- 43 - A la recherche de Cissus
- bleuts
- 7 oct. 2024
- 46 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 déc. 2024
Partie 1 - Trouver une piste
Durant les deux jours suivants, Tyra n’avait presque pas vu Öta.
Après leur étrange rencontre avec Hedera et toutes les révélations qui avaient eu lieu, le jeune homme avait laissé son amie en lui expliquant qu’il avait juste besoin d’être un peu seul pour tout digérer.
Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Comment le pourrait-elle ? À sa place, elle n’était pas sûre de mieux prendre de telles annonces.
Öta attendait avec impatience de pouvoir suivre le conseil de Hedera. Parler à Cissus pourrait peut-être lui permettre de se soulager de ce fardeau. Mais ce dernier étant absent, il devait de résoudre à attendre qu’il daigne réapparaitre.
Et pendant ce temps, Öta ne se sentait pas d’humeur à faire connaissance avec les amis de Tyra, de parfaits inconnus pour lui, et à faire comme si de rien n’était.
Tyra qui comprenait bien tout ça, n’insista pas.
Alors, en attendant qu’il se sente un peu mieux, elle avait visité le village avec Mylen et elle avait pris un peu de temps pour discuter avec David. Se faufiler dans sa cellule n’était pas bien compliqué.
Elle s’était abstenue de lui parler de ce qui troublait Öta, estimant que ce n’était pas son rôle, et avait plutôt choisi de lui raconter son séjour à Morthebois.
Mais à défaut de lui raconter les véritables motivations derrière son voyage, elle souhaitait lui partager quelques souvenirs mémorables.
« Je n’arrive pas à croire que tu y sois allée sans moi. » grommela David en croisant les bras. « C’était à moi de te faire visiter !
– Parce que tu comptais m’y emmener ?
– Absolument pas. Plus je suis loin de Morthebois, mieux je me porte. Cette région me porte la poisse. »
Tyra haussa un sourcil en répliquant :
« Tu te rends compte que ce que tu dis n’a aucun sens ? Comment tu veux me faire visiter sans m’y emmener ?
– Tu m’emmerdes, tu sais ? »
Tyra adorait David. Il lui avait manqué. Son petit air bougon et sa manière de croiser les bras en boudant étaient des trésors à ses yeux. Elle s’était attachée à lui au fil du temps et ne s’imaginait plus la vie sans lui. Il était son petit soleil ronchon.
« Tyra ? Ça va ?
– Ah, pardon. J’étais plongée dans mes pensées.
– Tu pensais à quoi ?
– A toi. Je me disais juste que j’ai de la chance de t’avoir comme meilleur ami.
– Oh…
– J’veux pas dire, mais sans toi ma vie serait bien chiante. Et j’ai quand même traversé les souterrains pour tes beaux yeux ! Enfin, ton bel œil. Je suis désolée, mais l’autre c’est plus trop ça haha. »
La rougeur qui avait commencé à apparaitre sur les joues de David, touché par les mots de Tyra, disparue aussitôt.
« On t’a déjà dit que tu as le même humour foireux que ton cousin ?
– Oui, souvent. Pourquoi ?
– À ton avis ? »
Tyra éclata de rire. Elle se pencha légèrement en arrière, s’étirant en souriant.
« Alors ? Tu veux savoir quoi ? J’suis sûre que t’es un peu curieux. »
David hésita, avant de demander timidement :
« Tu… tu as vu ma vieille chambre ? Elle est toujours là ?
– Non. » répondit Tyra. « Elle était où ?
– Dans la cour, près des cuisines. »
David se mordit la lèvre avant de continuer :
« Le matin, j’étais réveillé par la bonne odeur du pain. Parfois, je récupérais même les restes en douce et je les cachais sous mon lit en attendant de pouvoir les manger.
– Récupérais ? Ou volais ? » fit Tyra, tandis que David haussait les épaules avec amusement. « Ooh ? Tu étais un petit filou en fait. Tu cachais bien ton jeu.
– Qui sait ? »

Quelques minutes plus tard, David sursauta lorsqu’une goutte lui tomba dessus. Ce soir-là, la cellule était particulièrement humide. C’était bien sa veine ! Il avait hâte de sortir de là. Heureusement qu’il n’en avait plus pour bien longtemps.
Il s’essuya et demanda à Tyra :
« Donc, tu n’as pas vu ma chambre. Mais tu as vu celle d’Öta ?
– C’est une question piège ? Tu veux savoir ce qu’on a fait dedans ? Parce que je te donnerais pas les détails si facilement. »
David rougit aussitôt en grimaçant.
« Erk, non. Je voulais savoir si elle a beaucoup changé. C’est moi qui la rangeais tout le temps. Elle était en bordel, non ? Je suis sûre qu’il n’a pas su en prendre soin. Il n’arrive déjà pas à prendre soin de lui-même.
– Non, c’était rangé. » fit Tyra en haussant un sourcil, amusée par la question de David.
Était-il vraiment puéril à ce point ?
« Zut. » pesta David.
Ah, oui. Effectivement.
« Mais à mon avis, c’est parce que d’autres veillent au grain. » expliqua-t-elle. « Et puis, il habite plus trop là. Il voyage beaucoup. Sa chambre était franchement décevante, c’était vide.
– Comment ça, vide ?
– Bah, y’avait rien d’intéressant. Juste son lit et quelques meubles. De la qualité, évidemment, mais aussi impersonnel qu’une chambre d’amis.
– Et ses jouets ? Ses vêtements ? » s’étonna David. « Toutes ses robes ? Ses accessoires ? Ses bijoux ? Ça remplissait tout l’espace, il y’en avait partout. Il a toujours refusé que ce soit dans une autre pièce que sa chambre parce qu’il voulait les garder auprès de lui.
– Wouah, vraiment ? J’ai vu aucune robe, moi. »
David fut surpris. Il n’arrivait pas à imaginer la chambre d’Öta sans tout ça. Il avait accumulé une quantité phénoménale de tenues au fil des années et y tenait plus que tout au monde.
« Après, je me souviens que Elliot m’a raconté qu’Öta avait vendu quelques vêtements pour aider des gens.
– Hein ?
– Ouais. Il m’a raconté comment le coffre qu’il lui a fait livrer était lourd. Je pense pas qu’il ait tout vendu, mais c’est peut-être pour ça que tout a bougé. Peut-être que le reste est rangé ailleurs depuis. Elliot aime bien quand tout est ordonné.
– Attends… Öta a fait QUOI ? »

David secoua la tête.
Il n’arrivait simplement pas à imaginer une chose pareille. Il était juste impossible qu’il existe un monde où Öta, le garçon le plus matérialiste et coquet qu’il connaisse, revende ses robes pour quelque obscure raison que ce soit.
« Non non et non. Je refuse d’y croire ! Tu as du mal comprendre, c’est tout. Et d’abord, pourquoi vendrait-il ses affaires alors qu’il est riche ? » siffla David. « L’argent n’a jamais été un problème pour lui.
– Bah j’sais pas. T’auras qu’a lui demander toi-même. Mais sans crier, hein. »
Tyra gloussa devant le regard offusqué de son ami. Elle avait beau avoir convaincu Öta de laisser un peu de temps à David avant de tenter quoi que ce soit, elle ne pouvait pas résister à l’idée de titiller un peu.
Maintenant que David ne pleurait plus, elle se sentait moins coupable de l’embêter. C’était bien trop amusant.
« Humpf.
– N’empêche que Elliot a été assez clair quand il m’a raconté tout ça. Et il n’est pas du genre à mentir ou exagérer.
– Elliot ? Tu as rencontré Elliot ?
– Bah oui. Je te l’ai dit.
– Bon sang. Je crois que le choc m’a fait occulter ça. » grimaça David. « Comment va-t-il ? »
Le visage de David était passé d’une moue grincheuse à un regard brillant empli de curiosité. Il ne faisait aucun doute qu’il adorait Elliot.
« Il va plutôt bien. Il est gentil, je l’aime bien.
– Il est adorable. Tu sais qu’il m’avait fabriqué un petit balai à ma taille quand j’étais enfant ? Pour que je puisse balayer plus facilement. Il me donnait souvent des conseils pour savoir comment utiliser les outils pour bien faire mon travail. »
Tyra pinça les lèvres pour se retenir de faire une remarque. David ne le remarqua pas et continua :
« Il était comme un grand frère pour moi. J’ai toujours voulu lui ressembler, mais je n’ai jamais réussi.
– Bah à défaut de lui ressembler à l’identique, tu partages pas mal de points communs avec lui. » sourit Tyra.
David lui lança un regard surpris.
« Ah bon ?
– Bah, déjà, la passion obsessionnelle pour le rangement ?
– Je ne suis pas obsédé par le rangement ! » s’offusqua David. « J’aime juste vivre dans un environnement propre. Et faire le ménage, ça me détend.
– Oui, bien sûr. »
Tyra repensait au nombre de fois où David s’était plaint de son compagnon, râlant au sujet du bazar qu’il répandait chez eux. Soit disant qu’il était inadmissible que Ayel laisse trainer des choses par terre.
Tyra repensait aussi au nombre de fois où David s’était faufilé dans sa hutte pour ranger ses affaires à sa place. Elle ne comptait même plus ses intrusions chez elle.
Mais non. Ce n’était pas une obsession.
« Ensuite, Elliot et toi vous aimez les hommes. C’est aussi un point commun !
– Ah ? Comment tu sais ça ? »
Tyra se pencha en avant avec le sourire d’une personne satisfaite de pouvoir révéler un secret, et souffla :
« Tu vois Aubry ?
– Oui ? C’est le capitaine de la garde, je crois ? »
David se souvenait de l’homme. Il l’avait toujours impressionné, si bien que David n’avait jamais osé lui parler.
« Elliot et lui ont eu une relation secrète ensemble ! Elle est terminée, mais quand même ! En plus, je suis certaine qu’ils s’aiment encore. Tu aurais vu comment ils se dévorent du regard… J’aurais voulu rester à Morthebois juste pour pouvoir les pousser à se remettre ensemble.
– J’aurais aimé voir ça. » rit David.
Que Elliot aime les hommes ne l’étonnait pas spécialement. C’était même assez évident à ses yeux. David devait bien avouer que sans sa présence, il n’aurait sans doute pas eu autant de facilité à accepter sa propre attirance pour eux.
Même si sincèrement… Jamais il n’aurait imaginé qu’il puisse avoir partagé la vie de Aubry.
Ils étaient si différents !
« Et le troisième point commun, c’est que vous êtes tous les deux des abarians ! » ajouta Tyra, le coupant dans sa réflexion. « Un peu, au moins. Des demi-abarians ?
– Hein ? »

