- 44 - Nemus
- bleuts
- 6 oct. 2024
- 32 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 déc. 2024
Partie 1 - Le gardien des essences
Avançant d’un pas rapide devant Tyra et Öta, la jeune fille marmonnait. Elle ressassait en boucle à quel point elle trouvait cette situation inadmissible.
À ses côtés Cerfeuil trottinait la queue en point d’interrogation et miaulait de temps en temps comme pour approuver ses dires.
Et un peu plus loin derrière, Tyra et Öta chuchotaient entre eux.
« Un feu-follet, tu dis ? Bon sang, ça explique tout. » murmura Tyra après qu’Öta ne lui ait résumé la situation. « Je suis vraiment idiote. J’aurais dû y penser.
– Comment ça ? »
Öta avait lu des notes d’Élan au sujet de ces créatures il y a longtemps, mais il n’en avait pas gardé mémoire. Sa seule certitude était qu’ils étaient considérés comme l’équivalent masculin des fées.
« Les feux-follets sont des créatures présentes dans ma culture, des enfants d’Esprit. Ils apparaissent pour guider les âmes qui cherchent leur chemin dans leurs bois. » répondit Tyra dans un souffle. « Mais ceux qui suivent un feu-follet n’en reviennent rarement.
– Quoi ? Pourquoi ?
– Disons que bien qu’ils guident réellement les égarés vers leur but, ils apprécient leur faire emprunter les chemins les plus périlleux… et les faire tourner en rond jusqu’à la mort.
– Mais c’est horrible ?!
– Dis-toi qu’on à eu de la chance, on fait partie des rares surviv – . »
Tyra fut coupée en pleine phrase par un grognement de la jeune fille. Elle s’était arrêtée et les fixait avec désapprobation.
└ Chut ! On ne bavarde pas dans un temple. Vous vous croyez où au juste ?
– Pardon.
– Tcht ! ┐
Mais dès que la jeune fille se détourna, Tyra ajouta à voix basse :
« En tout cas s’il y a des feux-follets dans ces bois, je comprends mieux pourquoi ils en bloquent l’accès. Surtout qu’il semblerait qu’il y ait déjà eu des victimes. »
Öta hocha la tête en repensant au cadavre qu’ils avaient trouvé en tombant dans la crevasse. Le pauvre malheureux était sans doute tombé dans le même piège qu’eux. Et qui sait combien de personnes étaient mortes dans ces bois ou avaient tourné en rond sous ce temple sans en trouver la sortie ?
Tyra avait raison. Ils avaient eu beaucoup de chance.

Au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient du hall du temple, Tyra et Öta se demandaient où l’étrange jeune fille comptait les emmener.
Elle sortit une clef de sa besace pour ouvrir une grande porte de bois. Elle la poussa, dévoilant un chemin menant vers l’extérieur.
└ Suivez-moi. La véritable demeure de Nemus se trouve en haut de ces falaises. Vous voyez la porte dans la roche ? C’est là que nous nous rendons. ┐
Öta et Tyra échangèrent un regard. Ils avaient tous les deux reconnu cette porte. C’est celle qu’ils avaient aperçue de loin depuis la tour, lorsqu’ils se trouvaient encore au village. Ils étaient donc restés sous la forêt durant tout ce temps ?
└ Vous avez eu de la chance que Cerfeuil m’ait prévenu de votre présence. ┐ continua-t-elle. └ Nous gardons fermées toutes les portes du temple, vous n’auriez pas pu sortir d’ici. Je ne souhaite ça à personne. ┐
Öta frissonna, s’imaginant mourir de faim et de soif, enfermé dans ce bâtiment sans jamais parvenir à en trouver la sortie.
Mais Tyra aurait sans doute réussi à enfoncer une porte. N’est-ce-pas ? Elle aurait trouvé un moyen, il était sûr. Il voulait y croire.
└ Comment savait-il que nous étions là ?
– Il traîne souvent dans le temple. Il se faufile dans les trous pour aller dormir au calme. Vos cris lui ont fait peur et l’ont réveillé durant sa sieste. ┐
Drôle d’endroit où dormir. Les chats étaient décidément des créatures très étranges. Et à ce sujet, Öta remarqua que Cerfeuil avait disparu. Était-il retourné dormir ?
└ Excusez-moi. ┐ ajouta Öta, se sentant un peu plus en confiance. └ Mais je ne sais toujours pas votre nom ?
– Oui, et ?
– Ah. Euh. Quel est-il ? ┐
La jeune fille s’arrêta et le toisa du regard. Elle sembla peser le pour et le contre avant de répondre :
└ Amusant est l’intrus chez moi qui me demande mon nom sans s’être présenté au préalable.
– Je suis Öta, et mon amie est Tyra. ┐ bredouilla Öta. └ Elle ne parle pas notre langue donc…
– Hum. Je vois. Vous pouvez m’appeler Aube. ┐

Tyra s’était imaginée découvrir au-delà de la porte le hall d’un temple semblable à celui qu’ils venaient de quitter. Une construction plus récente, mais similaire à la précédente.
Elle se trompait.
Cet endroit était visiblement bien plus ancien. Elle le sentait à la magie qui pulsait en ces murs. Elle le devinait à l’aura sombre, presque primitive, qui se dégageait des lieux.
└ Ne touchez à rien. ┐ fit Aube en leur faisant signe d’avancer tandis qu’elle guidait Tyra et Öta à travers un très long couloir sinueux.
Ici, les murs n’étaient pas faits de pierre. Ils étaient faits de bois et les racines noueuses qui s’en échappaient pour s’enlacer sur le sol donnaient l’étrange impression d’être à l’intérieur d’un arbre.
« Un arbre inversé. » murmura Öta, subjugué. « On se croirait dans un arbre, sauf que l’intérieur est l’extérieur. Tu as vu ? Il y a de l’écorce sur les murs.
– Quand je vais raconter ça à David, il va rien comprendre. »
Au bout du couloir, Aube ouvrit une porte. Elle donnait sur une grande forêt qui s’étendait à perte de vue. Une forêt à l’intérieur des murs de bois. C’était l’une des choses les plus surprenantes qu’elle n’avait jamais vues.
Elle remarqua qu’a chaque arbre, d’étranges choses pendaient. Des disques de bois, gravés de symboles étranges, et agrémentés de diverses décorations. Des perles, des plumes, des pierres, des os…
C’était joli. Mais il y en avait tant.
« Qu’est-ce que c’est ? » murmura-t-elle à Öta, espérant qu’il pourrait éclairer sa lanterne. « Tu as déjà vu ça ?
– Jamais. »
Aube posa la main sur un arbre et ferma les yeux. Elle resta ainsi quelques secondes avant de se redresser.
└ Le maître est dans son atelier. Je vous y mène immédiatement. ┐
Tandis qu’ils avançaient dans la forêt, Öta demanda d’une voix hésitante :
└ Ces choses accrochées aux arbres, qu’est-ce donc ?
– Des neveds.
– Des neveds ? ┐
Aube hocha la tête. Une légère surprise brillait dans ses yeux lorsqu’elle se retourna et demanda :
└ Vous ne connaissez donc vraiment pas Nemus ? Les habitants de Yphen ne vous en ont pas du tout parlé ?
– Non. ┐
Öta se souvenait avoir entendu Cissus mentionner que Yphen était le nom du village. Il secoua la tête, embarrassé.
└ Je vous l’ai dit, nous sommes des étrangers… Nous ne savons que peu de choses à propos du Creux et de son histoire. C’est pour cela que nous ne savions pas pour le temple et la forêt. Nous sommes vraiment désolés pour tout. ┐
C’était terriblement dur d’admettre son ignorance. Depuis qu’il était dans ce village, il comprenait que tout ce qu’il avait étudié ne lui servait à rien aujourd’hui. Il se sentait comme un enfant à qui il fallait tout apprendre.
Et bien que ça le fascinait, il n’en était pas moins frustré. Il lui manquait tant de clefs pour faire les liens entre toutes les informations qu’il découvrait ! Il n’avait ouvert qu’une page du livre. Il n’était encore qu’à son introduction.
└ Je vois. Ce que vous voyez là, ce sont des essences.
– Des essences ?
– Oui. L’essence est ce qui définit les esprits. Le Maître en est le gardien, il fabrique les neveds pour que l’essence de chaque esprit de Matière puisse s’y reposer à sa mort.
– Oh.
– Ce qui signifie que chaque neved présent dans ces bois contient l’essence d’un esprit de Matière défunt. Soyez respectueux. ┐
Öta écarquilla les yeux en réalisant ce que ça impliquait. Ce bois était une nécropole.

