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- 48 - Préparatifs

  • bleuts
  • 1 oct. 2024
  • 38 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Partie 1 - Le baton


David essuya son visage. Couvert de sueur, il se sentait à la fois épuisé et en pleine forme. Un immense sourire était plaqué sur son visage. Carnyx l’avait laissé en compagnie de Gaïtin, le temps de chercher à se procurer son épée confisquée.


Gaïtin lui avait lors proposé de s’entraîner ensemble en attendant son retour. L’homme n’était pas bavard, il n’avait échangé que quelques mots avec lui depuis leur première rencontre, et pourtant David ne pouvait pas s’empêcher de l’apprécier.


Si au début, l’entraînement n’était que quelques échauffements et d’échanges de coups, ils avaient rapidement fini par se battre à mains nues. Gaïtin était fort et implacable. Jamais il ne tombait, jamais il ne reculait, jamais il ne vacillait.


Pour David, c’était très différent de tous les entraînements qu’il avait pu avoir auprès de Tyra et Warin. Ils étaient agiles, ils esquivaient les coups en se faufilant au dos leur adversaire pour le prendre à revers.


Gaïtin, lui, n’en avait que faire de se prendre un coup. Mais il le rendait aussitôt. Jamais David n’aurait imaginé apprécier un jour de se prendre un coup de poing dans le ventre. Mais c’était étrangement libérateur.


À cet instant il était essoufflé et couvert de contusions, il allait sans doute passer une nuit affreuse, mais il se sentait plus léger et libre que jamais.


Il essuyait son visage tapissé de la poussière qu’il avait avalée la tête la première, lorsque Gaïtin lui lança une gourde.


David ouvrit le bouchon avec suspicion, bien trop habitué aux gourdes emplies d’alcool de ses compagnons. Mais c’était de l’eau. Il le remercia et la vida en quelques gorgées, appréciant la sensation de l’eau coulant dans sa gorge.


Alors qu’ils reprenaient leur entraînement, Carnyx revint. Ils se redressèrent et le laissèrent s’approcher avec curiosité. Il n’avait aucune arme dans les mains.


La déception serra le cœur de David.


└ Je suis désolé. ┐ fit Carnyx en s’avançant vers eux. └ Je n’ai pas pu récupérer ton épée.

– Ce n’est pas grave. Merci d’avoir essayé. Je la récupérerais à mon départ. ┐


Carnyx secoua la tête.


└ Non.

– Non ?

– Vos armes ont toutes été détruites lors de leur arrivée dans le village. Vous ne les récupérerez jamais. ┐


David blanchit aussitôt. Comment ça, leurs armes avaient été détruites ? N’étaient-elles pas supposées être simplement confisquées ?


David savait qu’il pourrait faire le deuil de son épée. Même s’il l’aimait, il ne la possédait pas depuis assez longtemps pour qu’il s’y soit réellement attaché. Mais Dynia… Elle pour qui son arme était une extension de son âme, elle qui vivait si mal son absence, elle n’allait sûrement pas aimer la nouvelle. Oh bon sang.


Il ne voulait pas être là lorsqu’elle l’apprendrait.


└ Pourquoi ? ┐ demanda-t-il dans un souffle. └ Pourquoi avoir fait ça ?

– Elles n’auraient jamais dû exister à l’origine.

– Quoi ?

– Le métal dont elles étaient faites était une aberration. Il a été mélangé à des cristaux. ┐ grogna Carnyx. └ Ils sont sacrés, jamais ton peuple n’aurait dû s’en servir. Il est interdit de toucher aux cristaux qui protègent le creux, c’est la loi. ┐


David comprit immédiatement ce à quoi Carnyx faisait allusion. Les cristaux que les veilleurs récoltaient dans les souterrains, qu’ils pillaient sur les ogres, et dont ils se servaient pour repousser les sylènes.


Il avait bien remarqué que certains d’entre eux ornaient la poignée de l’épée de Dynia. Mais jamais il ne se serait imaginé que les veilleurs aient pu en incorporer dans le métal des lames.


Comment était-ce possible ?


Comment avaient-ils fait une chose pareille ?


Ça paraissait improbable, et pourtant ça ressemblait aux pratiques de ce village. Tout ça pour effrayer les sylènes ? Mais pourquoi si de loin, ils ne pouvaient pas voir la composition du métal ? C’était si étrange.


└ Je ne savais pas. ┐ répondit doucement David. └ Vous avez bien fait de les détruire, dans ce cas. Je vous demande pardon pour avoir apporté une telle chose dans votre village. ┐


Carnyx tapota l’épaule de David, en hochant la tête.


└ Ne t’en fais pas. On va te trouver une nouvelle arme. Nous n’avons pas d’épées par ici, c’est un peu le privilège d’Adrepo, mais on à plein d’autres choses. Je suis sûr que tu trouveras ton bonheur. Tu aimes quoi ?

– À vrai dire, je ne sais pas. Je n’ai pas vraiment eu le choix jusque maintenant. ┐



La hutte où ils menèrent David était emplie d’armes de toute sorte. Bien plus que ce qu’il aurait pu imaginer. Il siffla d’admiration, tandis que Carnyx se dirigeait vers le fond pour fouiner dans des caisses.


└ Chaque guerrier à sa propre arme, fabriquée spécialement pour lui lorsqu’il devient un — in. ┐ expliqua-t-il. └ Celles-ci, ce sont toutes celles que nous avons gagnées lors de nos batailles. Nous ne les utilisons donc pas, sauf pour les étudier ou s’entraîner.

– Oh.

– Du coup, je pense qu’on a de quoi te trouver un truc. Même si, je t’avoue que je ne sais pas à quoi la plupart de ces choses peuvent servir. Tu as vu ce truc ? On doit bien l’avoir depuis un siècle. ┐


Carnyx leva une arme étrange pour lui montrer. Il s’agissait d’un cercle de bois recouvert de piques. David songea qu’elle ressemblait à un soleil.


Le guerrier la reposa et attrapa une hache de pierre. Son manche était tapissé de bandes de cuirs décorées de motifs triangulaires colorés.


└ Ça, je reconnais. On fabrique les mêmes. Je te verrais bien avec. ┐


Il la tendit à David, avant de continuer ses recherches. David lança un regard perdu à Gaïtin, qui haussa les épaules. Il posait la hache sur la table au centre de la hutte pour s’en débarrasser lorsque Carnyx lui fourra une massue dans les bras. Elle était très belle, mais aussi très lourde.


└ Ou ça. Avec ta force, ça irait bien. Tu pourrais faire un carnage.

– Ah.

– Oh, et regarde celle-là ? Elle est encore plus grosse. Tiens, prends-la. ┐


Ce petit manège durant longtemps, Carnyx sortant un nombre incalculable d’armes. Lorsque la table en fut recouverte, envahie par les outils de toutes sortes, Carnyx posa les mains sur les hanches et souffla :


└ Alors, tu veux quoi ? Je te le disais, tu as l’embarras du choix. ┐


David fixa la pile avec désespoir. Il y avait trop de choses. Il n’avait aucune idée de la manière dont on se servait de tout ça.


Son regard chercha l’objet le plus simple de la pièce et trouva, posé à côté de la table, un bâton. Il était joliment décoré de symboles et de bandes de cuir.


En désespoir de cause, il le ramassa et le tendit devant lui :


└ Et ça ?

– Quoi ?

– Un bâton, c’est bien non ? C’est rassurant et j’ai peu de chance de blesser ou tuer quelqu’un avec. Et puis, c’est agréable pour marcher, un bâton. ┐


Il y eut un silence.


Carnyx cligna des yeux, tandis que Gaïtin tournait la tête pour cacher son sourire.


└ Bah quoi ? C’est juste pour me défendre, non ? Si j’ai besoin je peux toujours assommer mon assaillant avec. ┐



Devant l’air surpris de Carnyx, David se dégonfla. Il avait encore tout fait de travers, n’est-ce pas ? Mais il avait déjà vu Senna se battre avec un bâton. Et s’il se trouvait ici, c’était forcément une arme. Non ?


Il n’avait peut-être pas les compétences de Senna, et n’avait aucune envie de blesser qui que ce soit avec, mais il s’était imaginé que sa proposition était une bonne idée.


└ Je suis désolé. Je suis idiot. ┐ fit-il en reposant le bâton. └ Je vais prendre une hache, d’accord ?

