- 46 - Adrepo
- bleuts
- 3 oct. 2024
- 34 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 déc. 2024
Partie 1 - Migraine
Assis sur le bord des remparts, Mylen admirait distraitement de jeunes Sylènes s’entraîner à la lance. Voilà plusieurs heures maintenant qu’il avait laissé Ayel seul. Il se demandait s’il était bien parvenu au camp, ou s’il s’était écroulé quelque part en chemin. Pas qu’il s’inquiétait, mais il était curieux.
Lorsqu’ils s’étaient séparés, le roux ne tenait franchement plus tout à fait debout. Mylen l’avait admiré tomber à plusieurs reprises, appréciant la scène avec sourire narquois.
Mais vite lassé, il avait fini par partir, laissant Ayel se débrouiller par lui-même pour retrouver son chemin. Il n’allait tout de même pas se promener en public avec un homme ivre ! Il avait une réputation à tenir.
Surtout qu’aux dernières nouvelles, Ayel avait eu en tête l’idée de chercher David pour l’inviter à boire. Une idée saugrenue dont il ne démordait pas. Et s’il y avait bien quelque chose que Mylen n’avait aucune envie de faire, c’était de passer du temps avec David.
Mylen grimaça à cette idée. Sans façon.
Il attrapa une pierre à côté de lui et la lança dans le vide. Il s’ennuyait. Tyra n’étant toujours pas revenue de son escapade dans la forêt sacrée, il ne pouvait même pas compter sur elle pour le distraire.
« J’aurais dû l’accompagner. » songea-t-il. « Ou non. Si je l’avais fait, Adrepo ne m’aurait pas… »
Une légère rougeur s’étendit sur ses joues en repensant au Sylène. Il toucha ses lèvres du bout des doigts, un sourire étirant son visage. Il n’arrivait toujours pas à croire qu’Adrepo l’avait embrassé.
« Cah thu.broshïr ? »
Mylen sursauta. Adrepo était penché au-dessus de lui et le fixait avec curiosité. Bon sang ! Il ne l’avait pas entendu.
Mylen avait déjà remarqué avec admiration que l’homme savait se montrer particulièrement silencieux et discret, mais jamais personne n’avait encore réussi à le surprendre ainsi.
Depuis combien de temps était-il là ?
« Thu.anbeil vat ? » insista Adrepo en inclinant la tête, ses cheveux suivant le mouvement dans une grande cascade blanche.
Mylen secoua la tête en réponse. Les joues rouges, il marmonna :
« Je ne comprends toujours pas. »
Adrepo haussa les épaules et se redressa. Il fouilla dans le sac à ses pieds pour en sortir une bouteille que Mylen reconnut aussitôt. Il s’agissait d’une des bouteilles qu’Ayel avait bue dans la réserve. Elle était maintenant vide.
Le regard d’Adrepo était à la fois accusateur et amusé.
« Ce n’est pas moi. » fit Mylen en haussant les épaules.
Il avait toujours répondu à Adrepo comme s’il parlait à quelqu’un qui le comprenait, n’ayant clairement pas envie de faire le moindre effort. Ce dernier ne s’en était jamais plaint.
« Aucune preuve pour m’accuser. » ajouta Mylen. « Démerde-toi.
- Tsht. »
Adrepo agita alors la main devant le visage de Mylen. Entre ses doigts se trouvaient quelques longs cheveux blonds.
« Et alors ? Tu ne vas pas dire que j’suis le seul blond de ce foutu village ? Trouve-toi un autre coupable. »
Adrepo l’ignora. Il attrapa alors le visage de Mylen, qui écarquilla les yeux tout en se laissant faire, et ferma les yeux en le reniflant.
« Thu.avoir bu.
– Attends, tu parles ma langue ? Depuis quand ?
– Nah. » grimaça Adrepo. « Je.apprandr. Thu.avoir bu.
– Tu as bu.
– Nah. Je.avoir… pas… bu. Thu.
– On ne dit pas "tu avoir bu" mais "tu as bu".
- Tsht. » fit Adrepo en relâchant enfin le visage de Mylen.
Le blond croisa les bras. Adrepo soupira et rangea la bouteille, avant de s’asseoir à côté de Mylen. Le sylène hésita quelques secondes avant de dire :
« Dah. Je.ëtre désolé ?
– Je suis désolé.
– Oh. Je.pardunner thu. » hésita Adrepo, ne semblant pas sûr des mots à utiliser.
Mylen s’étouffa.
« Quoi ?! Non. Je ne m’excusais pas, je te corrigeais.
– Mhmh. »

Adrepo n’était pas resté. Un garde avait interrompu leur court échange, le visage inquiet. Il s’était alors excusé d’un hochement de tête et était parti en vitesse. Depuis les remparts, Mylen l’avait alors vu traverser le camp d’entraînement d’un pas vif, se dirigeant vers un petit attroupement.
Il semblait que deux des jeunes sylènes armés de lances avaient décidé de régler leurs comptes plutôt que de s’entraîner.
Bien qu’un peu loin, Mylen voyait bien la scène depuis sa position. Il regarda avec amusement Adrepo soulever les deux adolescents par la peau du cou pour les séparer en leur criant dessus.
Adrepo les jeta ensuite devant lui avant d’arracher d’un geste un peu brut la lance d’un autre sylène, qui recula d’un pas. En quelques secondes, un cercle se forma autour d’Adrepo et deux adolescents.
Ces derniers ne semblaient plus si sûrs d’eux. Ils échangèrent un regard, comprenant qu’ils allaient passer un mauvais moment.
Et ce fut le cas. Il ne fallut pas plus de trois secondes à Adrepo pour leur faire vivre une véritable défaite cuisante. Humiliante.
Le chef du village fit un signe agacé aux spectateurs pour leur intimer de retourner à leurs occupations, tandis qu’il aidait les deux jeunes à se relever, non sans leur donner une claque si forte sur la tête qu’ils vacillèrent et retombèrent.
Quelques minutes plus tard, une fois de nouveau seul sur le terrain d’entraînement, Adrepo se tourna pour lancer un regard vers les remparts. Mylen était toujours là, regardant la scène avec un intérêt non dissimulé. Adrepo hocha la tête, avant de lui faire signe de venir.
Lorsque Mylen descendit des remparts, Adrepo l’attendait en bas des escaliers. Il ne lui laissa pas le temps de réagir. Lui attrapant la main, il le tira aussitôt derrière lui.
« Qu’est-ce que… » siffla Mylen, surpris.
Adrepo avait la poigne chaude et ferme. Mylen se demanda durant un instant s’il était vraiment judicieux de le laisser faire et de le suivre, mais l’idée de se faire enlever ne lui déplaisait pas tant que ça.
Sa main resserra légèrement celle d’Adrepo, qui sursauta légèrement sans se retourner.
Il ralentit le pas, sans mot dire, mais Mylen pouvait voir un petit sourire fleurir au coin de ses lèvres.
« Je te préviens tout de suite, personne ne payera la rançon pour mon enlèvement. » grogna Mylen. « Et si tout ça est une ruse pour me manger, que ce soit clair, je suis indigeste. »

