- 40 - La fuite de David 2/2
- bleuts
- 14 oct. 2024
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Dernière mise à jour : 18 janv.
Partie 1 - La forêt de pierres
« Mamans, j’ai peur. » murmura Max en se blottissant contre Sofie, qui lui caressait la tête pour le rassurer. « On va vraiment mourir ?
– Non. Je vais nous sortir de là. » répondit Dynia, catégorique.
Elle et le reste du groupe analysaient leur cellule pour comprendre comment s’enfuir. Ils avaient été conduits dans un étrange passage, descendant un escalier qui s’enfonçait sous terre derrière l’un des dolmens de la plaine.
C’était un lieu sombre, lourd, enveloppé d’immenses racines noueuses. Les sylènes les y avaient enfermées, dans des cellules de ronces et d’os.
Malheureusement, ils leur avaient également confisqué toutes leurs affaires. Tout ce qui aurait pu leur permettre de s’enfuir. Leurs sacs, leurs armes, leur nourriture, chacune de leurs possessions.
Et voilà maintenant de longues minutes qu’ils tentaient de comprendre comment arranger cette situation catastrophique.
Soudain, ils entendirent des pas. Les sylènes revenaient. Une vieille dame guidait le groupe qui entra dans les cachots. Elle était entourée de plusieurs guerriers.
« Thy.anbeil an prisonaz dë Gethin ? Tsst. » siffla-t-elle en regardant le groupe avec mépris. Ses yeux se posèrent alors sur Landry et un sourire éclaira son visage. « Hoho ? Lutinae ? The.mënn thyn. »
Les guerriers ouvrirent alors la cellule et attrapèrent l’enfant, qui se mit à hurler. Mylen tenta aussitôt de s’interposer, mais fut frappé au ventre et s’écroula. Les guerriers refermèrent aussitôt la cellule alors que Mylen se redressait et hurlait :
« Pas lui ! Laissez-le tranquille, prenez-moi à sa place. Je suis volontaire. David, dis-leur que je suis volontaire !
– Sssshhhht. »
La vieille Sylène renifla avec agacement. Elle attrapa Landry et examina ses oreilles en souriant avant de tendre la main. Un guerrier y déposa une lame et elle entailla le doigt du garçon.
Une goutte se forma. Une goutte d’une couleur ambrée. Depuis la prison, il était difficile de le voir et aucun membre du groupe ne remarqua l’étrange teinte, bien trop occupé à paniquer.
La vieille sylène lécha le doigt du garçon avant d’éclater de rire. Mylen cria de rage tandis que le petit garçon était tiré hors des cachots, loin de leur vue. La dernière image qu’ils eurent de lui était son regard brouillé et ses cris de peur.
« Maman, papa ! Je veux pas ! Mylen, sauve-moi ! J’ai peur, je veux pas y aller, s’il vous plait, lâchez-moi ! »
Mylen frappa la cage avec la rage, le visage brouillé de larmes.
« Non ! non non non non ! J’avais promis de le protéger ce n’était pas censé se passer comme ça ! Je dois le sortir d’ici ! Je dois—
– Mylen. Calme-toi, on va trouver une solution. » répondit Dynia sans réellement y croire.
Mais soudain, une voix s’éleva de la cellule voisine.
« Cah tha.dekas an lutinae ? Tha.anbeil dür ?! »

Ils ne l’avaient pas remarqué avant. Mais enfoncé dans l’obscurité, caché par les ronces qui l’enveloppaient, un homme se trouvait là. Un sylène immense, à la peau de jais et aux cheveux d'un blanc argenté, qui se redressa et les regarda avec tristesse.
« An lutinae ? Siarad goar. » souffla David, surpris.
Le prisonnier hocha la tête et murmura lentement quelques mots qui firent grimacer David. Dynia lui donna un coup de coude et grogna :
« Traduction.
– Mais ce qu’il dit n’a aucun sens.
– Quoi ?