– Garde ton bâton. ┐ répondit doucement Carnyx en secouant la tête. └ C’est une bonne arme. J’ai juste été surpris par tes raisons. Ce n’est pas souvent qu’on croise des guerriers qui ne veulent pas blesser leurs ennemis. ┐


Gaïtin tourna la tête vers Carnyx et lui dit :


└ Oh. Ça me fait penser à ta précédente femme. Solin, c’est ça ?

– Oh, oui. C’est tout à fait, elle, oui. Elle refusait de tuer nos ennemis. Tyrannique au foyer, pacifique en mission. ┐ approuva Carnyx. └ J’aurais parfois aimé être son adversaire plutôt que son époux, elle m’en aurait moins fait baver.

– Ocarin ne te ménage pas non plus.

– Ce n’est pas ma faute si j’aime les femmes qui ont du caractère. ┐


David écouta leur échange avec curiosité en serrant le bâton contre lui. Carnyx avait l’air d’avoir une vie sentimentale mouvementée.


└ Hum. Faire preuve de clémence, c’est bien. ┐ ajouta ce dernier en croisant les bras. └ Mais si elle avait un peu moins épargné nos ennemis, elle serait peut-être encore en vie. Elle a été tuée par l’un de ceux qu’elle avait refusé d’achever.

– Je croyais qu’elle était morte de vieillesse ?

– Non, ça c’est celle d’avant. Ylien. ┐ soupira Carnyx, avec mélancolie. └ Ah ! Elle était si belle. Et sa voix ! C’était un trésor. Je suis heureux d’avoir pu l’accompagner jusque la fin. ┐


David fronça les sourcils d’incompréhension en fixant le vide. Il était définitivement perdu. Comment était-ce possible que Carnyx ait eu autant de femmes, dont une qui était morte de vieillesse ? Était-il si âgé que ça ?


Carnyx posa une main sur son épaule, faisant sursauter David.


└ Quoi qu’il en soit, si ton choix est fait, on ferait mieux que ne pas plus tarder. Si on doit partir demain, il nous reste encore beaucoup à faire. ┐



Lorsque David retrouva Ayel quelques heures plus tard, il serrait encore son bâton contre lui, comme s’il avait peur de le perdre. Il trouvait cet objet rassurant. Il lui rappelait ceux des veilleurs qui servaient lors de leurs rondes. David avait toujours apprécié marcher avec.


« David ! » s’écria Ayel en le prenant dans ses bras. « Je t’ai cherché toute la journée !

– J’étais avec les guerriers, pour préparer le voyage. Tu te souviens que je pars demain matin ?

– Oui. Mais j’avais espéré pouvoir passer un peu plus de temps avec toi avant ton départ. »


David lui embrassa le front en lui caressant la tête tendrement. Ayel posa la tête sur son épaule avec une mine boudeuse.


« C’est quoi ce bâton ? Il est joli.

– Ils me l’ont donné. » fit David, heureux. « Il est à moi maintenant. »


Sa manière de prononcer ces mots était adorable, comme un enfant ayant trouvé un trésor. Ayel savait que David n’avait eu que peu de possessions dans sa vie. Chaque fois qu’une chose pouvait être « à lui », il y avait un éclat touchant dans son regard. Il s’y accrochait et en prenait soin.


Attendri, il proposa :


« Tu veux que je le décore ? Je peux t’y graver des symboles que tu aimes si tu veux. J’ai toujours mes gouges sur moi.

– C’est vrai qu’ils ne t’ont pas confisqué tous tes outils. » réalisa David.


Les outils de Ayel venaient de leur ancien village, celui où ils vivaient bien avant d’être accueillis par Söl. Il les avait gardés lorsqu’ils étaient partis, refusant de s’en séparer. Il s’agissait de ses trésors.


Depuis leur arrivée ici, Ayel s’en servait tous les jours. Il avait taillé un nombre incalculable de petits animaux en bois. C’était sa façon à lui de s’occuper les mains et de se sentir utile. Il n’avait pas encore osé le faire, mais il espérait pouvoir les offrir aux enfants du village.


« Pourquoi pas, dans ce cas ? » approuva David. « Tu pourrais me faire une petite breloque que je puisse accrocher dessus ?

– Tu veux m’exploiter toute la nuit, c’est ça ?

– Oui. » rit David. « Gaïtin m’a proposé de me laisser sa hutte pour que je puisse passer la nuit avec toi. Autant en profiter.

– C’est gentil de sa part. Mais si ça se trouve, il a fait un petit trou dans l’un des murs pour nous regarder faire l’amour ensemble. » le taquina Ayel.


David grimaça aussitôt. Son visage se teinta d’un étrange mélange de rouge et de vert.


« Erk. Il sera déçu alors. » marmonna-t-il. « S’il veut se rincer l’œil en nous regardant coucher ensemble, il pourra attendre longtemps.

– Oh, mais je suis sûr qu’il appréciera quand même ce qu’il verra. Tu as beau affirmer le contraire, on fait l’amour. Tu es doué de ta bouche, après tout. Et tes mains ! La façon dont tu me touches la b—

–Ayeeel. » gémit David en plaquant la main sur la bouche de son compagnon, rouge vif. « Chut. Pas ici. »


Ayel se dégagea. Il vola un baiser rapide à David et s’éloigna de quelques pas en riant.


« Mon amour, tu es si mignon quand tu rougis.

– AYEL ! »



Partie 2 - L'oeil


Il faisait encore nuit lorsque Gaïtin se faufila dans sa hutte. Il l’avait confié à David pour la nuit, afin qu’il puisse passer un peu de temps avec son compagnon avant son départ.


Les deux hommes dormaient l’un contre l’autre, enlacés si tendrement que Gaïtin s’en voulut de devoir les séparer. Il s’approcha de David et lui secoua doucement l’épaule en murmurant :


└ Debout. ┐


David ouvrit les yeux et fixa l’homme avec incompréhension. Après quelques secondes, il réalisa où il se trouvait et se redressa légèrement. Ayel se décala légèrement sur le côté en grognant, n’appréciant pas de sentir son oreiller bouger.


« David, il est trop tôt. » marmonna le roux, la bouche pâteuse et les yeux toujours clos. « Arrête de bouger. Tu m’déconcentres dans mon rêve. »


David sourit. Il lui fit un baiser sur le front avant de se lever. Il lança ensuite un regard interrogatif à Gaïtin.


└ Tu pourras lui dire au revoir avant de partir ┐ répondit-il simplement en lui faisant signe de le suivre. └ Viens. ┐


David attrapa son bâton, sa chemise et ses bottes, qu’il enfila avant de sortir de la hutte. L’air était frais et humide. Il frissonna.


Il faisait sombre et il leva aussitôt les yeux vers le « ciel ». S’il y avait bien une différence entre ici, et le village de Söl, c’était l’étrange plafond qui les couvait.


Dans le village d’où son groupe venait, il était bas et écrasant. De jour comme de nuit, il y avait peu de lumière naturelle.


Le village récoltait dans les souterrains des plantes lumineuses qu’ils plaçaient un peu partout pour offrir une douce lumière à leurs terres. Des plantes qui semblaient s’accorder au cycle du soleil et de la lune.


Mais ici, les plantes poussaient naturellement un peu partout. Et le plafond était couvert d’immenses cristaux semblables à des stalactites, qui brillaient le jour et s’endormaient la nuit. À cette heure-ci, seule une douce lueur s’en échappait, presque semblable à celle de la lune. Ils avaient de beaux reflets bleutés.


C’était impressionnant de voir ces cristaux aussi grands et aussi hauts au-dessus d’eux. Lorsqu’ils étaient arrivés dans cette partie du Creux, il leur avait fallu du temps pour s’y habituer.


David aurait pu passer des heures à l’admirer. Il le trouvait magnifique. Mais Gaïtin partait sans lui. Il détacha à contrecœur son regard des cristaux et lui emboita le pas.


Il détacha à contrecœur son regard des cristaux et lui emboita le pas


Les deux hommes traversèrent silencieusement le village endormi. David était curieux de savoir où ils se rendaient. Ils quittèrent les quartiers habités pour se diriger vers une partie du village qui se trouvait à l’écart de tout le reste.


Cachée par de nombreux arbres et racines, son entrée était marquée par la présence d’une arche de pierre au pied de laquelle se trouvaient de nombreux paniers d’offrandes.


David reconnaissait ce lieu. Il faisait partie de ceux dont ils avaient l’interdiction de s’approcher. Il frissonna.