Ce fut à l’entrée d’une grande grotte souterraine, cachée dans l’un des bois derrière le village, qu’Adrepo mena Mylen. Ce lieu piqua aussitôt la curiosité du blond qui n’était jamais tombé dessus lors de ses explorations. Et pour cause : son entrée était cachée par la magie.
Adrepo posa les mains sur la pierre et ferma les yeux.
Le voir user de la magie noire avec toujours autant d’aisance et de facilité avait quelque chose d’envoutant. Mylen ne pouvait détacher ses yeux de lui tandis qu’il ouvrait la porte d’un geste, et fut presque déçu que la scène ne dure pas plus longtemps.
« Ce.ëtre atelier je. » fit Adrepo avec fierté.
À la manière faussement assurée dont il prononça ces mots, il était évident qu’il s’était entraîné à les répéter plusieurs fois.
Depuis combien de temps avait-il prévu de l’emmener ici ? S’était-il entraîné toute la nuit à parler pour être prêt ? Combien de phrases toutes faites avait-il apprises ? Et qui avait bien pu lui apprendre ces mots ? Hedera ?
Au vu de l’absence de conjugaison et de la mauvaise prononciation, c’était fort probable. L’idée qu’il ait demandé à cette mystérieuse femme des conseils était assez amusante.
Mylen hocha la tête et entra à sa suite. Il regarda autour de lui avec une curiosité flagrante.
Au vu des établis et des outils, c’était clairement la tanière d’une personne passionnée par la fabrication de bijoux. Posé sur le plan de travail, il y avait là une belle pièce presque terminée. Un collier serti de pierres noires que Mylen prit délicatement pour l’admirer.
« Joli boulot. » fit-il. « C’est propre. Ça se vendrait une petite fortune par chez moi. »
Il reposa le bijou en continuant d’admirer l’atelier avec curiosité. Tout naturellement, ses doigts finirent par effleurer la boucle d’oreille qu’Adrepo lui avait offerte.
Il ouvrit la bouche pour lui demander s’il s’agissait de son travail, mais il n’en eut pas l’occasion. Adrepo s’était approché et avait posé la main sur sa taille. Mylen se retourna, bloqué contre l’établi. Sa respiration se coupa.
« Tu— »
Adrepo se pencha en avant, son autre main posée sur la table. Il était si grand que Mylen devait lever la tête pour croiser son regard.
Il sentit son visage chauffer. Le ventre noué, Mylen se mordit la lèvre. Allait-il encore… ? Que devait-il faire dans ce genre de cas ? Il n’était même pas sûr de savoir ce qu’il voulait.
Mais il cessa de réfléchir lorsqu’Adrepo se pencha sur lui. Il ferma les yeux et se laissa embrasser sans résister. Ce baiser fut plus doux que le premier et Mylen se sentit fondre dans les bras d’Adrepo, si bien que lorsqu’ils se séparèrent, il se sentit étrangement frustré.
Adrepo se redressa en souriant. Mylen expira doucement, ses pensées totalement sens dessus dessous. Son cœur battait fort. Trop fort.

Ils échangèrent un regard hésitant. Les joues rouges, Mylen détourna les yeux. Il se sentait terriblement ridicule et gauche.
Et il pensait trop. Clairement trop.
Son esprit bouillonnait de questions sur lesquelles il ne parvenait pas à mettre de mots.
Il repoussa légèrement Adrepo pour trouver une position plus confortable. Il réussit à s’asseoir sur l’établi et la main d’Adrepo glissa sur sa cuisse.
Ce dernier se pencha sur lui pour lui dérober de nouveau ses lèvres, et Mylen eut un petit frisson de désir en le laissant faire.
Il se cambra en sentant les mains du cornu se faufiler sous sa tunique, appréciant le contact de ses doigts sur sa peau, et haleta lorsqu’il s’aventura plus bas, les glissant dans son pantalon. Mais peu après, il le repoussa.
« Non. »
Adrepo cligna des yeux de surprise.
« Il faudra plus qu’une boucle d’oreille et deux baisers pour avoir le droit de me toucher. » fit Mylen en s’extirpant agilement des bras du sylène. « Mais c’est un bon début. »
Derrière son air fier, il espérait que le bruit de son cœur tambourinant dans sa poitrine ne résonnait pas trop fort dans la pièce.
« Thu-
– Même si j’admets volontiers que l’idée de me faire déflorer par un bel homme cornu sur un établi soit assez tentante, il faudra vraiment faire mieux que ça. »
Et sans laisser le temps à Adrepo de comprendre quoi que ce soit, il fila hors de l’atelier.

« Quelqu’un aurait vu Tyra ? » demanda Max le lendemain, en entrant dans le camp. « Elle s’est volatilisée. Elle est repartie avec son amoureux ?
– Elle est partie faire un tour dans la forêt sacrée du village. » fit Mylen.
Assis sur un rocher, les jambes croisées avec élégance, il jouait du bout des doigts avec sa boucle d’oreille. Max tourna la tête vers Mylen et ouvrit la bouche de surprise :
« Pourquoi elle a fait ça ?
– Elle cherchait Cissus, le troisième chef. Tu sais, cette étrange créature qui possède le même air simplet que toi ?
– J’ai pas l’air simplet ! » se vexa Max, attirant un reniflement méprisant de son aîné. « Elle revient quand ?
– Aucune idée. »
Mylen haussa les épaules, l’air peu concerné. Dynia rejoignit alors la conversation. Elle faufila derrière ses deux fils et posa les mains sur leurs épaules.
« On ne sait pas, fiston. » expliqua-t-elle. « Un messager est venu pour nous prévenir qu’elle et son ami resteraient là-bas quelque temps. Ta mère ne t’a pas prévenue ? Je lui avais dit de te transmettre l’information. Je ne se sais pas ce—
– Toi aussi, tu es sa mère. » la coupa Mylen.
Dynia lui lança un regard fatigué.
« Comme je disais. » grogna-t-elle en posant les mains sur les hanches. « Je ne sais pas ce que ça signifie, ils ont refusé de nous donner plus d’explications. J’espère juste qu’elle ne s’est pas attiré de problèmes. On a déjà bien assez de soucis ici pour en rajouter. »
Mylen croisa les bras et répondit avec amusement :
« Tyra est un aimant à problèmes. Tout espoir est vain.
– Mylen, tais-toi. » souffla Dynia. « Tu es mal placé pour la juger.
– Mais je n’ai jamais dit que je n’attirais pas les problèmes. J’aime les problèmes. Je m’en délecte. Ce n’est pas pour rien que j’apprécie ma cousine. » sourit Mylen.
Dynia secoua la tête, levant les mains en signe d’abandon.
« Très bien. Mais doucement. Tyra et toi, vous allez finir par me tuer un jour.
– Je pense que tu n’as pas besoin de nous pour ça. » rétorqua Mylen en lui montrant d’un signe de tête dédaigneux la bouteille d’alcool qu’elle portait à la ceinture.
La guerrière grimaça.
« Fils indigne. Tu comprendras à quel point c’est utile quand tu auras mon âge.
– Tu—
– Non. » le coupa-t-elle. « Pour une fois, tu vas garder tes vilains mots pour toi. Viens, Max. Allons retrouver ta mère.
– C’est ma mère aussi. Pourquoi ne-suis-je pas invité ? »
Dynia donna une forte tape sur la tête de Mylen.
« Parce que je sais que tu meurs d’envie de retourner manigancer dans ton coin. Allez, ouste. Et arrête de ricaner ! Je ne t’ai pas elevé comme ça.
– Tu ne m’as pas élevé tout court.
– Arg. Ce garçon va me rendre chèvre. »