« Et le troisième point commun, c’est que vous êtes tous les deux des abarians ! Un peu, au moins. Des demi-abarians ?
– Hein ? »
David écarquilla les yeux. Avait-il bien entendu ? Elliot, abarian ? Non. Tyra avait forcément dû se tromper quelque part. Peut-être avait-il mal compris, tout simplement. Oui. C’était forcément ça.
« Elliot ? On parle bien du même homme ? Le plus fidèle serviteur de Morthebois, ce parfait vieux-nordan qui pratique cette culture avec plus de soin que quiconque dans le royaume ?
– Oui, oui.
– Impossible. »
David croisa les bras. Hors de question. Il voulait bien, peut-être, admettre certaines choses que Tyra lui avait partagées. Mais ça ?
« C’est lui-même qui me l’a dit. » insista Tyra. « Mais si ça peut te rassurer, il est vraiment vieux-nordan. Il s’est converti en arrivant à Morthebois.
– Pourtant j’étais persuadé que son village d’origine était vieux-nordan aussi.
– Ah bon ?
– Oui. Je suis sûr de me souvenir de l’avoir déjà entendu me dire que c’était une culture pratiquée dans de nombreux villages Sudans. Ça m’avait étonné, vu tout ce qu’on en dit. Après, est-ce que c’est moi qui en ai déduit tout seul qu’il parlait de son village d’origine ? » murmura David, en partie pour lui-même. « Oui. C’est possible…
– Sudans ? Attends, tu savais que Elliot est sudan ?
– Il l’est plus vraiment. Il est nordan maintenant. » répondit David en haussant les épaules.
Ce fut au tour de Tyra d’ouvrir la bouche de stupeur. Comment ça, David était au courant des origines de Elliot ? ta ne l’avait appris que récemment, lui ! Il en était d’ailleurs encore troublé et s’était confié à elle à ce sujet.
« Ça va Tyra ?
– Non ça va pas ! Comment tu sais d’où vient Elliot ?
– Bah, je lui ai demandé. » répondit simplement David.

Surprise, Tyra secoua la tête en soupirant. Elle qui pensait pouvoir surprendre David avec ses révélations croustillantes se retrouvait prise à son propre jeu.
« Est-ce que Elliot était au moins d’accord pour que tu révèles ses secrets à tout va ? » demanda David, accusateur. « Tu sais que ça pourrait être dangereux pour lui si ça se sait ?
– J’ai confiance en toi. Et ça ne le dérange pas. » répondit Tyra avant d’ajouter d’une voix plus sérieuse :
« À vrai dire, je dois t’avouer un truc.
– Oui ?
– Tu ne le reverras plus. Je suis désolée. Elliot va retourner dans le Sud. »
David cligna des yeux.
« Hein ? Pourquoi ?
– Tu sais, j’ai discuté avec lui. C’est Öta et toi qui lui avez donné envie de rester et vivre dans le Nord. Maintenant que vous volez de vos propres ailes, il a pensé qu’il était temps pour lui de retourner auprès de sa famille.
– Alors il sera plus là ? »
Tyra hocha la tête.
« Et lui envoyer des lettres sera impossible avec la frontière.
– Oh ! Oui, je comprends.
– Tu sais, à Morthebois la raison officielle qui est donnée à tout le monde c’est qu’il part faire des études à RocheGlacée. Mais j’voulais pas que t’apprennes ça de n’importe qui et que t’essaye de lui envoyer des lettres là-bas. Je voudrais pas que tu sois déçu de ne jamais avoir de réponse.
– Oui, c’est logique. Merci, Tyra. »
La jeune femme donna une petite tape amicale sur son bras en souriant. Elle voyait les yeux de David briller. Il était évident que l’idée de ne plus jamais revoir celui qui l’avait élevé était douloureuse.
« Par contre, je vais te demander un service. C’est important.
– Oui ?
– N’en parle pas avec Öta. Il sait que j’avais l’intention de t’en parler, on avait décidé ensemble de te le dire, mais tu sais, il a un peu du mal à se faire à l’idée lui aussi. Il n’a appris que récemment les origines de Elliot et il est très troublé à ce sujet.
– Oh. Ouais, je comprends. Je pense que le départ Elliot n’est vraiment pas le sujet le plus urgent à aborder entre nous. » grimaça David. « Je te remercie de me l’avoir dit, mais de toute façon j’avais déjà compris que je ne le reverrais jamais. Je lui ai déjà fait mes adieux quand j’ai quitté le domaine, je peux tourner la page. »
Tyra opina. David se montrait étonnamment mature, c’est rassurant. Elle ajouta ensuite d’un air plus joyeux.
« Cependant ! Pour en revenir à Aubry. Il s’est montré très curieux avec Öta, il voulait absolument savoir où Elliot partait et quand.
– Oui, et ?
– Imagine s’ils partent ensemble ! Aubry poursuivant Elliot, abandonnant son poste et son pays pour vivre son amour avec lui. Ce serait tellement romantique !
– Je crois que tu lis trop d’histoires. »

Tyra quitta en souriant le bâtiment dans lequel la cellule de David se trouvait. Mais lorsqu’elle fut enfin seule, elle ferma les yeux et inspira profondément.
C’était fait. Ouf.
Elle qui avait l’habitude de garder des secrets et de choisir ses mots, devait bien avouer que cette fois avait été particulièrement difficile.
Se retenir d’évoquer Estelle, la fille de David dont il ignorait l’existence et qui devait partir avec Elliot dans le Sud, n’avait pas été la chose la plus aisée. C’était trop personnel et elle était trop liée à David pour prendre le même recul que celui qu’elle avait dans son travail.
Mais elle avait réussi et se sentait maintenant soulagée d’un poids.
Elle avait discuté avec Öta durant leur voyage, et ils avaient décidé depuis longtemps que Tyra devait aborder le sujet d’Elliot aussi rapidement que possible et sans la présence d’Öta afin d’être sûre d’être en bonnes conditions pour ne pas risquer de se trahir.
Elle préférait que David sache ce qu’il se passait à Morthebois et passe rapidement à autre chose, plutôt que de devoir gérer ses questions plus tard dans une situation où elle n’aurait pas le temps de préparer ses mots.
Dans une situation où Öta n’aurait pas pu préparer ses mots, lui qui était si facile à lire.
Öta aurait bien été capable de laisser passer des informations sans s’en rendre compte, sous le coup de la panique. L’un et l’autre s’en rendaient bien compte. Mais, maintenant que Tyra avait mis certaines choses au clair, tout serait plus simple.
Et en parlant de Öta, après avoir traversé le village, Tyra le trouva près des remparts. C’est là qu’ils se donnaient rendez-vous pour discuter. Le jeune dormait adossé contre l’arbre, un livre ouvert sur les genoux. Ses traits étaient tirés par l’inquiétude et la fatigue.
Silencieusement, Tyra déroba l’objet. Elle s’assit ensuite à côté de lui et commença à feuilleter l’ouvrage.
C’était un beau livre à l’aspect très rudimentaire. Chaque page était en réalité une tranche de bois très fine, et la couverture était faite d’écorce.
Elle toucha cette dernière du bout des doigts, admirative.
« Il est beau hein ?
– Oui. Tu as bien dormi ? »
Öta hocha la tête en s’étirant. Il bâilla avant d’ajouter :
« C’est Hedera qui me l’a prêté. Comme leur écriture est légèrement différente de celle que je connais, ça m’aide à me familiariser. C’est assez compréhensible en réalité, je peux déduire facilement les choses que je ne comprends pas.
– Et il parle de quoi ?
– C’est un conte pour enfants. On ne dirait pas comme ça, mais elle adore les histoires. C’est l’une de ses offrandes favorites.
– Les gens lui offrent des histoires ?
– Oui. Tu sais, chaque Dame à son type d’offrande favorite. »
Tyra opina joyeusement.
« Ah oui ! Comme celle de GemmeNoire, à qui on offrait des connaissances c’est ça ? Et c’est comme ça que son temple est devenu la grande bibliothèque.
– Tu t’en souviens ? »
Öta fixa Tyra avec surprise, mais elle haussa les épaules.
« Bah oui. Je t’écoute quand tu parles, tu sais ? »
Öta ne répondit pas, mais une légère rougeur s’étendit sur ses joues.

Tyra adorait écouter Öta parler des Dames et de leurs légendes. Il y avait quelque chose de captivant dans cette culture, quelque chose qui lui donnait envie de toujours en savoir plus.
Tout y était si logique et mystérieux à la fois.
Elle fit mine de réfléchir et demanda :
« Et les autres Dames ? Quelles sont leurs offrandes préférées ? Allez. Je suis sûre que la Dame des Fleurs aime les Fleurs !
– Oui. » rit Öta. « C’est assez facile à trouver pour elle.
– Et la tienne ? Elle aime quoi ?
– Elle aime le sang.
– Ah oui. Mais dit comme ça, c’est un peu glauque. » fit remarquer Tyra.
Öta se mordit la lèvre en hochant la tête. Elle n’avait pas tout à fait tort. Il ajouta :
« Elle chérit celui donné avec son consentement, pas celui qui est volé de force. Ça a une forte symbolique, en plus de créer un lien unique entre elle et son peuple. »
Tyra hocha la tête. Elle comprenait parfaitement la symbolique derrière. Et dire que, la première fois qu’Öta lui avait dit qu’il avait fait une offrande de sang à son Abonde, elle en avait déduit qu’il était un mage du sang ! Elle s’était bien trompée.
« Toutes ces Dames avec des offrandes si variées. C’est passionnant. J’ai envie de toutes les rencontrer et de connaitre toutes leurs histoires !
– Moi aussi ! Et je t’ai déjà dit que la famille maternelle de David est originaire d’un village qui a aussi sa propre Dame ? Il n’est pas né là-bas et ne se sent pas lié à elle, mais c’était quand même la culture de sa mère.
– Peut-être ? » répondit Tyra, incertaine. « Euh. Je ne sais plus ?
– Ah ! Tu vois que tu n’écoutes pas toujours !
– Gnagnagna. »
Öta éclata de rire et Tyra lui donna un coup dans l’épaule, qui le fit basculer. Il se rattrapa tant bien que mal en grognant.
« Hé !
– Bien fait pour toi. » fit Tyra en tirant la langue. « Et alors, c’est quoi, son offrande préférée à cette Dame ?
– Les enfants.
– Quoi ? »
Tyra grimaça. Encore une réponse glauque. Mais ce n’était pas ce qu’elle imaginait, n’est-ce pas ? Non. Öta ne sourirait pas ainsi si c’était le cas.
« Ahahaha. Elle ne leur fait aucun mal, rassure-toi. » rit Öta.
Il chercha quelques détails dans sa mémoire avant d’expliquer :
« Selon la légende cette Dame a perdu son propre enfant il y a des siècles. Depuis ce triste jour, elle fait tout pour ce drame ne se reproduise plus. On dit que chaque naissance dans le village la comble de bonheur. Les enfants de ce village sont d’ailleurs réputés pour leur grande vitalité.
– Oh. » fit Tyra en posant une main sur son ventre, les yeux brillants.
Öta lui fit un sourire.
« Oui. Je savais qu’elle te plairait. » fit-il en caressant tendrement la joue de Tyra. « Si on retourne à Morthebois ensemble un jour, on s’arrêtera à son village en chemin.
– Vraiment ?
– Vraiment. »

