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- 53 - La folie de Dynia

  • bleuts
  • 25 sept. 2024
  • 37 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 févr.

« Que… Tu crois que tu peux me parler de Racine, alors ? » demanda Tyra. « Tu pourrais me raconter son histoire en chemin ?

– Bien sûr. »


Öta hocha la tête, avant de faire signe à Adrepo pour les prévenir qu’ils avaient terminé de se préparer. Le meneur se redressa aussitôt, impatient de pouvoir partir. Tyra sentait l'angoisse monter. Tous deux s'inquiétaient pour Mylen, qui était coincé seul avec Racine.


Ils prirent un chemin qui traversait le village, dans l’objectif de rejoindre la sortie. Tandis qu’ils marchaient, les sylènes les regardaient avec curiosité, murmurant comme toujours entre eux en les désignant du bout des doigts.


« Pour en revenir à Racine. C’est un ogre aussi vieux que le monde. » murmura Öta à l’oreille de Tyra. « C’était autrefois un lutin né de l’hiver, mais je n’ai pas vraiment les détails de cette époque de sa vie.

– Lutin de l’hiver ? Il y a à plusieurs races de lutins selon les saisons ?

– Oui, ils sont liés à la saison qui les a vus naitre. Racine est né dans la neige, tandis que mon ancêtre, lui, est né le jour du tout premier équinoxe de printemps.

– Oh. L’équinoxe de printemps, c’est un jour sacré dans ma culture. » sourit Tyra. « On dit que c’est le jour du renouveau de la nature.

– Les ogres lui donnent une symbolique similaire. » répondit Öta en se redressant.


Il avait terminé sa phrase dans un murmure. S’il y avait un sens derrière ses mots, Tyra ne parvenait pas à le saisir pleinement. Öta restait toujours très vague au sujet de son ancêtre, au point qu’il ne lui avait pas même confié son nom une seule fois.


« Bref, tout comme mon ancêtre, Racine n’était pas originaire du Nord. » continua Öta en rattrapant Adrepo, qui marchait plus vite qu’eux. « Sa terre natale se trouve au-delà de la mer. Cissus m’a dit qu’ils venaient de la même forêt et qu’ils avaient migré ensemble.

– Je comprends pourquoi il t’intrigue alors. »


Öta opina.


« Mais Cissus ne m’a pas dit grand-chose sur leur vie d’avant.

– Et sur leur vie d’après ?

– Ah, ça. Il m’a dit que Racine a façonné le Nord aux côtés de Nemus et de mon ancêtre afin de construire un endroit sûr pour sa famille.

– Sa famille ?

– Oui. Racine s’était épris d’un autre ogre. Ils s’étaient créé une famille ensemble. »


Tyra écarquilla les yeux. Elle porta les mains à la bouche.


« Un amoureux ! C’est lui, le neved que Racine recherche ? C’est pour ça qu’il a dit « un amour contre un amour » quand Mylen s’est porté volontaire pour remplacer Noyer. » s’exclama-t-elle. « Je n’arrive pas du tout à imaginer Racine amoureux. Du peu que j’ai vu, il est plutôt du genre à haïr le monde entier.

– Ahaha, non ce n’est pas lui. Le neved est celui d’un lutin qu’ils ont élevé ensemble. J’ai reconnu son nom quand Adrepo l’a demandé à Cissus.

– Un lutin ?

– Son enfant. Il est mort jeune, et il veut sans aucun doute le faire revenir. Ce ne serait pas étonnant de sa part. »


Tyra se figea. Elle avait perdu son sourire.


« Tyra ?

– Il a perdu son enfant ? Et il veut le retrouver ? » murmura-t-elle avec effroi. « Oh non. »


Elle leva les yeux vers Öta, et continua, d’une voix peinée :


« Et on va devoir lui dire que c’est pas possible, parce qu’il est perdu ? C’est bien ça que tu m’as dit, hein, que le neved est perdu ?

– Oui. Il y a un bon millier d’années maintenant. Il pourrait-être n’importe où.

– Merde. Merde ! »


Alerté par les cris de Tyra, Adrepo se retourna et lança un regard perdu aux deux compagnons. Il ne comprenait pas la raison de leur arrêt. Öta lui fit une grimace, qu’Adrepo traduisit par « nous t’expliquerons après ».


« Tyra, on n’y peut rien.

– Mais on va briser ses espoirs. Personne ne mérite ça. Oh non. Tu imagines toi, te réveiller après mille ans et te rendre compte que ta famille, tes proches et tout ce que tu as construit à totalement disparu ? Je comprends mieux sa colère…

– Il n’a pas tout perdu. Il pourra toujours reformer son couple à la surface et —

– Attends. L’ogre qu’il aime est encore en vie ? »


Öta opina.


« Oui. Rameau. C’est un ogre très ancien qui vit encore à la surface selon Cissus. De ce que j’ai compris, Racine voudra sans aucun doute le rejoindre.

– Oh. Donc, il fait vraiment tout ça pour retrouver sa famille. » murmura Tyra.


Soucieux, Öta lui posa une main sur l’épaule. Elle était chaude et réconfortante. Tyra frissonna avant de se redresser, adressant un regard de remerciement à Öta avant de dire :


« Je vais le faire. C’est moi qui lui annonc—

– Tyra ! »


Une voix, venue de leur droite, coupa Tyra qui sursauta avant de se retourner vers la source du bruit. Dynia se dirigeait vers eux, et à peine les eut-elle rejoints qu’elle s’exclama :


« Tyra ? Où étais-tu, nous t’avons cherché partout. As-tu vu Mylen ? Il est introuvable. »



Tyra se figea, comme gelée sur place. Dynia ne pouvait pas arriver à un pire moment. Elle n’avait aucune envie de gérer ça maintenant, aucune envie d’annoncer à la guerrière que son fils n’était plus dans le village, et pire, qu’il était le prisonnier d’un ogre.


« Tyra. Je te repose la question. Où est Mylen ? » insista Dynia.


Tyra comprit aussitôt ce que Mylen avait voulu dire lorsqu’il lui avait confié que Dynia vivait mal leur situation dans le village. Elle n’y avait pas réellement prêté attention plus tôt, mais il était évidement que la guerrière était à bout de nerfs.


Et à cet instant précis, l’irritation dans les yeux de la femme, couplée à l’odeur nauséabonde de l’alcool qui l’enveloppait, rendait la situation encore plus dangereuse.


« Dynia, ce n’est pas le moment… » tenta Tyra. « Je te raconterai plus tard, d’accord ? Nous sommes pressés et…

– Non. Je veux savoir où est mon fils. Maintenant. »


La réponse de Dynia fut cinglante, implacable, et Tyra sentit ses forces vaciller.


« Dynia…

– C’est un ordre, Tyra. »


Un long silence suivit. Tyra passa une main sur son visage.


Que dire ?

Comment la calmer sans tout dévoiler et déclencher encore plus de colère de sa part ?


« Mylen est en mission à l’extérieur du village. Nous allions le rejoindre. Il te racontera tout lui-même à son retour, d’accord ? » finit-elle par répondre, d’un ton implorant.


Mais Dynia n’en fut pas satisfaite. Ses yeux se plissèrent tandis qu’elle détaillait chaque détail de l’apparence de Tyra, scrutant chacun de ses gestes, cherchant la moindre faille dans son récit.


Ses sourcils se froncèrent lorsque son regard se posa sur l’arme de Tyra, accrochée à sa ceinture. Puis, lentement, son attention glissa vers Öta et Adrepo un peu plus loin. Elle remarqua aussitôt l’arc et l’épée qu’ils portaient.


Le visage de Dynia se ferma, et un rictus déforma ses lèvres.


« Vous êtes armés. Ils vous ont donné des armes.

– Si je puis me permettre… » tenta Öta, levant la main dans un geste apaisant. « Nous —

– Toi, la ferme. » siffla-t-elle.


