacunes et à deviner le sens de leurs paroles. Mais cette fois, il était vraiment perdu.

Un léger bruit de papier lui fit tourner la tête. Carnyx posa lentement les plans à côté de lui et, dans un ton plus sérieux qu’à l’accoutumée, dit :

└ Rhaen parle des Enfants des Dames.

– Les Enfants des Dames ? De quoi vous parlez au juste ? ┐ demanda David en se levant pour le rejoindre. └ Et quel rapport avec moi ?

– Ah, je comprends mieux pourquoi Adrepo n’a pas pu obtenir de réponses. Tu n’as probablement pas compris de quoi il parlait. ┐ rit nerveusement Carnyx en se passant la main sur le visage. └ Et dire que l’on pensait que tu avais un secret. ┐

Il fit signe à David de s’asseoir à côté de lui. Le jeune homme hésita une seconde, avant d’accepter.

Enfant. Oui, il devait bien avouer qu’il se souvenait vaguement avoir déjà entendu ce mot revenir dans ses premières discussions avec Adrepo, mais n’y avait pas plus prêté attention que ça.

À l’époque, sa maîtrise du vieux-nordan était rouillée, car il ne pratiquait plus cette langue depuis longtemps. Et il connaissait encore mal le meneur. Il avait eu des difficultés à s’habituer à son accent bien différent de celui de Morthebois.

Si bien que de nombreuses discussions avaient été à sens unique. David faisant mine de comprendre, mais restant distant et silencieux pour ne pas perdre la face.

└ Explique moi. Je veux savoir.

– Hum. Par où commencer ? ┐ répondit Carnyx en se frottant le menton, une petite ride apparaissant sur son front tandis qu’il réfléchissait au meilleur moyen d’expliquer ça. └ Nos déesses, les Dames, passent des pactes avec nous en échange de nombreuses choses. Elles nous autorisent à vivre sur leurs terres, elles nous offrent la fertilité, la fécondité, elles purifient et baignent la nature de leur magie.

– Oui, je le sais bien.

– La personne qui passe un pacte avec une déesse devient son Gardesprit. Ils sont alors unis par un lien très puissant. Ce n’est pas juste un lien symbolique. Leurs magies se mêlent. ┐ murmura Carnyx, le regard plongé dans ses souvenirs. └ Elles se mêlent très intimement. ┐

À ses yeux brillants et son sourire doux, il n’y avait aucun doute sur le sujet de ses pensées. Il songeait à sa propre Dame, celle qu’il avait autrefois aimée.

Rhaen et Nephos s’approchèrent silencieusement et s’assirent devant eux, comme pour profiter eux aussi de cet instant hors du temps.

└ Donc, quand tu dis intimement…

– Les Esprits ne sont pas comparables à nous. Ils n’ont pas d’organes génitaux. Ils ne peuvent pas se reproduire. Mais les Dames, elles, le peuvent. Elles le font grâce à ce lien particulier avec leur Gardesprit.

– Alors, tu veux dire que… ?

– Oui. Les Gardesprit femelles peuvent porter l’enfant d’une Dame à sa place. Quant aux mâles, ils peuvent répandre sa semence, même si cela est extrêmement rare. Cependant, dans les deux cas, garde en tête que c’est un honneur qui n’arrive qu’a très peu d’entre nous. ┐

David hocha la tête, pensif. Est-ce ainsi qu’Adrepo, Nenia et Cissus étaient nés ? Il se demanda si Hedera avait utilisé le corps de son Gardesprit pour les enfanter. Cela lui semblait si étrange.

Et Carnyx ? Avait-il déjà eu un enfant de cette manière ? C'était une question qu’il n’osa pas poser, le regard du guerrier s'étant légèrement voilé à la simple mention de ce mot : enfant.