S’il y avait bien une chose que Mylen appréciait dans ce village, c’était son marché. Situé en plein centre, il était grand, vivant, grouillant à toute heure de monde. Nourriture, plantes, armes, babioles, et diverses choses remplissaient les étals.
Et il y en avait beaucoup, des choses qui piquaient sa curiosité. Des objets dont il ignorait l’utilité et qui appelaient à son imagination.
Mais jusqu’alors, il ne s’y était pas aventuré. Il s’était contenté de l’admirer de loin, se faufilant discrètement sur les toits et les ruines qui délimitaient les rues du village.
Parfois, il s’y asseyait et regardait les sylènes vivre. Certains notaient sa présence, les regards suspicieux n’étaient pas rares, mais personne ne lui faisait la moindre remarque.
Cependant, aujourd’hui, il se glissa au cœur même du marché. Il était d’humeur curieuse. Il flâna nonchalamment, appréciant les regards perdus des habitants. Certains le montraient du doigt, murmurant entre eux, d’autres essayaient de l’ignorer, et évidemment quelques-uns semblaient très mécontents de sa présence.
Il sourit et se pencha pour regarder les babioles vendues par l’un des sylènes. Il n’avait strictement aucune idée de ce dont il s’agissait.
« Hm. » fit-il en la reposant dédaigneusement sur la table.
Mylen continua son petit manège quelques minutes, avant de s’arrêter. David se trouvait là, lui aussi. Il discutait avec un marchand.
Que faisait-il là ? Et… il souriait ? C’était rare de le voir si détendu.
« David. » fit Mylen en s’approchant. « Quelle surprise de te croiser ici.
– Oh. Mylen. »
Le sourire de David s’était envolé.
« Mylen, je te présente Lasen. Il a fourni plusieurs des choses qui nous servent au camp, je suis venu le remercier sur conseil de Nenia. » fit-il avant de se tourner vers le Sylène. « Lasen, thy.anbeil... Myrgrin. »
Le marchand hocha la tête poliment, mais son regard s’était légèrement écarquillé lorsqu’il avait tourné la tête vers le blond. David échangea quelques mots supplémentaires avec lui en vieux-nordan, avant de faire signe à Mylen. Ils s’éloignèrent du marché.
« Myrgrin ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
– C’est un surnom. J’ai entendu Adrepo t’appeler ainsi hier, alors je l’ai gardé. » répondit David, moqueur. « Ça te va bien. »
Mylen fronça les sourcils.
« Pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie ?
– Migraine. »

« Mylen. » s’écria David. « Attends !
– Non. »
Mylen marchait rapidement, se dirigeant d’un pas très décidé vers la grande tente bleu nuit qui dominait le camp d’entraînement des sylènes. Sans laisser le temps aux gardes qui surveillaient l’entrée de comprendre ce qu’il se passait, il entra à l’intérieur.
Adrepo s’y trouvait.
Il était assis sur un grand fauteuil en bois et était accompagné d’immenses guerriers qui semblaient lui faire un rapport. Au vu de leurs tenues, ces derniers revenaient sans doute d’un long voyage.
Adrepo tapotait la table du doigt en les écoutant, l’air agacé. Mais en entendant Mylen entrer, il tourna la tête et haussa un sourcil.
« Hm ?
– Myrgrin, hein ? » siffla Mylen en s’adossant à l’un des piliers de bois qui supportait la tente.
Les lèvres d’Adrepo se retroussèrent légèrement en un sourire, et il fit un signe de main à ses guerriers pour les congédier. Ces derniers sortirent aussitôt de la tente, non sans lancer un regard sombre à Mylen en passant.
Lentement, Adrepo se pencha sur la table devant lui. Il attrapa un pichet et servit deux verres, avant d’en pousser un vers Mylen.
Le blond le fixa quelques secondes avant de l’accepter en soupirant. Il s’assit sur l’un des tas de fourrure qui recouvraient le sol et plissa les yeux.
« Je te préviens tout de suite. Je refuse l’emploi d’un tel surnom.
– Hmhm.
– Si j’apprends que tu m’as de nouveau appelé comme ça, je te castre avec ton épée. Et je te fais la promesse qu’elle sera enduite de mon pire poison pour l’occasion. »
Adrepo porta son verre à la bouche, sans lâcher Mylen des yeux. Un duel de regard eut alors lieu jusqu’à ce que Mylen ne détourne la tête en sentant ses joues chauffer.
« Je… hum…
- Au.revoïr, Gathoran. » fit Adrepo en reposant son verre, mettant fin à l’échange.
En sortant de la tente, mortifié, Mylen tomba nez à nez avec David qui l’attendait dehors.
« Bordel. » fit David en reprenant son souffle, le dos courbé et les mains sur les genoux. « Qu’est-ce que…
– Il m’a appelé Gathoran cette fois, qu’est-ce que ça signifie ?
– Euh… « bruit incessant », je crois.
– Il est mort. »

« Pourtant, tu ne semblais pas tant que ça vouloir sa mort quand tu le laissais te dévorer la bouche avec passion. » fit simplement remarquer David en s’éloignant de la tente d’Adrepo.
Mylen lui emboîta le pas, non sans lui lancer un regard agacé.
« J’en étais sûr. Ton joli rouquin t’a tout balancé ?
– J’étais là, ducon. » répondit David. « L’autre soir, on se promenait ensemble quand nous sommes tombés sur vous. J’avais aucune envie de voir ça, je ne te remercie pas.
– Fantastique.
– Mais oui, il m’a raconté le reste. »
Mylen plissa les yeux. Il s’apprêtait à lancer une remarque cinglante lorsque David grogna :
« Un petit conseil. Un homme ivre, ça ne sait pas très bien tenir sa langue. Je me serais bien abstenu des détails, alors, la prochaine fois, si tu pouvais éviter d’entretenir les vices de mon compagnon, ça m’arrangerait.
– Hm. »
Mylen s’attendait à ce que David profite de l’occasion pour lui lancer quelques piques, et, mais ce dernier changea de sujet. Il montra du doigt les guerriers qui étaient sortis de la tente d’Adrepo.
« Ils ont l’air de revenir de voyage. Je me demande où ils étaient et ce qu’ils faisaient. Sont-ils des sortes de veilleurs ?
– Ton travail te manque ?
– Pour être franc… oui, un peu. C’était parfois chouette. » répondit David en replaçant son sac correctement sur son épaule. « Je pensais vraiment avoir trouvé ma place. J’ai peur de devoir encore tout recommencer à zéro. »
Mylen hocha la tête.
« Compréhensible. C’est rare que des personnes de ton âge commencent si tard leur apprentissage. C’était ton deuxième, c’est ça ?
– Oui. Le premier était avec Ayel. Söl… » la gorge de David se serra. « C’est Söl qui a décidé de me faire changer de voie.
– Elle n’est pas idiote. Tu es une boule d’énergie. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure que tu as besoin de te dépenser. Si tu n’étais pas si… si… » Mylen désigna tout l’être de David des mains. « Peut-être que j’aurais réussi à faire quelque chose de passable de toi. »
David renifla :
« Non merci, sans façon.
– Pourquoi tout le monde me répond ça ? » soupira théâtralement Mylen, avant d’ajouter d’un air suspicieux : « Tu es étrangement poli aujourd’hui. Ton rouquin te fait du chantage ? Il te tient par la queue ?
– Ne me fais pas regretter. » rétorqua David. « T’es toujours qu’un sale enfoiré, mais je suis juste un peu moins en colère contre toi, maintenant que je sais que…
– Que… ?
– Et bien, qu’Adrepo est ta première relation. C’est Ayel qui a le plus merdé dans l’histoire, pas toi. Tu ne savais pas pour nous. Il m’a tout raconté. Donc, je m’excuse de t’avoir blâmé. »
Mylen ouvrit la bouche, mais David le coupa aussitôt :
« Et j’veux pas savoir ce qu’il se passe entre Adrepo et toi. C’est juste qu’on est dans le même bain. Ayel, c’est mon premier aussi. » rougit légèrement David.
Mylen renifla en mimant un petit bruit de dégoût.
« Erk. Je ne suis pas certain de vouloir avoir ce genre de discussion avec toi. Je crois que je préfère quand tu grognes.
– Va te faire foutre.
– Ça tombe bien, Adrepo est volontaire. Je te ferais une description détaillée si tu veux. »
Le visage de David verdit légèrement, tandis qu’il reculait d’un pas.
« Je te ferais même un dessin de son membre. » ricana Mylen en s’éloignant, laissant David derrière lui.
Il se retourna une dernière fois et ajouta :
« Mais il me faudra plusieurs feuilles si tu veux un dessin taille réelle ! Je suis sûr que t’en à jamais vu un aussi gros.
– VA TE… ARG. CASSE-TOI MYLEN.
– Et tu ne pourras jamais le g—
– JE NE T’ENTENDS PAS. »