La colère de Dynia était palpable. Elle lança un regard assassin à Öta, et son ton devint encore plus acerbe tandis qu’elle désignait ses bras avec dégout.


« Tu nous fous quoi là ? C’est quoi ces feuilles, tu te transformes en sylène ?

– Hein ?

– Ah ! J’en étais sûre. Vous êtes en train de prêter allégeance à ces bêtes. Comme David, vous vous êtes laissés séduire, vous avez retourné votre veste et vous les suivez maintenant. »


Un frisson parcourut Tyra. Elle ne pouvait pas croire ça, pas vrai ? Ce n’était pas possible.


Soudain, Adrepo, fatigué de les attendre, s’avança. Il n’avait pas suivi les derniers échanges, ne comprenant pas assez bien leur langue. Seule une chose lui important : l’urgence de partir. Il lança un regard dédaigneux à Dynia, ne la jugeant que comme un contretemps inutile, avant de se pencher vers Öta.


└ Nous devons y aller. ┐ fit-il avec impatience. └ Si vous traînez plus, je partirais sans vous.

– Attendez juste deux min— ┐


Mais Öta n’eut pas le temps de finir sa phrase. D’un geste rapide, Dynia dégagea l’épée de Tyra de sa ceinture, la lui arrachant sans même lui laisser le temps de réagir, et la pointa directement sur Adrepo.


« Toi ! »


L’exclamation de Dynia résonna comme un coup de tonnerre.


« J’en ai ras le cul ! Tu vas m’amener à mon fils TOUT DE SUITE ! Et vous allez nous rendre nos armes et nos masques. Il est hors de question que ma famille reste une seconde de plus dans ce village ! »


Öta et Tyra se figèrent, le souffle coupé.



Son arme pointée sur Adrepo, Dynia releva le menton et le regarda avec défi. Il était démesurément grand, mais ça ne lui faisait pas peur. Ce dernier baissa les yeux sur la lame, ses sourcils se fronçant lentement tandis que l’impatience et l’irritation venaient progressivement se peindre sur son visage.


Tyra fit un pas en avant pour s’interposer entre eux, mais fut retenue par la main d’Öta sur son bras. Elle se retourna, exaspérée par son geste, mais s’arrêta aussitôt. Quelque chose dans le regard d’Öta la dissuada. Était-ce de la peur ?


└ Elle vous demande juste de récupérer ses affaires afin de pouvoir quitter le village avec sa famille. ┐ fit-il d’une voix forte en direction d’Adrepo. └ Laissez-la partir. ┐


Dynia renifla de dédain, n’ayant pas compris un traître mot des paroles d’Öta. Elle fit un pas en avant, et ce fut celui de trop. Adrepo dégaina sa propre épée, et dans un éclair, il attaqua. Dynia pivota rapidement et l’esquiva avec agilité, se glissant dans son dos.


Adrepo était immense, et bien que Dynia n’était pas une femme de petite taille, elle semblait face à lui guère plus imposante qu’une souris. Et elle comptait bien s’en servir.


Elle riposta immédiatement, son épée fendant l’air dans une attaque rapide et précise qui fut parée par Adrepo. Elle tenta une nouvelle manœuvre, cherchant à l’atteindre à la jambe, mais Adrepo la repoussa.


Et soudain, il bondit en avant pour lui saisir le poignet.


Il la tira vers lui sans peine, rengainant son épée tout en serrant si fort le bras de la guerrière qu’elle dut serrer les dents.


Mais elle refusait de lâcher son arme, alors, Adrepo continua à resserrer sa prise.


Crac.


Le cri de Dynia fut glaçant.


Tyra, qui avait regardé la scène avec horreur, se précipita en avant, mais Adrepo l’attrapa et les coinça toutes deux sur le sol, forçant malgré lui Tyra à regarder la scène aux premières loges.


Il continua de serrer le poignet de Dynia.

Encore.

Et encore.

Jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une masse informe et que ses cris s’estompent, remplacés par des halètements de douleurs et un regard vide.


Elle avait enfin lâché son arme.


└ Le guerrier qui lève son arme contre ceux lui ayant offert asile ne mérite plus de pouvoir la tenir. ┐ grogna-t-il en relâchant enfin la pression.


Il dégaina son épée, et d’un geste sec, lui trancha le bras. Elle hurla de nouveau, tandis que Tyra criait et qu’Öta reculait, l’horreur peinte sur ses traits.


Alertés par le bruit, plusieurs guerriers les rejoignirent. Adrepo attrapa Dynia par son écharpe et la lança comme un vulgaire sac sur eux, ordonnant :


└ Empêchez-la de se vider de sa sève et quand elle sera de nouveau consciente, amenez-la ensuite à Nenia. Elle décidera de la suite. ┐


Tyra, qui avait été relâchée par Adrepo, fit un pas pour suivre Dynia, qui avait perdu connaissance, avant de s’arrêter en voyant le meneur repartir.


Elle ne pouvait pas laisser Dynia seule et blessée, mais Mylen… Merde. Merde !


« On se sépare. » murmura Öta en posant une main sur son épaule. « Suis et protège ton amie, je vais accompagner Adrepo. Je te promets de tout faire pour m’assurer qu’il sauve bien Mylen. Et ne t'en fais pas, Adrepo leur à ordonné de la garder en vie, ils ne vont pas la laisser comme ça. »


Soulagée, Tyra ne réfléchit pas une seconde de plus et s’élança à la suite des guerriers qui emmenaient Dynia au loin.


Öta passa la main sur son visage. Il tremblait, sous le choc de ce qu’il venait de se passer. Il n'avait aucune envie d'accompagner Adrepo, mais il refusait de laisser Tyra seule avec lui.


└ Si tu veux m’accompagner, gardesprit, c’est maintenant. ┐ fit Adrepo en reprenant la route vers la sortie du village.



Tyra se précipita à la suite des guerriers, qui venaient de faire un garrot au bras de Dynia, et les rattrapa d’un pas rapide. Elle avait récupéré son épée, qu’elle avait rengainée en se promettant de ne plus jamais laisser quelqu’un la lui prendre par surprise.


Quelle idiote elle avait été ! Elle qui était pourtant réactive, c’était une erreur de débutant. Si seulement elle était restée vigilante… Mais elle n’avait pas le temps de se lamenter. Dynia avait perdu conscience, et était portée par les guerriers d’Adrepo.


« Attendez ! » s’exclama-t-elle, frustrée de ne pas bien connaître leur langue. « Attendez ! Écoutez-moi ! Hé, vous ! »


Mais les sylènes l’ignorèrent. Ils entrèrent quelques minutes plus tard dans une hutte et déposèrent Dynia sur la table. C’était une pièce sombre avec de nombreuses herbes pendant au plafond, des outils dispersés un peu partout, et des pots contenant diverses potions, onctions, et baumes. C’était sans aucun doute l’antre de la guérisseuse.


Cette dernière, visiblement agacée par cette visite soudaine, s’approcha lentement de la blessée. Si lentement que ça ne pouvait être que délibéré. Elle pesta quelques mots en direction des guerriers, qui inclinèrent la tête avant de sortir, puis se tourna vers Tyra.


Elle marmonna quelques mots dans sa barbe, mais ne fit aucun geste pour la chasser.

Tyra n’attendit pas une seconde de plus et se précipita aux côtés de Dynia. Elle prit son pouls, sa température, et examina sa blessure. C’était net, propre, et précis.


Adrepo avait fait cela proprement.


« Tu n’auras plus qu’à devenir droitière. » rit nerveusement Tyra en caressant le visage de Dynia. « Idiote. Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? »


La guérisseuse poussa Tyra pour regarder la blessure à son tour, avant de grommeler et de se diriger vers le fond de la pièce.


« Bon. Je sens que cette sylène va m’engueuler pour m’immiscer dans son travail, mais je dois le faire. » marmonna Tyra en s’attachant les cheveux.