– II dit que nous avons été idiot d’apporter un… lutin ? Et qu’il est déjà mort. Un certain Coenan va le dévorer. Quant à nous, si nous avons de la chance nous serons mort de faim avant que notre tour n’arrive.
– Un lutin ? Landry ? Quoi ?
– Je ne sais pas. Je ne comprend pas. »
Mylen se détourna et ferma les yeux.
Dès qu’ils furent seuls, ils n’avaient pas perdu une minute et avaient cherché par tous les moyens une façon d’ouvrir la porte de leur cage. Mais elle n’avait pas de serrure. Et les ronces n’arrangeaient pas les choses.
« Mylen. » fit David. « C’est dans tes compétences de crocheter des trucs, fais quelque chose.
– Je ne suis pas jardinier. Je crochète des serrures moi, pas des plantes.
– Si seulement Landry était resté avec nous… » soupira Dynia. « Sa magie aurait pu nous aider. Il maitrisait la terre comme sa mère, non ? »
L’air se refroidit aussitôt mention du petit garçon. Sofie baissa les yeux, tandis que Max reniflait en sentant les larmes monter de nouveau. Mylen hocha la tête.
« Oui. Mais Söl disait toujours que sa magie était faible et souvent inefficace dans les souterrains. Il aurait été aussi impuissant que nous.
– C’est vrai. Et tes p’tites boules là, les sorts que tu as achetés ? » se rappela Dynia. « Tu les as toujours ou ils te les ont pris avec le reste de nos affaires ?
– Ni l’un ni l’autre. Je les ai donnés à Landry pour qu’il puisse se protéger si on se retrouvait séparés. »
Dynia haussa un sourcil, surprise. Depuis le début de leur voyage, Mylen s’était montré particulièrement attentif et protecteur envers le petit garçon. Pourtant, il n’avait jamais preuve d’intérêt pour les enfants avant ça. Était-ce parce qu’il avait promis à Söl de mettre ses enfants en sécurité ?
« Tu lui as donné ?
– Oui. J’espère qu’il aura l’intelligence de s’en servir. » répondit Mylen, la voix marquée par l’inquiétude.
Après cela, ils tournèrent en rond. Aucune solution ne se manifestait. Ils ne savaient simplement pas quoi faire. Combien de temps passa ? Un jour ? Deux ? Plus ? Moins ? Ils n’en avaient aucune idée.
Ils avaient faim, soif, étaient fatigués et pessimistes. Et bien qu’elle ne voulait plus penser à un certain trou au fond de la cellule, l’odeur qui s’en échappait faisait régulièrement plisser le nez de dégout à Dynia.
David avait passé tout son temps assis au plus proche de la cellule voisine. Il tentait de converser avec le Sylène emprisonné pour obtenir des informations. Ayel restait à côté de lui, somnolant silencieusement.
« Tu as appris quelque chose ? » demanda Dynia en s’asseyant à leur droite. David hocha la tête.
Elle remarqua alors comme il avait l’air mal en point. En leur confisquant leurs affaires, les Sylènes avaient aussi privé David des plantes qui le soulageaient. Il était courageux de subir sans rien dire. Pas une seule fois depuis qu’ils étaient enfermés, il n’avait évoqué ses douleurs. Comme s’il ne souhaitait pas que le groupe s’inquiète encore plus.
« Il s’appelle Adrepo. » expliqua David. « Il est là parce qu’il a voulu mener une attaque contre un certain Coenan, le chef de cette tribu, mais qu’il a été vaincu. Tout son groupe est mort, il est le dernier.
– Merde.
– Dynia. » murmura David. « Je crois qu’on est dans le repère d’un ogre.
– Un ogre ? Mais, ils sont morts.
– Je ne sais pas. On dirait tellement nos légendes. L’ombre dans le brouillard et si c’était lui ? Il se nourrit des gens et à l’air d’avoir de nombreux serviteurs. Et si un ogre avait survécu tout ce temps au fond de ce territoire ? »

Dynia frissonna. Elle n’aimait pas cette idée, oh non.