L’idée de retourner à Morthebois en compagnie de Tyra était quelque chose dont Öta avait réellement envie.
Refaire un voyage tranquillement, en prenant son temps, et lui montrer les merveilles que recelait sa région était un rêve qui prenait de plus en plus de place dans son cœur. Il appréciait de plus en plus le temps passé avec elle.
« Enfin, je t’emmènerais dans ce village si ma magie accepte de ne pas me tuer avant. » ajouta-t-il. « Ce n’est pas gagné pour le moment. »
Tyra perdit son sourire et le sermonna du regard. En quelques mots, il venait de briser toute la douceur de cet instant passé ensemble. Elle s’écarta légèrement de lui et demanda :
« Et à ce sujet, t’en est où ? Toujours pas de nouvelles de Cissus ?
– Non, il n’est toujours pas revenu. C’est bizarre. »
Cissus lui avait dit revenir le lendemain, ou peut-être plus tard, mais Öta commençait à trouver le temps long. Il avait hâte de pouvoir lui poser des questions et de lui demander de l’aide. C’était de la torture de devoir attendre, de tourner en rond ainsi avec impatience.
« Et tu as demandé aux Sylènes ? À Hedera ?
– Pas encore. » grimaça Öta. « Disons que j’évite de lui poser des questions, j’ai bien trop peur de dire une bêtise. Elle sait se montrer très effrayante.
– Je la trouve sympathique, moi. »
Évidement. Elle n’avait pas vu l’autre facette du visage d’Hedera. Tyra n’était pas là lorsque son visage s’était tordu de mépris et de dégout lorsqu’elle avait appris qu’Öta ne pouvait pas parler à la Dame qu’il était censé servir. Öta frissonna.
« Et si tu demandais aux autres dirigeants ? Ils sauront peut-être te répondre.
– Je ne sais pas. Je n’ai rencontré qu’Adrepo et… comment dire ça ? » souffla-t-il. « Disons qu’il est le digne fils de Hedera. »
Öta frissonna une seconde fois.
« Tu devrais quand même essayer. » insista Tyra. « C’est mieux que d’attendre bêtement. On peut faire un tour du village, et on en croisera bien un ? Ou alors on demande aux habitants où ils sont.
– JE demande. À moins que tu aies appris le Vieux-nordan en une nuit ? »
Tyra tira la langue. Elle était déjà bien assez embarrassée de ne pas pouvoir communiquer avec ce peuple, il n’avait pas besoin d’en rajouter une couche.
Si elle avait su parler leur langue, voilà bien longtemps qu’elle aurait assailli chaque personne de questions. Du moins, si ces dernières ne la fuyaient pas.
Les villageois étaient très distants avec leurs visiteurs et restaient toujours éloignés d’eux. Leurs regards n’étaient pas des plus aimables. Peur et dégout revenaient souvent dans leurs yeux.
Elle ne serait pas étonnée si elle apprenait que la présence de son groupe était source de tensions et de désaccords. Ce n’était pas pour rien que leur camp se trouvait à l’écart du village.
« Tu as raison. Je devrais me renseigner. » fit Öta en se levant avec motivation. « Trouvons Adrepo et demandons-lui.
– Hum. Si quelqu’un sait où trouver Adrepo, c’est bien Mylen. Il a analysé les allées et venues de chaque personne importante du village. Si on lui demande, il pourra nous aider.
– Mylen ? C’est lequel ? Le roux ou celui avec les cheveux bouclés ?
– Quoi ? »
Tyra leva un sourcil et Öta ajouta rapidement :
« Désolé. Je n’ai vu que brièvement tes amis lors de notre arrivée et il y a trop de noms à mémoriser.
– Oh. »
Depuis son arrivée, Öta avait évité leur camp comme la peste. Il n’était pas étonnant qu’il n’en connaisse pas encore très bien les membres. La seule présentation officielle avait été pour le moins… chaotique.
Elle se souviendrait toujours de la bagarre ridicule entre Öta et David. Cette scène resterait gravée à jamais dans sa mémoire.
« Celui avec les cheveux bouclés, c’était Max et le roux, c’était Ayel. Max est le fils de Dynia et Ayel c’est… euh… l’ami de David.
– Je ne m’en souviendrais jamais. Mais alors, qui est Mylen ?
– Mon cousin. C’est un grand blond avec une sale gueule de renard. » fit Tyra en tentant d’imiter son expression sournoise. « La personne la moins fréquentable du groupe, sans aucun doute. Mais j’laime bien. Il est encore plus chaotique que moi. »
Öta ouvrit la bouche de surprise.
Mylen. Était-ce là le vrai nom de Lazhen ? La description physique semblait correspondre. Il n’avait pas vu d’autre blond près du camp. Lazhen… Öta n’en revenait pas.
Comment avait-il pu oublier l’avoir croisé deux jours plus tôt ? C’était pourtant une scène improbable, qui aurait dû rester gravée dans sa mémoire.
Mais il s’était passé tant de choses ces derniers temps qu’il en avait totalement occulté cette rencontre surprenante avec son ami.
« C’est quoi, cette tête ? » demanda Tyra avec curiosité en voyant le visage abattu de son ami. « Tu le connais ? »
Öta hocha la tête.
« Ton cousin, il a les cheveux longs ? Un Orian de grande taille, aux traits très fins ?
– Ouaip. Donc, tu le connais.
– Pas sous ce nom. »
Öta s’adossa à la muraille et se passa une main sur le visage. Sa réaction inquiéta Tyra, qui lui posa une main sur le bras en demandant :
« Il t’a fait du mal ?
– Hein ?
– Il t’a blessé ? Il t’a piégé ? Il t’a fait du chantage ? Il t’a volé quelque chose ? Il a tué un de tes proches ? Ou même tout à la fois ? S’il t’a agressé, tu peux me le dire. »
Öta cligna des yeux. Quoi ?
« Mais… non !
– Sûr ? Tu peux tout me dire.
– Non ! » gémit Öta. « Nous sommes, euh… amis ? Enfin, je croyais. Mais il m’a menti sur son nom et sur son passé, alors je suis un peu perdu. Je ne sais plus quoi en penser.
– Oh. Vous n’êtes pas amis. Mylen n’a pas d’amis. Il n’a que des victimes. »
Tyra avait prononcé ces mots avec tant de nonchalance qu’Öta ne sut pas quoi répondre.


« Mais…
– Mylen t’a extorqué de l’argent ?
– Non !
– Il te voulait quoi alors ?
– Juste des médicaments et des conseils. Pour sa sœur blessée. Ses parents les battaient et la petite était en train de mourir dans leur maison. Ensuite, on a fait connaissance et on s’est retrouvé plusieurs fois autour d’un verre. Et dire que j’ai bêtement cru son histoire d’enfant battu… »
Tyra éclata de rire.
« D’accord. Je vois. Extorsion d’informations. Il est plutôt doué pour ça. Tu lui as parlé de quoi ?
– Je ne sais plus. Du refuge ? C’était quelques jours avant notre rencontre. » fit Öta, avant de réaliser quelque chose.
Il ajouta dans un murmure :
« C’est vrai, ça. Il a disparu dès qu’on s’est rencontré, toi et moi. Tu crois qu’il t’a vu et essayait de t’éviter ? »
Öta n’oublierais jamais la façon dont Tyra lui avait sauté dessus en pleine nuit pour exiger de savoir où trouver Nora. Et dire qu’ils étaient maintenant inséparables ! Mais Tyra blanchit.
Soudain, elle parut mal à l’aise.
« Tyra ?
– Öta. C’est le moment où Nora était au refuge ?
– Oui ? Pourquoi ?
– Je comprends mieux. » souffla-t-elle. « Je… laisse tomber.
– Quoi ?
– Tu ne veux pas savoir, crois-moi. »
Öta la fixa avec incompréhension. Elle ne pouvait pas dire ça et espérer qu’il ne pose pas plus de questions. C’était trop tard pour faire marche arrière.
« Tyra. » fit-il d’un ton ferme. « Je veux savoir. Que me voulait-il ?
– Tu vas le regretter.
– Parle. »
Tyra soupira en levant les yeux au ciel.
« D’accord. Mais je t’aurais prévenu.
– Tyra.
– Oui, oui. Tu veux savoir ce que j’en pense ? Je vais être franche. À mon avis, il essayait juste de savoir si Nora était bien au refuge. Je sais qu’a cette époque, il le cherchait. Mais comme Nora avait disparu, ça compliquait sa mission. C’est logique qu’il soit remonté jusqu’à toi, vu que tu le soignais. Il voulait sans doute s’assurer de son coup avant d’agir.
– Sa mission ?
– Oui. L’assassiner. C’est un de ces boulots. Je t’avais dis que t’aimerais pas savoir. »
Öta écarquilla les yeux. Il sentit la nausée l’envahir, tandis qu’il couinait :
« L’assassiner ?! Mais… mais pourquoi ?
– Nora avait un contrat sur la tête, ses jours étaient comptés. C’est pour ça que je le cherchais. Je voulais le trouver pour lui dire adieu avant qu’il ne se fasse trancher la gorge dans son sommeil. Et c’est comme ça qu’on s’est rencontré toi et moi.
– Alors quoi ? La pendaison, c’est… c’est Mylen ? C’était une mise en scène ? »
Öta dévisageait Tyra, espérant de tout son cœur qu’elle allait éclater de rire et lui avouer malicieusement qu’elle se moquait de lui. Mais le visage de la jeune femme était sérieux et triste.
« Oh, non. Mylen ne laisse jamais de corps derrière lui, sauf quand il doit laisser un message. Et en général dans ce genre de cas, il est assez créatif sur la mise en scène. » expliqua-t-elle en grimaçant. « Une pendaison, c’est trop ennuyeux pour lui. Pas son genre.
– Tu… tu te rends compte de ce que tu dis ? De comment tu parles ?
– Je suis désolée. »
Tyra se mordit la lèvre. Elle prit la main d’Öta et la serra fort en le rassurant du regard. Sa chaleur fit frissonner le jeune homme. Elle continua :
« Tu sais, il me raconte ses missions depuis que je suis enfant alors j’ai appris à me détacher de tout ça.
– Mais Nora…
– Nora est mort et c’est quelque chose qu’il a choisi. J’ai fait mon deuil. » le coupa-t-elle.
Elle avait beau prononcer ces mots avec force, ses yeux criaient l’inverse. Öta ferma les yeux et inspira.
Il n’arrivait pas à y croire. En plus de lui avoir menti, Mylen l’avait trahi. Il avait abusé de sa gentillesse et de sa générosité pour faire du mal à autrui. Il faisait l’exact opposé de ce pour quoi Öta se battait chaque jour.
Depuis qu’il soignait des gens dans un refuge clandestin, Öta avait évidemment entendu bien des histoires de meurtre.
Il avait vu bien des gens mourir. Il avait vu de ses propres yeux de pauvres malheureux succomber dans ses bras, rendant leur dernier soupir alors qu’il s’acharnait pour les empêcher de partir.
Jamais il ne cautionnerait l’existence d’une personne dont le travail était de supprimer la vie. C’était simplement inacceptable. Contre nature.
Pour le vol, le mensonge, le chantage, il pouvait fermer les yeux dessus. Mais pas le meurtre.
« Je refuse de lui demander de l’aide.
– Quoi ?
– Pour trouver Adrepo. Je me débrouillerais sans Mylen. Je refuse de le revoir. Je suis désolé. C’est trop pour moi. »
Tyra soupira. C’était évident qu’Öta allait réagir ainsi.
« D’accord. J’comprends. »