Elle attrapa son couteau, et s’entailla la main, avant de se mettre à psalmodier. Elle ne pouvait pas soigner une blessure aussi grave, mais si elle pouvait arrêter la perte de sang et empêcher la guerrière de souffrir à son réveil, elle n’allait pas se priver. Elle se concentra, tout en espérant réussir avant que Dynia ne reprenne connaissance.


Lentement, elle déploya sa magie en Dynia et ferma les yeux. Combien de temps passa ainsi ? Elle l’ignorait. Mais lorsqu’elle rouvrit les yeux, la blessure avait déjà meilleure mine. Dynia ne risquait plus de se vider de son sang.


Tyra se redressa, mais l’épuisement la submergea. Elle chancela. Le monde autour d’elle se transforma en un tourbillon de couleurs et de sons, et elle perdit l’équilibre. La dernière chose qu’elle vit fut le visage de la guérisseuse penchée sur elle, visiblement agacée d’avoir écopé d'une deuxième patiente.



Tyra se réveilla en sursaut. Elle regarda autour d’elle et découvrit qu’elle était allongée dans l’obscurité, sur une paillasse au fond de la hutte de la guérisseuse. C’était une petite pièce, protégée du regard extérieur par un rideau tissé aux motifs colorés. Était-ce la guérisseuse qui l’avait installée là ?


« J’me suis évanouie. Merde. » pesta-t-elle en tentant de se redresser.


Elle avait un peu trop tiré sur ses forces en tentant de soigner Dynia. Elle n’avait pas dormi depuis un moment, ayant passé sa nuit précédente à sauver Noyer, et ce type de soin était éprouvant pour son corps. D'autant plus qu'elle n’avait pas usé d’une magie aussi puissante depuis un bon moment.


Elle passa une main sur son visage, la bouche sèche et l’esprit encore engourdi. Ce n’était pas très agréable, mais elle préférait ça à risquer de perdre Dynia.


« Dynia ? » murmura-t-elle en se levant, poussant le rideau du bout de la main.


Elle regarda autour d’elle, mais le lit de pierre qui accueillait Dynia avant qu’elle ne perde conscience était vide. Tyra fronça les sourcils. L’avaient-ils emmené ailleurs ?


Elle s’approcha, grimaçant en apercevant les traces de sang laissées par la guerrière, et toucha le lit du bout des doigts. Il était glacial. Elle le contourna alors, et découvrit de l’autre côté un spectacle qui lui glaça le sang.


La guérisseuse était au sol, le visage en sang. Le pot de terre brisé à côté d’elle racontait une histoire très claire : une personne l'avait attaqué par surprise.


« Dynia, dis moi que t’as pas fait ça. » souffla Tyra. « Non, non, non… »


Aussitôt, elle s’agenouilla aux côtés de la guérisseuse et prit son pouls, avec l’espoir qu’elle soit juste inconsciente.


« Merde. »


Elle était décédée.



Sans attendre, Tyra sortit de la hutte et regarda autour d’elle, à la recherche d’une trace qui lui permettrait de suivre Dynia. Elle soupira de soulagement en ne voyant aucune trace d'un second mort. Elle avait eu peur, l'espace d'un instant, que la blessée s'en soit également prise à des guerriers qui auraient surveillé l'entrée de la hutte.


« S'ils étaient restée avec nous, rien de tout ça ne serait arrivé. » pesta Tyra. « Pourquoi ne sont ils pas là ? »


La mort de la guérisseuse ne mettait pas seulement la vie de Dynia en péril, mais aussi celle de tous les réfugiés. C’était une catastrophe.


Dynia avait sans doute agi par pure impulsion. Se réveiller dans un endroit hostile, avec un bras en moins, avait dû être un choc immense. Elle avait certainement été submergée par la panique, incapable de prendre des décisions rationnelles.


Tyra serra les dents. Elle devait trouver Dynia au plus vite, mais elle devait aussi prévenir les sylènes, et leur expliquer qu’elle n’avait rien à voir avec ça. C’était un bourbier sans nom dans lequel elle se retrouvait plongée.


« Elle a dû filer vers notre camp. » réalisa Tyra. « Elle va vouloir fuir le village avec sa famille. »


Sans attendre une seconde de plus, elle courut vers le campement. Elle ralentit en arrivant, tendant l’oreille à l’affût du moindre bruit. Le camp était silencieux, trop silencieux. L’absence totale de bruit rendait l’atmosphère pesante.


Il n’y avait plus personne ici.


Elle s’avança, scrutant chaque recoin à la recherche d’un espoir, mais les traces de ses compagnons avaient disparu. Tout ce qui restait était des objets abandonnés en hâte, comme si quelqu’un avait pris la fuite précipitamment.


Tyra entra dans la grande tente et sentit les larmes perler aux coins de ses yeux. Il n’y avait plus personne. Définitivement. Elle s’assit sur un tabouret et soupira.


« J’aurais pas dû la soigner, elle n’aurait pas eu la force de faire tout ça… » murmura-t-elle, honteuse. « J’aurais dû être là à son réveil… »


Ses yeux se posèrent alors sur la table. Le grand plan du village qu’avait fait Mylen n’était plus là. Toutes ses notes pour trouver des armes, leurs masques, sortir au bon moment et s’enfuir si besoin, avaient disparu. Dynia les avait emportés.


Tyra gémit et posa la tête entre ses mains. Un sanglot étranglé s’échappa de sa gorge, et elle se laissa aller, la tête entre les mains, paralysée. Elle ne savait plus quoi faire.


« Tyra ? Que se passe-t-il ? » fit une voix quelques minutes plus tard, depuis l’entrée de la tente. « Où sont les autres ? Pourquoi leurs affaires ont disparu ? »


Ayel la fixait avec confusion, un bol de soupe fumant à la main.



D’une voix basse et tremblante, Tyra résuma la situation à Ayel. Ce dernier resta tout du long silencieux, les yeux écarquillés, son bol de soupe renversé à ses pieds.


Il n’en revenait pas. Dynia avait perdu la tête, il n’y avait pas d’autre explication possible à son comportement. Il se sentait sali, trahi. Elle était partie sans eux. Elle avait pris sa famille, et abandonné les autres derrière. Ayel avait été laissé derrière.


C’était… humiliant.


Lorsque Tyra eut fini, il lui fallut quelques secondes pour digérer la nouvelle.


« Par les dieux, nous sommes morts. » souffla-t-il finalement. « Ils vont nous accuser et on ne va pas pouvoir se défendre, parce qu’on ne parle pas leur langue ! Et David qui n’est plus là…

– Chut, parle moins fort. On doit se faire tout petit maintenant. »


Tyra s’était levée et glissa la tête hors de la tente pour vérifier qu’ils étaient toujours seuls. Ce n’était pas la première fois depuis le début de leur discussion. Elle était aux abois.


« Pourquoi à chaque fois que je vais dans un village et que je commence à y prendre mes marques, tout vire au cauchemar ? » marmonna Ayel en essuyant son visage. « J’ai été maudit par les dieux, il n’y a pas d’autre raison.

– Calme-toi. On va s’en sortir. » murmura Tyra. « Je vais tout faire pour.

– Tyra, on ne peut pas communiquer avec eux ! Comment tu veux qu’on leur fasse comprendre qu’on n’a rien à voir avec Dynia et qu’on se désolidarise de ses actes ? Et franchement, je doute qu’ils nous écoutent. »


Ne plus être seule face à tout cela avait redonné de la force à Tyra, qui mit tous ses doutes de côté. Elle ne devait pas se laisser aller. Elle allait protéger Ayel coûte que coûte.


« Je dois essayer quelque chose. » murmura-t-elle alors. « Attends deux minutes ici, d’accord ? »


Perdu, Ayel hocha la tête. Il la regarda se faufiler hors de la tente, empruntant la sortie qui donnait sur le petit bois derrière leur campement. Les arbres la cachaient suffisamment pour qu’elle n’ait pas peur d’être vue.