« Tu as demandé à notre voisin ?
– Je ne sais pas trop. Je ne comprends pas tout ce qu’il dit, il utilise des mots qui me sont inconnus. Mais si c’est un ogre et que Landry est un… lutinae, je ne comprends pas pourquoi il s’en prendrait au petit.
– Ah ?
– Selon les légendes, ma culture était celle des ogres autrefois. Ils priaient les Dames. Alors, pourquoi s’en prendre à leurs enfants ?
– Tu sais, les légendes, ça change avec le temps. » fit Mylen en les rejoignant.
Il s’assit à côté d’eux et fixa le Sylène d’un regard las. Ce dernier semblait épuisé lui aussi et s’était endormi.
« Je ne m’y fierais pas trop à ta place. Si ça se trouve, un ogre ça peut désigner plusieurs choses différentes. Comme un lutin. Qui te dit que le lutin de vos légendes est le même que celui que ces créatures appellent lutin aujourd’hui ?
– Tu m’embrouilles là. » grimaça David. « Déjà que c’est pas simple.
– J’avais oublié que ton cerveau ne pouvait comprendre qu’un mot par minute, pardon.
– Mylen…
– Une chose est sûre, ce Coenan est notre ennemi. »
David et Dynia hochèrent la tête. Cette dernière tourna la tête pour jeter un coup d’œil à sa femme et son fils. Ils essayaient de dormir pour oublier la soif.
Elle s’humecta les lèvres, sentant sa gorge tirailler et ses lèvres lui faire mal tant elles étaient sèches. Et alors qu’elle fermait les yeux de fatigue, un bruit dans les escaliers la fit aussitôt les rouvrir.
Soudain, le corps du gardien des cachots dégringola dans les escaliers avant de tomber tout en bas dans un bruit sourd. Mort.
Trois personnes apparurent alors, armées et couvertes de sang. Une femme se précipita vers la cellule du Sylène endormi et s’écria :
« Adrepo ! »
Pendant ce temps, les deux hommes qui l’accompagnaient fouillaient le corps sans vie du gardien. L’un d’entre eux lui retira ses gants et les enfila. Ils étaient étranges, comme fabriqués à partir d’une sorte d’écorce noire.
L’homme se redressa et ouvrit alors la cellule d’Adrepo comme s’il elle n’avait jamais été fermée. Il entra dedans avec la femme et aida le prisonnier à se relever en marmonnant des mots qui ressemblaient à des jurons.
« Attendez ! » s’écria Dynia en comprenant qu’il s’agissait de leur seule chance de sortir. « David, dis-leur de nous faire sortir ! »
David hocha la tête et s’exécuta, la voix tremblante. Les trois visiteurs se retournèrent alors vers eux, daignant enfin les remarquer, et les dévisagèrent avec curiosité.
La femme s’approcha de leur cellule pour mieux les voir et plissa le nez. Elle fixait leurs masques, seules possessions que leurs ravisseurs n’avaient pas osé leur prendre, avant de se détourner en marmonnant.
David se figea, comprenant qu’ils ne les aideraient pas peu importe leurs supplications. Dynia cria, tentant d’attirer de nouveau leur attention, mais le groupe l’ignora.
Ils commençaient à monter les escaliers lorsqu’Adrepo, qui commençait à reprendre ses esprits, leur ordonna de s’arrêter. Il tourna la tête vers le groupe et plongea son regard dans celui de David.
« Adrepo ? » murmura la femme, perdue.
Il hocha la tête. Elle cracha, agacée, et arracha les gants de mains de son compagnon avant de redescendre les escaliers. Elle ouvrit la porte, la tête haute et le regard méprisant.
« Mercë. » fit David en sortant, mais elle ne lui répondit pas.
Le groupe lui emboita aussitôt le pas, ravi et soulagé de pouvoir quitter leur cellule obscure. Dynia se précipita vers l’endroit où leurs affaires avaient été entreposées.