└ Mais quel est le rapport avec moi ? Je ne comprends pas. ┐

└ Mais quel est le rapport avec moi ? ┐ demanda David, en frémissant. └ Je ne comprends pas. Comment vous avez pu penser que je pouvais être né de cette façon ? Que je pouvais être le fils d'une Dame ? ┐

Un millier de questions se bousculaient au bout de ses lèvres. Il ne pouvait nier que l’existence de ces Enfants était profondément troublante.

Cette façon pour les Dames de donner la vie, leur lien avec ces personnes comme Carnyx qui se faisaient nommer « Gardesprit », c’était étrange, comme une version déformée des récits de son enfance.

└ Les Dames… ┐ murmura Carnyx. └ Leur peau est d’un brun rappelant le bois des premiers arbres. Elles sont l’une des incarnations les plus pures de la nature. Et leurs enfants héritent de ce même teint. Comme Adrepo.

– Mais Adrepo est presque bleu. Je ne connais pas d’arbres bleus.

– Alors tu n’as jamais voyagé. N’oublie pas la feuille sur ton œil. ┐ rit Carnyx, faisant rougir David d’embarras. └ Mais il n’a pas toujours été ainsi.

– Ah ? Et donc, juste parce que j’ai la peau sombre, vous pensez que j’ai des origines magiques ? ┐ s’impatienta David. └ Vous savez que certains "Etris", l’une des races de la surface, sont ainsi sans avoir le moindre lien avec une divinité ? Ma famille a sans doute du sang Etris très lointain, qui a dû refaire surface —

– Je connais très bien les "Etris", mon garçon. Tu n’en es pas un. ┐ siffla Carnyx. └ Tu as l’odeur d’un Enfant. Je n’ai pas réussi à reconnaître la Dame à laquelle tu es lié, mais c’est un fait. Tu as un lien. La seule chose étrange, ce sont tes cheveux. Habituellement ceux des Enfants sont argentés.

– J’ai déjà une mère, et ce n’est pas une Dame ! Et elle a suffisamment souffert à cause de sa couleur de peau pour… ┐

Les mots de David moururent dans sa gorge. Il fronça les sourcils, ses yeux s’agrandissant tandis qu’il comprenait.

└ Et si ma mère était l’Enfant ?

– Les Enfants sont stériles, David.

– Mais, sa famille servait une Dame ! ┐ se rappela-t-il, dans un souffle. └ Elle est née avec la peau sombre, et son village disait qu’elle avait été bénie par cette dernière, ou quelque chose de semblable.

– Et ses cheveux étaient argentés ?

– Ils étaient très clairs, oui ! ┐ s’exclama David en se levant, les souvenirs douloureux qu’il avait tenté d’oublier, ressurgissant dans son esprit. └ Léo disait même qu’elle avait les cheveux de la couleur de la lune ! ┐

Carnyx pencha la tête, la surprise se lisant sur ses traits. Il s’humecta les lèvres avant de demander lentement :

└ Qui était sa Dame, David ?

– Je ne connais pas son nom. Je ne voulais pas le savoir. ┐ répondit-il en se rasseyant. └ À vrai dire je n’ai même pas grandi là-bas. J’ai perdu ma mère très jeune et j’ai été… C’est compliqué.

– Et le nom de son village ? Tu t’en souviens ? ┐

David hésita avant de répondre en langue actuelle, ne connaissant pas le nom en Vieux-nordan :

« PindeBraise. »

David prononça ce nom avec espoir, s’attendant à ce que Carnyx puisse lui dévoiler son histoire à partir d’un si petit indice. Mais il n’eut aucune étincelle dans le regard du guerrier. Au contraire, il sembla troublé.

Il se frotta le menton, plongé dans ses pensées.

« PindeBraise ? Hum. » répondit-t-il en nordan actuel, s’attirant des regards frustrés de Rhaen et Nephos. « Je n’ai pas connaissance d’une Dame ayant un domaine de ce nom.

– Vraiment ? Rien du tout ? C’est un petit village qui se situe entre Mortherbe et Pierrebrulée. »

Carnyx croisa les jambes et fit mine de réfléchir quelques secondes avant de répondre :

« Le Nord a beaucoup changé depuis l’époque où je l’ai gouverné. Le village ne devait pas exister à l’époque. J’ai entendu parler de Dames qui sont nées après la chute des ogres, peux-être est-ce son cas ?