C’est avec un mélange de fascination et de peur que Tyra et Öta traversèrent les bois à la suite d’Aube. Il y avait tant de neveds qu’il était tout bonnement impossible de les compter.
Et ils étaient tous si différents les uns des autres ! Sur la majorité d’entre eux, les symboles peints sur le disque de bois brillaient d’une lueur délicate semblable à celle de la lune.
D’autres, plus rarement, ne brillaient pas. Était-ce ceux dont l’âme n’avait pas encore rejoint ces bois ?
Mais ce qui choquait Öta était la présence de quelques neveds en piteux état. S’il n’avait pas fait attention, jamais il ne les aurait remarqués. Leur symbole était sombre, presque entièrement effacé. Rien ne se dégageait d’eux. Ils étaient comme des ombres discrètes au fond de la forêt qui souhaitaient être oubliées.
« Öta, ne traîne pas. » souffla Tyra en le faisant revenir à lui.
Aube avait beau être très petite, elle avançait bien plus rapidement qu’eux, se mouvant avec agilité en évitant les racines des arbres. En entendant Tyra parler, elle s’arrêta et se retourna en posant les mains sur les hanches. Son regard désapprobateur fit frissonner Öta qui se dépêcha de la rejoindre avec une moue penaude.
└ Je me demandais… ┐ murmura-t-il avec précaution. └ Est-ce que ces neveds ont le même rôle avec les esprits de Matière, que celui qu’a la Lune avec les âmes ? ┐
Selon les croyances du Nord, la Lune était la gardienne des âmes. Lorsqu’une personne décédait, son âme retournait auprès d’elle.
Certaines légendes contaient que la lumière de la Lune était celle de toutes les âmes qui rêvaient paisiblement, tandis que d’autres affirmaient qu’il s’agissait des âmes qui les surveillaient depuis les cieux.
Aube pencha la tête en dévisageant Öta.
└ La Lune ? Je n’ai plus entendu ce mot depuis longtemps. Vous devez vraiment venir de loin. ┐ fit-elle en fronçant les sourcils. └ Oui. Ces bois sont comme la Lune.
– Oh. Mais pourq —
– La Lune est l’œuvre d’Âme. Les esprits de Matière n’y sont pas les bienvenus. ┐
Aube reprit la route, les mains dans le dos. Öta lui emboita aussitôt le pas en demandant :
└ Donc si j’ai bien compris, Nemus est un esprit de Matière ?
– Oui oui. ┐ murmura Aube en ralentissant.
Elle n’écoutait plus Öta, occupée à regarder autour d’elle. Quelque chose semblait la déranger. Il en fit de même et remarqua qu’ils étaient arrivés dans une partie de la forêt où très peu de neveds étaient accrochés.
Soudain, une petite lueur bleue passa rapidement devant eux dans un rire cristallin. Elle leur tourna autour, comme pour se moquer d’eux.
Tyra, qui marchait depuis tout ce temps en silence et s’était résiliée à ne rien comprendre, se redressa en le reconnaissant et s’écria :
« Toi ! »
La lueur bleue s’arrêta. Ils aperçurent alors une petite créature bleue semblable aux fées, qui tira la langue avant de disparaitre entre les arbres aussi vite qu’elle était arrivée.
└ Étincelle ! Tu n’as rien à faire ici !! Reviens tout de suite ou je te jure que je vais t’arracher les membres un par un ! ┐ s’exclama Aube avec colère.

└… mais c’est ma faute. J’ai du laisser la porte du sanctuaire ouverte et ce garnement s’est faufilé ici.
– Vous ne voulez pas essayer de le rattraper ?
– Quoi ? ┐ grogna-t-elle en tournant la tête vers Öta. └ Tu n’apprends jamais de tes erreurs ? On ne suit pas un feu-follet. ┐
Öta s’empourpra. Il se mordit la lèvre en marmonnant quelques excuses, embarrassé. Tyra lui lança un regard curieux, ne comprenant rien à ce qu’il s’était passé, et il lui répondit du bout des lèvres :
« Je t’expliquerais plus tard. »
Quelques pas plus tard, leur destination se dessina sous leurs yeux. Ils arrivèrent dans une petite clairière aménagée où de nombreux troncs d’arbres servaient de tables et d’étagères.
Dans ces derniers, d’innombrables pots de bois et de pierre de toute taille étaient rangés. Des taches de couleur proche des couvercles indiquaient clairement leur contenant : c’était des petits pots de peinture.
Il y avait des morceaux de bois, des tas de feuilles, des plumes, des petits outils, et de nombreuses autres choses répandues un peu partout dans la clairière.
Ils se trouvaient dans l’atelier de Nemus.
« Ces bois sont gorgés de magie naturelle, mais ici ça se sent encore plus. » murmura Tyra en admirant les lieux avec curiosité. « Plein de magies différentes, mais très primitives sont passées par ici. »
Öta hocha la tête sans répondre. Il suivait du regard Aube, qui cherchait visiblement son maître. Elle examinait les environs lorsque son regard s’éclaira soudainement. Elle s’avança entre les arbres en s’écriant :
└ Mon seigneur ! ┐
Öta et Tyra s’approchèrent. Un peu plus loin, une grande silhouette cornue peignait un neved. En entendant le bruit, elle se tourna lentement, dévoilant son visage : un masque blanc aux yeux noirs.
Nemus.
Et posée sur sa tête, une lumière bleue brillait.
└ Étincelle ! Tu n’as rien à faire là, tu déranges le maître dans son travail. ┐ s’offusqua aussitôt Aube.
Le feu-follet tira la langue.