Gaïtin s’arrêta devant l’arche.


└ Suis le chemin, et tourne ensuite à ta gauche lorsque tu verras le grand arbre qui surplombe les autres. Il y a un passage dans le tronc de l’arbre.

– Quoi ?

– Et surtout, ne t’approche pas du tertre. C’est la demeure de la Dame, il est sacré. ┐


David hocha la tête. Visiblement, Gaïtin ne l’accompagnait pas. Il n’était pas sûr d’apprécier être lâché seul ainsi dans un lieu qui lui était jusqu’alors interdit, mais il n’avait pas le choix.


Il traversa l’arche et s’éloigna en suivant les indications du guerrier. Il trouva aisément l’arbre. Il était difficile de le manquer, tant il était grand. Des cristaux sortaient de son écorce, éclairant le lieu d’une douce lueur bleuâtre.


Il y avait un grand trou dans le tronc, un passage vers une grotte souterraine, qu’il emprunta. L’intérieur de l’arbre était peint. Il y trouva de nombreux visages, des figures rappelant celles qui se trouvaient dans la grotte où il avait rencontré Hedera pour la première fois.



Il s’y attarda quelques secondes pour les regarder avec curiosité, avant de descendre. Au bout du chemin, il atteignit une salle éclairée par de nombreuses bougies. Les murs étaient recouverts de fresques, sauf celui du fond. Une grande alcôve s’y trouvait, dont l’intérieur était en partie caché par une tapisserie.


Adrepo était là.


Parfaitement droit, les mains dans le dos, il admirait les fresques. En entendant David arriver, il se retourna et lui fit un sourire.


└ Parfait. Viens là. ┐


Adrepo posa une main sur l’épaule de David et le poussa gentiment dans l’alcôve. Ce dernier se laissa guider et se retrouva assis sur un haut banc de pierre, son bâton appuyé contre le mur à côté de lui.


Attentif, mais silencieux, il regarda Adrepo fouiller dans une étagère. La veille, Carnyx lui avait expliqué qu’il devrait se lever tôt pour finir de se préparer, mais il n’avait guère donné de détails.


└ Retire ta chemise. ┐ ordonna Adrepo.


David fit un petit bruit surpris. Quoi ?


└ Ta chemise. Maintenant. Sauf si tu veux que je te l’arrache de nouveau. ┐


David s’empourpra aussitôt en comprenant ce à quoi Adrepo faisait allusion. Et le sourire en coin d’Adrepo n’aidait pas. Il s’amusait visiblement de sa réaction.


David renifla et s’exécuta. Il plia et posa le vêtement à côté de lui. Il n’était plus en très bon état après toutes ces aventures. Rapiécée, usée, tâchée, la chemise ne serait bientôt plus qu’un chiffon.


C’était un cadeau de Ayel, qui lui avait acheté lorsqu’ils étaient arrivés à GemmeNoire. David y tenait énormément.


└ Parfait. J’aurais aimé te préparer hier, mais la Turvenä nécessite un temps de fabrication au préalable en plus d’un temps de pose. Je l’ai fini cette nuit.

– Je ne comprends rien. Turvenä ?

– Les marques cendrées que nos guerriers portent. ┐


David fronça les sourcils, cherchant à trouver un sens aux mots, avant de comprendre. Adrepo parlait du noir qui couvrait en partie le visage et le corps de certains Sylènes.


Adrepo n’en portait pas, mais Carnyx et Gaïtin en étaient pourvus. Au début, David pensait qu’il s’agissait de peintures. Mais en côtoyant les sylènes de prêt, il avait réalisé que leur peau était comme teintée.


└ Oh.

– La Tuvernä est une protection contre la magie du creux. Avec elle, ceux qui s’éloignent du village ne risquent rien.

– Oh. Comme nos masques. ┐


Adrepo hocha la tête. Il lui tendit un pot en terre cuite. David regarda à l’intérieur. Une pâte noire un peu granuleuse s’y trouvait. Adrepo tira ensuite une lame de sa ceinture. Il attrapa la main de David et sans lui laisser le temps de comprendre, il lui entailla le bout du doigt.


└ Une goutte de ta sève suffit à te lier à la protection. Vas-y. ┐


David grogna. Qu’avaient-ils donc tous avec le sang ? Ne pouvaient-ils pas juste le laisser dans son corps pour une fois ? Il fronça les sourcils, mais fit ce qu’Adrepo lui demandait. Son sang coula dans le pot et fut aussitôt absorbé par l’étrange mixture.


Adrepo lui reprit le contenant. Il le fixa quelques secondes, avant qu’un sourire satisfait étire ses lèvres. Il mélangea la mixture avec un pinceau avant d’en badigeonner allégrement les épaules de David, qui sursauta.


└ Hé !

– SHT. ┐ fit Adrepo en continuant.


Les poils du pinceau chatouillaient David, qui ne put s’empêcher de rire en le sentant remonter sur son cou.


Après de nombreuses minutes, Adrepo se redressa.


└ Bien.

– Tu ne m’en mets pas sur le visage ?

– Le visage n’est pas utile. C’est simplement esthétique. Maintenant, tu dois attendre que la pâte ait fini de durcir. Elle tombera par elle-même.

– Ça prendra combien de temps ?

– L’absorbions dépend de la personne et de sa sensibilité à la magie. Cela peut prendre quelques minutes comme quelques heures. C’est pour cela que je ne voulais pas attendre plus longtemps après avoir fini de préparer la pâte. Je ne sais pas ta sensibilité.

– Avec ma chance, on va attendre des heures. Fantastique. ┐



David avait mal aux fesses. Rester assis en pleine nuit sur un banc de pierre froid sans bouger n’était clairement pas son activité favorite.


Adrepo s’était adossé au mur, les bras croisés. Il ne semblait pas dérangé à l’idée d’attendre en silence et fixait David avec patience. Ses yeux clairs avaient toujours ce petit quelque chose de déstabilisant. Doux et perçant à la fois.


Mais la chance semblait de leur côté, car la pâte commençait déjà à s’effriter. Ils n’en avaient plus pour longtemps. Selon Adrepo, la pâte allait teindre sa peau. Tant que la couleur serait présente, il serait protégé.


Elle restait quelques semaines, et s’estompait avec le temps. Mais ceux qui l’utilisaient depuis des années avaient la peau définitivement teinté. C’était le cas de Carnyx et de Gaïtin.


David bâilla.


└ Je te présente mes excuses pour avoir écourté ta nuit de sommeil.

– Ce n’est pas grave. ┐ souffla David.


De toute façon, Ayel ronflait.


└ Ta cicatrice se porte bien. ┐, ajouta Adrepo. └ Puis-je regarder ?

– Bien sûr. ┐


Adrepo s’approcha et s’agenouilla devant David. Il fixa avec attention son torse. Lorsqu’il palpa la cicatrice, qui était maintenant quasiment invisible, David ne réagit pas. Il n’avait jamais récupéré les sensations à cet endroit-là.


└ Comment te sens-tu ?

– Et bien, je n’ai pas mal. Mais je ne sens plus rien tout autour de la blessure.

– Ça ne reviendra pas. Mais tu as de la chance. Tu aurais pu avoir des douleurs persistantes.

– C’est le cas pour mon œil. ┐, avoua David. └ J’ai mal lorsque je l’utilise. J’ai l’impression de devenir fou.

– Oui. Gaïtin m’a signalé que tu as l’œil aveugle. C’est si pénible que ça ? ┐


David opina en grimaçant. Gaïtin ne lui avait fait aucun commentaire à ce sujet. L’avait-il relevé durant leur entrainement ?


Il était vrai que David avait plusieurs fois manqué ses coups et ses esquives à cause des douleurs soudaines dans son œil. Régulièrement, elle arrivait sans crier gare et le faisait sursauter.


Adrepo hocha la tête. Il prit le visage de David et le tira vers lui pour l’examiner. Du bout des doigts, il lui ouvrit la paupière et fixa le noir de son œil minutieusement.


Ils restèrent longtemps ainsi, avant qu’Adrepo ne soupire :


└ Tcht. C’est pire que ce j’imaginais. Je vais devoir te retirer l’œil.

– Quoi ? ┐



David sursauta et recula sur le banc, s’éloignant instinctivement d’Adrepo. Un frisson d’horreur traversa son corps. Mille émotions passèrent dans ses yeux avant de se transformer en résignation.


Voyant sa réaction, Adrepo lui posa une main sur l’épaule.