« Ouf. Ils n’ont pas touché à mon épée. » murmura-t-elle en attrapant son arme. Elle lui avait manqué. Mais les cristaux dessus commençaient à se fatiguer et elle pesta mentalement. Une protection de moins.
Une fois dehors, Adrepo murmura quelques mots à David, qui hocha la tête et répéta à son groupe :
« Il dit que nous pouvons les accompagner jusque leur village. Il est au Nord d’ici, en contrebas après la forêt. Les ennemis de Coenan sont leurs amis. Et je crois qu’il est curieux d’en savoir plus sur nous.
– Dis-leur qu’on accepte. » soupira Dynia. « Nous n’avons pas vraiment le choix. »
Mylen fronça les sourcils.
« Dans ce cas, allez-y sans moi. Je vais chercher Landry.
– Quoi ? Mylen, le gosse est sans doute mort à l’heure qu’il est. Je sais que c’est dur, mais on ne peut plus rien pour lui. On doit fuir d’ici.
– Fuyez alors, je vous rejoindrai plus tard. »
Il recula et porta la main à sa joue, la bouche légèrement entrouverte. Dynia venait de le gifler.
« Hors de question que je te perde. Tu vas nous suivre.
– Dynia…
– Je t’interdis de sacrifier ta vie bêtement. Ça ne m’amuse pas d’abandonner le petit de Söl, mais on n’a pas le choix.
– Je sais. Mais je vais quand même y aller. Je ferais attention. »
Et sans lui laisser le temps de répondre, il se détourna pour s’engouffrer dans la brume et disparaitre.
« Mylen ?! »
Mais Dynia eut beau le chercher, la forêt de pierre l’avait avalé. David lui posa une main sur l’épaule et murmura :
« Adrepo dit qu’on devrait y aller avant que Coenan se réveille.
– Mais Mylen… ? » gémit-elle, la voix cassée. « Mon petit… Je ne peux pas l’abandonner.
– Notre fils sait ce qu’il fait. » répondit Sofie, les yeux baignés de larmes. « J’ai confiance en lui. Allons-y. »

« Alors comme ça, Mylen est ton fils ? » murmura David en se penchant sur Dynia.
Celle-ci ruminait depuis que le blond les avait abandonnés pour partir chercher Landry dans ce qu’elle considérait comme une mission suicide.
Le groupe n’avait pas marché bien longtemps. Ils s’étaient installés dans une clairière, que la femme qui accompagnait Adrepo avait, semble-t-il, protégé d’un sort. Depuis, elle montait la garde avec ses comparses.
Les anciens prisonniers avaient tous besoin de boire, de manger, et de reprendre des forces s’ils voulaient être capables de rejoindre le village des Sylènes. Max et Ayel ramassaient du bois pour le feu, discutant à voix basse un peu plus loin. Dynia soupira et répondit :
« C’est compliqué.
– Je suis étonné. J’avais entendu dire qu’il était de la famille de Tyra et Soren. »
David était persuadé d’avoir déjà écouté les gens parler de Mylen comme un membre de cette famille. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui faisait qu’il était aussi apprécié de Soren, et insoupçonné. S’il était l’enfant de Dynia, pourquoi diable Soren l’affectionnerait-il et aurait-il confiance en lui ? C’était absurde.
« C’est le cas. Ils sont cousins. » fit Sofie en les rejoignant.
Elle s’assit sur un tronc d’arbre et enlaça sa femme.
« C’est une sale histoire.
– Chérie, tu es sûre de vouloir lui en parler ?
– Pourquoi pas ? On a le temps, on ne repart pas avant un moment. »
David pencha la tête, intrigué. Dynia fit la moue, mais finit par accepter et expliqua :
« Mylen hein ? C’est moi qui l’ai porté. À l’époque on était un jeune couple poussé par l’envie de fonder un foyer. Alors, on n’a pas attendu bien longtemps avant de se lancer. Mais c’est sans réfléchir que j’ai demandé à mon meilleur ami de nous aider.