└ Monseigneur, j’ai trouvé ces deux vagabonds, dans votre ancien temple. Ils étaient tombés dans une crevasse menant aux anciennes geôles après avoir suivi Étincelle.
– Ah. ┐
Étincelle fut soudain attrapé par les mains de Nemus.
Il n’eut pas le temps de s’échapper et agita les membres en tentant de s’extirper de sa poigne ferme. Nemus le leva jusque son visage et murmura :
└ Étincelle. Lorsque je t’ai demandé d’aider ceux qui se perdent sur mes terres, ce n’était pas pour que tu les chahutes. Tu m’avais promis de ne plus faire ça. ┐
Le feu-follet fit une moue coupable. Il marmonna quelques mots et Nemus secoua la tête en relâchant légèrement la pression de ses mains sur le petit être. Lorsqu’il bougeait, toutes les minuscules clochettes accrochées dans sa chevelure tintaient doucement.
└ Tu es privé de mirabelles pour les dix prochaines années. ┐
Étincelle ouvrit la bouche, scandalisé. Il cria quelques mots en s’agitant, avant de croiser les bras en gonflant les joues. Il boudait. Aube s’avança.
└ Souhaitez-vous les punir pour cette intrusion ?
– Qui ça ?
– Les deux intrus. Ils n’avaient rien à faire sur votre territoire ! Il vous faut les châtier pour ça. ┐
Nemus desserra alors la prise qu’il avait sur le feu-follet, qui ne se fit pas prier et s’échappa, retournant là d’où il venait.
└ J’en prends note. Aubépine, laisse-moi seul avec eux. Et vérifie qu’Étincelle soit bien sorti du sanctuaire. Et quand tu auras fini, tu compteras combien il y a de mirabelles sur nos arbres. Je veux le nombre exact pour pouvoir surveiller s’il en vole prochainement. ┐
Aube ouvrit la bouche pour objecter, mais s’arrêta en plein geste et soupira.
└ Bien, monseigneur. ┐
Öta eut un peu de peine pour elle. Compter les fruits sur les arbres ? Elle n’était pas prête d’avoir fini cette tâche ridicule.

Öta frissonna. Tyra et lui étaient maintenant seuls avec Nemus. Seuls avec une créature inconnue et puissante, sans aucun moyen de se protéger. Si elle décidait de leur faire du mal, ils n’avaient que peu de chance de s’en réchapper.
Mais Nemus hocha la tête et reprit son pinceau en se détournant d’eux. Il recommença à peindre son neved, comme s’ils n’étaient pas là. Tyra et Öta échangèrent un regard perdu.
« Il s’est passé quoi ? » murmura Tyra dans l’oreille de son ami. « Tu m’expliques ?
– Je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi. Ça n’a pas de sens. Nemus a grondé le feu-follet, et demandé à Aube de compter des mirabelles.
– Hein ?
– Comme tu le dis. »
Tyra plissa les yeux. La magie de Nemus lui rappelait celle de Cissus. Elle était légèrement différente, mais très proche. Et ses cornes étaient identiques aux siennes.
« Je crois qu’il s’agit de Cissus sous ce masque. » souffla-t-elle. « J’en suis quasi sûre.
– Cissus ? Tu crois ? Mais pourquoi ?
– Aucune foutue idée. »
À cet instant, un mouvement de Nemus attira leur attention. Il venait de finir de peindre un symbole sur le neved.
Ce dernier brillait légèrement, mais ce n’était qu’une infime lumière comparée à celle des neveds qu’ils avaient croisés sur la route.
└ Bienvenue dans ce monde, Thuja. Nous t’accueillerons dans ce foyer lorsque tu ne seras plus. ┐ murmura Nemus d’une voix douce, mais sombre. └ Puisses la faim jamais ne t’atteindre. ┐
Le symbole s’illumina un peu plus, avant de s’éteindre. Nemus resta quelque secondes à le regarder en silence avant de décrocher le Neved.
└ Je dois te trouver une belle place. ┐ murmura-t-il en se retournant.
Öta fronça les sourcils. Tyra avait fait germer le doute dans son esprit. La voix de Nemus lui faisait bien penser à celle de Cissus. Mais il n’était pas le plus doué pour les reconnaître. Peut-être se trompait-il ?
Nemus pencha doucement la tête, le tintement de ses clochettes résonnant dans les bois.
Les yeux de son masque avaient beau être d’un noir abyssal, Öta et Tyra comprenaient sans peine qu’ils étaient posés sur eux.
└ Je vous remercie de votre patience. Mais maintenant, dites-moi pourquoi vous êtes venus ici ? Vous étiez censé m’attendre au village. ┐

Les yeux d’Öta s’écarquillèrent légèrement. Il n’y avait plus aucun doute. Sous cet étrange masque se cachait Cissus. Mais pourquoi ? Comment ?
Il se mordit la lèvre en le dévisageant, cherchant quoi que ce soit dans son attitude qui exposerait cette scène comme un malentendu.
L’image qu’il s’était faite de Cissus était si différente de celle de cette créature. Cissus était plus accessible. Moins impressionnant. Moins… antique ?
Öta déglutit. Devait-il utiliser des formes de politesse pour s’adresser à lui, comme le faisait Aube ? Ou devait-il lui parler normalement, comme il l’avait jusque là ?
Cissus n’avait jamais montré de mécontentement quant à la manière dont Öta s’adressait à lui. Mais c’était si difficile ! Tout était si différent. Ne voir ni ses yeux ni sa bouche était si… étrange. Ça le rendait si… distant ?
Il bredouilla :
└ Je… euh… À vrai dire, je te cherchais ?
– Pourquoi ? Vous n’avez pas trouvé votre chemin pour rentrer au village ? ┐ fit Nemus en approchant sa tête de la sienne.
Öta eut aussitôt un petit sursaut incontrôlé de peur. Avec la fourrure noire qui l’encadrait et l’obscurité des bois, le masque qui recouvrait son visage donnait l’impression de léviter dans le noir. C’était étrange et effrayant.
└ Hum. Je n’aurais peut-être pas dû vous laisser seul. ┐
Öta se retint de reculer d’un pas, mais son visage exprima toute sa surprise. Pensait-il sincèrement que Tyra et lui avaient erré dans les bois durant plusieurs jours ? Nemus soupira et se redressa dans un doux tintement.
└ Oh. Je connais ce regard. ┐ murmura-t-il. └ Combien de temps depuis mon départ ?
– Deux ou trois jours ? Plus ? Je ne sais pas exactement. J’ai perdu la notion du temps après que ton feu-follet nous ait fait tomber dans une crevasse. ┐
Öta grimaça. Il n’aurait peut-être pas dû dire ça. Il l’avait dit d’un ton bien plus sec qu’il ne l’avait imaginé. Mais Nemus ne s’en offusqua pas. Il tourna la tête et commença à marcher dans la direction opposée à celle d’où ils étaient arrivés.
Les tissus qui recouvraient son corps cachaient ses pieds, donnant presque l’impression qu’il glissait sur le sol. Perdus, Tyra et Öta lui emboîtèrent le pas.
└ Je suis désolé. Je n’ai jamais été très doué avec le temps.
– Ce… ce n’est pas grave. ┐ souffla-Öta. └ Mais où allons-nous ?
– Nous ne devons pas rester ici. Ce n’est pas un endroit pour parler, il ne faut pas déranger plus longtemps ceux qui se reposent. J’ai un jardin un peu plus loin. ┐
Öta hocha la tête et traduisit la conversation à Tyra. Elle le remercia du regard et se serra un peu plus contre lui. Depuis qu’ils étaient arrivés, elle était très silencieuse et refusait de lui lâcher la main.
« Ouf. Je ne dis pas non à m’éloigner. » répondit-elle en frissonnant. « Cet endroit est vraiment écrasant. Je ne m’y sens pas la bienvenue.
– Ah bon ? Je le trouve plutôt paisible, personnellement. »