David se frotta la nuque en regardant Mylen disparaître au loin, et laissa ensuite tomber mollement sa main dans le vide. Il ne savait décidément plus quoi penser de lui. Il resta quelques secondes sans bouger, avant d’entendre du bruit dans son dos. Un peu plus loin, Adrepo venait de sortir de sa tente.
Aussitôt, les derniers mots de Mylen lui revinrent à l’esprit et il sentit ses joues chauffer. Il ne voulait vraiment pas penser à ça. Ne pas baisser les yeux vers… ah, trop tard.
Il releva la tête un brin trop rapidement pour être naturel, et croisa le regard d’Adrepo. Ce dernier s’approcha.
« Davin ?
– Adrepo.
– Tu.ëtre bien ? »
David sourit, profitant de l’occasion pour essayer de repousser le malaise qui l’avait envahi. Il posa les mains sur les hanches et répondit en Vieux-Nordan :
└ Je te l’ai déjà dit. C’est le verbe « aller » et non « être » pour demander à une personne si elle va bien.
– Tscht. Cette langue est bizarre. Sans compter votre conjugaison ridiculement compliquée. ┐
David haussa les épaules. Depuis quelque temps, les rares fois où il croisait Adrepo, ce dernier lui demandait des conseils pour apprendre leur langue. Si au début, il avait pensé qu’il s’agissait d’un moyen d’aider le groupe d’étrangers à s’intégrer, il comprenait maintenant plus facilement les raisons derrière ce soudain intérêt.
└ Myrgrin, Gathoran… quel sera son prochain surnom ? ┐ glissa David, avec un regard amusé.
Adrepo sourit, mais ne répondit pas immédiatement. Il fit signe à David de le suivre dans la tente.
└ Qu’a-t-il dit à ce sujet ? ┐ demanda-t-il en s’asseyant. └ Il n’avait pas l’air ravi.
– Il veut te tuer.
– Qu’il essaye. ┐ fredonna Adrepo avant de tendre le verre de Mylen à David. └ Veux-tu boire ? Il n’y a pas touché, gâchis.
– C’est de l’alcool ?
– Non. ┐
David hocha la tête. Il but une gorgée, avant de recracher aussitôt. C’était épicé ! La gorge en feu, il toussa et Adrepo lui tendit une gourde d’eau en riant.
└ Petite bouche sensible.
– Oui ! ┐ pesta David en tentant de reprendre contenance après s’être rincé la gorge. └ Je ne toucherais plus jamais à une boisson que tu me proposes.
– Petit homme délicat. ┐
David grogna en réponse. Ils restèrent silencieux quelques minutes. Adrepo sirotait sa boisson le dévisageant. Il semblait réfléchir à quelque chose. Mais finalement, David brisa le silence. Il demanda d’une voix hésitante :
└ Adrepo. Tu ne sais toujours pas quand nous pourrons partir ?
– Non.
– Mais…
– Nous ne vous oublions pas. Il y a juste eu quelques… imprévus. ┐ grimaça Adrepo.

Il tapotait la table du bout du doigt. Son ongle contre le bois faisait un bruit répétitif assez désagréable.
└ Mais je travaille dessus. Il faut être patient. Nous ne négligeons pas la promesse que nous vous avons faite. Mes hommes et moi, nous faisons de notre mieux.
– Je sais. C’est juste que mes compagnons s’impatientent. Ils tournent en rond. Si nous pouvions avoir plus de détails pour nous rassurer… Vous ne nous avez rien dit. Vous restez si… mystérieux ? ┐
Adrepo fixa les tentures de la tente avec une expression fatiguée. Il soupira.
└ C’est parce que c’est… embarrassant. ┐ avoua-t-il. └ Personne n’utilise ce chemin, alors nous l’avons scellé pour nous protéger. Nous évitons tout contact avec les peuples de la surface. Ils sont trop dangereux.
– Quel est le problème alors ? Il suffit simplement de le desceller, non ? ┐
Adrepo secoua la tête. Il se gratta la corne en répondant :
└ C’est ce que nous comptions faire. Je me suis rendu sur place pour préparer le rituel d’ouverture.
– Mais… ?
– Quelqu’un l’a scellé de l’autre côté. ┐ avoua Adrepo, humilié. └ Je ne parviens plus à ouvrir la porte. ┐
David posa brusquement ses paumes sur la table et se redressa. Dévisageant Adrepo avec surprise, il souffla :
└ Quoi ? Mais pourquoi ? Qui aurait pu faire ça ? Des hommes de la surface ? ┐
Lentement, Adrepo se resservit un verre. Il le but d’une traite avant de répondre :
└ Non.
– Mais…
– Le territoire situé au-dessus du nôtre est sauvage. Nous ne fermons que par précaution. Il y a peu d’humains par là-bas. Rassied-toi. ┐
David hocha la tête et obéit.
Il avait eu la confirmation lors de ses quelques discussions avec Adrepo qu’ils se trouvaient bien sous une vieille région nommée Yliavtïr, soit Trêvelierre en Nordan actuel.
C’était une région au sud-est de GemmeNoire. Mais sa lointaine proximité avec la capitale n’en faisait pas pour autant un lieu vivant et habité.
Ce territoire semblable à Morthebois était ancien et constellé de ruines oubliées. Il y avait peu de villages par là-bas. Seulement de grandes montagnes et de vieilles forêts aux légendes aussi effrayantes qu’ancestrales.
└ Nous avons de nombreux vieux ennemis à la surface. ┐ continua Adrepo. └ Que l’un d’entre eux ait trouvé ce passage et nous ait enfermés par pure malice ne m’étonnerait pas. Mais nous verrons bien dans les siècles à venir comment les choses se présentent.
– Dans les siècles à venir ? ┐ répéta David, qui n’était pas certain d’avoir bien compris.
Il avait beau se concentrer, Adrepo utilisait souvent des mots qu’il ne maîtrisait pas totalement. Il comblait les trous en supposant et déduisant le sens des phrases. Adrepo grogna.
└ Peu importe. Cette histoire ne concerne pas ton clan. Tout ce que tu dois savoir est que je vous trouverais un autre passage, car une promesse a été faite.
– Mais comment ? ┐
Le cornu se leva. Maintenant qu’il avait abordé le sujet, il savait qu’il ne pouvait plus faire retour arrière. Adrepo savait qu’il devrait tout expliquer à David.
Ce n’est pas plus mal ainsi, se dit-il.
Il se dirigea vers une étagère au fond de sa tente. Dessus étaient rangées de nombreuses planches et feuilles de bois. Adrepo fouilla dedans jusqu’à en sortir une, qu’il déposa sur la table devant David.
└ Qu’est-ce que c’est ?
– Une des cartes des terres qui nous entourent. Ici, c’est notre village. ┐ fit Adrepo en tapotant du bout de l’ongle un dessin circulaire gravé dans le bois. └ Là, c’est celui de Coenan. Et de l’autre côté, tout là-bas, ce sont d’autres villages. Il y a un passage dans chacun de ces territoires. ┐
David se pencha sur la carte. Il n’y comprenait pas grand-chose. Mais si les personnages gravés dessus représentaient des villages, il y en avait effectivement plusieurs. Adrepo en montra deux du doigt en ajoutant :
└ J’ai envoyé des émissaires ici et ici, mais sans succès. Tcht. Ces idiots ont refusé nos offrandes et nos tentatives de communication. Ils nous craignent, mais refusent de nous aider.
– Pourquoi ?
– Hum. C’est vrai que vous ne le savez pas. Ce n’est pas un secret. ┐ répondit Adrepo en rangeant la carte, irrité. └ Nous ne sommes pas appréciés des autres villages. Certains de nos choix et de nos actions lors des guerres passées ne sont pas à leur goût.
– Mais nous laisser passer ne leur coûterait pourtant rien ! ┐
Adrepo haussa les épaules.
└ La fierté est un vice qu’ils entretiennent avec passion. Et leur haine envers l’esprit de nos terres obscurcit leur jugement.
– L’esprit de vos terres ? Hedera ?
– Non.
– Ah.
– Hedera est la protectrice. Elle préserve ces lieux et les guide par droit de conquête. Mais la terre, les rivières, les arbres, les pierres, l’air, tout ce qui nous entoure ne sont pas pour autant fondamentalement nôtres. La soumission d’un esprit ne le dépossède pas de la terre qui le façonne. Nous dirigeons, mais nous ne détenons pas.
– Ah. ┐
À ce point de la discussion, Adrepo avait définitivement perdu David. Le cornu sembla s’en rendre compte et lui lança un regard d’excuse.
└ Donc. Euh. Pour la sortie ? ┐ s’enquit David pour tenter de reprendre le fil de la discussion. └ Tu vas demander à d’autres villages, c’est bien ça ?
– Oui. Et si tous refusent, nous emploierons la force. Nous forcerons le passage. Une promesse est une promesse. Je vous guiderais jusqu’une sortie. Et si la sève doit couler en chemin, qu’il en soit ainsi. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois que nous rétablissons notre domination sur ces terres.┐