– De vous aider ?
– De nous donner l’ingrédient manquant, si tu vois ce que je veux dire. » répondit Dynia en levant les yeux au ciel. « Il a accepté. Ce fut notre plus grosse erreur. Je suis rapidement tombée enceinte et j’ai mis au monde notre petit garçon.
– Il était magnifique. » soupira Sofie. « Un petit rayon de soleil aux cheveux couleur des blés.
– Mais pourquoi ce fut une erreur ? Ton ami a voulu garder le bébé ?
– Non. Il n’avait pas envie d’élever Mylen, et à vrai dire il n’avait pas vraiment d’instinct paternel. Les enfants l’ont toujours agacé. L’erreur, c’est qu’il était le frère du chef du village. L’oncle de Tyra.
– Oh.
– Quand Alaric, notre ancien chef, a appris que son frère avait "donné" un enfant sans son autorisation, il a exigé qu’il nous soit retiré. Il nous a enlevé notre bébé. » la voix de Dynia tremblait, tandis qu’elle serrait les poings de rage. « Il a exigé que l’enfant soit élevé dans sa "vraie" famille.
– Oh merde.
– Comme tu dis. » souffla Sofie, attristée. « Tout ça à cause de la magie du sang. Alaric refusait que les gênes de cette magie soient "offerts" à une autre famille. Même si Mylen n’a jamais eu ce don, le fait qu’il puisse donner naissance à un enfant mage le rendait bien trop précieux.
– Alors quoi, vous n’avez pas pu l’élever ? Votre ami ne pouvait pas vous aider à le voir en secret ? »
Dynia secoua la tête.
« Il n’a pas survécu assez longtemps pour ça. Il à juste eu le temps de subir un mariage arrangé avec une connasse blonde, pour les apparences tu comprends, et de pondre un autre fils lorsqu’il est mort. Mais au fil des années, j’ai déjoué plusieurs fois des tentatives d’assassinat déguisées. Si je n’avais pas été aussi utile et populaire dans le village, je ne doute pas une seconde du sort qu’il m’aurait réservé. Heureusement, il semblait plus m’en vouloir à moi qu’a Sofie. »
David grimaça. Plus il en apprenait sur l’histoire de l’ancien chef du village, moins il l’appréciait. Et un mariage arrangé ? Forcé d’avoir deux enfants alors qu’il n’en souhaitait pas ? Voilà une misérable histoire. Il ressentait un peu de tristesse en l’imaginant.
« Mylen a été élevé par Alaric. Il lui a répété qu’on n’était pas ses mères, mais des folles qui avaient tenté de l’enlever alors qu’il était bébé. Il inventait chaque jour une nouvelle histoire pour l’éloigner de nous.
– Quoi ? Mais c’est absurde, c’est l’inverse ! C’est à vous qu’il a été enlevé !
– Va dire ça au gamin à qui ont a bourré le crâne toute sa vie. Il nous détestait. » la voix de Dynia se brisa. « Je n’oublierais jamais son regard, la haine qui brillait dedans chaque fois qu’il nous croisait. »
Sofie embrassa le front de sa compagne, lui serrant la main doucement. Dynia inspira pour reprendre son calme.
« Ce n’est que bien plus tard que nous avons repris contact. » expliqua Sofie. « En secret. Avec l’aide de Söl. Mais le mal était fait. Il a compris qu’il avait été berné. Mais quelque chose reste brisé entre nous. Nous n’avons jamais pu former une vraie famille.
– C’est révoltant. Et personne ne sait la vérité au village ? Personne ne sait qu’il est votre fils ?
– Non. Notre premier fils est officiellement mort. Bien qu’il aurait aimé révéler la vérité au village, Mylen à préféré garder le secret pour continuer à —. »
Dynia ne continua pas sa phrase. Une odeur de brûlé leur piquait le nez. Tous les membres du groupe se redressèrent, cherchant d’où ça pouvait provenir. Il ne leur fallut pas bien longtemps pour comprendre qu’un incendie venait de se déclarer sur le territoire de Coenan.