Nemus guida Tyra et Öta jusqu’à un arbre creux bien plus large et imposant que les autres. Au fond de son tronc se trouvait une porte.
Une porte sculptée. Elle était décorée de nombreux motifs végétaux dorés, d’une finesse et d’une délicatesse qui paraissaient presque déplacées dans un tel lieu.
C’était sans doute l’une des plus belles portes qu’ils avaient eu la chance de voir dans leur vie. Et pourtant, les ouvrages de qualité ne manquaient pas là d’où ils venaient.
└ Mon jardin se trouve de l’autre côté. ┐ fit Nemus en ouvrant la porte.
De l’autre côté se trouvait un terrain verdoyant et fleuri, aux mille couleurs. Sa lumière était chaleureuse, rappelant le doux soleil du printemps, contrastant radicalement avec l’obscurité des bois derrière eux.
└ Suivez-moi. ┐ fit Nemus.
Et à peine eut-il traversé la porte, que la fourrure et le masque qui couvraient son corps disparurent dans d’étranges volutes magiques, comme s’ils étaient aspirés, tirés en arrière par les bois. Comme s’ils ne pouvaient en sortir. Cissus s’ébroua avant de leur faire un sourire encourageant. Mais dans ses yeux, un éclat de tristesse brillait.
Lorsque Tyra et Öta entrèrent à leur tour dans le jardin, il referma la porte.
└ Ton… ton corps. Que… ? ┐ bredouilla Öta en se tournant vers leur hôte. └ Que s’est-il passé ?
– Mon visage n’appartient qu’au bois sacré. Je n’ai plus le droit de le porter en dehors. ┐ répondit simplement Cissus en s’éloignant.

Öta lui emboîta aussitôt le pas. Maintenant que Cissus ressemblait de nouveau à lui-même, il était beaucoup moins intimidant.
└ Cissus ! Attends ! Ou Nemus ? Comment je dois t’appeler ? Et que veux-tu dire par ton « visage » ? Je ne comprends pas. Qui es-tu réellement ?
– Cissus. Mon nom est Cissus. Je ne te l’ai pas dit lorsque nous nous sommes rencontrés ?
– Mais…
– Beaucoup de questions. Nous ne sommes plus dans le bois sacré maintenant, mais nous sommes toujours sur mes terres, alors c’est à moi d’en poser. Pourquoi me cherchais-tu ? ┐
Cissus s’était retourné d’un coup et se pencha sur Öta. Son visage était si proche qu’il pouvait presque sentir sa respiration.
└ Je… C’est à propos de mes feuilles. ┐
L’expression de Cissus changea aussitôt. Un immense sourire éclaira son visage et il prit les mains d’Öta en s’exclamant :
└ Oh ! Hedera a trouvé des réponses ? J’en étais sûr. Elle a toujours été douée pour ça. Quand un mystère l’intrigue, elle ne s’arrête pas avant d’avoir trouvé la solution. Je savais que tu serais entre de bonnes mains.
– Oui. Elle a trouvé des réponses, mais surtout des questions. J’ai besoin de ton aide pour…
– Attends. Asseyons-nous. ┐
Öta hocha la tête. Cissus s’assit au pied d’un arbre en croisant les jambes. Il pencha la tête d’un air intéressé, attendant avec impatience les prochains mots d’Öta.
Il n’avait plus rien à voir avec la divinité qu’il incarnait quelques instants plus tôt.
└ Alors ?
– Selon Hedera, je descends non pas d’un, mais de deux esprits de Matière. ┐ souffla Öta.
Cissus ouvrit légèrement la bouche. La compréhension brilla dans son regard, tandis qu’il répondait simplement :
└ Oh.
– Mais le problème, c’est que l’un de ces deux esprits a maudit ma famille. Sa présence dans notre lignée attaque notre magie, ce qui… ce qui va me tuer. ┐fit Öta, sa voix se brisant sur ces derniers mots.
Il sentit les larmes perler aux coins de ses yeux. Il ne voulait pas pleurer, mais c’était trop fort. Il renifla piteusement en s’essuyant les yeux. Tyra posa la tête sur son épaule et lui serra la main.
└ Oh. Je comprends mieux pourquoi je n’arrive pas à lire tes origines. ┐ murmura Cissus pour lui-même avant d’ajouter plus fort : └ Une bénédiction et une malédiction qui s’opposent, c’est rare, mais ce n’est pas la première fois que ça arrive. Hedera a pu trouver les noms des deux esprits ? Sans ça, il sera difficile de faire quoi que ce soit.
– Non. Elle n’a reconnu que celui qui nous a fait du mal…
– Et quel est son nom ?
– Je ne sais pas. Elle ne me l’a pas dit. ┐
Cissus ne comprit pas. Comment ça, Hedera avait connaissance du nom de l’esprit, mais ne lui avait pas dit ?
└ Quoi ?
– Son nom est tabou. Mais elle m’a dit que tu pourrais m’aider. ┐
Il plissa le nez.
└ Parle.
– Elle a dit que tu étais au service de cet esprit autrefois.
– À son service… ? ┐ répéta Cissus avant que ses yeux ne s’écarquillent. └ Oh. ┐
Cissus écarquilla les yeux.
Il se leva et fit quelques pas autour de l’arbre au pied duquel il était assis quelques instants plus tôt. La main posée sur l’écorce, il marmonna quelques mots frénétiquement, des mots qu’Öta ne parvenait pas à comprendre. Ses yeux fixaient le vide avec horreur.