Öta n’avait aucune envie de revoir Mylen et de lui adresser de nouveau la parole. Il se sentait trahi. Il avait eu confiance en lui, il lui avait offert son amitié et son aide avec bienveillance. Et tout ça pour apprendre par la suite que l’homme l’avait abreuvé de mensonges des jours durant ? C’était trop.
Maintenant qu’il savait qu’il n’y avait aucune bonne excuse derrière ses actes, seulement le besoin de commettre un acte immoral, tout était fini.
« Laisse-moi lui parler. » fit Tyra. « Je vais aller au camp, lui demander son avis, et revenir ensuite. Tu n’auras pas à le voir.
– Je ne sais pas…
– On est à côté. Ça ne coûte rien d’essayer. »
Öta hocha la tête en serrant les dents. L’idée d’accepter son aide lui hérissait le poil. Mais Tyra insistait tant qu’il était difficile de refuser son compromis.
Il lui fit signe d’y aller, tandis qu’il s’asseyait contre le mur en croisant les bras. Tyra comprit le message et se dépêcha de partir en direction du camp.
En arrivant, elle croisa Ayel et Max. Les deux hommes étaient en grande discussion, mais s’arrêtèrent aussitôt en la voyant. Le visage angélique de Max s’illumina en voyant son amie et il s’exclama :
« Tyra ! Tyra ! David va enfin pouvoir sortir !
– Oh. Enfin une bonne nouvelle.
– Oui ! Ma mère lui fait un dernier sermon avant de le relâcher. » fit-il avant d’ajouter : « Je n’aimerais pas être à sa place. Ses sermons sont vraiment trop longs.
– Et tu parles en connaissance de cause. T’y as souvent le droit, pas vrai ? »
Les joues de Max se colorèrent aussitôt de rose tandis qu’il hochait la tête. Ayel toussota.
« Dès qu’il est libre, je l’emmène faire un tour. David à bien mérité de prendre l’air. » fit-il en posant les mains sur les hanches. « Alors tu l’oublies pour aujourd’hui. Il est à moi.
– Aha. Pas de soucis, j’venais pas pour lui de toute façon. Je cherche Mylen, vous l’auriez vu ? »
Ayel secoua la tête. Il ne l’avait pas vu, et n’avait pas spécialement envie de le voir. Les allées et venues de cet homme étaient bien le cadet de ses soucis. Max quant à lui répondit :
« Ah zut, tu l’as loupé de peu. Il est parti.
– Parti ? Parti où ?
– Je ne sais pas. Je crois qu’il s’est fait un ami. Il est sans doute parti le rejoindre ?
– Un ami ? Max, sois sérieux. Ne raconte pas de bêtise.
– Mais tu as vu sa belle boucle d’oreille ? Il ne l’a que depuis quelques jours. Je pense que c’est un cadeau de son ami. »
Tyra fronça les sourcils. Elle avait remarqué le bijou, mais ne s’était pas posé plus de questions que ça. Elle secoua la tête. Elle avait autre chose à penser actuellement.
« Bon. Je vais me débrouiller sans lui alors. Merci.
– On ne peut rien faire pour t’aider ? » demanda Ayel. « Tu avais besoin de lui pourquoi ?
– Je cherche quelqu’un. Comme Mylen a noté les allées et venues de tout le monde, je voulais savoir où le trouver sans devoir crapahuter partout jusqu’à tomber par hasard sur lui.
– Oh. Bon courage alors.
– Merci. »
Tyra leur fit un signe de tête. Mais au moment de partir, elle se retourna et lança :
« Ayel ! Passe une bonne soirée avec David. Si tu veux une ambiance romantique, tu peux prendre les bougies dans le sac près de ma couche.
– Aha merci.
– Je vous conseille d’aller voir derrière le camp, y’a un coin super sympa avec une petite mare si vous voulez vous bécoter à l’abri des regards. »
Ayel éclata de rire.
« Parfait alors. »

Assis sur le toit d’un des nombreux bâtiments effondrés qui encadraient le campement, Mylen avait croisé ses jambes dans le vide et fixait les remparts de la cité d’un air songeur.
Il tripotait du bout des doigts l’une de ses boucles d’oreille, plongé dans ses pensées, lorsqu’il vit passer Tyra en contrebas. La jeune femme semblait pressée et marchait d’un pas rapide.
Mylen sourit et regarda autour de lui à la recherche d’un projectile qui ferait l’affaire. Il trouva une pierre qu’il lança en sa direction.
Elle manqua de peu Tyra, qui fit un bond en arrière.
« Qu’est-ce que… ! » gronda-t-elle en levant les yeux. « Mylen ?! T’es sérieux ? Si elle m’avait touché, t’aurais pu me tuer !
– Quel dommage.
– Tu… !
– Je t’aide simplement à entretenir tes réflexes. Tu te ramollis, jeune fille.
– Parle pour toi ! »
Tyra grogna et quitta le chemin pour grimper au bâtiment. Une fois qu’elle eut rejoint Mylen en haut, elle croisa les bras. Il resta assis, un sourire goguenard sur le visage, et la toisa du regard.
« Oui ? Que puis-je pour toi ?
– C’est à moi de te poser la question. Ça t’arrive souvent de lancer des pierres à la gueule des gens ?
– Tu veux vraiment le savoir ?
– Non. »
Il tapota le sol à côté de lui pour l’inviter à s’asseoir et Tyra leva les yeux au ciel en s’exécutant.
« T’es seul ? Je pensais que tu serais avec ton ami. C’est ce que m’a dit Max, je viens de le croiser à l’instant.
– Mon ami ? J’ai un ami, moi ? Vraiment ?
– Il semblerait. En tout cas, ton petit frère en a l’air persuadé. »
Mylen tourna la tête vers elle en haussant un sourcil.
Tyra en profita pour admirer la boucle d’oreille que Max avait évoquée. Elle était vraiment belle et à son bout pendait une pierre noire aux doux reflets bleutés.
L’homme remarqua son regard.
« Oui ?
– Rien, je regardais juste ta boucle. Elle est jolie. Mais je t’ai toujours vu porter celle avec la lune, elle est passée où ?
– Oh ça ? » fit-il en la touchant du bout des doigts. « Je l’ai volée quelque part dans le village pour remplacer celle avec la lune que je n’ai plus.
– Ah. Tu l’as volé, hein ? »
Tyra n’avait pas manqué de percevoir la légère hésitation dans la voix de Mylen. Pour lui qui habituellement était si doué pour mentir, se trahir de la sorte ne voulait dire qu’une chose : il était embarrassé.
« Oui, je l’ai volé.
– T’es sûr de ça ? Ce ne serait pas un cadeau de ton ami, par hasard ?
– Non.
– T’es sûr ?
– Oui, je suis sûr.
– Certain ?
– Oui, je suis certain.
– Certainement sûr ?
– Absolument.
– J’te crois pas. » gloussa Tyra.
Mylen roula des yeux en levant les bras, faisant mine d’abandonner. Il se pencha en avant et murmura à l’oreille de Tyra :
« Peut-être bien qu’il s’agit d’un cadeau.
– Oh ? Vraiment ?
– Non. Alors, pourquoi tu courrais toute seule sur la route comme si tu avais la mort à tes trousses ? »
Tyra ferma la bouche. Il fallait qu’elle arrête de se disperser ainsi, alors qu’Öta l’attendait !
« Je te cherchais. Figure-toi que j’ai besoin de tes conseils. » fit-elle en se mordant la lèvre, tandis que Mylen croisait les bras en la fixant avec curiosité.
« Mes conseils ?
– Oui. Toi qui sais déjà tout de ce village, tu ne saurais pas où on pourrait trouver Adrepo par hasard ?
– Adrepo ? Pourquoi le cherches-tu ?
– En fait on cherche Cissus, l’autre chef du village, alors on voulait demander à Adrepo où le trouver.
– Attends. Tu m’as cherché, pour que je te dise où chercher Adrepo, pour qu’Adrepo te dise où chercher Cissus ? »
Tyra rougit.
« Bon. Dit comme ça, c’est vrai que ça sonne un peu bête.
– Oui.
– Alors ? Tu sais quelque chose ?
– Non. »
Mylen soupira.
« Je suis désolé, princesse. J’aurais bien aimé t’aider, mais je ne suis pas devin. Mais en ce qui concerne ton Cissus, j’ai remarqué qu’il se rendait souvent dans une forêt non loin d’ici.
– Ah, ça. Je sais. C’est là qu’on a perdu sa trace.
– Je suppose que tu as déjà dû fouiller cette forêt alors.
– Pas encore. » souffla Tyra « Mais t’as p'têtre raison, on devrait commencer par là. »
Mylen hocha la tête.
« Juste, j’sais pas s’ils nous laisseront y entrer sans lui. C’est un lieu sacré.
– Tu ne peux savoir qu’en essayant. Et il est toujours possible d’entrer sans leur autorisation. Ce ne serait pas la première fois que tu fais ça. »