└ Tu as le droit de refuser, mais tu en as besoin. Tu t’en doutais déjà, n’est-ce pas ? ┐


David se leva. Il fit quelques pas dans la pièce, avant de fermer les yeux en cachant son visage.


└ Je… oui. ┐


Il avait compris depuis un moment que ça devrait arriver, mais il avait espéré se fourvoyer. Il n’était pas prêt. C’était trop soudain.


└ Ce ne sera pas douloureux. Je m’en assurerai. ┐ insista Adrepo en le rejoignant. └ Ton œil est à demi mort. Tu souffriras bien plus en le gardant. ┐


Il posa une main sur sa joue, et lorsque David leva les yeux vers lui, il lui remit une mèche de cheveux derrière l’oreille. Cette tendresse soudaine déstabilisa David, qui ne le repoussa pas pour autant. Depuis quand étaient-ils aussi proches ?


À cet instant, Adrepo semblait véritablement se soucier de lui. Lui, qui n’était pourtant qu’un étranger.


David ne savait pas ce qui poussait le Sylène à tant vouloir l’aider. À tant vouloir prendre soin de lui. Il voyait bien que ce dernier se comportait différemment avec lui qu’avec les autres membres de son groupe. Comme s’ils étaient amis depuis longtemps.


C’était étrange et rassurant à la fois.


└ Davin ? ┐ fit Adrepo en penchant la tête.


David frissonna. Certes, il n’avait pas peur de la douleur. Sa tolérance à celle-ci était très élevée. Mais il s’imaginait mal parcourir le creux avec un trou béant à la place de l’œil. L’image qu’il s’en faisait lui tordait le ventre.


└ Mais… et la mission ? ┐ murmura-t-il└ Je pars aujourd’hui.

– Je peux te l’enlever aujourd’hui. Je m’assurerais que ça ne te gênera pas durant ton voyage. Mais je peux aussi le faire quand tu rentreras, si ça te rassure.

– Ça va forcément me gêner. Je vais être affaibli.

– Plus affaibli qu’avec un œil qui t’inflige une torture régulière et brouille ta vision ? J’en doute.

– Mais… je vais être un fardeau pour les autres. ┐


Adrepo recula d’un pas. Il renifla dédaigneusement avant de rétorquer :


└ Un fardeau ? Stupide enfant. Tu es affecté à cette mission car tu souhaitais négocier, pas te battre. Tant que ta bouche fonctionne, tout ira bien. ┐


David passa une main sur son visage.


└ Alors quoi ? Tu veux vraiment m’arracher mon œil ? Maintenant ?

– Si tu me le permets. Je le ferais dès que la Turvenä sera sèche. ┐



Le jour se levait lorsque David traversa le village, se dirigeant d’un pas rapide vers la hutte de Gaïtin.


Lorsqu’il entra dans la hutte, il vit Ayel assis sur le sol. Ce dernier était maintenant bien réveillé, et comme tous les matins, appliquait tranquillement son maquillage rouge.


« Tu es déjà de retour ? » fit Ayel en l’entendant entrer, sans lever les yeux.


Il avait bientôt fini et ne voulait pas rater les derniers traits sur ses oreilles. Il tressaillit en sentant David l’enlacer, posant sa tête contre son dos.


« David ? »


Son compagnon tremblait. Ayel posa son maquillage et se retourna aussitôt vers lui, les sourcils froncés d’inquiétude.


« Hé ? David ? »


David ne répondit pas immédiatement. Il enfouit son visage dans le cou d’Ayel et le serra contre lui, sanglotant silencieusement. Ayel lui caressa le dos. L’incompréhension brillait dans ses yeux.


« Mon amour ? Tout va bien ?

– Ayel. » murmura-t-il sans bouger. « Je… Je vais perdre mon œil.

– Quoi ?! »


Ayel le força à relever la tête et plongea son regard dans le sien, à la recherche de réponses. David soupira et expliqua à voix basse :


« J’ai accepté qu’ils me retirent l’œil. Il ne guérira jamais, tu sais ? J’ai peur, mais il me fait tant souffrir…

– Quoi ? Ils vont te… Quoi quoi quoi ? Mais quand ? Comment ?

– Maintenant. » souffla David, hésitant. « Je… je voudrais que tu sois là. Je, j’ai besoin de ton courage. Tu veux bien venir ? »


Ayel cligna des yeux. Il ne s’attendait pas à ça, c’était si soudain, si brusque. Il fronça les sourcils et répondit :


« Attends, t’es sûr de toi ? Et juste avant de partir en voyage ? Ce n’est pas un peu trop précipité ?

– J’ai peur. » murmura David. « Je ne suis sûr de rien. Mais ça me fait tellement mal. Si tu savais comme j’ai mal… »


La voix de David se brisa. Les larmes coulaient ses joues tandis que ses épaules tremblaient.


« J’en peux plus, j’en peux plus… j’ai mal… j’ai tellement mal… »


Les mots se perdaient dans ses sanglots déchirants. La détresse s’en échappait, une douleur gardée enfouie et secrète depuis trop longtemps.


Le coeur d’Ayel se tordit d’angoisse.


Pour que David réagisse ainsi, c’est qu’il devait souffrir depuis un moment. Il le serra aussitôt dans ses bras, caressant son dos pour calmer. David se laissa faire, sanglotant contre lui.


« Bon sang… Je ne savais pas que c’était aussi douloureux. Je pensais que c’était juste des petits maux de tête et des soucis de vision. Tu encaisses ça en silence depuis combien de temps ? »


David ne répondit pas et Ayel soupira. Il continua :


« Bon. Évidemment que je vais t’accompagner et rester avec toi. Qui va te… te faire ça ?

– Adrepo est parti chercher la guérisseuse du village. Ils vont le faire ensemble. » renifla David en essuyant ses larmes. « Il m’a dit qu’ils savent le faire, ils l’ont déjà fait.

– Ils l’ont déjà fait ? Alors tout va bien se passer. » murmura Ayel avec douceur, tentant de rassurer David.


Il n’était pas certain d’avoir confiance en eux, les sylènes étaient des étrangers et l’effrayaient, mais il n’avait pas envie d’inquiéter David. Si ce dernier était déjà décidé, ça ne servait rien de lui faire plus peur. Et, de toute façon, personne d’autre ne pouvait l’aider ici. Ils n’avaient pas le choix.


Il lui embrassa le bout du nez avant d’ajouter :


« Après ça, on te trouvera un joli œil en verre comme celui de Söl. Ça lui donnait un air mystérieux, tu te souviens ? Tu seras beau comme tout.

– Je ne sais pas…

– Ou un cache-œil. Tu te souviens, on en discutait l’autre jour. J’ai toujours trouvé ça charmant. »


David fit un petit rire. Ayel ne changeait pas. Il posa son front contre le sien et ferma les yeux. Il était chaud et réconfortant. Il aurait aimé rester ainsi pour toujours.


Mais il devait y aller. Adrepo l’attendait. Un frisson parcourut son dos, tandis qu’il se redressait. Il se leva, et Ayel en fit aussitôt de même.


Le roux lui prit fermement la main.


« Ça va bien se passer. Je reste avec toi.

– Merci.

– Et tu vas pouvoir m’expliquer en chemin pourquoi ton cou est soudainement devenu tout noir. »


David tira le col de sa chemise, dévoilant son épaule. La bouche d’Ayel fit un petit « o » de surprise.


« Ce n’est pas que ton cou. D’accord. Tu as beaucoup de choses à me raconter, toi. »



└ Là, comme ça. ┐ fit Adrepo en aidant David à s’allonger, la main sous sa tête pour que cette dernière évite de se cogner. └ Doucement. ┐


David était étendu sur une table de pierre, au centre d’une des plus grandes huttes du village. Il s’agissait de la tanière de la guérisseuse, un lieu où se trouvaient bon nombre d’étagères remplies de bocaux de toute sorte.


David tourna lentement la tête vers cette dernière. Elle s’affairait un peu plus loin, mais il était bien incapable de donner un sens à ses gestes. Tout était flou, trouble. Il se sentait bien. Trop bien.


Adrepo fredonna quelque chose, mais David n’en comprit pas le sens. Il ne comprenait plus grand-chose.


Un sourire béat étira ses lèvres, tandis qu’il fixait le plafond en sentant son esprit dériver. Il sentit la main d’Ayel serrer la sienne, et ses yeux châtaigne le dévisager avec inquiétude.