Et brusquement, il tourna de nouveau la tête vers lui. Il attrapa le bras d’Öta et lui retira le tissu qui protégeait ses bras pour lui prendre une feuille.
« Aïe ! » s’exclama-t-il. └ Cissus, qu’est-ce que… ?
– Ces feuilles… Oui, c’est bien ça. C’est lui tout craché. Comment ai-je pu manquer ça. J’aurais dû reconnaître sa magie, j’aurais dû la sentir. Pourquoi… ? ┐
Cissus fixait la feuille, les yeux brillants. Il tremblait. Et soudain, il laissa tomber ses mains, relâchant la feuille qui tomba par terre, et s’adossa à l’arbre.
└ Cissus ? ┐ fit Öta en s’approchant de lui. └ Cissus, que se passe-t-il ? ┐
La tête baissée, Cissus ferma les yeux. Des larmes coulaient le long de ses joues. Il les essuya et prit quelques secondes avant de répondre d’une voix rauque :
└ Hedera… haha… Certaines choses ne changent pas. ┐ rit-il tristement. └ Elle m’a toujours présenté comme son serviteur pour justifier mes actes. Mais c’est un mensonge.
– Quoi ?
– Cet esprit n’a jamais été mon maître. C’est mon compagnon. ┐
Partie 2 - La légende de Nemus
Jadis, le monde fut façonné par les mains des trois Grands Divins.
Magie, Âme et Matière.
Pourtant ces trois entités éternelles ne s’entendaient guère. Leurs désirs modelaient le monde, mais s’opposaient en tout point.
Matière ne partageait pas l’avis des deux autres divins au sujet de l’une de leurs créations : Les hommes.
Contrairement à Magie et d’Âme, qui aimaient et protégeaient les hommes, Matière ne voyait en eux qu’une profonde déception.
À ses yeux, ces créatures étaient un chancre pour le monde qu’ils avaient construit. Elles n’étaient qu’une erreur, vilaine et imparfaite.
Alors Matière s’était détourné d’eux, refusant de leur octroyer sa bénédiction.
Mais la nature était sa plus belle création. Et si les hommes étaient incapables de l’honorer à sa juste valeur, rien n’empêchait d’autres créatures plus pures et parfaites de le faire.
Ainsi naquirent les Esprits de Matière.
Des êtres uniques, les seuls que Matière n’avait pas façonnés avec Magie et Âme.
Ses enfants.
Il leur offrit un territoire unique, bien loin de celui des hommes. Un immense souterrain où tous les esprits pourraient vivre paisiblement.
Ainsi naquit le Creux.
Un jour, alors que Matière sculptait ces terres, une chouette se posa sur lui. Une toute petite chouette qui avait cédé à la curiosité. Quelle drôle de chose fabriquait le Créateur ?
« Bonjour, petite merveille. Vois-tu ces terres ? Mes enfants y vivront prochainement. » fit fièrement Matière en la prenant délicatement au creux de ses mains.
La petite chouette hulula joyeusement.
« Oh. Si tu peux m’aider ? C’est honorable, mais il n’y a rien qu’une simple petite chouette puisse faire. »
La petite chouette claqua du bec.
« Aha. Soit. Je ne suis pas Âme, je ne saurais en créer une à mes enfants. Je compte donc leur offrir l’essence de ce monde à la place. Ainsi, chacun de mes enfants sera aussi unique que la nature l’est. Mais s’ils disparaissent un jour, leur essence ne doit pas tomber entre de mauvaises mains. Petite chouette, accepterais-tu d’en être la gardienne ? Je te refaçonnerais à mon image pour que tu puisses veiller sur eux pour l’éternité. »
La petite chouette gonfla solennellement ses plumes.
« Dans ce cas, je sais déjà quelle essence je vais t’offrir. Ton nom sera Nemus, le bois sacré. »

Enfant, entends mes paroles.
Je suis le fil qui guide ton destin
Dans l’obscurité de ces bois
Je suis le lien qui te rattache au monde
Car de la vie au trépas
Je suis de ta naissance, l’écho.
Et le silence de ton repos.
Durant de nombreux siècles, Nemus s’acquitta de sa tâche. Gardienne d’un immense bois secret et sacré, la chouette n’était plus.
À chaque nouvelle naissance, chaque fois que Matière façonnait un nouveau petit être, Nemus gravait son nom sur des disques de bois accrochés aux branches qui abritaient son domaine.
« Bienvenue en ce monde. Grâce à ce neved, nous t’accueillerons dans ce foyer lorsque tu ne seras plus. »
Nemus répétait ces mots inlassablement. Chaque fois qu’une essence lui revenait, son symbole brillait alors d’une douce lumière.
C’était une existence de solitude. Les esprits qui rejoignaient ces bois étaient silencieux, plongés dans un repos éternel. Mais cette existence était celle que Nemus avait choisie.
Il n’y avait pas plus grand honneur au monde pour celle qui n’était autrefois qu’une simple petite chouette curieuse.
« Bienvenue en ce monde. »

L’existence de Nemus n’était pas toujours que solitude et silence. Il y avait un autre esprit. Un visiteur, qui venait parfois lui rendre ses hommages et prier au repos des esprits.
Feuille.
Le seul nom autre que le sien que Nemus n’avait jamais gravé, puisque Matière en personne l’avait fait.
Premier de ses pairs, enfant chéri du Créateur, cet esprit était le plus puissant. Sa compréhension du monde, et sa sensibilité étaient bien au-delà de celle des autres esprits.
Feuille.
Son essence était si simple, si ordinaire… et pourtant, si authentique. Elle était ce qui reliait tous les esprits de matière entre eux.
Le symbole même de leur unité.
Le symbole favori de Matière.
Feuille.
Nemus attendait chacune de ses visites avec impatience.
Les siècles en son absence étaient terriblement longs, et ceux en sa présence bien trop courts. L’esprit était bavard et lui racontait chacune de ses aventures avec passion.
« Je sais que tu aimes ton bois sacré. Mais ne t’ennuies-tu jamais ? N’as-tu pas envie de voyager et d’explorer le monde avec moi ?
– Je ne peux pas. Mon rôle est ici, petit-esprit. Je dois garder ces bois. Et moi, je ne peux pas me cacher des hommes derrière des feuilles.
– Tu pourrais te cacher derrière des arbres. Dis oui ! J’aimerais tant que tu viennes et que tu rencontres notre peuple. Ils connaissent tous ton nom, tu le sais ? Ils se souviennent tous du son de ta voix leur souhaitant la bienvenue. »
Une douce chaleur se répandit dans le corps de Nemus.
Ils l’entendaient.
« Un jour, peut-être. Si un jour Matière me l’accorde, je viendrais avec toi.
– C’est une promesse ?
– C’est une promesse. »

Bien des siècles plus tard, Feuille rendit de nouveau visite à Nemus. Mais l’esprit avait changé. Il n’était plus le même.
Son visage avait perdu toute joie. Ses feuilles s’étaient assombries, noircies par le temps.
Et jamais auparavant, il n’avait eu ce regard. Un regard sombre et dévasté.
« Nemus. Notre peuple se meurt. Ne vois-tu pas toutes les essences qui viennent à toi ? Ne sens-tu pas qu’ils te viennent dans la douleur, sans le repos qu’il leur était promis ? »
Ce jour-là, pour la première fois, Nemus eut beau appeler Matière, l’Entité ne lui répondit pas. Ce jour-là, pour la première fois, Nemus douta.
Feuille avait raison.
Pourquoi les esprits qui revenaient vers lui étaient de plus en plus nombreux ? Tous les symboles qui brillaient dans le bois sacré ne rassuraient plus Nemus. Ils ne l’apaisaient plus. Ils l’inquiétaient.
« Si tu sortais de tes bois, tu comprendrais. » répétait Feuille. « Les hommes empiètent sur nos terres avec leurs villages. Ils appauvrissent et affament la nature.
– Feuille…
– S’ils continuent ainsi, il n’y aura bientôt plus d’esprits de Matière. Le Creux est en danger. Notre peuple est danger. J’ai peur de la faim qui nous ronge, Nemus. J’ai peur. »