« Noyer ? Noyer ? Tu es là ? »


Mais seul le silence lui répondit. Elle serra les dents. Elle avait eu l’espoir que le lutinae puisse l’entendre, comme il le faisait si bien sur son territoire. Mais ces terres n’étaient pas les siennes.


Elle soupira et retourna dans la tente.


« Bon. J’ai une idée, mais nous allons devoir sortir du camp sans nous faire voir. J'ai un ami qui peut nous servir d’interprète.

– Il parle notre langue, et celle des sylènes ?

– Oui. Et il est ami avec Hedera. C’est lui qui nous à guidé jusque Yphen. Öta et moi, nous ne vous aurions pas retrouvés sans son aide. En plus, il est avec Cissus, et je pense que ce dernier nous écoutera.

– Oh. » fit Ayel. « Ça me semble… bien. Mais en parlant de ton ami, celui avec lequel tu étais arrivé, où est-il ?

– Avec Mylen et Adrepo, loin du village. On ne pourra pas compter sur eux avant un bon moment.

– Zut. »


Tyra fouilla dans la tente et attrapa un foulard, qu'elle tendit à Ayel.


« Tiens, mets-ça. Tes cheveux roux ressortent trop de loin. On va devoir être discrets. On a peu de chances de croiser du monde sur le chemin qu’on va prendre, mais il vaut mieux être prudents.

– Oh. Merci. Où allons-nous ?

– Au cœur du Bois Sacré. »



Tyra se souvenait avec exactitude de l’emplacement de la fissure qui lui avait permis d’entrer dans le bois sacré en douce, avec Öta, lors de leur première visite. Situé derrière un arbre au feuillage jaune, il s’agissait d’une fissure très étroite, mais permettant de se faufiler de l’autre côté des remparts.


« Comment tu savais qu’elle est là ? » murmura Ayel, impressionné.


Ils étaient partis pile au bon moment, manquant de peu de se faire repérer par des sylènes qui étaient entrés dans leur campement. Ils avaient sans doute enfin trouvé le corps de la guérisseuse.


Ils avaient ensuite du faire extrêmement attention à ne pas se faire repérer sur le chemin.


À la grande surprise de Tyra, Ayel était bien plus discret qu’elle ne l’avait imaginé. Elle avait pensé qu’il serait un peu gauche, comme David parfois, mais il avait géré le trajet à la perfection.


Pourtant, elle le voyait trembler. Il était terrifié. C'est pour cela qu'elle tentait de toujours sourire, rassurante et encourageante, pour qu'il puisse garder espoir.


« Mylen. Il a cartographié le village. Chaque fissure dans les remparts, chaque endroit gardé ou mal surveillé, les rondes des guerriers, tout.

– C’est comme ça que Dynia a pu s’enfuir ?

– Oui. Elle a pris ses notes avec elle. Il avait préparé de nombreux plans d’évasion, incluant de leur voler des armes et de récupérer les masques qu’ils avaient confisqués. La seule information qu’il n’a jamais réussi à obtenir, c’est où se trouvaient vos armes.

– Ils les ont détruites, je crois. » se souvint alors Ayel. « David m’a dit quelque chose du genre avant de partir. J’avais totalement oublié.

– T’as bien fait de le garder pour toi, Dynia serait devenue encore plus folle en l’apprenant. » rit nerveusement Tyra.


À cette idée, Ayel frissonna. Et sans plus attendre, ils se faufilèrent au travers de la fissure étroite. Mais si Tyra n’avait aucun mal à s’y glisser, ce fut une tout autre histoire pour Ayel.


« Tyra… je crois que je suis coincé.

– Mais non. Il suffit de tirer.

– Hé ! Attends, non ! Aïe ! »


Une fois passé, Ayel massa ses membres endoloris en fusillant Tyra du regard. Elle lui tapota le bras et lui fit signe de la suivre.


« On s’était perdu avec Ôta la première fois qu’on a voulu venir, mais maintenant que j’ai fait plusieurs fois le chemin, on va pouvoir éviter les petits pièges du coin.

– Les pièges ? » paniqua Ayel. « Comment ça, des pièges ?

– Rien ne grave. Un feu-follet qui pousse les gens à tomber dans le vide, des trous pleins d’ossements qui mènent à un vieux cachot, un temple en ruine qui peut s’écrouler sur notre tête à tout moment, un…

– C’est bon. Je ne veux pas en savoir plus.

– Dommage, j’avais pas encore parlé des monticules de terre glauques qui ressemblent à des gens —

– Tyra ! »



Ayel et Tyra pénétrèrent silencieusement dans le bois sacré, le bruit de leurs pas étant amorti par le sol couvert de mousse.


Les arbres gigantesques les entouraient, leurs troncs tordus et leurs branches enchevêtrées bloquant en partie la lumière qui provenait des cristaux, ceux du ciel des souterrains. Mais la mousse lumineuse et les champignons apportaient suffisamment de clarté pour que ce ne soit pas gênant, au contraire. Il y avait une ambiance bien particulière qui se dégageait des lieux.


« C’est quoi ces bois exactement ? » demanda Ayel, en regardant autour de lui avec curiosité. « Ils ont l’air… je ne sais pas trop. Magique ?

– C’est un peu le cas. » sourit Tyra. « Tu sais, c’est ici que de nombreux esprits résident, sous la protection de Cissus. Ou Nemus, comme tu veux. C’est le vrai propriétaire d’Yphen.

– Nemus ? Oh, je me souviens. Carnyx nous en a parlé, je crois.

– Carnyx ? » répéta Tyra en haussant un sourcil. « Bon, peu importe. Il faut que je te dise… je te préviens, tu vas pas en revenir. J’ai rencontré des fées ici !

– Des fées ? »


Ayel, les yeux écarquillés de surprise, jeta un regard incrédule à Tyra.


« Attends, tu es sérieuse ? » balbutia-t-il. « Tu as vu des fées ? Pour de vrai ?

– Oui. Elles sont deux ! Mais très timides, alors espère pas les voir se pointer.

– Incroyable ! Il faudra que tu me dises à quoi elles ressemblaient ! Je veux tout savoir. » s’exclama-t-il. « Ça me rappelle, avant de devoir fuir avec David j’avais commencé la construction d’une grande bibliothèque. J’avais gravé des fées dessus. Je me demande si mes gravures étaient fidèles.

– Je te ferais un dessin si tu veux. » sourit Tyra.


Ayel semblait s’être un peu détendu, et elle s’en félicita. Elle reprit la route, bien décidée à rejoindre au plus vite la demeure de Nemus.


Ils atteignirent le petit chemin de terre que Tyra avait emprunté à son retour, lorsqu’elle avait laissé Öta avec Cissus. En le suivant, elle savait qu’ils arriveraient sans encombre sur place.


Tout semblait se passer à merveille. Mais eu début, seulement. En avançant, quelque chose commença à la troubler. Elle avait l’étrange impression que le paysage autour d’eux n’était pas… normal. C’était comme si la forêt, pourtant familière, se transformait sans qu’ils s’en rendent compte. Comme si les arbres s’étaient déplacés subtilement lorsqu’ils avaient le dos tourné. Son aspect brillant et rassurant s’était estompé, remplacé progressivement par une aura moins avenante. Ayel, qui avait remarqué la même chose, murmura :


« Tyra, tu as remarqué ?

– Oui. Et tu entends ça ?

– Quoi ?

– La forêt est silencieuse. »


Ils s’arrêtèrent et tendirent l’oreille. Le chant des oiseaux, le vol des insectes, les petits craquements de la nature s’étaient enfuis loin d’ici. Il ne restait que le silence. Et soudain, une légère brise se leva, soufflant dans les feuilles d’une manière étrange, comme si elles chuchotaient entre elles.