└ Si retourner à la surface implique de faire couler le sang, alors… ce… ça n’en vaut pas la peine. Ce n’est pas dans nos valeurs. Nous ne souhaitons que la paix. Nous vous sommes reconnaissants pour tout ce que vous faites pour nous, mais… ┐
Adrepo haussa un sourcil et David perdit aussitôt ses mots. Son regard était intense. Chaque fois qu’ils les posaient sur lui, ses yeux bleus semblaient lire dans son âme. David avait l’impression qu’il était impossible de lui cacher quoi que ce soit.
└ Hm. J’en prends note. ┐ fit pensivement Adrepo au bout de plusieurs secondes. └ Dans ce cas, tu participeras au prochain voyage. ┐
David sursauta. Il n’était pas sûr d’avoir bien compris.
└ Quoi ?
– Mes guerriers repartent dans deux jours. Tu les accompagneras. ┐ ordonna Adrepo en se levant, faisant comprendre que cette discussion touchait à sa fin.
└ Mais…
– Toi qui affirmes ne pas souhaiter voir la sève couler, je te laisse la possibilité de convaincre par toi-même le peuple des pins de vous laisser passer. ┐ fit Adrepo. └ Voyager aux côtés de mes guerriers est un honneur. Montre-t’en digne. ┐

Partie 2 - Carnyx
« Hors de question. » s’exclama Dynia. « Tu n’accompagneras pas les cornus dans leur expédition. Tu n’aurais jamais dû accepter une telle chose sans m’en avoir informé avant.
– Je ne te demande pas l’autorisation. Je t’annonce juste un fait. J’irai. »
Dynia et David se trouvaient à l’entrée de leur camp. Ce dernier venait de lui rapporter tout ce qu’il avait appris, ainsi que sa détermination d’accompagner les guerriers d’Adrepo. David leva le menton et lança un regard fier à Dynia.
S’il avait de prime abord été surpris par l’ordre d’Adrepo, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour estimer qu’il s’agissait de la bonne chose à faire.
« David. Ce n’est pas le genre de décision que peut prendre un apprenti.
– Ça tombe bien, je ne suis plus l’apprenti de personne.
– Les règles…
– Quelles règles ? Celle du village dont nous avons été chassés ? Je m’en fiche bien. » rétorqua David en croisant les bras. « Jusque maintenant, les stupides règles abariannes ne m’ont apporté que malheur.
– Tu…
– Je ne souhaite qu’aider. Et si accompagner les guerriers d’Adrepo pour négocier est la chose à faire pour que l’on puisse sortir sans effusion de sang, alors je le ferais. J’ai confiance en son jugement. »
Dynia grimaça.
« Baisse d’un ton. Tu sapes mon autorité en faisant ça, gamin. Et on ne peut pas laisser chaque membre du groupe faire ce qui l’arrange, sinon ce serait le chaos. Je refuse qu’un simple apprenti risque de sa vie pour nous dans un territoire inconnu.
– Alors peut-être bien que je ne reconnais pas ton autorité. » répondit David avec mépris.
Étonnement, prononcer ces mots le soulagèrent. Comme si un poids se retirait de ses épaules. Dynia hoqueta de stupeur. Elle leva la main, comme pour le gifler, avant de s’arrêter en plein geste. Elle sembla réaliser quelque chose et baissa son bras.
« Soit. Je vois que tu as déjà choisi à qui va ta loyauté. » cracha-t-elle. « J’aurais dû m’en douter, tu passes plus de temps avec eux qu’avec nous. Ne reviens pas dans notre camp ou tu le regretteras. »
Ses yeux criaient le mot « traître ». Et mettant fin à la conversation, elle fit brusquement demi-tour et laissa David seul. Mylen, qui était adossé à un arbre tout ce temps, applaudit joyeusement :
« Félicitations, tu es un Sylène maintenant.
– Va te faire foutre. »

Après cela, il ne fallut pas longtemps pour que la nouvelle de la dispute entre David et Dynia fasse le tour du camp. David marchait d’un pas décidé, les bras chargés des affaires qu’il emportait avec lui hors du camp, lorsqu’une main l’attrapa.
« David ! »
Avant même d’avoir compris ce qu’il se passait, son fardeau était tombé au sol et il se retrouvait adossé au mur, Ayel entre ses bras. Le roux s’était réfugié contre lui, le nez plongé dans sa tunique.
« Ayel ?
– Tu ne peux pas rester tranquille deux minutes ? » geignit-il. « Tu étais vraiment obligé d’accepter cette mission et de t’embrouiller avec Dynia ? »
David lui caressa doucement la tête. Il s’était attendu à une explosion de colère, et non à cette réaction mignonne.
« Je comptais t’en parler, mais il semblerait que la rumeur soit plus rapide que moi.
– Mylen surtout. » marmonna Ayel. « Alors tu vas vraiment y aller ?
– Si je réussis, toi et moi, on pourra peut-être enfin partir d’ici. On pourra te chercher une nouvelle caste et tout recommencer. »
Ayel resta silencieux. Il recula d’un pas et plongea son regard dans celui de son compagnon. Après quelques secondes, il lui prit la main et murmura :
« Tu ne peux pas convaincre Adrepo de prendre Dynia ou Mylen en plus avec toi ? Je serais moins inquiet si tu n’étais pas seul.
– Je pourrais, mais…
– Mais ?
– Je n’en ai pas envie. » souffla David. « Je ne supporte plus de les avoir sans cesse sur mon dos. Sincèrement, je crois que j’ai surtout accepté cette mission pour me débarrasser d’eux. Je ne suis même pas sûr de vouloir… non rien.
– David… ?
– Ma seule inquiétude, c’est de te laisser seul pendant ce temps. Ça va aller ? »
Ayel hocha la tête. Il tenta de cacher son inquiétude sous un air rassurant.
« Oui. Ne t’en fais pas. Je vais rester sagement au camp et je prierais pour toi tout le long de ton voyage. Je ferais tout pour que les dieux t’accompagnent et te protègent. Et j’ai confiance en toi. Tu es devenu un bon guerrier.
– Merci mon amour. »
Ayel sourit tendrement. Il prit la tête de David entre ses mains et lui vola un baiser.
« Et on va dormir où ce soir ? Dynia t’a exclu du camp si j’ai bien compris ? Quelle peste celle-là. » grogna-t-il. « Parfois, elle ne mérite vraiment pas son nom.
– Je ne m’en fais pas. Je vais demander à Adrepo de me trouver un coin ou me mettre. Je doute qu’il refuse. Et on passera la soirée ensemble si ça te va. » répondit David, avant d’ajouter : « Mais je suis surpris que tu prennes si bien la nouvelle.
– Franchement ? Je sais que ça ne sers à rien d’essayer de t’en dissuader, tu es trop têtu pour m’écouter. Et je crois bien que je suis en train de m’habituer à tes bêtises.
– Je ne suis pas si têtu que ça. »
Ayel lui lança un regard blasé.
« Bref. Calme-toi un peu après ça s’il te plaît. Mon cœur ne va pas pouvoir en supporter beaucoup plus. Et mes vieux os ont besoin de stabilité.
– Je vais essayer. » répondit David en ramassant ses affaires, qui étaient restées par terre tout ce temps. « Si je survis au voyage.
– David.
– Pardon, pardon. Je n’ai rien dit. » rit David.