– Tu penses ?

– Si elle est encore suffisamment puissante pour donner naissance à un Enfant, oui. La plupart des Dames n’en plus capables aujourd’hui. » murmura Carnyx. « Une Dame encore fertile, hein ?

– Fertile ? Oh, je crois que je me souviens vaguement que les légendes autour d’elle parlaient de ça !

– Toutes les Dames ont des légendes liées à ça.

– Oui, mais y’avait vraiment tout un truc autour des femmes enceintes, c’était très bizarre.

– Ça, c’est intéressant. Toutes les Dames ont leur petite spécificité, un pouvoir qui les différencie de leurs sœurs. Si elle est intimement liée à la fertilité ou à la fécondité, cela peut expliquer beaucoup de choses. Y comprit que ses Enfants soient eux aussi fertiles. »

David hocha lentement la tête.

« Et tu ne te souviens pas de son symbole par hasard ? » ajouta Carnyx. « Tu pourrais le reproduire ?

– Son symbole ? Oh, je pense que oui ?

– Parfait. »

Carnyx fouilla dans son sac et en sortit un petit pot de peinture blanche. Celle qu’il utilisait pour décorer son corps au-dessus de sa Turvenä.

« Dessine-le sur le mur.

– Avec ça ?

– Oui. J’en ai plein, ce sera mieux que de gâcher du matériel pour ça. »

David ouvrit le pot et plongea son doigt dans la substance crémeuse et brillante. Il n’hésita pas longtemps avant de dessiner, plongé dans ses souvenirs. Il avait grandi avec ce symbole, qui était sur l’un des rares trésors qu’il avait longtemps gardés de sa mère. Un pendentif en bois, identique à celui des femmes du village.

« Hum. » fit Carnyx en penchant la tête pour admirer le symbole. « Je vois.

– Tu le reconnais ?

– Absolument pas. » répondit-t-il. « Mais je vois ce qu’il représente.

– Ah bon ?

– Beaucoup de symboles de Dames font écho à leur physique. C’était le cas de la mienne par exemple, on y reconnaissait ces cornes. Ici, ces deux belles courbes, ce sont sans aucun doute les nichons de ta grand-mère. »

David s’étouffa.

« Quoi ?!

– Ça ce sont une poitrine et un utérus, c’est clairement symbole de fertilité.

– Ce sont juste des demi-cercles bizarres. Comment tu arrives à y voir ça ?

– C’est tout un art. » gloussa Carnyx en se redressant, posant les mains sur les hanches en continuant : « Repérer les nichons des Dames, c’est le genre de chose qu’un Gardesprit se doit de savoir.

– … vraiment ?

– Non. »

Après cette discussion, David s’éloigna lentement du groupe, ses pas le menant au coin du feu où les flammes crépitaient encore doucement. Il s’y assit seul, plongé dans ses pensées. Il avait besoin de réfléchir.

Les autres ne le rejoignirent pas, comprenant qu'il avait besoin d'un peu d’espace. Rhaen murmura quelque chose dans l’oreille de Nephos, qui le rabroua aussitôt pour lui intimer le silence.

David n’y prêta pas attention, trop occupé à tenter de mettre au clair ses pensées. Son esprit bouillonnait de questions et d’interrogations. Il était confus. Il avait beaucoup de questions, mais n’était pas tout à fait certain d’en vouloir les réponses.

Il était perdu.

Carnyx lui avait dit qu’il pourrait aborder le sujet quand il le souhaitait. Le Gardesprit maîtrisait de nombreux sujets et semblait être un véritable puits de savoir. Mais ce n’était pas étonnant, en y réfléchissant. Qu’avaient dit les esprits du bois noir ? Que la première Dame de Carnyx était celle du savoir ou quelque chose comme ça ?

Il soupira. Ah, tout était si compliqué !