Après cela, tout changea pour Nemus. Feuille était reparti, mais avait planté les graines du doute dans le cœur du gardien. Quelque chose n’allait pas. Il lui était maintenant impossible d’ignorer ce qu’il se passait.
Nemus commença alors à ressentir une angoisse profonde et terrifiante. Les esprits de Matière se mourraient-ils ?
Et ses inquiétudes se cristallisèrent lorsque Nemus ressentit une nouvelle présence sur son territoire. Ses terres pures, qui n’accueillaient qu’animaux et esprits dans une parfaite harmonie, furent alors foulées pour la première fois par les hommes.
Leur présence sur les terres de Matière ne signifiait qu’une chose : les essences étaient en danger.
La corruption des hommes s’approchait. Ce dont quoi Nemus protégeait ces lieux était maintenant à sa porte.
L’esprit n’était qu’une simple chouette.
L’idée même de s’attaquer aux hommes la terrifiait.
Mais Nemus avait un devoir.
Alors pour la première fois depuis l’orée du monde, Nemus quitta ses bois. Nemus descendit le chemin qui menait à son domaine et trouva les hommes.
Ils étaient nombreux. Ils construisaient un village.
En voyant la grande créature surgir des ombres, ils crièrent. Et leurs hurlements terrifièrent le Gardien, qui battit aussitôt en retraite.
De retour dans son domaine, la peur au ventre, Nemus se recroquevilla. Les hommes étaient trop nombreux. S’ils avaient atteint le fond du Creux, il était déjà trop tard.
Les attaquer serait vain. Et Nemus ne pourrait le faire sans risquer d’abandonner les essences qu’il avait juré de protéger.
Alors l’esprit comprit qu’il n’y avait qu’une solution : il devait sceller la porte qui menait à son domaine. Nemus devait sceller le bois sacré.

Dès ce jour, Nemus scella la porte du bois sacré. L’esprit gardien s’y enferma de nombreux siècles durant. Mais ce dernier eut se beau cacher des hommes, il ne put s’en protéger. Enfermé dans son sanctuaire, Nemus sentait toujours leur présence croître sur son territoire.
Car tout comme chaque esprit était né de l’essence d’une chose, Nemus était né de l’essence du sanctuaire. Nemus était le sanctuaire. Ces terres étaient une extension de lui. Chaque vie en ces lieux lui appartenait. Le sang de chaque être retournant à la terre le nourrissait.
Mais les hommes étaient de trop.
Ils brisaient les cycles mis en place par la nature.
Il sentait leur existence s’insinuer en lui, dans sa terre. Leur influence néfaste corrompait progressivement la nature alentour. Corrompait Nemus.
Car peu importe que le bois sacré ait été scellé. Le mal était déjà fait. En se montrant aux hommes, rien qu’une fois, il avait attisé leur curiosité.
Quelle était cette immense créature tapie dans les bois ?
Où menait cette mystérieuse grande porte arborant des symboles antiques ? Était-ce un dieu qui y sommeillait ?
Était-ce là son domaine ?
Ces questions devinrent au fil du temps des certitudes.
La rumeur se propagea de village en village, de génération en génération, de siècle en siècle. Des légendes naissaient au fil du temps.
Des offrandes étaient déposées à la porte. Ils priaient et suppliaient ce Dieu de les protéger, de leur apporter force et abondance.
Ils suppliaient chaque jour Nemus.
Chaque bonne chose qui leur arrivait était l’œuvre du dieu.
Chaque mauvaise chose était la preuve de sa colère.
Et pendant tout ce temps, Nemus recroquevillé de l’autre côté de sa porte n’en avait que faire.
Il n’avait qu’un souhait : que tout cela cesse. Il avait faim. Une faim profonde, sombre et dévorante. Une faim qui le rongeait de l’intérieur. Qui le changeait.
Jusqu’au jour où Nemus cessa de combattre la faim.

Nemus commença alors à se nourrir des hommes. Lorsque leur sang retournait à la terre, l’esprit le laissait couler en lui.
Il le laissait s’insinuer dans son être comme il l’avait toujours fait avec la sève de chaque vie présente sur son territoire. Céder à ses pulsions fut un soulagement.
Une libération.
C’était comme si la cage étroite dans laquelle la petite chouette était enfermée venait de s’ouvrir. C’était comme si elle pouvait de nouveau déployer ses ailes et sentir le vent sur ses plumes.
Sentir ses pensées s’éclaircir et la peur s’envoler.
C’était bon.
Mais il se rendit vite compte que ce n’était pas suffisant. Les hommes étaient nombreux, mais ils mourraient bien trop lentement. Et Nemus avait faim.
Alors l’esprit sortit de son bois sacré. Il se terra dans l’ombre. Et caché dans la forêt, il dévora tous ceux qui s’éloignaient du village. La terreur et le sang se répandirent dans le Creux.
C’était délicieux.
Mais ce n’était toujours pas suffisant. Il avait besoin de plus. Beaucoup plus. Chaque fois que sa faim était comblée, elle revenait plus forte encore. Intarissable.
Cependant un jour, alors qu’il errait dans les bois, une voix s’éleva dans son dos.
« Nemus ? »
Feuille était de retour. Mais Feuille avait encore changé. Son innocence était définitivement perdue. Les siècles de souffrance l’avaient endurci.
Il n’était plus ce minuscule esprit qui se cachait dans sa capuche les jours de pluie.
« Feuille ?
– Oui. Je suis là. » fit Feuille en posant la main sur son visage. « Est-ce la faim qui t’a fait ça ?
– Et toi ? Que t’est-il arrivé Feuille ? Tu ressembles aux… tu ressembles aux… »
…aux hommes.
Mais ces mots restèrent bloqués dans sa gorge.
Feuille recula d’un pas.
« Nemus. Quand as-tu vu ton reflet pour la dernière fois ? »
En murmurant ces mots, Feuille toucha le visage de Nemus. L’esprit prit doucement quelque chose sur sa joue et le lui tendit. Il s’agissait d’un morceau de son visage. Un minuscule morceau. Le reste d’un masque brisé.

Il n’y avait pas de réponse à cette question, car l’esprit réalisa à cet instant qu’il n’avait jamais vu sa propre image. Jusqu’au bord d’un lac, Nemus se laissa guider par Feuille.
L’eau claire brillait d’un doux éclat. Elle reflétait la beauté et la pureté des bois autour d’eux.
« Regarde. »
En se penchant au-dessus de l’eau, une créature apparue. Une créature cornue, à la peau terreuse et aux yeux caverneux. Nemus recula d’un pas. Terrifié.
Pourquoi ?
Pourquoi son reflet était-il ainsi ?
La chouette n’avait-elle pas abandonné ses plumes, son bec et ses serres pour être à l’image de Matière ? Alors pourquoi l’image qui se reflétait dans l’eau était si semblable à celle des hommes ?
Pourquoi ?
« Je suis un monstre.
– Non. Nemus, tu es magnifique. »
Feuille lui prit la main et doucement, guida de nouveau le gardien vers son reflet.
« Tu n’es pas un monstre. Nous ne sommes pas des monstres.
– Mais nous ressemblons tant aux hommes…
– Et alors ? Les hommes n’ont jamais mérité cette image. Ils se sont montrés indignes du cadeau que les divins leur ont fait. Nous la méritons bien plus. Lorsque nous nous nourrissons d’eux, nous récupérons ce qui nous revient de droit. Car nous sommes tout ce qu’ils ne seront jamais. »
Nemus ferma les yeux. Alors, Feuille aussi avait cédé à la faim ? La petite feuille qui en avait autrefois si peur s’était laissée dominer elle aussi ? Était-ce la raison pour laquelle l’esprit avait tant changé ?
La main de Feuille était froide, et pourtant elle parvenait à réchauffer le gardien. Le réconforter.
« Nemus. Pardonne-moi. J’ai toujours cru que tes origines faisaient de toi un être différent de nous. Je ne pensais pas que tu souffrirais et changerais également. Je ne pensais que les hommes parviendraient à t’atteindre. »
Les yeux de Feuille brillaient.
« Mais je suis là maintenant. Cette vermine qui grouille sur ton domaine ne sera plus jamais un problème. Je t’en fais le serment. Je vais t’offrir tant de sang que plus jamais la faim ne t’atteindra.
- Comment ? »
Un sourire étira alors les lèvres de Feuille. Un sourire carnassier.