« Oh bordel. Mylen.
– Encore une illusion ?
– Non. Je crois qu’il a vraiment foutu le feu cette fois. »

« Si c’est lui, tu crois que Mylen va pouvoir nous retrouver ? » demanda Sofie tandis que tout le groupe se préparait à la hâte pour repartir et fuir au plus vite la fumée.
« Je l’espère. On lui a dit dans quelle direction on allait. »
Dynia avait vu juste. Il ne fallut pas longtemps à Mylen pour rejoindre leur camp, couvert de sang et de suie. Il boitait.
Sa jambe était blessée et il l’avait bandée avec des morceaux de tissus sales. Il avait l’air d’un fou, les yeux écarquillés et la respiration sifflante. Dans ses bras, il tenait quelque chose enroulé dans sa tunique imbibée de… sève ?

« Mylen, qu’est-ce que… »
Elle se précipita vers lui, mais s’arrêta aussitôt. Il était seul.
« Tu… Tu ne l’as pas trouvé ? » comprit-elle.
Mais Mylen secoua la tête. Il désigna ce qu’il tenait dans les bras. D’une voix rauque, il répondit :
« Si. Il est là. »
Il ouvrit le paquet. À l’intérieur se trouvait un bras d’enfant.
Partie 2 - Lutinae
Dynia hoqueta et sentit la nausée l’envahir, l’horreur se peignant sur son visage. Derrière elle, les autres membres du groupe s’étaient arrêtés de bouger, frappés de stupeur.
David attrapa Ayel et Max, les serrant contre lui pour les forcer à détourner les yeux de la scène.
Adrepo et ses comparses fixèrent quant à eux Mylen avec curiosité, leurs étranges sauveurs murmurant entre eux tandis qu’Adrepo semblait leur expliquer la situation à voix basse.
Le bras avait été tranché net, juste au-dessus du coude. Il avait toujours une mitaine, une de cette paire que Landry ne quittait jamais.
Dynia entendit quelqu’un vomir, mais ne tourna pas la tête. Elle leva les yeux vers Mylen, qui la fixait avec attention.
Il avait perdu son expression désespérée, commençant progressivement à reprendre ses esprits. Elle le voyait enfouir ses émotions à vue d’œil, mais le connaissait bien trop pour ne pas voir qu’il était totalement désemparé par la situation.
« Avant que tu ne poses la question. » souffla-t-il. « Oui c’est bien le sien.
– Tu… tu en es certain ? La mitaine est la sienne, mais ils auraient pu lui prendre pour nous induire en erreur ou bien… ?
– Oui. » la coupa-t-il. « Regarde. »
Mylen retira doucement le vêtement, dévoilant un bras couvert de tatouages. Ils partaient de sa main et montaient jusqu’au coude. Dynia écarquilla les yeux.
« Quoi ? Comment ? » souffla-t-elle en s’approchant pour mieux voir. « Je peux… ? »
Mylen hocha la tête et lui confia le bras. Elle fixa les symboles qui le recouvraient avec incompréhension.
« Qu’est-ce que c’est ?
– C’est —
– Un siëlle ! Un siëlle dë espred ! » s’exclama Adrepo en se frayant un chemin vers eux.
Il fixa le bras avec étonnement et marmonna :
« Thy.anbeil an öbher dë tehï fulka ! Cah ? Thy.anbeil an searantaë ?! »
Il s’était tourné vers David, grognant avec colère. Ce dernier recula d’un pas, surpris. Il bredouilla :
« Teh... Teh.gouzios ni ?
– Tav ! »
Dynia redonna le bras à Mylen et se positionna à côté de David, les bras croisés. Elle lança un regard de défi au Sylène, qui la fusilla du regard en retour. Elle murmura à David :
« Il dit quoi, le monstre ?