Carnyx lui avait aussi proposé de parler pour lui à Hedera. Elle serait peut-être utile, elle qui était bien plus informée que lui sur les secrets des sœurs. Sans doute pourrait-elle lui révéler des choses sur cette Dame dont il était peut-être l'enfant de l'Enfant.

Le seul souci était que Carnyx n’était pas certain qu’elle lui répondrait. Selon lui, Hedera ne s’intéressait pas beaucoup aux Enfants des autres Dames.

Enfant des Dames.

C’était étrange. David n’était pas sûr de vouloir accepter cette nouvelle identité. Cette étiquette lui rappelait un peu trop le calvaire que sa mère avait vécu, et qu’il avait tenté de garder loin de lui tout ce temps, en mettant de la distance avec ce passé pour ne pas y être lié.

Lui qui avait voulu oublier l’histoire de sa mère, la laisser derrière lui pour pouvoir avancer et se construire par lui-même, se voyait maintenant rattrapé au moment où il s’y attendait le moins.

C’était à la fois fascinant et frustrant.

Un éclat de rire rompit le silence. Carnyx, comme toujours, semblait savoir quand briser la tension. Il s’approcha, son sourire malicieux éclatant dans la pénombre.

« Hé, petiot. J’y repensais, mais avec Adrepo, on plaisante souvent sur le fait que je suis son oncle par alliance. Tu sais, parce que j’ai été l’époux de ma Dame. J’étais marié à elle, tu sais ? »

David tourna lentement la tête, ne sachant pas bien où Carnyx voulait en venir. Un sourire se dessina timidement sur ses lèvres, mais il ne répondit pas, attendant la suite. Le sourire de Carnyx s’agrandit lorsqu’il poursuivit :

« Et donc, ça veut aussi dire que je suis ton grand-oncle par alliance. Ou quelque chose comme ça. La généalogie n’a jamais été mon fort. » rit-il. « Oh, et ça veut dire aussi que tu es en quelque sorte le petit cousin d’Adrepo. »

David se figea. Il n’avait pas réalisé jusque-là, pris dans ses réflexions et ses tourments, que cette étrange origine le liait à Adrepo et les siens.

« … Quoi ? »

Carnyx éclata de rire à nouveau. Il tapota l’épaule de David et ajouta joyeusement :

« Félicitations pour ton entrée dans la famille la plus controversée du Creux, haha. »

Quelques heures après, presque tout le monde dormait dans le campement. Aylin avait tenu à monter la garde une dernière fois avant son départ et se tenait droite un peu plus loin pour surveiller les entrées de la caverne, toujours à l’affût.

Le silence régnait, le feu de camp s’était presque éteint et ses quelques braises ne suffisaient plus à réchauffer la grotte.

Soudain, David ouvrit son œil en sentant Rhaen se faufiler auprès de lui à la recherche de chaleur, comme les nuits précédentes. Il sourit et ouvrit son bras pour lui laisser de la place.

Rhaen s’y glissa, et quelques minutes s’écoulèrent. David, plongé dans ses pensées, était toujours troublé par les dernières révélations. Il ne savait pas quoi en penser, et se sentait perdu. Cela l’empêchait de s’endormir.

└ David… ┐chuchota Rhaen, brisant le silence. └ Tu dors ?

– À ton avis ? ┐

Rhaen se redressa et approcha son visage du sien, cherchant le regard de David dans le noir. Lorsqu’il le trouva, il murmura :

└ Dis, je sais que tu as besoin de temps, Nephos a dit que c’était mieux de te laisser tranquille, mais…

– Quoi ?

– Je n’arrête pas de penser à la magie. Tu n’en as jamais fait avant ? Vraiment jamais ? ┐

David se redressa légèrement, jetant un coup d’œil autour de lui. Il hésita à répondre de peur de déranger les autres, mais ceux-ci dormaient profondément. Il savait que ce n’était pas l’heure de discuter, et il se serait sans aucun doute plaint une autre nuit, mais il se laissa convaincre par la moue curieuse du jeune homme.