Il était tard lorsque David se dirigea vers le camp des guerriers pour demander asile à Adrepo. Il avait passé toute la soirée avec Ayel, retardant ce moment jusqu’à ce que la nuit soit bien entamée. Mais maintenant, la fatigue et l’envie de dormir commençaient à se faire sentir.
Adrepo se trouvait toujours dans sa tente, où il passait la majeure partie de son temps lorsqu’il ne chassait ou ne patrouillait pas.
David s’en approcha d’un pas hésitant, et poussa doucement le tissu bleu. Il avait croisé plusieurs sylènes en chemin, mais personne ne l’avait arrêté, alors il avait supposé qu’il ne faisait rien de mal. Il entra.
Adrepo était assis sur son fauteuil. L’air concentré, il nettoyait la lame d’une grande épée avec un chiffon en fredonnant.
└ Je…
– Davin. Un problème ? ┐
Adrepo avait levé les yeux vers lui avec curiosité. Il reposa son épée à côté de lui et se pencha en avant.
└ Je suis désolé de m’imposer aussi tard, mais je me suis disputé avec la… chef… de mon camp au sujet de la mission. ┐ avoua David, qui ne voyait pas l’intérêt de mentir à ce sujet. └ Je n’y suis plus le bienvenu.
– Je vois. ┐ répondit simplement Adrepo.
Le meneur des guerriers se leva et fit signe à David de le suivre hors de la tente. Il se dirigea vers un groupe de Sylènes que David reconnut. Il s’agissait des guerriers qui étaient revenus de mission récemment.
David les avait croisés lorsqu’ils sortaient de la tente d’Adrepo, au moment où Mylen s’était énervé au sujet de ses surnoms.
Ils étaient assis autour d’un feu, leurs armes posées à leurs côtés, et discutaient ensemble en faisant rôtir de la viande. L’odeur qui s’en échappait était délicieuse et David ne put s’empêcher de les envier. Il n’avait presque rien mangé ce soir-là, en dehors de quelques fruits attrapés en partant du camp.
└ Carnyx. Je te présente Davin, le metyküs qui vous accompagnera. Il dormira avec vous à partir de ce soir. Prends soin de lui. ┐ fit Adrepo en poussant David devant lui.
Et sans lui laisser le temps de comprendre ce qu’il se passait, il fit demi-tour et laissa David avec les guerriers.
Celui qui se nommait Carnyx dévisagea David quelques secondes, son visage n’exprimant aucune émotion, avant de se décaler légèrement. Il l’invitait à s’asseoir à côté de lui.
Son physique était assez semblable à celui de Gahan, des champignons et des feuilles poussant sur son corps, mais il semblait moins usé par le temps.
└ Enchanté, Davin. Tu es le bienvenu parmi nous. As-tu faim ?
– Je ...? Oui ? ┐ répondit-il timidement en s’asseyant.
Les guerriers ne semblaient pas dérangés par sa présence. Au contraire. L’un d’entre eux coupa un morceau de viande et lui tendit dans un bol en bois.
└ Tiens.
– Merci ? ┐
Il le posa sur ses genoux et sourit respectueusement. Que devait-il faire ? Comment devait-il agir ? C’était une rencontre si soudaine qu’il en perdait ses moyens. Carnyx se pencha vers lui et le fixa avec intérêt. Il avait de longues mèches de cheveux emmêlés qui bougèrent avec lui, glissant de ses épaules.
└ Alors ? Qu’as-tu fait pour obtenir le respect de notre Lune ?
– Votre Lune ?
– Adrepo. ┐
Carnyx sourit. David remarqua aussitôt ses dents. Elles étaient pointues. Rares étaient les sylènes et les guerriers à posséder telle dentition à Yphen. David n’en avait croisé qu’un ou deux dans le village. Il se demandait ce que ça signifiait.
└ Il t’a nommé metyküs. ┐ continua le guerrier. └ Ce n’est pas un titre que l’on donne à tous les aubains. C’est une marque de respect, un metyküs est bien plus considéré comme un membre du village à part entière qu’un étranger.
– Oh. ┐
David sentit ses joues rougir de plaisir. Il ne savait pas ce qu’il avait fait pour mériter cela, mais c’était agréable à entendre.

Ce fut un peu intimidé que David mangea le bol de viande que les guerriers lui avaient servi tout en se faisant discret. Il n’osait pas s’imposer dans ce groupe qui semblait avoir une dynamique bien à lui.
Sans se compter lui-même, il y avait cinq personnes autour du feu.
Il les regardait silencieusement discuter entre eux, nourrissant sa curiosité de leurs échanges. Ils paraissaient proches. Faisaient-ils toutes leurs missions ensemble ?
Carnyx en était clairement le chef. David trouvait qu’il y avait quelque chose dans son regard qui lui évoquait Adrepo. C’était un homme sûr de lui, mais pas vaniteux. Bavard, mais pas bruyant. Sa voix était très grave et douce.
Les quatre autres guerriers quant à eux avaient des noms bien trop semblables pour que David puisse affirmer pouvoir s’en souvenir le lendemain. Gaïtin, Zahin, Yahin et Ocarin. Deux hommes, et deux femmes.
Alors que David tournait le visage pour regarder au loin, d’un air un peu fatigué, Carnyx pencha la tête vers lui.
└ Tout va bien ?
– Oui.
– Si tu as des questions, n’hésite pas. On ne va pas te manger, on a déjà largement assez de viande.┐
David rit doucement. Il se détendit légèrement et posa la question qui brûlait le bout de sa langue :
└ Avez-vous déjà vu la lune ? Et pourquoi nommez-vous Adrepo comme ça ?
– C’est surtout Carnyx qui surnomme Adrepo ainsi. ┐répondit l’une des femmes. └ Moi, jamais je n’oserais être aussi familière avec notre meneur.┐
La femme qui avait parlé était Ocarin. Une grande sylène, qui avait une corne à la pointe cassée et bras amputé. David se souvenait très bien d’elle. Il l’avait déjà rencontrée. Elle faisait partie du groupe qui avait sauvé Adrepo lorsqu’il était enfermé dans la prison sur les terres de Coenan.
Il ne se souvenait pas qu’il lui manquait un bras, il n’avait pas prêté grand attention à elle. Mais il était presque sûr qu’elle portait une cape.
À l’époque, elle n’avait pas eu l’air ravie de devoir également sauver le groupe de David. Elle s’était montrée hautaine et froide, refusant de leur accorder le moindre signe d’amitié.
Mais aujourd’hui, elle semblait d’une autre humeur. Son regard était toujours capable de geler quiconque sur place, mais son attitude était plus détendue. David avait beaucoup moins l’impression de risquer sa vie en lui parlant.
Carnyx fit claquer sa langue en réponse.
└ Adrepo aime ce surnom. C’est lui qui m’a présenté la Lune à l’origine. Un guide dans la nuit, ça lui va bien. ┐ expliqua-t-il. └ Cependant je ne l’ai jamais vue de mes propres yeux.
– C’est vrai que ça lui va bien.┐
David se fit la réflexion qu’Adrepo était aussi proche de la lune physiquement. Entre sa peau sombre qui tirait sur le bleu, ses cheveux argentés et ses yeux clairs, il était impossible de nier la ressemblance.
└ Et toi Davin ? ┐ demanda Carnyx. └ Tu viens de la surface, n’est-ce pas ? L’as-tu déjà vue ? Et surtout, brille-t-elle autant qu’il l’affirme ? ┐
Tous les guerriers se penchèrent en avant, la curiosité scintillant dans leurs yeux.
└ Oui. ┐ répondit David └ Elle est magnifique. Sa lumière est douce et réconfortante. Quand j’étais petit, chaque fois que j’étais triste, il me suffisait de la regarder pour me sentir mieux.
– J’aimerais tant la voir. C’est dommage qu’on ne puisse pas la dérober pour l’installer au-dessus du village. Je dois me contenter de jolis dessins.┐
Carnyx avait murmuré ces mots d’une voix rêveuse. David hocha la tête. Il devait bien avouer qu’elle était l’une des rares choses qui lui manquaient depuis qu’il vivait sous terre. Voilà longtemps qu’il n’avait pas pu se confier à elle.
Il partagea cette pensée aux guerriers et Carnyx répondit :
└ Tu sais, ce sont les reflets de la lune qui ont donné naissance à Adrepo. Elle doit lui manquer à lui aussi. Parle-lui-en à l’occasion et ça le rendra heureux. Ce n’est pas pour rien qu’il aime autant ce surnom.┐