En attendant que Tyra revienne, Öta se leva et marcha sans but précis. Il surveillait leur point de rendez-vous du coin de l’œil, afin de ne pas manquer le retour de son amie.
Il ne cessait de penser à tout ce qu’elle lui avait appris au sujet de Mylen, le sujet le travaillant bien plus qu’il ne l’aurait souhaité.
Et alors qu’il s’approchait d’un arbre démesurément grand, il aperçut un sylène sur ses branches en train d’en cueillir les feuilles. Il les déposait ensuite dans un panier tressé coincé devant lui, qui en était déjà bien rempli.
└ Bonjour ? ┐ fit Öta d’une voix hésitante en s’approchant.
Le sylène sursauta et manqua de faire tomber le panier. Quelques feuilles s’enfuirent néanmoins, et Öta se pencha pour les ramasser.
└ Tcht. Merci. ┐ fit le villageois en descendant de son perchoir.
Il remit les feuilles dans son panier et pencha la tête pour le dévisager avec intérêt.
└ Tu es l’un des réfugiés, mais tu es vêtu comme nous. ┐ constata-t-il. └ J’ai entendu parler de toi. Tu es celui qui parle notre langue, l’invité de Hedera. ┐
Il y avait un mélange de curiosité et de respect dans son regard, mais Öta pouvait également y voir une pointe de crainte. Le sylène se demandait sans doute se qu’il lui voulait.
Öta hocha la tête. Réfugiés ? Était-ce ainsi que les sylènes voyaient le groupe de David ? C’était étonnant, mais assez proche de la réalité.
└ Oui, Cissus m’a prêté des vêtements. Et en parlant de lui, je le cherche. Vous ne l’auriez pas vu, par hasard ? ┐
À la mention de Cissus, le visage du villageois se ferma. Il secoua la tête et serra fort son panier contre lui.
└ Non. Je n’ai pas vu le Protecteur des Esprits.
– Et vous ne sauriez pas où je pourrais le trouver ?
– Non. Je ne sais rien. Je dois continuer ma récolte. ┐
Il était évidemment que le Sylène n’avait qu’une envie : fuir cette discussion. Öta se demanda alors ce qu’il avait fait de mal. Il tenta une dernière fois :
└ Et Adrepo ? Vous ne sauriez pas où le trouver ?
– Adrepo ? ┐
Le regard du sylène s’éclaira aussitôt et il tendit le bras vers les remparts :
└ Aujourd’hui j’ai vu le Protecteur des Terres partir avec nos chasseurs hors du village. Il ne fait aucun doute que nous mangerons bien ce soir. ┐ fit-il fièrement avant de montrer son panier. └ C’est pour ça que je ramasse des feuilles. La viande sera meilleure enveloppée dedans.
– Oh. Il ne reviendra pas avant ce soir alors ?
– Non. Mais nous mangerons bien ! ┐
Öta hocha la tête. Ce n’était pas la réponse qu’il espérait, mais cette discussion avec l’un des villageois s’était mieux passée que prévu. Il lui fit un sourire et demanda :
└ Comment te nommes-tu ?
– Quoi ?
– Ton nom. Moi, je me nomme Öta. ┐
Le sylène grimaça et recula d’un pas. Il hésita avant de souffler :
└ Yahen.
– Enchanté, Yahen. J’espère que l’on se reverra dans le village. ┐
Öta lui fit un petit signe de main et s’en alla sans laisser le temps au sylène étonné de répondre. Il venait de voir Tyra au loin qui se dirigeait vers leur point de rendez-vous.
« Tyra ! Je suis là. » fit-il en la rejoignant. « On vient de me dire qu’Adrepo est parti à la chasse, il ne reviendra pas avant ce soir.
– Ah, merde.
– Et Mylen ? » grinça Öta. « Il t’a donné une autre piste, ou rien du tout ? »
Tyra s’adossa au mur et lui résuma rapidement la situation. Öta hocha la tête.
« C’est problématique s’il se trouve au repos des esprits. Je ferais peut-être mieux de laisser tomber et d’attendre. Mais je n’en ai pas envie…
– Ouais. Je ne sais pas si on a le droit d’y aller.
– C’est vrai. Mais je ne pensais pas à ça. » murmura Öta. « Sans l’aide de Cissus, je ne sais pas si je vais être capable de garder la tête froide. Tu sais, à cause de la pureté…
– Oh. »
Tyra fronça les sourcils et se plongea en profonde réflexion. Peut-être qu’avec un de ses sceaux… mais le sceau qui protégeait de l’attraction des souterrains ne fonctionnait pas. Elle l’avait bien vu lors de sa première crise.
« Zut. J’ai beau y réfléchir, je ne connais aucun sceau qui pourrait t’aider.
– Avec un peu de chance, ça devrait aller. Ça fait déjà plusieurs jours que Hedera a relâché sa magie, l’air devrait être déjà moins saturé. Cissus m’a dit qu’elle ne le referait pas avant un moment.
– Oui. C’est vrai que c’est la magie de Hedera qui te fait ça. » se souvint Tyra.
Öta lui avait déjà expliqué tout ça lorsqu’ils s’étaient rendus ensemble au repos des esprits.
« Je trouve que sa magie à un goût très doux. Elle est chaude et rassurante comme les rayons du soleil. Elle donne presque envie de se rouler en boule et de se laisser bercer.
– Comme quoi, je ne suis pas le seul à y être sensible. Si ça se trouve, c’est moi qui vais devoir te surveiller alors. » rit Öta.

Évidemment, ce que Tyra et Öta avaient redouté se produisit : ils ne purent accéder à la forêt. Les deux gardes qui surveillaient le passage dans les remparts leur bloquèrent le passage dès qu’ils s’en approchèrent.
└ Reculez.
– Nous ne sommes pas là pour poser problème. Nous cherchons juste Cissus. Se trouve-t-il ici ?
– Reculez. Vous ne pouvez pas passer, ce lieu est sacré.
– Mais Cissus nous a autorisés plusieurs fois à venir avec lui. ┐
Le garde qui avait parlé lança un regard interrogatif à son confrère, qui secoua la tête en réponse.
└ Dans ce cas, revenez en compagnie du Protecteur des Esprits et vous pourrez passer.
– Mais justement, je le cherche ! Où se trouve-t-il ?
– Je n’ai pas reçu l’autorisation de vous communiquer cette réponse. Reculez maintenant. ┐
Öta pesta et fit quelques pas en arrière lorsque le garde pointa sa lance sur lui. Il s’éloigna avec Tyra et cette dernière posa les mains sur ses hanches en soufflant :
« Cette fois je n’ai pas eu besoin de parler le sylène pour comprendre. Ils ne nous laisseront pas passer.
– Oui. Ce garde est un vrai crétin.
– Qu’est-ce qu’on fait alors ? On les assomme ? Ou alors on se faufile sans se faire voir ?
– Tyra. Je ne veux pas m’attirer d’ennuis. Je crois que je vais simplement attendre que Cissus revienne.
– Ah non hein ! » ronchonna Tyra. « Et ton esprit d’aventure alors ? On peut aisément se faufiler sans se faire voir. Ces murs sont en ruine et les gardes ne surveillent pas tous les trous.
– Tu veux dire que… ?
– Quand je lui ai demandé conseil tantôt, Mylen m’a indiqué les passages. Il passe ses journées à cartographier le village et les rondes des gardes pour qu’on ait une porte de sortie en cas de problème.
– Oh. »
Öta fixa les remparts avec indécision. Il n’était pas sûr que ce soit une bonne idée. Mais sa curiosité le tiraillait.
« On se demande à quoi servent tous ces murs et tous ces gardes s’il est si facile de se faufiler de l’autre côté. » murmura-t-il « Ils ne semblent pas très utiles.
– La logique des Sylènes est l’un des plus grands mystères de ce monde. » répondit très sérieusement Tyra, provoquant un petit rire d’Öta.
Elle recula ensuite de quelques pas et regarda autour d’elle avec attention. Mylen lui avait parlé d’une fissure proche d’un arbre aux feuillages jaune. Mais d’ici, elle ne voyait rien de semblable.
« Je cherche un arbre jaune. Tu le vois ?
– Euh, non.
– Prenons de la hauteur alors. » fit Tyra en faisant signe à Öta de le suivre. « Je sais que je pouvais le voir depuis le toit d’un des bâtiments effondrés qui entourent le camp. Il nous suffit de monter sur le premier qu’on voit. Celui-là par exemple ! »
Elle tendit le doigt vers une petite tour en ruine, recouverte de racines et de fleurs. Avec un peu de chance, il y aurait assez de prises pour grimper dessus.
« C’est incroyable le nombre de ruines que l’on trouve dans le Creux. » fit Öta en admirant le petit bâtiment. « Je me demande à quoi ressemblait ce village autrefois et ce qu’il lui est arrivé.
– Moi aussi. Quand j’étais apprentie, j’adorais me cacher dans les ruines qui entouraient notre caste. Quand j’étais seule, j’essayais d’imaginer les cités qui se dressaient là autrefois. Ce devait être si joli !
– J’ai vu quelques gravures censées représenter le Creux d’autrefois dans les ouvrages que j’ai lus, mais elles ont toutes été faites par des personnes qui ne s’y sont jamais rendues. On ne peut pas vraiment s’y fier.
– Dommage. » répondit Tyra en commençant à grimper la tour.
Elle lança un regard derrière elle pour vérifier qu’Öta parvenait à grimper. Il était clairement plus agile que David. Ce dernier serait déjà tombé trois fois à sa place.
Une fois en haut, les deux amis s’assirent. La vue d’ici est magnifique. Tyra ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil en direction du campement de ses compagnons.
Elle vit David et Ayel marcher ensemble en direction de la mare et ne put s’empêcher de sourire. Elle leur souhaitait de passer une bonne soirée en amoureux.
La voix d’Öta la fit sortir de ses pensées. Penché en avant, il tentait de regarder ce qui se trouvait au-delà des remparts.
« Je crois que je vois le lac du repos des esprits.
– Ah bon ? Où ça ?
– Là. Entre les arbres. »
Tyra plissa les yeux. Effectivement, il avait raison.
Le repos des esprits se trouvait au cœur de la forêt qui s’étendait au-delà du village. Une forêt qui se trouvait dans une partie très sombre de la grotte. Elle comprenait mieux pourquoi ce n’était pas aussi surveillé que l’entrée du village.
Les murs du Creux englobaient ces bois, les coupant du reste du monde. Cette vision lui donnait l’impression d’être au bout du monde. Comme s’il n’y avait plus rien au-delà.
Son regard revint ensuite vers les remparts et elle aperçut l’arbre aux feuilles jaune qu’elle cherchait. Il était en partie caché derrière un mur effondré.
« Là ! On doit aller là.
– Parfait. » fit Öta. « Mais tu as vu ça ?
– Quoi ?
– Au fond de la grotte. Il y a quelque chose, je crois.
– Où ça ? »
Elle se pencha légèrement en avant, tentant de capter ce dont Öta parlait. Il lui fallut de longues secondes avant de voir. Caché par l’obscurité, un bâtiment se fondait dans les parois du Creux.
« Je me demande ce que c’est. » murmura Öta, le regard brillant de curiosité. « Tu penses que Cissus est là-bas ? Ce n’est pas très loin du repos des esprits.
– Il n’y a qu’un moyen de le savoir. »
Ils échangèrent un regard. Ils savaient que c’était une très mauvaise idée, mais la tentation était trop grande. Ils savaient que c’était une très mauvaise idée, mais la tentation était trop grande