– Je… Il a l’air de penser que le petit à un sceau de son peuple. Je ne comprends pas vraiment, mais ça n’a pas l’air de lui plaire.
– Oui ben il va se calmer tout de suite. » fit-elle, sans cesser de le toiser, en posant la main sur la garde de son épée en avertissement.
Adrepo leva la tête avec mépris et posa la main sur sa propre arme. Ses compagnons en firent de même en se positionnant autour d’eux. Ce fut Mylen qui s’interposa entre eux.
« Ce n’est pas le moment de s’entretuer. On a déjà perdu assez de temps comme ça. L’incend-
– Mylen, c’est quoi cet encrage ? » le coupa Dynia. « Pourquoi il réagit comme ça ? Si tu sais quelque chose…
– Il a raison. C’est un sceau. » souffla Mylen à contrecœur avant de tourner la tête vers Adrepo. « Ramus ? »
Adrepo ouvrit la bouche de stupeur. Il hocha la tête et retira la main de son arme. Il plongea son regard dans celui de Mylen avant de se détourner, faisant signe aux siens de baisser leurs armes. Dynia grogna :
« Mylen. Explication. TOUT DE SUITE.
– Tu ne veux pas attendre que l’on soit loin de l’incendie avant ? » répliqua-t-il en essuyant les restes de suie sur son visage. « Il ne devrait pas s’étendre aussi loin, mais mieux vaux être prudent. Ce n’est pas parce que j’apprécie de voir des gens bruler que j’ai envie que ce soit mon cas. »

Le groupe avait réussi à quitter le territoire de Coenan en un seul morceau. Ils étaient tombés en chemin sur deux guerriers solitaires, qui leur avaient barré le passage, mais les compagnons d’Adrepo n’avaient fait qu’une bouchée d’eux.
Ils étaient forts. Très forts.
Après cela, durant tout le trajet, Dynia n’avait cessé de lancer des coups d’œil à Mylen. Et lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin pour monter le camp, Adrepo affirmant qu’ils arriveraient le lendemain midi, elle attrapa le bras de son fils et le tira à l’écart.
« Maintenant, tu me racontes tout.
– Dynia…
– Ne discute pas. Que signifie Ramus ? Qui était Landry ? C’est quoi cet encrage sur son bras et cette histoire de sceau ? Rien n’a de sens. »
Mylen soupira. Il s’adossa à un arbre et croisa les bras en fermant les yeux. Il prit quelques secondes de réflexion avant de répondre.
« Tu es sûre de vouloir savoir ?
– Certaine.
– Même si ça implique les secrets de Söl ? Les secrets de celle à qui tu avais juré fidélité ? »
Dynia grimaça. Elle plissa le nez, agacée par cette question. Les secrets, encore et toujours les secrets.
Söl avait été une personne nimbée de mystère. C’était son aura énigmatique et insondable qui l’avait rendue si fascinante. On ne savait que peu de choses d’elle et son passé alimentait l’imaginaire du village.
Chacun avait sa propre idée, de la plus romantique à la plus étrange.
« S’il te plait. » souffla Dynia, une pointe d’hésitation dans la voix. « Parle.
– Je ne devrais pas t’en parler. Je la trahis en faisant ça, tu t’en rends bien compte ?
– Oui. Mais j’ai besoin de comprendre. »
Mylen remit en place une mèche de cheveux derrière son oreille.
« Ça va être long. », répondit-il dans un soupir. « Que sais-tu de Söl ? De ses origines ? De son passé ?
– Pas grand-chose. » admit Dynia, curieuse. « Seulement qu’elle est la nièce de Drakan. J’étais déjà membre des veilleurs le jour où il nous a demandé de l’accueillir dans la caste, elle entrait tout juste dans l’âge adulte. »
Drakan, l’homme dont Dynia parlait, était une personne estimée dans le village. Bien qu’il n’en fasse pas partie, il était connu de tous et accueilli avec les honneurs lorsqu’il leur rendait visite.