Carnyx semblait bien connaître Adrepo. La façon dont il parlait de lui trahissait une relation bien plus profonde qu’un simple lien de subordination. Étaient-ils proches ?
David hésita avant de poser la question. Les guerriers autour d’eux parurent amusés, rassurant David. Sa curiosité ne semblait pas déplacée.
└ Si on est proches ? ┐ répondit Carnyx, en réfléchissant. └ Oui, nous sommes amis. De très bons amis.
– Carnyx. ┐ grogna Ocarin. └ Je te l’ai déjà dit. Ce n’est pas ton ami. C’est ton meneur.
– Et alors ? L’un n’empêche pas l’autre. Il a bien le droit d’avoir des amis. Être le chef de tout le monde, c’est barbant. ┐
Ocarin renifla avec mépris, mais n’insista pas. Carnyx sourit et glissa la main sur sa jambe, la caressant tendrement. Elle roula des yeux en se détendant légèrement, tandis qu’il continuait :
└ D’ailleurs, vous êtes tellement rigides dans ce village que la seule femme qu’il s’est trouvée est une p’tite étrangère. Tu sais la furie qui s’est incrustée lorsque je faisais notre rapport ? Il lui fait la cour.
– Vraiment ? ┐ grogna Ocarin. └ Quelle drôle d’idée.
– Bah, elle est plutôt mignonne. Tu as vu ses cheveux ? On dirait de l’or. ┐
David pouffa, s’attirant les regards étonnés de tout le groupe. L’un des hommes lui demanda ce qu’il y avait et il répondit en tentant de contenir son rire :
└ Mylen… n’est pas… une femme… ! Ahaha. ┐
Loupé. Il éclata de rire.
└ S’il vous entendait… ahahahaha ! Mylen, une femme ? Ahahahahaha.
– Quoi ? Ce n’est pas une femme ? ┐
Les yeux ronds comme deux billes, Carnyx ouvrit la bouche de stupeur. Il souffla :
└ Non ? Mais tout le monde dans le village pense que c’est une femme ! Tu es sûr ? C’est un homme ? Ou alors peut-être que c’est ni l’un ni l’autre ? ┐
David manqua de tomber par terre. Il n’avait plus de souffle, tant il riait. Il avait hâte de raconter ça à Mylen. Oh, ce qu’il avait hâte !
└ Je n’en reviens pas. On est d’accord qu’on à pas de soucis avec les relations de personnes du même sexe ? Je me souviens plus. ┐ murmura Carnyx dans l’oreille d’un de ses compagnons.
Ce dernier opina du chef en réponse et Carnyx demanda à David d’une voix plus forte :
└ Bien bien. Mais… est-ce que Adrepo sait que c’est un homme au moins ? ┐
David hocha la tête, n’étant pas en mesure de répondre autrement. Sa crise de fou rire ne semblait pas prête de s’arrêter.

La crise de fou rire de David avait réussi à le détendre. Après ça il avait passé une excellente soirée avec les guerriers, partageant ensemble des petites histoires autour du feu.
Carnyx ne semblait jamais à court de mots. Le reste du groupe appréciait de le laisser parler, l’écoutant sagement monologuer. Il fallait bien avouer que sa voix était assez belle et apaisante. Il évoquait tant d’aventures avec Adrepo qu’il était impossible de les compter.
└ L’un des assaillants allait surprendre Gaïtin par-derrière lorsqu’Adrepo l’en a empêché. Adrepo l’a soulevé et l’a lancé si loin que j’ai cru qu’il allait atteindre le fond du Creux.
– Adrepo lance souvent des gens ?
– Seulement ceux qui le contrarient. ┐ rit Carnyx.
Une heure plus tard, David leur emboîta le pas, tenant précieusement la lanterne qui les éclairait. Ils avaient éteint leur feu de camp, repris leurs armes et marchaient maintenant dans le village endormi. Lorsque vint le moment de se séparer, chacun prenant un chemin différent pour retourner chez soi, Carnyx expliqua :
└ Tu peux dormir dans l’une de nos huttes. Celle que tu veux. On y installera une paillasse pour toi. Et demain, on se retrouveras après le repas pour te préparer correctement. ┐
David hocha la tête et suivi naturellement Carnyx. Mais une main l’arrêta. Gaïtin, un grand guerrier taciturne qui n’avait que peu ouvert la bouche ce soir-là, grogna :
└ Si tu tiens à ton sommeil, je ne ferais pas ça.
– Pourquoi ?
– C’est une mauvaise idée. Sauf si tu as vraiment envie d’assister ces deux-là dans leurs tentatives de repeupler le village. ┐
Gaïtin avait montré d’un geste de la tête Carnyx et Ocarin, qui leur tournaient le dos en s’éloignant. Les autres guerriers quant à eux avaient déjà disparus. David remarqua alors la main de Carnyx posée sur le bas du dos d’Ocarin avec possessivité. Il rougit aussitôt.
└ Oh.
– Tu peux venir dans ma hutte si tu veux. Elle est petite, mais tu y seras au calme. ┐
David accepta sa proposition avec reconnaissance.