Partie 2 - Perdus dans les bois
« Finalement, je ne suis pas sûr que ce soit une si bonne idée que ça. » murmura Öta.
Il venait de s’extirper de la fissure qui leur servait à traverser les remparts. Tyra lui fit signe de faire moins de bruit, tandis qu’elle scrutait les alentours. Elle ne sentit la présence de personne et se détendit légèrement.
« Oh, ne fais pas ton David ! » souffla-t-elle en avançant. « C’est en prenant des risques qu’on fait avancer l’histoire. C’est une petite aventure !
– Mais pourquoi tu me parles de David ?
– À chaque fois que je fais quelque chose d’un peu risqué, il est derrière moi à râler qu’il ne veut pas venir ! Mais il me suit quand même. »
Öta ferma la bouche. Il se demandait bien dans quelles "aventures" Tyra avait bien pu traîner son ami d’enfance. Il ressentait presque de la peine pour lui.
« Mais, et si on à des problèmes ?
– Cissus nous à jamais dit qu’on n’avait pas le droit de revenir. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.
– Tu sais que ça ne fonctionne pas comme ça ? »
Tyra haussa les épaules. Ne pas suivre les ordres et n’en faire qu’a sa tête était son quotidien. Ce n’était pas maintenant que les choses allaient changer.
Peut-être avait-elle pris de trop mauvaises habitudes à cause du laxisme de Söl, qui ne la punissait pas assez pour sa désobéissance.
« Je sens qu’on s’approche du repos des esprits. » fit Öta en frissonnant. « J’espère pouvoir garder les idées claires.
– Les idées claires ? C’est une bonne idée, ça. »
Tyra s’était arrêtée, une moue songeuse sur le visage.
« Tyra ?
– Je me demandais quel sceau pourrait t’aider à repousser la magie, mais je n’en connais pas. Par contre, un sceau qui aide à rester alerte et conscient de soi, j’en connais un. Il fera peut-être l’affaire.
– Ah ?
– Je ne l’ai pas souvent utilisé, la magie mentale n’est pas mon point fort. Mais c’est un sceau que mon frère utilise souvent alors je le connais bien. » fit-elle en sortant la lame qui se trouvait dans sa chaussure.
Öta était étonné qu’elle ait réussi à la cacher aux Sylènes.
« La magie mentale ?
– Il y a à plusieurs formes de magie du sang. Je suis assez douée pour influencer la matière. Mon frère est plutôt spécialisé dans les sceaux qui vont influer sur l’esprit. C’est une forme de magie très différente.
– Oh. Je vois.
– T’sais, je crois qu’il magouillait les masques des veilleurs. C’est lui qui appliquait les sceaux de protection sur eux. » ajouta-t-elle plus sérieusement en se redressant. « C’est pas une magie que je maîtrise alors j’pouvais pas le prouver, et je sais pas trop ce qu’il leur faisait. Mais maintenant qu’il a trahi le village, j’ai ma petite théorie. Je pense de plus en plus qu’il ne faisait pas que mettre un sceau de protection, si tu vois ce que je veux dire.
– Merde.
– Ouais. Je me félicite d’être restée sur mes gardes. » continua Tyra. « Quand David a reçu son propre masque, j’ai brisé le sceau par prudence et je l’ai refait par moi-même. J’lui ai jamais dit, je voulais pas qu’il s’inquiète.
– Ouais. Tu as bien fait. » grimaça Öta.
Cette discussion lui hérissait le poil. Depuis qu’il savait que le peuple de Tyra pillait les masques des ogres et les profanait, le sujet était assez sensible pour lui. Il commençait à se faire à l’idée, il n’avait pas le choix, mais ne l’approuvait pas.
« Ferme les yeux. » fit Tyra en se coupant le bout du doigt.
Öta se laissa faire, maintenant habitué à la magie de son amie. Il appréciait toujours autant la sensation de son doigt chaud sur sa peau et le doux son de ses sifflements.
« C’est bon. Tu te sens comment ?
– Réveillé. » fit Öta, les yeux grands ouverts.
Il se sentait plus intense. Plus vivant. C’était difficile à décrire. Une sensation d’esprit clair et conscient. Il réalisait qu’il respirait. Qu’il clignait des yeux. Qu’il bougeait. Il sentait plus intensément la présence de ses vêtements sur sa peau et des cheveux sur sa nuque.
« C’est perturbant.
– Je me dis qu’étant plus conscient de toi, ce sera sans doute plus simple de ne pas te laisser aller.
– Ou si ça se trouve, ça va accentuer encore plus les effets de la magie sur moi et je vais la sentir encore plus.
– J’en doute. Il t’aidera juste à garder les idées claires et un fil de pensée plus stable. Et si on voit que ça ne fonctionne pas, je l’effacerais aussitôt. On va avancer lentement d’accord ? »
Öta hocha la tête. Il n’arrivait pas à savoir s’il appréciait ou détestait être le sujet des expérimentations de Tyra.

Öta dut bien avouer que la solution de Tyra était assez efficace.
Elle lui rappelait cette impression qu’il avait parfois de se réveiller et de réaliser qu’il était en vie. À ces moments-là, il se sentait soudain très conscient de lui, bien qu’il lui suffisait de faire autre chose pour vite l’oublier.
Et voilà que grâce à cet étrange sort, il s’approchait maintenant du Repos des Esprits sans problème. Il sentait la magie autour d’eux, douce et pure, mais le sceau le protégeait comme s’il empêchait son esprit de s’endormir.
Ce mélange entre les sensations que lui procurait ce sceau et celles de la magie était vraiment déstabilisant.
« Tu te sens toujours bien ?
– On peut dire ça.
– Tant mieux. À ce qu’il paraît, c’est toujours perturbant au début. »
Öta lui lança un regard interrogatif et demanda :
« À ce qu’il paraît ? Tu ne l’as jamais essayé sur toi ?
– Si. Une fois, quand j’étais enfant.
– Mais ?
– Ils m’ont fait promettre de ne pas recommencer. Je ne m’en souviens pas, mais à ce qu’il paraît j’ai piqué une sacrée crise. »
Tyra leva les bras au ciel et se retourna en s’exclamant :
« De toute façon, mes sens sont déjà bien assez aiguisés comme ça. J’ai aucune envie de réessayer. »
Öta s’imaginait très bien le chaos qu’une Tyra enfant avait pu répandre avec un tel sceau. Et elle qui était déjà très sensible n’avait pas besoin de plus. C’était mieux ainsi, pour sa sécurité et surtout pour celle de son entourage.
Soudain un reflet de lumière entre les arbres attira son attention. Ils venaient d’atteindre leur destination.
└ Cissus ? ┐ fit-il en le cherchant du regard. └ Cissus ? Es-tu là ? ┐
Il fit quelques pas de plus en avant, mais il n’y avait visiblement aucune trace du sylène qu’il cherchait. Un soupir déçu s’échappait de ses lèvres lorsqu’il vit un éclat de lumière à sa droite disparaître derrière un rocher.
└ Franchise ? Ritournelle ? C’est vous ? ┐
Il s’approcha du rocher pour jeter un coup derrière, mais il n’y avait aucune fée. Tyra, qui se trouvait derrière lui, souffla :
« Regarde, là-bas ! »
Öta leva les yeux vers la direction qu’elle montrait.
Il eut à peine le temps de voir un éclat de lumière bleu. Ce dernier semblait se cacher derrière un arbre plus loin. Il fronça les sourcils. Bleu ? Ce n’était pas les fées.
Était-ce un autre esprit ?
« Regarde. Elle a laissé de la poussière sur son chemin. » murmura Tyra en se baissant pour regarder plus attentivement les particules bleutées. « Oh. Je crois que c’est de la cendre.
– Étrange. »
Öta s’avança vers les arbres, curieux de voir la créature qui se cachait derrière. Mais cette dernière ne s’y trouvait plus. Sa lumière apparut alors quelques arbres plus loin avant de disparaitre de nouveau lorsqu’il s’en approcha.
La scène se répéta quelques fois avant qu’Öta ne tourne la tête vers Tyra et ne lance :
« Je crois qu’elle veut qu’on la suive.
– Je crois aussi. » répondit-elle. « Mais je ne sais pas si c’est une bonne idée. On ne sait pas où elle veut nous mener.
– Cissus ne garderait pas d’esprit dangereux aussi près du village et des fées. Je pense qu’on peut lui faire confiance. »
Tyra n’était pas pleinement convaincue, mais Öta ne lui laissa pas d’autre choix. Il semblait bien décidé à suivre cette lueur.
« Je le sens mal.
– Allez, regardons ce qu’elle nous veut ! Tu n’es pas curieuse ? Et si on se rend compte que ça ne sert à rien, on aura qu’à faire demi-tour. »