« Noyer ? C’est toi ? Si tu me fais une blague, c’est pas drôle hein. » fit Tyra en levant les yeux vers les arbres.


Mais elle n’eut pas de réponse. Elle examina les alentours, et grimaça. Ayel se pencha sur elle, inquiet :


« Tu n’as pas l’air de reconnaître les environs. On s’est perdus ?

– Quoi ? Non, non. Ce n’est pas possible, Je suis sûre qu’on est sur le bon chemin. De toute façon, nous devons avancer. »


Ils continuèrent à marcher, mais se rendirent vite compte d’un gros problème. Ils tournaient en rond. Comme si le chemin, au lieu d’avancer, faisait maintenant une boucle.


« Merde. C'est bien le moment.

– Quoi ?

– Je crois qu’un esprit à décidé que l'on serait son nouveau jouet. »



Tyra et Ayel échangèrent un regard inquiet. Chaque tentative pour retrouver leur chemin se soldait par un échec. La forêt, autrefois accueillante et magique, semblait désormais se refermer sur eux comme un piège invisible et chaque sentier qu’ils empruntaient les ramenait au même endroit.


Tyra, cependant, avait la conviction que la forêt ne les laissait pas errer sans raison. Quelque chose ou quelqu’un les retenait ici. Un esprit, sans doute, qui ne voulait pas qu’ils repartent aussi facilement.


Mais cet esprit restait furtif, insaisissable.


« Je vais utiliser la magie pour comprendre ce qui nous empêche de sortir. » murmura Tyra. « Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne trouve une solution.

– Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

– Préviens-moi si tu remarques quoi que ce soit de bizarre. Et sinon, pas un bruit. »


Ayel hocha la tête, suivant Tyra en silence. Son regard se perdit dans les arbres qui se refermaient lentement autour d’eux. Ils marchèrent encore pendant un moment, puis il s’arrêta brusquement et posa une main sur l’épaule de Tyra, qui sursauta.


« Regarde là-bas. » fit Ayel. « Tu as vu cet arbre ?

– Oui et alors, c’est un arbre comme les autres.

– Non. Je ne connais pas cette variété.

– Oh, tu crois que ça pourrait nous aider ? Que c’est une piste ?

– Quoi ? Non. Je me demande ce que c’est. Est-ce que ça se travaille bien ? Quel est le rendu de son bois ?

– Ayel…

– Bah quoi ? C’est de la curiosité professionnelle. »


Tyra leva les yeux au ciel, exaspérée. Pourquoi avait-elle espéré quelque chose d’autre de lui ? Elle se détourna et se concentra de nouveau sur sa tâche. Voilà plusieurs minutes qu’elle tentait de comprendre la magie qui les entourait, afin d’en trouver la faille.


« Alors, tu ressens quelque chose ? » demanda Ayel en se penchant sur elle. « Avec ta magie, je veux dire. Tu as trouvé quelque chose ?

– Je ne sais pas trop. La magie du Creux a toujours eu une saveur particulière. Elle est partout, ce qui la rend parfois difficile à comprendre et ressentir. Elle est comme un bruit de fond chaotique et oppressant.

– Oh. Et tu ne peux pas juste la chasser ? David m’a dit que tu savais faire des sceaux qui repoussent la magie. C’est ce que tu faisais pour empêcher l’attraction d’atteindre le village, non ? Je suis désolé si ma question est idiote, je n’y connais pas grand-chose en magie du sang. »


Le visage de Tyra s’éclaira.


« Mais oui. L’attraction ! Je me disais bien que la magie avait un goût un peu familier. C’est comme l’attraction des ogres ! » s’exclama-t-elle. « Baisse-toi.

– Quoi ?

– Je vais nous appliquer le sceau qui repousse l’attraction. Si j’ai raison, on le saura très vite. »


Ayel opina doucement se baissa pour que son visage soit à la hauteur de Tyra. Elle lui effaça son maquillage, avant de lui appliquer le sceau. Il frissonna quand il sentit son doigt couvert de sang toucher sa peau.


Aussitôt, il eut l’impression que le monde autour de lui devenait plus net, plus clair. Il se redressa. La forêt n’avait plus cet aspect oppressant et menaçant. Tout avait changé.


Ils n’étaient plus sur le sentier qu’ils pensaient suivre, mais au cœur d’une clairière, entourés de hautes pierres très anciennes.


« On tournait en rond, dans le centre de cette clairière, » murmura Tyra, surprise. « On dirait un piège… pour les intrus ? C’est étrange, je n’avais pas eu ce problème la dernière fois que j’étais venue avec Öta.

– Peu importe. » pressa Ayel. « Ne traînons pas ici plus longtemps. »



« Peu importe. » pressa Ayel. « Ne traînons pas ici plus longtemps. »


Tyra hocha la tête. Elle était du même avis, plus vite ils s’éloigneraient d’ici, mieux ils se porteraient. L’idée de s’être retrouvé aussi facilement piégé ne lui plaisait pas du tout. Le bois sacré lui semblait soudainement bien moins avenant.


Elle fit quelques pas en avant, s’éloignant des rochers, mais s’arrêta rapidement en constatant qu’Ayel ne la suivait pas. Elle se retourna et lança :


« Bah alors, tu viens ?

– Tyra, j’ai un problème. »


Ayel n’avait pas quitté le cercle de pierres. Se tenant droit à la limite de ce dernier, il avait les mains en l’air, comme si elles étaient posées sur une vitre de verre.


« Ayel ?

– Je n’arrive pas à sortir. C’est comme s’il y avait un mur. »


Tyra n’attendit pas une seconde pour retourner sur ses pas, le rejoignant aussitôt. Debout devant lui, elle tendit la main pour toucher Ayel. Elle n’eut aucun mal à le faire.


« Il n’y a pas de mur.

– Je te promets que si. Je n’arrive pas à passer. Sors-moi de là s’il te plait !

– Et si je te tirais ? »


Mais elle eut beau essayer, Ayel resta coincé dans le cercle de pierre. Tyra fronça les sourcils et contourna le roux, se mettant à scruter attentivement les grandes pierres dressées. Ayel, quant à lui, soupira. Il essuya ses yeux et se redressa, cherchant à retrouver son calme.


« Tyra, tu cherches quoi ?

– Des sceaux, je suppose ? Je connais des sorts aux effets similaires, mais ils impliquent d’installer des sceaux.

– Tu penses que ce serait de la magie du sang ?

– Non, sinon je le sentirais. Mais c’est vrai que mes sens sont brouillés ici, je ne sens plus grand-chose. » répondit-elle, pensive. « Mais je ne comprends pas pourquoi tu es le seul visé. »


Ayel soupira, se joignant à elle dans ses recherches. Les pierres étaient gravées de nombreux motifs circulaires complexes, d’arabesques et de symboles inconnus. Rien qui n’indiquait immédiatement un sceau. À vrai dire, il n’avait aucune idée de ce qu’il devait rechercher. Il finit par se laisser aller, s’adossant à une pierre et s’asseyant, épuisé. Il renifla.


« D’habitude, c’est David qui finit toujours en prison. » gloussa-t-il nerveusement. « Il a dû déteindre sur moi.

– Ayel…

– Tu trouves quelque chose ? »


Tyra secoua négativement la tête.


« Ces pierres sont baignées de magie, mais je n’en sais pas plus. Je n’ai aucune idée de la façon dont je pourrais te faire sortir de là. Si Mylen était là, il trouverait sans doute un moyen de faire exploser les rochers. » murmura-t-elle. « Ou alors, il menacerait de mettre le feu à la forêt pour faire peur à l’esprit.

– Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. »


Tyra grimaça. Il n’avait pas tort.


« Dans ce cas… » continua Ayel, hésitant. « Tu devrais aller retrouver ton ami. Tu as dit qu’il était avec le maître de ces terres non ? Logiquement, ils devraient avoir une solution pour me sortir de là.

– Hors de question. Si je te laisse seul, David va me tuer.