La guérisseuse s’approcha de nouveau. Elle se pencha vers David et murmura :


└ Il réagit bien. ┐


Adrepo hocha la tête silencieusement. Elle examina l’œil de David, qui gloussa bêtement, avant d’ajouter :


└ Sait-il seulement la chance qu’il a ? Nombreux sont ceux qui tueraient pour ne serait-ce que gouter votre magie. Savoir que vous l’avez utilisé aussi frivolement, pour épargner la douleur à un simple aubain, risque d’attirer la jalousie. Même vos plus proches guerriers n’ont pas ce privilège.

– Ils n’ont pas besoin de le savoir. ┐ répondit sèchement Adrepo. └ Tiens ta langue. Je serais déçu de devoir faire couler ta sève. ┐


La femme baissa les oreilles. Elle s’inclina respectueusement devant Adrepo, baissant les yeux en signe de soumission.


└ Pardonnez-moi.

– Ma magie baigne cette pièce. Par ta présence, tu es coupable d’en profiter également, ne l’oublies pas. Maintenant, tiens-le. ┐


Elle hocha la tête et se pencha pour maintenir David, tandis qu’Adrepo se redressait. Il caressa doucement la tête de David et se remit à fredonner, sa magie berçant doucement le jeune homme.


Ayel, qui assistait la scène de l’autre côté de la table, serra la main de David. Même s’il ne comprenait pas un traître mot de la discussion entre Adrepo et la guérisseuse, même si personne ne lui avait expliqué ce qu’il se passait, il n’était pas idiot.


Il reconnaissait facilement la magie lorsqu’elle était à l’œuvre. Le shaman de CerfBlanc l’aidait souvent avec autrefois. Il s’en servait pour apaiser les villageois lorsque des idées sombres venaient obscurcir son esprit.


Et même s’il n’avait pas été aussi proche de la magie depuis longtemps, Ayel n’avait aucun souci à mettre un mot sur celle qui était utilisée à cet instant. La magie de l’esprit… la magie noire.


Une magie d’un noir bien plus intense et bien plus profond, que celle du shaman. En sentant Adrepo l’utiliser, Ayel fut envahi par le soulagement. La magie noire était une bénédiction. Un don des dieux. Avec elle, il était certain que David ne souffrirait pas.


Ayel ferma les yeux tout du long lorsqu’Adrepo retira l’œil de David. Il ne voulait pas voir ça.



Lorsque David revint à lui, sa première pensée fut qu’il avait froid. Il frissonna.


Il ne se souvint pas immédiatement des derniers événements. Il se sentait étrangement absent. Où était-il ?


Lorsqu’en voulant regarder autour de lui, il ressentit une douleur, la mémoire lui revint.


Soudain parfaitement éveillé, son premier réflexe fut de toucher son œil du bout des doigts. Il y trouva quelque chose de doux et froid. Sa blessure avait été pansée ?


En se redressant, il se sentit vaciller. Il lui fallut quelques secondes pour trouver son équilibre et lorsqu’il fut debout il sentit une nausée fugace l’envahir.


« David ? Madame ! Il est réveillé ! »


Ayel, qui somnolait jusqu’alors assis au sol non loin, se leva et se précipita aussitôt auprès de lui. Il l’aida à se rasseoir.


David remarqua que ce dernier n’était plus couvert et se demanda où se trouvait son châle, avant de réaliser qu’il était posé sur ses propres épaules.


Ayel l’en avait couvert durant son inconscience.


« David ? Ça va ?

– Je crois. » marmonna David.


Ces premiers mots ne furent pas agréables. Sa bouche était terriblement sèche et pâteuse. La guérisseuse, attirée par tout ce remue-ménage, s’approcha.


└ Enfin réveillé. ┐ siffla-t-elle. └ Comme tu étais long à reprendre conscience, le Protecteur des Terres est retourné sur son territoire. Il t’y attend. ┐


En voyant David mettre la main sur son pansement, elle la repoussa aussitôt d’une tape sèche.


└ Aie !

– Pas touche. ┐


Elle lui tendit un gobelet en terre contenant une boisson marron assez peu ragoûtante.


└ Bois ça.

– C’est quoi ?

– Une décoction. Bois. ┐


David grimaça, mais fit ce qu’elle lui demandait. Il s’était attendu à ce que la magie d’Adrepo soit encore présente à son réveil. Que l’ivresse qu’il ressentait à son contact dure plus longtemps. Mais elle s’était malheureusement envolée bien loin.


La décoction n’était pas aussi dégoutante que ce qu’il avait imaginé. Elle avait un goût terreux agréable. Elle lui rappelait presque le goût de certaines boissons de Morthebois.


└ Tu ne touches pas à ton œil. Durant le voyage, quelqu’un s’en occupera pour toi. Tu peux ressentir des maux de tête et des vertiges durant les prochains jours, c’est normal. Mais rien qui ne soit aussi intense que ce que tu vivais déjà.

– Je… merci.

– Je n’ai pas fini. ┐ le coupa la guérisseuse. └ Si tu ne veux pas avoir mal bêtement, lorsque tu regardes quelque part surtout ne bouge pas les yeux. Tourne la tête. ┐


C’était beaucoup d’explications, et David n’était pas en état de tout comprendre. Il hocha cependant la tête et regretta aussitôt. Il grimaça tandis qu’un nouveau frisson parcourait son corps.


└ Tenez. ┐ ajouta-t-elle en fourrant un paquet dans les bras d’Ayel. └ Il y a dans ce sac tout ce dont tu auras besoin. Donne-le à Carnyx.

– Euh d’accord ? ┐ murmura David.


└ Allez, maintenant du vent. J’ai encore du travail. Si tu n’es pas mort d’ici là, reviens me voir à ton retour. J’aimerais voir ta cicatrisation. ┐


Et sans laisser le temps à Ayel et David de comprendre ce qu’il se passait, elle les poussa hors de sa hutte et referma le rideau derrière eux.


« Ouah. » souffla Ayel. « Je ne sais pas ce qu’elle disait, mais elle n’a pas l’air commode. Comment tu te sens ? Ça va ?

– Je ne sais pas. Un peu bizarre. »


Ayel passa une main sous le bras de David, pour l’aider à tenir debout.


« Je ne pensais pas qu’elle te lâcherait dans la nature comme ça. Elle est folle ? Tu es sûr que ça va aller ?

– Je ne suis pas trop défiguré ?

– J’ai vu ta blessure avant qu’ils ne te pansent, ce n’est pas joli. Mais je m’attendais à pire.

– Et à quoi ressemble le pansement qu’ils m’ont mis ?

– C’est une grande feuille bleue. Adrepo a mis une espèce de bouillie dans ton œil, et il l’a recouvert de cette feuille. C’est la première fois que j’en vois une de cette couleur, ce n’est pas vilain. »


David hocha la tête.


« Tu crois que tu peux m’aider à rejoindre le camp d’Adrepo ? Je ne sais pas si j’ai la force de faire la route tout seul.

– Évidemment ! Mais tu es sûr de toi ? Tu veux vraiment partir dans cet état ? » répondit Ayel avec inquiétude. « Ce n’est pas sérieux.

– Oui. Ça ira vite mieux, ne t’en fais pas. Si Adrepo pense que j’en suis capable, alors je le crois. »


Ayel fronça les sourcils.


« Je n’aime pas ça. Si seulement tu pouvais rester…

– Non. Mais tout va bien, je te l’assure. Vraiment. J’ai à peine mal.

– Donc, tu as très mal.

– Ayel… je te jure que ça va aller. »


Ayel leva les yeux au ciel, mais n’insista pas.



Si Ayel devait utiliser un mot pour décrire David à cet instant, ce serait sans aucun doute " éteint ".


Depuis son réveil, le jeune homme était lent, silencieux, le visage épuisé. Et comment l’en blâmer ? Il était même étonnant qu’il ait eu assez de force pour traverser le village.


Après avoir échangé quelques mots avec un guerrier, un grand sylène qui arborait une lune blanche sur le cou, David s’était simplement assis contre un arbre pour fermer l’oeil. Depuis, personne ne faisait plus attention à lui.


Ayel voyait les quelques guerriers préparer leur départ. Ils étaient sur le point de partir. Il hésita un instant, devait-il aller chercher Dynia pour la prévenir ? Pour que les autres puissent dire au revoir à David ?