Feuille tint sa promesse.
Durant ses voyages, l’esprit avait appris. L’esprit avait grandi. À force de les observer, les hommes n’avaient plus de secrets pour lui.
« Offre-leur un peu de pouvoir et ils accepteront tout. Y compris de mourir pour toi. Mais pourquoi les tuer lorsque l’on peut faire bien mieux que cela ? Pourquoi les tuer, lorsque l’on peut les utiliser ? »
Feuille descendit dans le village.
L’esprit ne se cacha pas des hommes.
Il se présenta à eux tel un ami.
« Cette créature vient du bois des ombres ? »
« C'est le dieu de ces bois qui nous l'envoie ! »
« Nous devons l'écouter, ou le dieu nous punira. »
« Si nous l'offensons, il nous enverra de nouveau le monstre. Celui qui dévore nos enfants. »
Feuille leur montra sa magie, fit étalage de sa puissance et de ses dons, afin d’attiser la cupidité des hommes. Les esprits pouvaient maîtriser la nature comme nul autre, leur puissance était inégalable. Et Feuille s’était engagé dans cette voie plus profondément que n’importe quel esprit.
Sa magie était plus forte.
Plus sauvage.
Plus appétissante.
Et sans surprise, leur souverain fut séduit.
Il désirait ce pouvoir.
Il le voulait.
Feuille lui proposa alors un pacte.
« Vous et vos plus fidèles guerriers pourriez acquérir des pouvoirs incommensurables. » s’exclama-t-il dans la langue des hommes, cachant son dégoût par un air malicieux. « Tel un esprit, vous ne ferez plus qu’un avec la nature. Vous serez enfin digne de servir. Vous serez capable de détruire un village en une seule nuit. Si vous nous prêtez allégeance, je vous en fais la promesse : ces pouvoirs seront vôtres. »

Du bois ancien, dieux tapis dans l’ombre
Entendez nos prières, nos supplications
Épargnez nos âmes de votre hécatombe.
Et tous à vous, pour l’éternité, nous serons.
La tribu qui vivait près du domaine de Nemus fut autrefois opprimée puis chassée de leurs terres par une autre tribu. Forcée de fuir au plus profond du monde pour survivre.
Ces pouvoirs que leur proposait l’esprit des bois… Était-ce là une chance d’obtenir vengeance ? eur dieu avait-il enfin entendu leurs prières ?
Le piège de Feuille se referma sur eux.
Lorsque le pacte fut scellé, définitif et éternel, Feuille offrit à cet homme ce qu’il lui avait promis. Mais ce n’était pas ce qu’ils avaient imaginé.
Les corps des hommes changèrent. Leur peau devint écorce, leur chair devint terre, leur sang devint sève. Des êtres primitifs aux ordres de Feuille.
Ils avaient maintenant la force de renverser le monde, mais ils étaient contraints à servir.
Ayant perdu tout ce qui faisait d’eux des hommes, ils n’avaient plus conscience de ce qu’ils étaient autrefois. Le village qu’ils rasèrent n’était pas celui qu’ils avaient cru.
Mais Feuille avait tenu sa promesse.
La tribu disparue en une nuit, anéantie par ceux qui jusqu’alors la protégeaient. Le sang se répandit dans la terre, offrant un divin banquet aux esprits.
Et ce fut ainsi que ceux qui étaient autrefois des hommes devinrent esclaves, ayant comme seul but de protéger le Creux pour l’éternité.

Feuille avait tenu sa promesse. Les terres de Nemus étaient désormais tapissées de carmin. Le festin avait rassasié le gardien. Ses pensées n’avaient jamais été aussi claires.
Mais comment ?
Comment était-ce possible ?
« Feuille. Plus je te regarde, plus je vois Matière en toi. » fit Nemus d’une voix tremblante d’émotion. « Je pensais que n’entendait plus sa voix. Mais j’avais tort. Ce que tu as fait… Je comprends maintenant. Matière est en toi. Tu es sa voix. »
Durant un instant, un bref instant, l’étonnement éclaira le visage de Feuille. Il fut suivi d’un doux sourire. Brièvement, l’esprit avait retrouvé l’éclat qui illuminait ses yeux autrefois.
« Tu te trompes. Matière n’est pas en moi, Matière est en nous. Nous sommes ses enfants. Nous sommes l’incarnation de son être. Nous sommes l’incarnation de ses rêves et de ses aspirations.
– Feuille. Si Matière m’a offert son corps… c’est de son cœur que tu as hérité. »
Les deux esprits échangèrent un regard. À cet instant, ils comprirent enfin pourquoi ils avaient tant recherché la présence l’un de l’autre. Pourquoi ils ne se sentaient complets qu’en présence de l’autre.
Pourquoi Nemus attendait toujours le retour de Feuille.
Et pourquoi Feuille revenait toujours auprès de Nemus.
Qu’était une forêt sans un feuillage pour l’enlacer ?
Ce jour-là, ils échangèrent leur premier baiser.
C’était une promesse.
Celle de s’aimer pour l’éternité.
« Nemus. » fit Feuille en posant son front contre le sien. « Purifier tes terres n’était qu’un début. Il est temps que les hommes apprennent à nous craindre. Il est temps qu’ils apprennent à nous servir. »
En prononçant ces mots, Feuille trembla et perdit l’équilibre. Le contrecoup de la magie se faisait ressentir. Nemus le rattrapa aussitôt.
« Pardonne-moi ma faiblesse. Je ne maîtrise pas encore parfaitement cette magie.
– D’où te vient-elle ?
– Je l’ai dérobée à celles qui en faisaient mauvais usage. »
Nemus sera feuille contre lui.
Corps contre cœur.
« Qui ?
– Les Dames. »