– Si je ne lui dis pas, il ne le saura pas.

– Ayel… »


L’ébéniste bâilla et posa la tête sur ses genoux, fermant les yeux doucement.


« En attendant, moi je vais faire une sieste. Réveille-moi si je ne suis pas mort d’ici ton retour.

– Mort… Mais Ayel ?!

– Ne gâche pas mes rares instants de courage, sinon je vais finir par changer d’avis. » marmonna-t-il.



L’idée de laisser Ayel seul inquiétait Tyra. Et s’il se passait quelque chose en son absence ? Et s’il était attaqué, blessé, ou tué pendant qu’elle n’était pas là ? Elle ne pourrait pas le défendre. C’est pour cette raison qu’elle lui laissa son arme, refusant qu’il reste seul sans moyen de se protéger.


Mais ce qui l’inquiétait le plus, c’était cette étrange somnolence qui semblait l’envahir, une torpeur qui n’avait rien de naturel. La magie semblait se coller à lui, comme une fine brume qu’elle ne pouvait dissiper. Une sensation qu’elle n’aimait pas du tout. Il fallait qu’elle trouve une solution, et vite.


« Je reviens vite ! Je vais trouver une solution, je te le promets. » fit-elle avant de s’éloigner, ne remarquant pas qu’Ayel s’était déjà endormi.


Tyra rejoignit et remonta ensuite le chemin de terre, priant pour ne plus croiser le moindre esprit avant d’atteindre la demeure de Cissus.


Mais à peine quelques minutes de marche s’étaient écoulées qu’entre les arbres, une silhouette se dessina. Elle s’arrêta instinctivement, son regard scrutant la forme qui se rapprochait en se questionnant sur l’utilité de se cacher, avant de reconnaître la nouvelle venue : il s’agissait d’Aube, la servante de Nemus.


La jeune femme avançait d’un pas décidé, une lance dans la main droite et un panier de fruits dans l’autre. Elle semblait légèrement différente physiquement de la dernière fois qu'elle l'avait vu, mais à cet instant Tyra avait autre chose en tête que de se questionner sur son apparence. Dès qu’elle fut assez proche, elle se précipita vers Aube en s’exclamant, soulagée :


« Vous tombez bien ! J’ai besoin de votre aide ! Mon ami est coincé — »


Elle ne continua pas sa phrase. Elle s’était soudain rappelé qu’elle ne parlait pas la même langue. Merde ! Comment pouvait-elle se faire comprendre dans ce cas ? Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de formuler ses pensées, Aube leva les yeux sur elle, haussant un sourcil avec agacement. Puis, sans un mot, la servante la repoussa brusquement de la pointe de sa lance, pour continuer sa route.


« Pfft. Thy.anbeilhë evdent. » marmonna-t-elle pour elle-même, se dirigeant clairement vers le cercle de pierre où Ayel était enfermé.


Tyra, décontenancée, la suivit aussitôt. Aube semblait aussi pressée qu’irritée, et Tyra se sentait comme une enfant prise en flagrant délit de bêtise. Une nouvelle fois, Aube fit un soupir exaspéré en arrivant devant le cercle de pierre, ses yeux roulant comme si toute cette situation était ridicule.


« Pfftt. Dürsot » marmonna Aube en regardant Ayel, qui était toujours allongé, endormi contre une pierre.


Tyra reconnut ces mots et fut partagée entre se sentir offensée ou soulagée. Elle était littéralement en train de les traiter d’imbéciles.


La jeune fille entra alors dans le cercle de pierre et posa sa lance contre l’une d’entre elles. Elle prit l’épée que Tyra avait laissée derrière elle, et la poussa au loin, avant de se baisser devant Ayel. Elle grommela tandis qu’elle fourrait quelques baies dans la bouche du roux.


Elle reprit ensuite son arme et se positionna devant lui. Quelques secondes passèrent avant que, soudainement, Ayel se réveille dans un sursaut.


« Que… quoi ?

– Stühd.teh. » fit Aube en pointant sa lance pile entre ses deux yeux.


Le message était clair : elle lui ordonnait de la suivre, sans quoi il risquait de passer un très mauvais moment.



Ce fut avec soulagement que Tyra soupira lorsqu’elle comprit qu’Aube les menait jusqu’au domaine de Cissus. Ils allaient y arriver ! Enfin ! Cette scène avait une légère sensation de déjà-vu, Tyra se souvenant très bien de sa première visite en compagnie d’Öta, guidée également par la jeune femme à l’air grognon.


« T-tu es sûre qu’elle ne va rien me faire ? Elle me menace, quand même. » chuchota Ayel, tandis qu’Aube se plaçait derrière lui, sa lance pointée dans son dos. « Elle n’a pas l’air très gentille, cette gamine.

– Ne parle pas trop, sinon elle va te réprimander.

– Quoi ? Comment ça, tu… Aïe !? »


Aube venait de lui piquer le bout des fesses avec la pointe de sa lance, les sourcils froncés d’agacement. Il lui lança un regard outré, avant de se retourner vers Tyra :


« Mais ça fait mal !? » geignit-il en se massant les fesses. « Elle est bizarre ! Et d’ailleurs pourquoi sa peau est verte ? Elle est quoi au juste ? Bon sang, pourquoi les sylènes ont donné une arme à une enfant ?

– Ayel, chut. » murmura Tyra. « Si tu veux épargner ton postérieur, tu ferais mieux de te taire. On en parlera en arrivant.

– Mais, tu– Aieuh ! »


Aube venait de lui piquer de nouveau les fesses.


« D’accord, d’accord ! Vous avez gagné. » fit Ayel en accélérant le pas.


Tyra ne put s’empêcher de glousser.



Lorsqu’ils parvinrent enfin aux portes du domaine de Nemus, Tyra poussa un soupir de soulagement. Elle désigna du doigt la grande porte gravée qui s’élevait devant eux au bout des escaliers.


« Tu as vu comme c’est beau ? » fit-elle en se tournant vers Ayel. « La première fois que je l’ai vue, je suis restée sans voix.

– C’est magnifique. » murmura Ayel. « L’œuvre des dieux, sans aucun doute. »


Ils étaient au fond de la caverne que constituait Yphen. La porte était incrustée dans la pierre qui façonnait les murs des souterrains, comme si la roche qui englobait tout le Creux était les murs du domaine de Nemus.


Il vivait dans un monde à part, partout et nulle part à la fois, et cette porte en était l’unique entrée, un portail antique et imposant.


« C’était donc là que tu te trouvais quand tu as disparu ces derniers temps ? » demanda Ayel, sans réellement attendre de réponse. « Tu as l’air d’avoir vécu et découvert tellement de choses, pendant que moi, j’ai juste attendu dans le camp que vous nous sauviez, David et toi… »


Tyra monta les escaliers, lui tendant la main en l’invitant à la suivre. Tout en haut du chemin Aube ouvrit la porte, qui grinça dans un bruit sourd.


« Il n’est jamais trop tard pour t’impliquer dans nos aventures. » fit-elle. « Viens, on devrait suivre Aube avant qu’elle ne décide de se servir de sa lance comme d’un javelot. »


Quand ils entrèrent dans le hall du domaine, Tyra entendit Ayel haleter. Ses yeux brillaient, tandis qu’ils admiraient les lieux avec émerveillement. Cette forêt qui poussait dans un arbre, au cœur de la roche, avait tout pour le fasciner. Il laissa glisser ses doigts le long du bois, tandis qu’ils avançaient.


Tyra connaissait déjà leur destination, pour avoir déjà vécu ce voyage. Aube les amenait à Cissus, qui à cette heure-ci devait être dans son atelier.


« Tu as vu toutes ces choses qui pendent aux arbres ? » fit-elle à voix basse en désignant les neveds autour d’eux. « Ce sont des neveds.

– Des neveds ?