Mais David ne semblait pas le vouloir. Et était-ce étonnant ? Il n’était pas franchement ami avec le reste du groupe. En dehors de Sofie et Max, qui restaient de simples connaissances, sa relation avec le reste du groupe était même plutôt tendue.


La seule exception était Tyra, qui n’était toujours pas réapparue.


« Ayel… j’ai froid. » murmura David. « Je suis gelé…

– Je vais te trouver une couverture, d’accord ? »


Ayel lui déposa un baiser sur la tempe. Il soupira en se redressant. Il n’aimait pas voir David ainsi. S’il avait pu, il l’aurait accompagné pour prendre soin de lui. Peu importe les dangers.


Mais personne ne semblait vouloir de lui ici.


Il vit Adrepo passer à côté d’eux d’un pas rapide, ne leur accordant pas le moindre regard, et il sentit l’agacement pointer le bout de son nez. Après tout ça, il ne faisait même pas l’effort de venir voir si David allait bien ?


Ayel cessa de réfléchir. Il rattrapa Adrepo et lui agrippa le bras.


« Attendez ! »


Il y eut un grand silence.


Toutes les personnes autour d’eux se stoppèrent dans leurs gestes et le dévisagèrent avec surprise. Adrepo se retourna lentement, en plissant les yeux. Il fixa la main d’Ayel, qui ne bougea pas.


« David a froid. Il a besoin d’une couverture. » grogna le roux. « Vous venez de lui retirer son œil, il est fragile. Faites quelque chose pour lui au lieu de l’ignorer ?! »


Il avait beau savoir qu’Adrepo ne parlait pas sa langue, il avait eu l’espoir qu’il comprenne au moins le besoin dans ses mots. Mais Adrepo continua de fixer sa main, ses yeux se rétrécissant en deux minuscules petites fentes.


« Vous pourriez répondre au moins ? » s’énerva Ayel.


Adrepo ouvrit la bouche, mais n’eut pas le temps de prononcer le moindre mot. Le guerrier qui discutait avec David plus tôt se précipita vers eux, l’air inquiet.


Il prononça quelques mots en vieux-nordan, mots qui à leur intonation semblaient être des excuses, tout en les séparant. Il força Ayel à lâcher Adrepo et le fit reculer brusquement.


Le dirigeant fronça les sourcils, avant de renifler avec dédain. Il reprit finalement sa route comme si de rien n’était, agitant simplement la main en direction du guerrier pour lui dire de s’occuper du reste.


« Oulalala mon garçon, faut pas faire ce genre de chose. Tu veux mourir ? » marmonna le guerrier en tirant Ayel à l’abri des regards. « Pas de contact avec nos protecteurs sans leur consentement.

– Je… vous parlez ma langue ? »


Le guerrier avait un accent très vieillot, une manière de prononcer les mots assez lourde, mais il parlait néanmoins assez bien le Nordan. Ayel n’en revenait pas.


« Oui. Mais je vais devoir insister : ne le touche plus jamais si tu tiens à la vie.

– Je… je ne savais pas… Je suis désolé, monsieur.

– C’est bon pour cette fois. » soupira le guerrier. « Tu peux m’appeler Carnyx. Alors comme ça, le loupiot a froid ? Je vais lui chercher une fourrure. »


Ayel hocha la tête.


« Merci. »



« David ? David, réveille-toi. » fit Ayel en secouant doucement l’épaule de son compagnon. « On va te mettre au chaud, il faut que tu me suives. »


David ouvrit l’œil et hocha la tête avec reconnaissance. Il se leva lentement et suivit Ayel jusqu’une tente un peu plus loin. En entrant, il vit Carnyx fouiller dans un coffre empli de fourrures et tissus divers et variés.


« Asseyez-vous. Mettez-vous à l’aise. » fit-il en se tournant vers eux avant d’ajouter : « Bon sang, David, tu as vraiment l’air mort. Essaye de tenir le coup quand même, je n’aimerais pas avoir à creuser ta tombe.

–Oh. Tu parles vraiment bien le Nordan, tu sais ? » fit David, interloqué. « Je pensais que tu connaissais que quelques mots.

– N’est ce pas ? Et je suis d’humeur à faire cet effort pour ton ami. »


Carnyx lui fit un clin d’œil. Trop fatigué pour poser de questions, David s’assit à une table en soupirant. Il posa ses bras dessus et se laissa choir. Ayel s’installa à côté de lui et lui caressa tendrement l’épaule.


« Ça va aller ?

– Pas l’choix. » marmonna David.


Il remarqua quelques petits pains dans un panier au bout de la table et demanda :


« Je peux ?

– Sers-toi. » fit Carnyx. « Mais avant ça, retire ta chemise. Elle est sale et elle empeste, on va la remplacer. Quelle drôle d’idée d’être aussi mal fagoté. »


David se redressa pour sentir le vêtement. Ça ne puait pas tant que ça ! Certes, elle était humide de sueur et lui collait à la peau, accentuant la sensation de froid dans son dos, mais en dehors de ce petit soucis tout allait bien.


« Vous aimez tant que ça me voir torse nu Adrepo et toi ? Je vous plais tant que ça ? » souffla David, moqueur. « Ayel, je crois que tu as de la concurrence.

– Arrête de dire des bêtises et fais ce qu’il te dit. » grogna Ayel.


David grogna avant de se lever. Il se sépara de sa chemise et la tendit à Ayel, qui la prit en grimaçant.


« Je pensais que c’était une trace de terre, mais non, tu t’es vomis dessus ?

– Pas beaucoup. Juste un peu.

– Tu es répugnant.

– Je suis blessé ! »


Ayel plia la chemise avec dégout et la repoussa le plus loin possible de lui. Il avait bien l’intention de brûler cette chose dès que possible.


Il essayait de convaincre David de s’en séparer depuis un moment, elle était vraiment très usée, mais ce dernier refusait d’abandonner son cadeau. C’était touchant et agaçant à la fois.


Carnyx s’approcha de David pour admirer de plus près la peinture sur son cou.


« Très jolie Turvenä. Tu seras bien protégé avec.

– Merci.

– Il n’a pas eu trop de soucis à te l’appliquer ? Tous ces poils ne lui ont pas compliqué la tâche ? Ça devait s’emmêler dans son pinceau.

– Euh, non ? Et puis j’ai pas tant que poils que ça. » marmonna David en fronçant les sourcils.


Ce geste lui fit mal et il serra les dents. Il échangea un regard avec Ayel, qui haussa les épaules en souriant. David n’avait jamais eu l’occasion de le voir au naturel. Ce traître se rasait !


« Disons que par rapport aux habitants du village, si. » répondit Carnyx, amusé. « Il faut dire que par chez nous c’est plus facile de trouver quelqu’un avec de l’herbe sur le torse que des poils. »


David fit un petit rire. Cette image l’écœurait tout autant qu’elle l’amusait. Il avait encore du mal à ne pas être dégoutté lorsqu’il voyait des petites feuilles ou des petits champignons pousser sur le corps de quelques sylènes, mais il s’y habituait progressivement.


« Je continue à dire que tu parles vraiment bien le nordan. » ajouta-t-il. « Je me demande pourquoi Adrepo m’a demandé à moi de lui apprendre la langue, alors que tu aurais très bien pu le faire.

– Adrepo ne le sait pas. Ou peut-être n’y a-t-il pas pensé ? Qui sait ? Et je n’ai aucune envie de jouer les traducteurs pour votre petit groupe. Vous tiendrez votre langue, n’est-ce pas ? »


David et Ayel hochèrent la tête. Carnyx avait beau avoir l’air sympathique, il n’était pas le genre de personne que l’on avait envie de se mettre à dos. David frissonna en sentant un petit courant d’air effleurer sa peau.


« Bon. Il serait peut-être plus sage de te couvrir avant que tu aies la roupie au nez. » fit Carnyx en se penchant de nouveau sur son coffre. « Quelle tunique pourrait bien t’aller… ? »



David se pencha pour regarder au-dessus de l’épaule de Carnyx. Il était impressionné par la quantité de choses qui se trouvaient dans son coffre. C’était presque comme s’il n’avait pas de fond.


Son regard tiqua sur la quantité monstrueuse de bandes de cuir et de tissus qu’il en sortait. Ils étaient assemblés ensemble dans des formes qu’il était incapable de comprendre.


« Ça sert à quoi ces choses-là ? » demanda-t-il avec curiosité.