Filles du Soleil et de la Terre,
Entendez nos prières.
Protectrices de nos foyers et de nos champs,
Gardiennes de la fertilité et de l’abondance,
Protégez de votre étreinte nos terres et nos espoirs
Pour qu’en tout temps, le pacte qui nous lie perdure.
Durant ses nombreux siècles de voyage, Feuille avait rencontré toute sorte d’esprits. Des esprits qui n’étaient pas toujours nés de la main de Matière. Des esprits bien différents d’eux.
« Tout cela me vient de nos sœurs. Esprits nés de Matière et de Magie, elles se font nommer les Dames. Belles et douces comme les rayons du soleil, elles vivent hors du Creux et protègent les lieux où la magie est la plus présente dans notre monde. Mais ces esprits sont bien différents de nous. Elles n’ont pas hérité de la vision de Matière au sujet des hommes.
Ces idiotes ont renié leurs origines. Comme Magie, elles sont fascinées par eux. Elles laissent vivre les hommes auprès d’elles et offrent à certains d’entre eux l’honneur de les servir, sans les asservir.
J’ai de nombreuses fois vu les Dames passer des pactes avec des hommes. De rares élus qui ont le devoir de protéger leurs terres en échange de leur magie.
Mais j’ai réussi à rouvrir les yeux de trois d’entre elles, trois Dames qui n’avaient pas renié Matière.
Elles ont vu ce que la présence des hommes nous a fait. Elles ont ressenti de la compassion pour nous et de la colère contre les hommes.
Elles ont accepté d’offrir refuge à nos pairs dans leurs domaines les plus sacrés, les bois des Dames, là où la foi des hommes leur interdit de poser le pied.
Ils s’y reposent en paix en attendant le jour où ils ne seront plus en danger.
La magie que j’ai dérobée est celle de leurs sœurs, celles qui refusent d’ouvrir les yeux. Celles qui font un mauvais usage de leurs dons, protégeant toujours les hommes, peu importe les saisons.
Mais nous ne sommes plus deux petites essences solitaires, Nemus. Nous ne sommes plus seules. Les enfants de Matière peuvent aujourd’hui s’unir et reprendre leurs terres. »
Nemus ferma les yeux en écoutant l’histoire de Feuille.
Lorsque le gardien les rouvrit, ils brillaient de détermination.

Assis contre un arbre, paisiblement posé dans son jardin, Cissus contait son histoire. À chacun de ses mots, la nature se mouvait au creux de ses mains pour illustrer ses paroles dans des petites œuvres d’art éphémères.
└ Et vous avez réussi, n’est-ce pas ? Vous avez réussi à reprendre vos terres avec l’aide des Dames. ┐ fit Öta, le souffle court.
Tout comme le jardin, Tyra s’était endormie depuis longtemps. Malgré sa fascination pour ce qui se dessinait devant eux, la fatigue avait finalement eu raison d’elle.
Sa tête reposait sur les genoux d’Öta. Les doigts de ce dernier étaient plongés dans ses cheveux, qu’il peignait doucement.
Au fur et à mesure que Cissus lui contait son histoire, le regard du jeune homme s’était agrandi. Il assemblait enfin les morceaux.
Les légendes incomplètes qu’il avait tant cherché à comprendre prenaient enfin un sens.
C’était terrifiant.
Exaltant.
Mais s’il ne comprenait toujours pas le lien que Feuille entretenait avec sa famille, il n’y prêtait que peu d’attention pour l’instant. Savoir les véritables origines du Nord était un trésor inestimable à ses yeux.
Cissus hocha la tête, les lèvres pincées. Ses yeux brillaient. Il hésitait à continuer. Mais il avait déjà tant parlé qu’il était difficile maintenant de s’arrêter.
Voilà longtemps qu’il n’avait pas évoqué cette histoire. Il réalisait que le tabou dessus lui pesait bien plus qu’il ne l’avait estimé.
└ Oui. C’est ainsi que j’ai régné avec Feuille durant tant de siècles qu’il est impossible de les compter. Nous avons lié nos magies et sommes allés bien plus loin que n’importe quel esprit. ┐ fit Cissus.
Un doux sourire se peignit sur son visage, comme s’il évoquait un souvenir tendre et heureux.
└ Je comprends mieux maintenant. ┐ souffla Öta.
Malgré toute l’horreur de ces légendes, la piété se mélangeait à la peur qui brillait dans ses yeux.
└ Tu es si calme. ┐ répondit Cissus avec hésitation. └ Tu n’as pas peur de moi ?
– Moi ? Calme ? ┐
Öta lui tendit la main, montrant les tremblements qui l’agitaient.
└ Je suis sous le choc. Je n’arrive pas à y croire. Je suis là, assis au fond du monde dans un jardin à discuter avec un Ogre. C’est tellement surréaliste que je ne suis même pas sûr de vraiment être réveillé. ┐
Cissus grimaça.
└ Un Ogre ? Voilà longtemps que je n’avais pas entendu ce mot.
– Mais c’est ce que tu es, n’est-ce pas ? C’est ça que tu essayes de me dire avec cette histoire. Le royaume était autrefois gouverné par les ogres, une race supérieure qui asservissait les hommes. Les ogres sont des esprits de matière. Feuille et toi, vous étiez les premiers. ┐
Le regard que lui lança Cissus était indéchiffrable. Il resta silencieux quelques secondes avant de répondre.
└ Oui. ┐

Lorsque Tyra se réveilla, était seule dans l’herbe. Öta et Cissus avaient disparu. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir d’où elle se trouvait et des derniers événements.
Son cœur manqua un battement.
Elle se redressa aussitôt, soudain parfaitement éveillée, et observa autour d’elle avec angoisse à la recherche d’Öta. Le jardin était plongé dans l’obscurité de la nuit, mais elle aperçut une lumière à côté. Öta était accroupi non loin.
Une petite lampe éclairée par une bougie était à ses pieds.
Sans bouger, il scrutait les parterres de fleurs avec insistance. Tyra s’approcha de lui avec prudence, non sans garder un œil sur l’environnement qui les entourait.
« Öta ?
– Oh. Tu es réveillée ? » fit-il en sortant de ses pensées.
Il s’essuya les yeux et ajouta :
« Tu dormais si bien que j’ai préféré te laisser te reposer un peu.
– Merci. Mais où est Cissus ? »
Elle regardait autour d’elle à la recherche du propriétaire du jardin, mais il n’y avait aucune trace de sa présence.
« Il est parti pour me laisser de l’espace. J’avais besoin d’être un peu seul. Et je crois que lui aussi, en avait besoin. Remuer le passé n’est pas toujours ce qu’il y a de plus agréable.
– Quoi ? C’est à cause de ce qu’il t’a raconté ? Tu sais qui était ton ancêtre maintenant ? »
Tyra posa cette question avec avidité. Elle mourrait d’envie d’enfin connaître les réponses à leurs interrogations.
Mais Öta ne semblait pas heureux ou soulagé. Il semblait loin, très loin. Son regard était sombre. Qu’avait pu dire Cissus pour le troubler autant ?
« Oui. » fit Öta en baissant les yeux.

Tyra attendit la suite, mais elle ne vint pas. Öta resta silencieux. Elle se mordit la lèvre.
« Tu ne veux pas en parler ?
– Peut-être plus tard. J’ai besoin de mettre de l’ordre dans mes pensées. Et dans mes croyances. » répondit-il en frissonnant, avant d’ajouter plus fort : « Mais Cissus m’a proposé de m’aider. Il sait quoi faire.
– Vraiment ? C’est une excellente nouvelle, ça ! » s’exclama Tyra. « Ça veut dire qu’il va te purifier ? Il va te soigner et retirer ce qui te fait du mal ? »
Öta secoua la tête.
« Non. C’est une partie de moi. Je ne peux pas m’en séparer.
– Merde.
– Cette magie héritée d’un esprit nous fait du mal parce qu’on ne la cultive pas. Elle se nourrit de nous et nous tue progressivement parce qu’on ne l’écoute pas. Elle a faim. »
Ses yeux brillaient.
Détermination et crainte se mélangeaient.
« Mais plutôt que de la laisser se nourrir de moi et de me consumer, je peux apprendre à me nourrir d’elle. Au lieu de la combattre, je peux choisir de la faire réellement mienne, comme le ferait un esprit. C’est ça que Cissus souhaite m’enseigner. »
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