– C’est Cissus ou Nemus, appelle-le comme tu veux, qui les fabrique. À ce qu’il parait, quand un lutin meurt, son âme vient se reposer dans l’un de ces neveds.

– Oh. »


Ayel avait froncé les sourcils, comme plongé dans ses pensées. Tyra fut surprise, et le fixa d’un œil interrogateur. Remarquant son intérêt, il expliqua :


« Ça me fait penser aux neves, tu ne trouves pas ?

– Les neves ?

– Tu ne connais pas la légende ? » fit Ayel en s’arrêtant, « C’est un conte pour enfants que tout le monde connait dans mon village. On dit que quand les lutins ont disparu d’Abar, ils ne sont pas morts, mais se sont réfugiés dans de petites tanières invisibles que l’on nomme les neves. Neves signifie sanctuaire en Abarian.

– Et Neved signifie sanctuaire en vieux-nordan. » répondit Tyra. « Si ça se trouve, le conte parlait de ça. »


Ils échangèrent un regard complice, et Ayel ouvrit la bouche pour répondre, mais fut interrompu par un toussotement d’Aube, qui leur lançait un regard furibond, mécontente qu’ils se soient arrêté.


Tyra rejoignit la servante de Nemus aussitôt, lui emboitant de nouveau le pas. Ils atteignirent enfin l’atelier. Au fond de la clairière, une masse sombre était assise sur un tronc d’arbre et leur tournait le dos.


Tyra fronça les sourcils. Cissus semblait différent. Plus… petit ?


Mais soudain, en les entendant arriver, la forme se retourna.


Noyer, vêtu de la crinière de Nemus et d’un masque de fortune, s’exclama joyeusement dans une tentative d’imiter le maitre des lieux :


« Bienvenue dans mon domaine, je suis le grand Noyus, le gardien des Noix Sacrées— oh ! C’est toi Tyra… Pfft. Je suis déçu.

– Noyer ? Qu’est-ce que tu… »


Noyer reposa la crinière, avant de croiser les bras. Aube se précipita vers cette dernière et la ramassa avec soin pour la plier, fusillant Noyer du regard en passant. Elle semblait tout aussi étonnée que Tyra de le voir à la place de Nemus.


« Cissus est rentré au village, alors il m’a autorisé à surveiller le bois pendant son absence vu qu’Aube était partie chercher des intrus tombés dans le piège d’If. » expliqua-t-il en posant les mains sur les hanches. « J’aurais dû me douter en entendant dire que ceux-ci parlaient la langue du dessus que c’était toi. Qui donc aurait pu tomber dans un piège aussi idiot ? Pourquoi t'es revenue ? T'étais pas censé accompagner Adrepo ? Quoi qu'il n'a pas vraiment besoin d'aide pour briser le crâne de Racine. J'm'en fais pas du tout. Non non, je suis pas inquiet. Pas du tout du tout. Vraiment pas, hein.

– Hein ? »


Le lutinae parlait tellement, et si vite, que Tyra n’arrivait pas à tout suivre. Cissus était absent ? Et qui était If ?


Noyer semblait avoir repris du poil de la bête, ses blessures récentes ayant disparu et son feuillage brillait de santé. Venir dans le bois sacré avait fait des merveilles sur lui.


└ Aubépine, je m’occupe des intrus. Tu peux retourner vaquer à tes… occupations. Je crois que tu n'as toujours pas fini de compter les mirabelles, n’est-ce pas ? Cissus m'a dit qu'il t'a demandé de le refaire pour vérifier qu'il n'en manque aucune. ┐ ajouta Noyer en vieux-nordan, d’une voix ridiculement pompeuse. └ En tant que doyen, grand-sage lutinae Noyus, gardien des Noix sacrées, et maître temporaire autoproclamé de cette forêt, je t’ordonne de me laisser avec mon amie et son étrange animal de compagnie au pelage orange.

– Noyer... Je vais le dire à Nemus quand il rentrera !

– Si tu veux, mais tu sais très bien qu’il me favorisera toujours. Il m'adore.

– Pffft. Je te déteste. ┐



« Waouh. » gloussa Noyer, les bras et les jambes croisées tandis qu’il était assis sur un tronc d’arbre. « J’arrive pas à croire que t’aies pu t’attirer autant de problèmes en si peu de temps. Je suis impressionné. »


Tyra venait de lui tout lui raconter. La crise de Dynia, son combat avec Adrepo, son amputation, la mort de la guérisseuse, et tout ce que ça risquait d’impliquer pour son groupe.


À ses côtés, Ayel la laissait parler, hochant de temps en temps la tête pour valider ses explications. Il ne lâchait pas Noyer du regard, fasciné par l’étrange créature.


« C’est un de mes pouvoirs. » rétorqua Tyra. « M’attirer des ennuis, c’est comme une seconde nature.

– Pfft. » pouffa Noyer en se mettant debout sur le tronc d’arbre. « Et donc, tu voudrais que j’aille plaider pour toi ?

– Oui ? Je ne connais pas leur langue, tu es le seul avec qui je peux communiquer ici. » tenta Tyra. « Tu me dois bien ça, non ? Je t’ai sauvé de Racine. Mon cousin est d’ailleurs toujours entre ses mains.

– Hum. »


Noyer posa les mains sur les hanches et fit mine de réfléchir longuement, avant d’hocher la tête.


« J’peux voir pour faire ça. J’irais en toucher quelques mots à Nenia, mais j’te promets rien. Elle est bornée, tu sais ?

– C’est tout ce que je demande… Tu veux que je t’accompagne ?

– Non, je vais d’abord lui parler seul à seul. Mais au cas où ça se passe mal, il faudrait mieux que toi et... ton ami... vous vous cachiez en attendant que ça se tasse. Et de préférence à un endroit où ils n’iront pas vous chercher. » réflechit Noyer en sautant du tronc pour quitter l’atelier de Nemus. « Venez. »


Tyra et Ayel échangèrent un regard soulagé. Si Noyer parlait en leur faveur, ils avaient une chance de s’en sortir. Après tout, il était ami avec Hedera et Cissus. Il avait une place importante dans le cœur des dirigeants, alors, peut-être l’écouteraient-ils ?


Ils le suivirent jusque l’extérieur du sanctuaire, passant la lourde porte de bois. Ils descendirent les escaliers, s’éloignant de la demeure de Cissus. Tyra se demandait où Noyer comptait les emmener, lorsqu’ils arrivèrent au niveau des ruines de l’ancien temple.


« Je connais cet endroit. On était tombé dedans avec Öta, c’est un vieux temple en ruine. » murmura Tyra dans l’oreille d’Ayel.


Noyer arriva au niveau d’un mur. Il poussa quelques racines, dévoilant un passage étroit et sombre dans lequel il se faufila. Tyra entra à son tour, non sans éternuer à cause de la terre et de la poussière qui s’y trouvaient.


Au bout d’un certain temps à marcher dans le noir, descendant dans les entrailles du temple, ils arrivèrent dans une salle éclairée par quelques fissures au plafond et quelques cristaux qui poussaient sur ses murs.


« Tadam ! Bienvenue dans ma p’tite tanière. C’est là que je cache les trucs que j’ai chipés à Cissus pour l’embêter quand je viens lui rendre visite. Il les a jamais retrouvés, donc c’est sans danger. »


Il y avait toutes sortes d’outils provenant de l’atelier, des petites statuettes faites à la main, des paniers remplis d’os et d’autres de plumes, un oreiller, un peigne et diverses autres choses.


Ayel arrêta son regard sur des drôles d’objets posés sur un panier. Cela ressemblait à des poitrines de femme, faites de bois et de cuir.


Tyra suivit son regard. Elle en prit une et l’admira. C’était un beau travail. Elles étaient creuses, comme s’il s’agissait d’un accessoire fait pour être porté, mais adapté à la taille d’un enfant.


Il y en avait une quantité impressionnante dans la pièce, et si certaines semblaient récentes, d’autres avaient l’air de trainer ici depuis des siècles.