Carnyx leva aussitôt la tête, un sourire amusé sur le visage. Il prit l’un de ces accessoires et le déplia devant lui pour en montrer la forme :


« Ça ? Ce sont quelques-uns de mes harnais. Ça fait un moment que je les mets plus. C’est très confortable, tu veux essayer ?

– Euh…

– Ça met en valeur le torse. Tu serais pas mal avec, tu es plutôt bien bâti, tu sais ? »


David recula d’un pas et secoua la tête :


« Je crois que je préfère m’abstenir.

– Tu es sûr ? Parce que je peux t’en fabriquer un sur mesure à l’occasion. Regarde-moi ce cuir, n’est-il pas beau ? Il n’y a pas de plus belle sensation sur la peau, crois-moi. »


Carnyx avait ramassé une immense bande de cuir épaisse pour étayer son propos.


« Personnellement, j’aime quand ça me serre.

– Ça ira, merci.

– Dommage, tu ne sais pas ce que tu rates. Même lui est de mon avis. » insista Carnyx, en faisant un signe de tête vers Ayel.


Pris en flagrant délit, Ayel reposa le harnais qu’il avait ramassé, les joues rouges.


« J’ai froid. » grogna David en croisant les bras. « C’est pas ça qui va me réchauffer. Tu m’as promis des vêtements, pas des bandes de cuir.

– À défaut de te réchauffer, ça chaufferait l’autre petiot.

– Carnyx. »


Le guerrier leva les mains en signe d’abandon.


« Bien bien. »



« Vous avez vraiment une obsession pour les feuilles. » marmonna David en regardant la tunique que Carnyx lui avait tendue.


Cette dernière avait des manches dont la forme et les motifs rappelaient celle des feuilles. Sa teinte était d’un doux brun orangé aux allures automnales.


« Évidemment. » répondit Carnyx en haussant les épaules. « C’est le symbole de Matière. Le Creux est son domaine, il est normal de l’honorer de toutes les façons possibles.

– Je croyais que le Creux était le domaine de Hedera ? » demanda Ayel.


David se tourna aussitôt vers lui et expliqua :


« Le Creux, c’est le nom de tous les souterrains, pas du village.

– Oh. D’accord. Je suis vraiment perdu avec tout ça. »


Carnyx hocha la tête. Il s’adossa à la table, ses bras le soutenant tandis qu’il expliquait :


« Le Creux, le Gouffre, les Souterrains, il y a de nombreux noms pour décrire le royaume de Matière. Ici, nous sommes plus spécifiquement sur les terres de Nemus.

– Nemus ? Encore un nouveau nom. » soupira dramatiquement Ayel.


Carnyx éclata de rire.


« Un nom important. Il est l’une des raisons pour laquelle nous ne sommes pas en bon terme avec les autres habitants du Creux. » expliqua-t-il avant de se tourner vers David : « Mais Adrepo t’a déjà expliqué tout ça, n’est-ce pas ? »


David grimaça. Il réfléchit quelques instants avant de se souvenir d’une discussion qu’il avait eue avec Adrepo juste avant que ce dernier ne décide d’impliquer David dans la mission pour trouver un passage vers l’extérieur.


« Euh. Je dois bien avouer que je ne comprends pas toujours tout ce qu’il dit. » souffla-t-il. « Il a peut-être parlé d’un esprit, mais je ne suis pas sûr.

– Hum. »


Carnyx semblait agacé. Il marmonna quelques insultes dans sa barbe avant de prendre son menton entre les doigts. Il réfléchit quelques secondes, avant de soupirer.


« C’est un sujet compliqué et ce n’est ni l’heure ni l’endroit pour ça. Nous avons pas mal de jours de voyage devant nous, on rattrapera tout ton retard tranquillement sur la route.

– D’accord. »


Après cela, Carnyx et Ayel aidèrent David à enfiler ses vêtements, s’y mettant à deux pour lui éviter d’arracher bêtement son pansement. David frissonna de plaisir en sentant le tissu de sa nouvelle tunique sur sa peau. Elle était douce et bien chaude.


« Je ne savais pas que votre peuple possédait des vêtements couvrants. » fit remarquer Ayel à Carnyx, après avoir placé une grande fourrure rousse sur les épaules de David. « Vous semblez tous si peu couverts ?

– Petiot, si tu fais référence à mon torse nu, n’oublie pas que le tien l’est également. »


Mouché, Ayel rougit aussitôt d’embarras sous l’œil amusé de David. Il était parti sans enfiler de tunique et il devait bien avouer qu’il le regrettait. L’air humide lui picotait la peau à lui aussi. Heureusement que David lui avait rendu son châle.


« Nous avons le cuir épais par ici. » expliqua Carnyx en rangeant tout ce qu’il avait sorti de son coffre. Il l’avait vidé en cherchant quelque chose à la taille de David. « Mais ça ne nous empêche pas d’avoir parfois froid. Certains hivers, cette partie du Creux est vraiment glaciale.

– Oh, je vois. J’imagine bien. »


Un sylène pénétra soudain dans la tente. Il inspecta les lieux du regard et ce dernier s’éclaira en apercevant Carnyx.


└ Carnyx ! ┐


Le guerrier se tourna vers lui et hocha simplement la tête. Satisfait de cette réponse, le sylène disparut aussitôt.


« Il y a un problème ? » demanda Ayel.


Carnyx le rassura aussitôt d’un petit geste de main.


« Non. Il est juste temps pour nous de partir. Je vais vous laisser vous dire au revoir. » expliqua-t-il. « David, dès que tu auras fini, rejoins-nous à la sortie de la ville.

– Laquelle ?

– La porte des racines. »


David acquiesça. Pendant qu’il regardait Carnyx disparaître, il sentit la main d’Ayel se glisser dans la sienne. Elle avait beau être froide, elle n’en était pas moins chaleureuse. Douce comme un soleil d’été.


« Fais attention à toi. » murmura Ayel en se blottissant contre lui. « Tu es sûr que ça va aller ?

– Ne t’en fais pas. Je ne peux pas te promettre de revenir entier, parce que ce n’est plus le cas, mais je promets de ne plus perdre de morceaux en chemin.

– Ce n’est pas drôle. » grogna Ayel.


David haussa les épaules.


« Un peu quand même ?

– Non. »



Lorsque David rejoignit Carnyx à la sortie de la ville, il sentait encore le goût sucré des lèvres d’Ayel sur les siennes et souriait. Il se concentrait dessus pour garder cette saveur en mémoire le plus longtemps possible. Elle l’aidait à oublier la douleur et la fatigue.


Combien de temps seraient-ils loin de l’autre ? Il n’en avait aucune idée. Mais lorsqu’il réalisait qu’ils allaient être séparés plusieurs jours, il se sentait étrange. Il n’aimait pas ça.


Cela ne leur arrivait presque jamais. Il avait même des difficultés à se souvenir d’un moment où cette situation était arrivée depuis qu’ils étaient ensemble. Et même s’il était certain qu’Ayel ne craignait rien ici, il n’était pas serein. Il espérait que Tyra reviendrait vite pour protéger et tenir compagnie au roux, à défaut de l’accompagner.


Car jusqu’au bout, David s’était imaginé la voir revenir comme si de rien n’était et s’imposer dans le voyage avec eux. Il avait eu l’espoir qu’elle apparaisse au dernier moment.


Il devait bien avouer qu’il était un peu déçu. Elle lui manquait énormément.


David soupira et passa sous la porte des racines. Elle se trouvait dans l’une des zones les plus sauvages du village, là où il n’y avait pas d’habitations. C’était une zone assez sombre, où la végétation était maîtresse.


David regarda autour de lui, à la recherche du groupe. Il le repéra facilement à l’orée de la forêt. Ils se trouvaient autour de ce qui semblait être un chariot.


Carnyx lui fit un signe de tête pour l’inviter à se rapprocher, et David les rejoignit aussitôt.


└ Parfait, tu es là. ┐ fit Carnyx en posant une main sur son épaule. └ On va pouvoir y aller. Tu tiens le coup ? Tu n’as pas trop mal ?

– Ça va.

– Bien. Si tu as le moindre problème, tu en parleras à Rhaen. C’est lui qui surveillera ta blessure.

– Rhaen ? ┐


David regarda autour de lui, se demandant lequel des guerriers était Rhaen. Il s’était attendu à ce que le groupe qui l’accompagne soit le même que celui avec lequel il avait partagé un repas autour du feu, mais ce n’était visiblement pas le cas.