└ Jamais. Tu sais, c’est interdit à la surface. Pour tout le monde.

– Quoi ? ┐

La voix de Rhaen était monté légèrement d’un ton, et il porta aussitôt les mains à sa bouche, un air paniqué traversant son visage. Il lança regard autour d’eux, mais heureusement personne ne s’était réveillé.

└ Mais pourquoi ? ┐ murmura-t-il, la confusion visible sur son visage. └ La Magie est un don qu’il faut chérir, pas interdire…

– C’est compliqué. ┐ répondit tristement David. └ Certains la pratiquent en secret, mais les gens comme moi sont très surveillés, alors on n’y pense même pas. On risquerait la mort.

– Surveillés ? ┐

Rhaen ouvrit la bouche, surpris. Ses yeux s’agrandirent d’incrédulité alors qu’il regardait David, qui leva lentement la main pour en montrer le dos.

└ Tu vois ça ?

– Ta main ?

– Oui, j’ai un encrage invisible en forme de triangle à cet endroit. C’est quelque chose qu’ils m’ont fait quand j’étais petit. Si un jour j’utilise la magie, l’encrage deviendra visible.

– Un encrage qui réagit à la magie ? ┐

Rhaen attrapa la main de David, fasciné, pour l’examiner. Il ne voyait rien dessus. Pas la moindre trace d’un dessin. Rien. Comment était-ce possible ? Il n’avait jamais entendu parler d’un tel sort.

└ Et si la marque devient visible… ┐, chuchota tristement David. └ C’est la peine de mort. Je serai probablement pendu. Et sans procès, car les gens comme moi n’y ont pas droit. ┐

Rhaen lâcha lentement la main de David, sous le choc. Il réfléchit longuement avant de murmurer :

└ Je voulais te proposer de t’apprendre les bases, mais si tu rentres chez toi après…

– Merci, c’est gentil. J’aurais adoré. ┐ répondit sincèrement David, en bâillant, mettant fin à la discussion.

Rhaen fit la moue en posant le visage sur ses bras. Le silence s’installa de nouveau pour être seulement interrompu par un dernier murmure de Rhaen :

└ J’aime pas la surface.

– Moi non plus. ┐

Quelques minutes plus tard, alors que David s’était endormi, il se réveilla dans un sursaut. Durant un instant, il avait rêvé que l’un des chats d’Ayel était monté sur lui. Mais non. C’était Rhaen. Il était si proche que David pouvait sentir sa respiration.

└ Et si tu mets des gants ?

– Quoi ?

– Pour la magie. ┐ chuchota-t-il. └ Si tu mets des gants ? Comme ça ils ne verront pas que tu as un encrage. ┐

David soupira en repoussant légèrement Rhaen, qui glissa à côté de lui en faisant la moue.

└ Ce n’est pas comme ça que ça marche. Retourne dormir.

– Et si tu te maquilles ? ┐ insista Rhaen en se redressant. └ Ce ne sera pas visible si tu mets du maquillage. Quoi que, ta peau est sombre. Ça ne sera pas très visible, non ?

– Je n’ai pas envie de me maquiller toute ma vie, Rhaen.

– Mais ça en vaut la peine.... Pour la magie ? ┐

David leva les yeux au ciel, mais ne répondit pas. Rhaen se glissa près de son oreille et chuchota :

└ Et si tu restes ? Tu serais bien à Yphen, je suis sûr qu’on peut te trouver une hutte.

– Je ne suis pas tout seul, Rhaen. J’ai une famille. J’ai promis à mon compagnon de le faire sortir de là et mon père m’attend à la surface.

– Mais maintenant, Adrepo et Nenia aussi sont ta famille. ┐ essaya Rhaen. └ Ils vont être tristes si tu pars. ┐

David lui donna un coup de coude dans le ventre, faisant se tordre le jeune sylène qui gémit.

└ Aie ?!

– Bien fait.

– C’est pas gentil ! ┐

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BONUS