« Je suis certain que c’est un esprit qui va nous mener à Cissus. » fit Öta en suivant la lueur bleue dans les bois.
Depuis combien de temps parcouraient-ils les bois à sa suite ? Ils n’en avaient aucune idée. Mais Öta marchait d’un pas rapide, les yeux émerveillés, tandis que Tyra le suivait d’un pas plus mesuré.
Elle tentait de mémoriser leur chemin. Se perdre dans une forêt aussi grande pouvait arriver très rapidement, et la lueur ne semblait pas décidée à les faire marcher en ligne droite.
« Öta, ralenti. On va se perdre.
– Mais non. Regarde ! J’en étais sûr. » répondit-il en s’arrêtant.
Elle s’approcha pour regarder ce qu’il voulait lui montrer et découvrit sur le sol des pavés de pierre. Ils étaient sans doute issus d’une route si ancienne qu’elle avait aujourd’hui disparu.
« C’est un ancien chemin. » fit Öta. « Ça veut dire qu’il y a forcément quelque chose au bout. »
Il n’attendit pas sa réponse et reprit la route.
Tyra plissa le nez, une moue perplexe sur le visage. Elle n’était pas certaine de partager son enthousiasme. Cette histoire de lueur bleue lui disait quelque chose, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
« Tyra ? Tu viens ? C’est par là-AAAH »
Elle n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait. À peine eut-elle levé la tête vers Öta qu’elle le vit disparaître, avalé par le sol. Son sang se glaça.
« Öta ? ÖTA ?! »
Merde, merde, merde.
Elle entendit un rire cristallin résonner dans les bois, tandis qu’elle courait en direction de l’endroit où Öta était tombé.
Elle s’arrêta aussitôt. À cause de la végétation, elle avait manqué de peu d’apercevoir la crevasse qui avait avalé Öta.
« Öta ? » cria-t-elle en plissant les yeux, tentant d’apercevoir son ami. Il y faisait si sombre qu’elle n’y voyait rien.
« Öta ?! Bordel, réponds-moi !
– Ça va ! Je suis en vie. Je crois. »
Elle vit alors sa silhouette bouger au fond. Tyra soupira de soulagement en s’asseyant sur le sol. Elle essuya ses yeux en tentant de reprendre son souffle.
« J’ai réussi à m’accrocher à des racines en tombant. » l’entendit-elle s’exclamer depuis le fond de la crevasse. « J’ai eu de la chance, je n’ai rien de grave.
– Rien de grave ? T’es blessé ?!
– Je me suis juste entaillé le bras et j’ai mal aux jambes.
– D’accord. Tu crois que je peux te rejoindre ?
– C’est dangereux. Il y a assez de racines pour descendre, mais on n’y voit pas grand-chose.
– J’y vais alors.
– Quoi ?! Attends ! »
Tyra ne lui répondit pas. Agilement, elle se laissa tomber dans la crevasse en attrapant d’une poigne ferme les racines qui s’y faufilaient.
Mais elle n’avait pas choisi les plus longues, et dû alterner plusieurs fois avant de s’approcher du fond. Elle se coupa les mains sur les racines, mais ignora les picotements en se concentrant sur sa destination. Ne pas lâcher. Ne pas lâcher. Surtout, ne pas lâcher.
Un soupir épuisé franchit ses lèvres lorsqu’elle atteignit le sol.
« Ouf.
– Tu es folle ! » rugit Öta. « Et si tu t’étais blessée ?! Tu aurais pu lâcher et te tuer !
– C’est bon, c’est bon. On devrait éviter de crier, on ne sait pas où on est. C’est peut-être hostile par ici. »
Öta grimaça en hochant la tête.
« En tout cas, ton amie la p’tite lueur nous à joué un mauvais tour. » ajouta t-elle en se penchant pour ramasser quelque chose.
Qu’était-ce ?
Un bâton ?
« Si t’avais pas eu de bon réflexe, t’aurais fini comme ce pauvre malheureux. On n’est pas ses seules victimes à ce que je vois. »
Öta sentit la nausée l’envahir. Ce n’était pas un bâton. C’était un os. Il y avait un mort à leurs pieds.

« Oh bordel. C’est un… ?
– Ouais. Vu son état et son emplacement, il a dû tomber aussi. À mon avis, il s’est aussi fait avoir par ta petite lueur. »
Öta déglutit difficilement et leva la tête vers l’entrée de la crevasse. Il pouvait voir les racines, mais peu de lumière arrivait réellement jusqu’ici.
Il sentait la douleur irradier dans son bras et dans ses jambes. Remonter dans son état était impossible, il se savait incapable de grimper.
« Je suis désolé. » Murmura-t-il. « De ma faute…
– C’est bon. » le coupa aussitôt Tyra. « Montre-moi plutôt ton bras que je soigne ça. Heureusement que je suis là pour te rabibocher.
– Et dire que normalement, c’est moi le guérisseur ici. »
Öta tendit le bras vers elle. Le tissu qui protégeait ses avant-bras s’était déchiré lors de la chute et il sentait la présence d’une entaille parcourant son avant-bras.
Même s’il ne voyait pas très bien, il pouvait sans peine sentir son sang coller à sa manche. Ses sens exacerbés, la douleur était d’autant plus forte.
Il regarda d’un air admiratif Tyra refermer la plaie en usant de sa magie. La lumière rougeâtre que diffusait cette dernière apportait un peu plus de netteté à la scène.
Il était assez envieux de ce pouvoir. Guérir les blessures à l’aide de magie… s’il pouvait en faire de même, il n’aurait plus besoin de recoudre les plaies de ses patients manuellement.
Lorsqu’elle eut fini, elle essuya ensuite son visage. Ce type de magie n’était pas de tout repos.
« Prends mes manches pour te protéger. Ce n’est pas une cicatrisation complète alors ta plaie peut se rouvrir. C’est épuisant comme magie, alors évite de te blesser de nouveau.
– Oui madame. »
Tyra lui donna un petit coup de poing dans l’épaule en réponse.
Öta enfila les manches. Il regarda ensuite autour de lui, tentant de distinguer plus en détail le lieu où ils avaient atterri.
Il y faisait très sombre, mais il arrivait à distinguer quelques détails. C’était une sorte de grande salle souterraine au plafond effondré.
« On n’y voit vraiment rien. » fit anxieusement Tyra. « C’est pas problématique pour moi, ressentir la magie en chaque chose est plutôt pratique dans c’genre de situation et puis j’ai une bonne vision dans le noir, mais toi… sois prudent. »
Öta ne répondit pas. Voir Tyra user de sa magie lui avait donné une idée. Il ouvrit son escarcelle et fouilla dans les différents flacons qui s’y trouvaient avant d’en sortir un.
« Qu’est-ce que c’est ?
– Des graines que j’ai ramassées durant notre voyage. Je voudrais essayer de les faire pousser à la surface.
– Öta. » grogna Tyra. « Je t’ai déjà dit que ce qui est dans le Creux ne pousse pas en surface. On a déjà essayé.
– Peut-être, mais au moins mon envie de tenter l’expérience va nous être utile. »
Il versa les graines dans la paume de sa main et se concentra pour diffuser sa magie en elles. Doucement, ces dernières commencèrent à pousser, libérant de belles plantes brillant dans le noir.
« Oh. Les plantes lumineuses.
– Ça ne nous éclairera pas aussi bien qu’une lampe, mais c’est mieux que rien. Tant que je les garde en vie. » soupira Öta. « Et je serais plus rassuré avec un petit peu de lumière. Je n’aime pas vraiment l’obscurité.
– Sers-t’en pour regarder le sol. Avec un peu de chance cette fois ça t’évitera de tomber dans une crevasse.
– Ahahaha. Très drôle. »

Après avoir conclu qu’il leur était définitivement impossible de remonter par là où ils étaient tombés, Tyra et Öta décidèrent de s’enfoncer dans l’obscurité à la recherche d’une sortie plus accessible.
Au fond de la pièce, ils trouvèrent passage menant à un escalier. Un escalier qui descendait. N’ayant pas d’autre choix, ils décidèrent de l’emprunter.
« Je passe devant, je verrais mieux les marches. Suis-moi et retiens-moi si je tombe dans un trou. » fit Öta.
Il s’avança lentement un pas après l’autre. Il n’était pas très heureux de devoir s’aventurer dans le noir. Chacun de ses pas était plus prudent que le précédent, mais la sensation de main de Tyra sur son dos le rassurait.
En arrivant au bout de la descente, Öta soupira de soulagement. Les deux compagnons longèrent ensuite les murs avec prudence.
« T’es sûr que ça ne craint rien ? » chuchota Tyra. « Ta magie, je veux dire. Tu ne devrais peut-être pas l’utiliser.
– Rassure-toi, entretenir une petite plante quelques heures ne va pas me tuer. Les membres de ma famille sont morts après des années et des années d’usage régulier. J’en suis encore loin.
– Quand même. Fais attention à toi. »
Öta opina. Mais sa vie était moins en danger s’il utilisait un peu de magie que s’il décidait d’avancer dans le noir complet. Tyra ajouta :
« N’empêche, heureusement qu’on n’est pas dans un lieu chargé en magie pure.
– Pourquoi ?
– Tu n’as pas remarqué ? Mon sceau ne fait déjà plus effet. »
Öta réalisa alors qu’elle avait raison. Avec tout ce qu’il venait de se passait, il ne l’avait pas remarqué. Mais maintenant qu’elle en parlait… Il grimaça. Il partageait son avis : ils avaient beaucoup de chance que le trou où ils étaient tombé ne soit pas chargé de la magie de Hedera.
Il n’osait pas imaginer ce qu’il se serait passé autrement.
« Comment ça se fait ?
– Je te l’ai dit, la magie mentale, c’est pas mon domaine. Mes sorts ne durent pas longtemps. »
Öta ne répondit pas. Il essayait de faire abstraction des formes qu’il apercevait au fond de la pièce. Des silhouettes sombres, immobiles, mais de forme bien trop humaine pour ne pas lui glacer le sang.
Il murmura :
« Tu as vu ça ?
– Oui. Allons voir. »
Ils s’approchèrent sans réellement savoir ce qu’ils allaient dénicher au fond de la pièce. Ils y découvrirent des cellules. De nombreuses cellules fermées et dont certaines étaient en partie effondrées.
À l’intérieur se trouvaient des sortes de corps de bien plus petite taille que ce qu’Öta avait imaginé en les distinguant de loin.
« Je suis curieuse. » fit Tyra en se faufilant dans l’une des cellules dont les barreaux étaient tombés à cause d’un effondrement. « Apporte la lumière ! »
Öta la rejoignit avec appréhension. Il approcha la plante des silhouettes et découvrit alors des amas de terre et de mousse de taille humaine. Certaines avaient même la taille d’un enfant.
« Bizarre. » commenta Tyra en se redressant. « Je me demande ce que ça fait là, et pourquoi.
– On ferait mieux de continuer. Je ne sens pas du tout cet endroit.
– Moi non plus. Ça empeste le sang et la mort. »
Ils s’éloignèrent avec la boule au ventre. Öta ne put s’empêcher de lancer un dernier regard derrière lui en direction des silhouettes.
« Öta ?
– J’ai hâte de trouver la sortie.
– Moi aussi. »