« Ça, c’est les nich0ns d’Aubépine. » gloussa Noyer. « J’adore les lui voler, ça la rend folle. »



Après le départ de Noyer, n’ayant rien de mieux à faire, Tyra et Ayel se mirent à fouiller dans ses affaires. La quantité d’objets qu’il avait réussi à subtiliser à Cissus et Aube était assez impressionnante.


Mais Tyra ne cessait de revenir aux poitrines en cuir et en bois, celles que Noyer avait qualifiées de « nich0ns d’Aubépine ». Elle tournait sans cesse la tête vers elles, les sourcils froncés. Ayel, remarquant son petit manège, demanda :


« Il y a quelque chose qui te dérange ?

– Oui. J’ai de la peine pour Aube. » répondit-elle. « Je veux dire, tout ce bric-à-brac ne manquera pas à Cissus, mais ça ? Pour en avoir autant, c’est que ce doit être important pour elle.

– C’est pas faux. Créer ce genre d’objet doit prendre du temps. Si elle en refait à chaque fois que Noyer lui vole, c’est qu’elle doit y tenir.

– Ouais, voilà. » aprouva Tyra. « Et puis, plus je repense à quand elle est venue nous sortir du piège, plus j’ai l’impression qu’elle essayait de cacher son torse avec sa cape. »


Tyra n’aimait pas ça. C’était juste méchant. Noyer ne volait pas parce qu'il en avait besoin, il faisait ça par pure malice.


Elle repensait à la façon dont les lutinaes naissaient, et imaginait sans peine qu’Aube puisse utiliser cet objet pour se réapproprier son corps. Se décidant donc à agir, elle prit l’une des poitrines, celle qui n’était pas couverte de poussière, et inspira :


« Attends-moi là, je vais aller lui rendre.

– Quoi ? Tu veux retourner là-bas ? Mais ton ami nous a dit de rester cachés ici.

– Je n’aurais pas l’esprit tranquille, sinon. Je m’imagine trop de choses, là. Mais je n’en ai pas pour longtemps, je connais le chemin. Toi, reste à l’abri ici.

– Je ne suis pas sûr de vouloir rester seul.

– Ça va aller. »


Ayel grimaça, mais n’ayant pas vraiment le choix, il abandonna l’idée de la faire changer d’avis.


Quelques minutes plus tard, Tyra atteignit la grande porte. Elle y toqua doucement et attendit qu’Aube ne lui ouvre. La servante de Nemus sembla étonnée de la voir revenir, mais lui fit signe d’entrer.


À peine Tyra eut-elle fait quelques pas dans le domaine que le regard d’Aube se porta aussitôt sur la poitrine de bois. Elle poussa un petit cri et lui arracha brusquement des mains.


« Hé, doucement. » rit Tyra.


Aube marmonna quelques mots pour elle-même avant de serrer l’objet contre elle, comme apeurée à l’idée qu’on lui reprenne. Tyra, peu dérangée par sa réaction, sourit.


« Noyer m’a dit qu’il te l’avait volé, alors j’ai profité de son absence pour te le rendre. Je me suis dit que tu devais y tenir.

– … merci. » marmonna Aube. « Ce important. »


Tyra hoqueta, surprise. Aube parlait leur langue ? Elle pencha la tête et lui posa la question. La servante hocha la tête.


« Hedera.apprandr je pour je.comprandr quand Nucis.moquer je. »


Ah. Évidement. Tyra imaginait sans peine Noyer se moquer d’elle dans la langue de la surface uniquement pour le plaisir d’agacer sa victime qui n’en comprenait pas un mot. Il devait sans doute faire tourner en bourrique de nombreuses personnes ainsi.


« Tu parles très bien. » approuva Tyra. « Alors, vu qu’on peut communiquer, je m— »


Elle ne put terminer sa phrase, car Tyra, surprise, sursauta. La porte, qui s’était refermée derrière elle, se mit à trembler tandis que quelqu’un tambourinait de l’autre côté en criant des mots en Vieux-nordan.


Aube attrapa alors la main de Tyra et la tira derrière elle, avant de la forcer à se faufiler dans un recoin caché par un mur de lierre, là où personne ne pourrait la voir.


« Shhhht. » fit-elle en posant un doigt sur sa bouche, lui ordonnant ainsi de rester silencieuse.


Tyra hocha doucement la tête et se fit toute petite, tandis qu’Aube retournait à l’entrée pour discuter avec un deux sylènes. Deux hommes au regard grave, qu'elle reconnu comme étant les gardes qui surveillaient l'entrée du bois sacré.



Cachée derrière le rideau de lierre, Tyra observa discrètement Aube. Elle la vit accueillir les gardes avec aisance.


Elle était impressionnée par la rapidité avec laquelle la jeune femme avait caché sa poitrine de bois dans un buisson, avant de réajuster correctement sa cape pour être présentable au moment d’ouvrir la porte. Elle semblait bien connaitre les techniques pour pallier aux imprévus, car sa posture et le tissu de sa cape cachaient parfaitement l’absence de poitrine.


Durant la discussion, qui semblait très sérieuse au vu des mines inquiètes des trois personnes, Tyra ne manqua pas la façon dont Aube penchait la tête tout en enroulant nerveusement son doigt dans ses cheveux.


Un sourire discret se dessina sur ses lèvres : il était évident qu’il y avait une attirance mutuelle entre l'un des gardes et elle.


Les yeux brillants d’Aube ne quittaient pas le visage de l’homme. Elle était comme absorbée, incapable de cacher son intérêt. Et c’était réciproque. Il y avait des signes qui ne trompaient pas.


Tyra, qui adorait les romances, du se retenir de pousser un petit cri d’excitation.

Mais la scène ne dura pas. Quelques minutes plus tard, les gardes se retournèrent et repartirent après avoir adressé quelques mots à Aube avec un grand sourire.


Cette dernière, après avoir fermé la porte, poussa un très long soupir avant de poser son front contre le bois, murmurant des paroles inaudibles.


Tyra quitta sa cachette et s’approcha lentement pour laisser le temps à Aube de se remettre de ses émotions. Elle se mordit la langue pour se retenir de faire la moindre remarque sur les échanges de regard des deux amoureux : Aube avait eu sa dose d’embarras pour la journée.


Et elle n’était pas certaine que la servante de Nemus apprécie qu’une étrangère se mêle de ses affaires personnelles.


Aube se redressa aussitôt, reprenant un air sérieux et droit. Elle lança un regard perçant vers Tyra, en croisant les bras. Au bout de quelques instants de réflexion, elle répondit :


« Soigneuse.ëtre mort. Eux.dire Nemus que esprits. pouvoir bientat manger.elle.

– Les esprits mangent les morts du village ?

– Dah ë Nah. »


Aube grimaça cette réponse sans réel sens, ce qui intrigua suffisamment Tyra pour qu’elle se fasse la promesse se renseigner à ce sujet. Quelles étaient les coutumes funéraires par ici ? Elle ne s’était jusqu'alors pas encore posée la question, et était maintenant en proie à la curiosité.


« Pourquoi tu m’as caché quand ils ont arrivés ? » ajouta Tyra, surprise. « Noyer… Nucis t’a dit quelque chose avant de partir ?

– Nah. Je.entandr tu.parler Nucis. Tu.ëtre abri ici.

– Oh, merci. »


Un rare sourire étira les lèvres d’Aube, qui ne semblait cependant pas très à l’aise face à toute la sympathie de Tyra. Elle finit par renifler et ramasser sa poitrine, avant de faire mine de repartir.


« Humpf. Je.avoir travail. » fit-elle en s’éloignant.


Tyra comprit le message. Sa mission « rendre la poitrine volée » était désormais terminée. Elle n’avait maintenant plus qu’à retrouver Ayel et attendre patiemment que Noyer parle en son nom au village.



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