Ocarin n’était pas là, ni les deux autres guerriers dont il avait oublié le nom. Seul Carnyx et Gaïtin étaient présents, accompagnés de deux autres personnes que David n’avait jamais vues.


└ Il est là-bas. ┐ fit Carnyx en désignant le chariot. └ RHAEN ! ┐


Il vit alors une tête apparaître de l’autre côté du chariot. Un jeune sylène cornu aux cheveux auburn l’avait levé avec surprise et fixait le groupe avec incompréhension.


David se sentit soulagé en l’apercevant. Enfin une personne qui ne semblait pas plus âgée de lui. Avec un peu de chance, ce sylène serait peut-être tout aussi inexpérimenté que lui.


Il lui fit un signe timide de main, se dirigea vers lui.


└ Bonjour. Je suis David. ┐ se présenta-t-il maladroitement. └ Carnyx vient de me dire que tu… euh… que tu allais m’aider avec mon œil ?

– Oh ! Oui. Adrepo m’a chargé de tes soins. ┐ bredouilla le jeune homme, ses yeux s’illuminant de compréhension. └ Je ne suis pas guérisseur, mais je ferais de mon mieux. Il m’a tout expliqué. Tu verras, je vais être à la hauteur ! Enfin, j’espère. ┐


Rhaen semblait très nerveux. Aussitôt, David ressentit le besoin de le rassurer. Il lui fit un petit sourire.


└ Merci beaucoup alors. Je compte sur toi.

– Ahahaha. Euh. De rien. ┐ répondit aussitôt Rhaen. └ Désolé.

– Pourquoi tu t’excuses ?

– Je ne sais pas ? ┐



David posa ses affaires dans le chariot. En le contournant ensuite, il ne put s’empêcher de s’approcher de l’animal qui le tirait. Une belle bête de grande taille, grise et aux longs bois.


└ C’est un Damhän ┐ expliqua Carnyx en le rejoignant.


Le guerrier s’adossa nonchalamment au chariot, pendant que David répondait doucement :


└ C’est la seconde fois que j’en rencontre un. Je ne pensais pas en voir dans le Creux. Celui là est vraiment immense, rien à voir avec Lawade. ┐


David tendit la main vers l’animal. Ce dernier lui renifla la paume de la main avant de glisser son museau dedans. David lui caressa aussitôt, tandis que le Damhän fermait les yeux de plaisir. Il était doux. Carnyx pencha la tête avec curiosité.


└ Vous en avez beaucoup à la surface ?

– Il n’y en a pas dans le Nord. Mais là où je travaillais dans mon enfance, ils en avaient fait importer un de loin pour le fils du seigneur.

– Vraiment ?

– Oui. Mais c’est moi qui m’en occupais. Son propriétaire n’en prenait pas soin. Il ne l’entretenait pas et ne le nourrissait pas. Il ne pensait à lui que quand il avait besoin de le monter. ┐


Carnyx montra les dents. Il siffla :


└ Il ne méritait pas cet honneur.

– Je suis d’accord avec toi.

– Chez nous, on ne monte pas les Damhän. C’est une bête sacrée, admirée pour son intelligence. ┐ expliqua-t-il. └ Mais parfois certains acceptent de nous offrir leur aide, comme cette belle demoiselle qui adore transporter des choses pour nous. Elle n’est plus toute jeune, mais elle est toujours aussi déterminée à nous accompagner dans nos voyages.

– Oh. Merci alors. ┐ fit david en lui grattant la base de l’encolure.


La bête sembla apprécier. Elle poussa David du bout de la tête et Carnyx sourit :


└ En tout cas, tu t’es visiblement fait une amie.

– Je l’espère. ┐ rit David. └ Mais dis-moi toi, comment tu fais pour transporter ce chariot dans la forêt ? Vous avez des routes ? ┐


Ce fut l’un des sylènes que David ne connaissait pas encore qui répondit. Il s’approcha et posa les mains sur les hanches en expliquant :


└ Bien sûr. Et cette petite à un sens de l’orientation hors du commun. Elle est capable de nous guider à peu près partout.

– Elle a surtout l’habitude. ┐ fit Carnyx └ Elle a plus d’expérience sur les routes que nous tous réunis. C’est une grande voyageuse.

– C’est vrai. ┐


Voyant que David dévisageait le nouveau venu, Carnyx toussota et ajouta :


└ David, je te présente Nephin. ┐



Le sylène tourna la tête si rapidement que David se demanda comment elle avait fait pour ne pas s’arracher.


└ Nephos.

– Nephin. La tradition veut que ton nom —

– Quelle tradition ? ┐ le coupa-t-il. └ Toi tu te nommes Carnyx, par Carnin à ce que je sache. Elle a bon dos la tradition. ┐


Nephos croisa les bras avec agacement. Carnyx haussa les épaules et répondit avec amusement.


└ Bien. Je te présente Nephyx.

– Va prendre un bain de merde, vieille croûte. ┐



Le souffle de David se coupa. Était-ce bien une insulte que venait de proférer le Sylène à l’encontre de Carnyx ? Ne tenait-il pas à sa tête ? David tourna aussitôt la tête vers Carnyx.


Il frissonna. Ce dernier souriait maintenant froidement, les yeux plissés.


└ Il te faut apprendre à mesurer tes mots, petit-être. ┐ siffla-t-il en s’approchant du jeune guerrier, posant la main sur son visage.└ Tu resteras silencieux le temps de réfléchir à ton comportement. Premier avertissement. ┐


Les yeux du plus jeune s’écarquillèrent, tandis qu’il ouvrait la bouche pour répondre. Mais aucun mot n’en sortit. Carnyx lui tapota la joue avant de reculer d’un pas.


└ J’ai accepté de te donner ta chance, ne me le fais pas regretter, Neph. Rien ne m’empêchera de t’ordonner de rentrer seul au village lorsque nous serons assez loin pour que ce ne soit pas agréable. ┐


Ledit Neph hocha la tête en montrant les dents, avant de croiser les bras avec rage. Il contourna le chariot et s’assit dessus, boudeur. Rhaen et l’autre sylène qui n’avait pas encore été présenté à David regardaient la scène avec inquiétude.



Gaïtin s’approcha de Neph et lui frappa la tête, grognant quelques mots que David ne pouvait pas entendre d’aussi loin. Carnyx roula des yeux.


└ Je suis désolé. ┐ dit-il à David, qui grimaça. └ Ce môme n’a aucune manière.

– Je… pas de soucis. ┐


David hésita avant d’ajouter :


└ Qui est-ce ? Pourquoi est-il là ? Pourquoi ce ne sont pas Ocarin et les autres qui nous accompagnent ?

– C’est une idée d’Adrepo, il pense que cette mission serait bénéfice pour nos jeunes les plus prometteurs. ┐ répondit Carnyx en haussant les épaules. └ J’ai arrêté de chercher à saisir notre Lune depuis bien longtemps. Il voit des choses au-delà de notre compréhension. Ses mauvaises idées se révèlent souvent bonnes.

– Ah, je vois…

– Mais en résumé, Neph ne m’apprécie pas. C’est une histoire longue et compliquée qui ne mérite pas d’être racontée. ┐ ajouta-t-il en agitant la main.


David hocha la tête. Il regarda le chariot, réfléchissant à tout ce qu’il venait de se passer, avant de demander :


└ On est d’accord que la terminaison de vos noms est liée à vos métiers ? Et que les personnes qui ont un nom qui se termine en-in sont des guerriers ?

– Oui. Ceux qui protègent, plus exactement. Ça inclut aussi les gardes, les éclaireurs, et divers métiers liés.

– Oh. ┐ souffla David. └ Que signifie-os dans ce cas ? Et -yx ?

– Rien du tout.

– Mais, pourquoi tu te nommes Carnyx dans ce cas ? ┐


Carnyx soupira :


└ C’est sentimental. Et je ne suis pas qu’un guerrier. Je porte ce nom depuis bien longtemps. À mon époque, cette tradition n’existait pas. C’est le seul lien qu’il me reste avec mon ancienne vie alors j’ai reçu l’autorisation de le garder.

– Je comprends. Mais pourquoi l’appeler Neph maintenant ? Et pourquoi ne pas lui laisser porter le nom qu’il souhaite ?

– Punition. Tant qu’il se comporte comme un apprenti, il n’aura que son nom d’apprenti. Je peux me montrer conciliant, mais s’il veut que nous respections le nom qu’il s’est choisi, il doit d’abord apprendre à respecter l’autorité. ┐





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