Combien de temps arpentèrent-ils l’étrange lieu où ils étaient tombés ? Ils n’en avaient aucune idée. Mais c’était long. Très long. L’obscurité les faisait certaines fois tourner en rond et la fatigue commençait à peser sur eux.
« Si ces escaliers nous mènent encore à des geôles, je hurle. » grogna Tyra en empruntant les marches d’un nouveau passage qu’ils avaient découvert.
À plusieurs reprises, les deux compagnons étaient tombés sur ce qui semblait être d’autres cellules. À moins qu’ils n’aient encore une fois tourné en rond. Il faisait trop sombre pour en être réellement certain.
« Je crois que je vais hurler avec toi. » affirma Öta.
La plante dans ses mains commençait à dépérir dangereusement. L’épuisement d’Öta influait sur sa magie, qui n’était plus aussi efficace qu’au tout début. Et il devait bien avouer qu’il avait affreusement mal aux bras à force de la porter en essayant de la garder en vie.
Lorsqu’ils atteignirent le haut de l’escalier, Tyra fit un petit cri. Elle dépassa Öta et se rua vers la porte qui venait d’apparaître en haut du chemin. Il s’agissait d’une simple porte en bois, mais elle était synonyme d’un nouvel espoir.
Il y avait de la lumière de l’autre côté. De la lumière !
Elle tenta de l’ouvrir, mais cette dernière demeura fermée.
« Merde ! » pesta-t-elle en tapant sur la porte. « Il y a quelqu’un ? Ouvrez-nous ! On est coincé ! »
Ils entendirent un son de l’autre côté, comme si quelque chose venait de tomber au sol, suivi de quelques petits pas rapides. Leurs yeux s’écarquillèrent.
└ Il y a quelqu’un ? ┐ fit Öta en toquant à la porte. └ On est là ! Je vous en prie, sauvez-nous ! ┐
Mais personne ne leur répondit.

Si personne ne venait leur ouvrir, alors qu’à cela ne tienne ! Elle ouvrirait cette maudite porte toute seule ! Tyra s’appuya contre elle en cherchant du regard ce qui pouvait la bloquer.
« Y’a un loquet de l’autre côté. C’est un p’tit truc de merde, alors si j’arrive à le soulever… » murmura-t-elle en glissant sa lame dans l’interstice de la porte. « … je vais réussir à l’ouvrir ! »
Et elle avait raison. Après quelques essais, la porte se déverrouilla. Aussitôt, Tyra et Öta la poussèrent de toutes leurs forces. Mais quelque chose l’obstruait de l’autre côté.
« Je crois qu’il y a une pierre devant la porte ! » grogna Öta en tentant de voir dans l’entrebâillement de cette dernière. « On est vraiment dans une ruine. Le plafond va finir par nous tomber sur la tête ! »
Ils poussèrent de toutes leurs forces et réussirent finalement à se frayer un chemin.
« Aïe !
– Ça va ?
– Je me suis encore cogné les cornes contre le mur. » grogna Öta en s’extirpant du passage.
Il se massa doucement la tête en examinant d’un regard curieux le lieu où ils avaient atterri.
Il s’agissait d’un immense hall en pierre aux larges colonnes et au plafond parsemé de trous desquels la lumière se faufilait. La retrouver après autant de temps à errer dans l’obscurité était un soulagement sans nom et il sentit son corps se détendre légèrement.
« On dirait un temple. » murmura-t-il en s’avançant avant hésitation.
Le bruit de ses pas résonnait sur la pierre, dans un doux écho qui accentuait le silence oppressant de ces lieux. Ce hall était abandonné depuis si longtemps qu’il était difficile d’imaginer ce à quoi il ressemblait autrefois.
« Tu as vu toutes ces fresques ? » fit Tyra de l’autre côté de la pièce. « De loin je pensais que c’était des peintures, mais en fait ce sont plein de petites pierres assemblées. »
Elle gratta du bout des ongles la couche de poussière, intriguée par cette technique qu’elle ne connaissait pas. Öta la rejoignit et admira les mosaïques avec curiosité.
Certaines étaient effondrées ou en partie cassées, mais d’autres biens que couvertes de saleté et d’usure étaient encore assez lisibles.
« C’est vrai que c’est joli. On dirait vraiment un temple en l’honneur d’une divinité très ancienne. Tu as vu ça ? Le même personnage revient sur toutes les scènes.
– Une divinité qu’avait beaucoup trop de cachots sous son temple. Je ne suis pas sûre de l’aimer, celle-là.
– Effectivement. On ferait mieux de ne pas trainer par ici. »
Mais avant même d’avoir eu le temps de chercher une sortie, ils entendirent des pas rapides résonner entre les murs. Des pas qui se rapprochaient d’eux.
└ Je te préviens, si essayes encore de me faire peu— oh. ┐
Une jeune fille émergea alors d’une porte et s’arrêta net en apercevant Öta et Tyra. À ses côtés se trouvait un petit chat très reconnaissable. Cornu et au pelage vert, il se cachait en partie derrière la jeune fille.
└ Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?! ┐

La première pensée de Tyra fut que la jeune fille ressemblait énormément à Noyer.
De petite taille, deux grandes cornes et les dents pointues. Sur ses épaules, de petites feuilles vertes poussaient, et dans son dos, une longue queue remuait avec agitation.
Mais le plus étonnant était la teinte verte de sa peau. Un vert clair tirant sur le brun, très doux et naturel rappelant le début du printemps.
└ Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?! ┐
Ne comprenant pas un traître mot du vieux-nordan, Tyra recula d’un pas en grimaçant. Elle lança un regard à Öta en priant intérieurement pour qu’il les sorte de là.
La jeune fille avait un accent très prononcé, différent de celui des villageois. Mais le visage d’Öta se décomposa aussitôt en entendant la colère suinter de sa voix.
Le soulagement d’avoir enfin trouvé une âme vivante pouvant les guider jusque la sortie fut aussitôt remplacé par la culpabilité de s’être fait surprendre sur ce qui semblait être un ancien site sacré.
└ Je… je vous présente nos excuses. Nous n’avions pas l’intention de pénétrer ici. Nous nous trouvions dans la forêt quand nous sommes tombés dans un trou. Nous suivions un esprit, et nous pensions qu’il nous guiderait vers —
– Un esprit ? UN ESPRIT ? VOUS AVEZ SUIVI UN ESPRIT ?! ┐
La voix de la jeune fille monta dans les aigus sur ces derniers mots, et Öta rentra aussitôt la tête dans ses épaules. Il se sentait soudain très bête.
└ O... oui. Une lueur bleue, au repos des esprits.
– MAIS ?! ┐
La jeune fille se frotta le visage.
└ Urgh, ils ont suivi un feu-follet. ┐ grogna-t-elle en fixant le chat à ses pieds. └ Tu te rends compte ? ILS ONT SUIVI UN FEU-FOLLET. Ils sont fous. Ou idiot. Ou suicidaires. Ou même les trois. Je penche pour les trois. ┐
Le chat miaula, approuvant visiblement ses dires. Öta se mordit la lèvre. Il reconnaissait cet animal. Il s’agissait d’un ami de Cissus qu’il avait déjà croisé au repos des esprits. S’il était là, c’est que Tyra et Öta n’avaient pas dû s’éloigner tant que ça. C’était une bonne nouvelle.
└ Nous sommes désolés. Nous ne sommes pas d’ici, nous ne connaissons pas les règles. Nous pensions que les esprits de ce village étaient amicaux.
– LES ESPRITS ? AMICAUX ? ┐
La jeune fille les dévisagea, les yeux grand ouverts, avant de lâcher un court rire sec en réalisant qu’il ne plaisantait pas.
└ Vous avez de la chance d’être encore en vie. Suivez-moi.
– Oh. Merci !
– Du calme. Vous n’êtes pas au village ici, l’hospitalité des Aytrüs ne vous sauvera pas. Vous n’auriez jamais dû entrer dans la forêt et encore moins dans ce temple. Vous n’étiez et n’êtes toujours pas les bienvenus ici. ┐ siffla-t-elle. └ Et ne touchez à rien. Vous avez intérêt à vous faire tout petit. ┐
Öta hocha la tête. Il n’avait clairement pas l’intention de la contrarier.
└ Que va-t-il nous arriver ?
– Ce n’est pas à moi d’en décider. Vous êtes entre les mains de Nemus maintenant.
– Nemus ?
– Le maître de ces lieux. ┐ fit-elle en indiquant les fresques d’un geste vague. └ Ces terres sont son domaine.
– Je croyais que ces terres étaient celles de Hedera ?
– Hedera ne possède pas ces terres, elle les… occupe. Ces terres sont celles de Nemus et le seront toujours. Après tout, elles ont été façonnées par le Grand Divin Matière spécialement pour lui. ┐

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