Le lendemain matin, Carnyx se leva très tôt. Il aimait s’entraîner et faire de l’exercice aux heures où le village était encore en grande partie endormi. Il traînait sur le terrain d’entraînement depuis une bonne heure, tirant à l’arc avec précision, lorsqu’il vit Adrepo passer au loin.
Aussitôt, il banda son arc et tira une flèche. Elle se planta juste devant Adrepo, en plein dans le nœud d’un arbre. Adrepo se tourna et siffla avec approbation :
└ Toujours aussi précis. Et matinal.
– Évidemment. C’est le meilleur moment pour s’entraîner. ┐ répondit Carnyx en rangeant son arc dans son carquois. └ Tu vas au lac ? Puis-je t’escorter ?
– Non, je ne vais pas au lac. Mais tu peux tout de même venir. ┐ répondit Adrepo en bâillant. └ Ne serait-ce que pour me tenir éveillé ? ┐
Contrairement à Carnyx, le matin n’était clairement pas sa période favorite de la journée. Mais c’était bien pire durant l’après-midi. Adrepo était capable de s’endormir n’importe où, à n’importe quel moment. Il était habituel de le trouver somnolent quelque part dans le village.
Dans le lac, adossé à un mur, au pied d’un arbre, dans sa tente… n’importe où.
└ Alors. Quel est ton premier avis sur Davin ? ┐ demanda Adrepo, curieux, tandis que Carnyx lui emboîtait le pas.
Ce dernier fit mine de réfléchir en tenant son menton, les sourcils froncés. Il répondit au bout d’un moment :
└ Hum. Il semble être un bon gars. Il est peu déphasé, mais rien qui ne s’arrange pas. Et tu as raison, c’est bien un enfant. Mais je n’ai pas reconnu de qui. Son lien est présent, bien que ténu.
– Je vois. Tu penses être capable d’en apprendre plus ?
– C’est une mission ? ┐
Adrepo hocha la tête.
└ Bien. Mais il faut que tu arrêtes de vouloir adopter tous les enfants abandonnés. Tu ne peux pas recueillir tout le monde.
– Tu ne disais pas cela lorsque Hedera et moi t’avons sauvé. ┐
Carnyx sourit.
└ Tu n’as pas tort.
– Donc, je peux compter sur toi ?
– Oui. Mais je ne fais pas de miracles. ┐

Les bras croisés dans le dos et se tenant parfaitement droit, Carnyx suivait silencieusement Adrepo jusque la place centrale du village. Il ne savait pas ce qu’ils faisaient ici, et ressentait une pointe de curiosité. Il s’agissait du territoire de Nenia. Adrepo ne s’y rendant que peu, il n’était pas courant de l’y voir.
Les habitants, qui commençaient à se réveiller et sortir de leurs huttes, le dévisageaient avec étonnement. Ils se demandaient ce que le gardien des terres et l’un de ses hommes faisaient ici.
Adrepo s’arrêta devant une grande hutte dont l’entrée était un rideau de perles en bois, et y entra avec Carnyx à sa suite. L’intérieur comme l’extérieur était rempli de tissus, de cuves, de teinture, et de divers outils.
Au fond, un homme était assis devant un métier à tisser. Il arrêta son ouvrage en les entendant entrer et les salua poliment.
└ Lasen. ┐ demanda Adrepo, pressant. └ As-tu avancé ma commande ?
– Oui. C’est une demande très inspirante. Je referais ce genre de chose avec grand plaisir. J’ai presque terminé la tunique, si tu souhaites la voir. ┐
Lasen tendit alors un vêtement à Adrepo, qui le déplia pour l’admirer. Il semblait satisfait, car ses yeux brillaient et un léger sourire étira ses lèvres.
Carnyx siffla d’admiration. C’était une belle tunique longue, d’un bleu assez doux, sur laquelle de nombreux petits bijoux en forme de goutte avaient été cousus.
Des broderies avec un motif de feuilles la décoraient. Il n’en avait jamais vu de semblables, et se demanda d’où venait l’idée.
└ C’est un peu petit pour toi, non ? ┐ fit-il. └ J’en déduis que c’est un présent pour ta belle ?
– Oui. Ses vêtements sont usés, je souhaite lui offrir mieux que ça. J’ai demandé un vêtement proche de celui qu’il a perdu.
– Tu as raison. Mais d’ailleurs, tu savais que celle que tu courtises est un mâle ? ┐
Lentement, Adrepo rendit la tunique à Lasen, qui la replia proprement. Il répondit hautainement :
└ Quelle question idiote.
– Pourtant, tout le village pense que c’est une femelle. ┐
Adrepo cligna des yeux. Quoi ? Il lança un regard interrogatif à Lasen, qui haussa les épaules en grimaçant.
└ Vraiment ?
– Oui. ┐ rit Carnyx └, mais je suis étonné. Je ne t’avais jamais vu t’intéresser à personne, et pourtant on se connaît depuis longtemps. Trois siècles, n’est-ce pas ?
– Deux.
– Bah, un siècle de plus ou de moins. ┐ rétorqua Carnyx. └ Alors, pourquoi lui ? Qu’a-t-il de si spécial ? Il n’a pas l’air très fort. ┐
Adrepo pencha la tête.
└ Pas très fort ? Ocarin ne t’as rien dit ?
– Non, pourquoi ?
– C’est lui qui a mis le feu à la forêt de pierre. ┐
Carnyx fit un petit « oh », la compréhension éclairant soudain son regard. Il avait entendu parler du sauvetage d’Adrepo après son attaque échouée sur le territoire de Coenan. Il était en mission ailleurs à l’époque et n’y avait pas participé.
Mais l’incendie de la forêt de pierre avait été le centre de toutes les discussions dans le camp. Tous dans le village avaient entendu parler de l’étranger qui avait tenté en vain de sauver un lutinae des griffes de leur ennemi, avant de tout détruire par le feu.
Carnyx n’avait pas imaginé une seule seconde que la personne qui avait alimenté les ragots de ses guerriers était la même que celle qu’Adrepo courtisait.
└ Il ne manque pas de cran, je dois bien l’admettre. ┐ répondit-il. └ Et en plus d’avoir mis le feu chez nos ennemis, il a accepté ta demande de cour. Il n’a pas froid aux yeux.
– Effectivement… ┐
Carnyx haussa un sourcil.
└ Oh. Je connais ce regard. Il y a un problème ? ┐

Adrepo plissa le nez. Il lança un regard à Lasen, qui comprit aussitôt et sortit de sa hutte pour laisser les deux hommes seuls.
└ Il a effectivement accepté ma demande de cour, ainsi que les premières offrandes. Mais lorsque je lui ai offert ma plus belle proie, il l’a refusée. ┐ murmura Adrepo en passant une main sur son visage, perdu.
Carnyx leva un sourcil, surpris. Il était rare de le voir le meneur exprimer de l’incertitude.
└ Quoi ? Il a refusé une si belle proie ?
– Un sanglier, de surcroît. Je pensais qu’en lui offrant l’animal fort et valeureux qui protège la forêt, il serait satisfait. Après son refus, j’en ai conclu qu’il faut que je lui offre mieux que ça.
– Mieux ? Qu’est-ce qui est mieux qu’un sanglier ? Peu de personnes reçoivent un animal aussi noble lors de leur cour. C’est un très beau présent que tu lui as fait. ┐
Adrepo se frotta la nuque. Il répondit ensuite :
└ Un ours. C’est une suggestion que m’a faite Davin hier. Son conjoint lui aurait confié que Myrgrin espérait que je lui en apporte un.
– Un ours ? ┐ souffla Carnyx, surpris. └ Il souhaite que tu lui offres un ours ?
– Il semblerait. Je n’ai pas attendu, je l’ai chassé cette nuit. Il y en a qui vivent dans le bois qui entoure le sanctuaire. Je comptais lui apporter bientôt.
– Tu as chassé un ours, seul, cette nuit ? Sans qu’il te blesse ?
– Oui et non. ┐
Adrepo souleva sa cape, dévoilant des traces de griffes sur le côté de son torse. Elles étaient déjà presque entièrement cicatrisées et Carnyx fit un petit sifflement à la fois admiratif et inquiet.
└ Il ne t’a pas manqué.
– Ce n’est pas bien grave. J’ai soigné la plaie avec la magie, je ne sens déjà presque plus rien. ┐ répondit Adrepo en haussant les épaules. └ Ce n’est pas un ours qui aura raison de moi. J’ai hâte de lui offrir, mais j’attendais le matin pour ça. Tu… ┐
Adrepo hésita avant de souffler :
└ Tu m’accompagnerais ?
– Évidemment. Je veux voir ça. ┐

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