Elle ne l’avait vu qu’à quelques reprises et n’avait jamais eu l’occasion de lui parler.
C’était un ami du village, qui était respecté et admiré. Selon les rumeurs, il était autrefois le chef d’un village d’un autre pays. Il était devenu immortel et voyageait dans le monde à la recherche de connaissances.
Et comment ne pas le croire ?
L’homme avait connu les fondateurs du village et chacun de leurs descendants. Il venait depuis si longtemps, ne prenant aucune ride, qu’on disait de lui qu’il était ignoré par le dieu du temps.
C’était lors d’une de ses rares visites qu’il avait présenté Söl au village comme étant sa nièce, et avait demandé à ce qu’elle soit accueillie. Comment refuser ce service à celui qui avait côtoyé leurs ancêtres ? À une personne que l’on disait protégée par les dieux ?
« La nièce de Drakan, hein ? » répéta Mylen. « C’est un mensonge.
– Hein ?
– Söl n’est pas de son sang. Et elle n’est pas même abarianne de naissance. Elle est originaire d’un petit village dans le vieux nord. Elle s’est convertie pour rejoindre notre caste avec son aide. Ils ont monté ensemble ce mensonge sur leur lien de parenté pour qu’elle soit facilement accueillie chez nous.
– Oh merde. » murmura Dynia, sous le choc. « Elle nous a menti sur ses origines ?
– Oui. Tu es toujours sûre de vouloir connaitre la vérité ? »
Dynia cligna des yeux. Voulait-elle vraiment savoir ? Elle sentait ses mains trembler. Elles étaient moites. Et dire qu’elle avait eu confiance en elle tout ce temps, alors qu’elle leur mentait depuis le début !
Elle hocha la tête.
« Plus que jamais. Pourquoi nous à t elle mentit ? Pourquoi nous à t-elle rejoint si elle n’était pas abarianne ?
– Parce que notre village se trouve dans les souterrains.
– Quoi ?
– Il y avait une créature. Une sorte… d’esprit. Ramus, ou Rameau dans notre langue. » lâcha Mylen. « Dans son village, Söl a été liée à elle contre sa volonté. Le seul moyen pour elle de la fuir était d’aller là où la créature n’irait pas.
– Une créature ? Comment ça ? Et pourquoi les souterrains ? Qu’a le creux de si particulier ?
– Je ne suis pas sûr. Selon Drakan, cette créature et ses semblables en ont été bannis il y a des siècles. Elles ne peuvent pas y retourner.
– Selon Drakan… » répéta Dynia en réalisant quelque chose. « Mylen. Comment tu sais tout ça ? »
Mylen sourit.
« Oh, c’est un concours de circonstances en réalité. J’ai surpris une conversation entre elle et Drakan. Il a bien tenté de me tuer pour ça, mais Söl m’a protégé. Elle a insisté pour que je sois épargné. Je pense que bien qu’elle réalisait le danger que je lui faisais courir, elle était soulagée d’avoir quelqu’un avec qui partager son secret.
– Il a essayé de te tuer ? » siffla Dynia en posant les mains sur ses épaules. « Quand ?
– Dynia ?
– Quand ? » insista-t-elle. « Dis-moi quand ce fils de putain a essayé de tuer mon fils.
– Il y a une dizaine d’années. » réfléchit Mylen. « Oui c’est ça. Ça fait bien dix-onze ans que je suis la confidence. »
Dynia baissa les bras et recula d’un pas. Elle fixa Mylen avec stupeur.
« Dix ans ?
– Oui. C’est comme ça que je suis entré au service de Söl et que je lui ai juré fidélité. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi je travaillais pour elle à la barbe de tous ? Pourquoi je cachais mon allégeance ?
– Mais pourquoi ? Pourquoi tu as gardé ses secrets ?
– Parce que j’adore les secrets. » répondit Mylen. « Sincèrement ? Ça m’amusait de travailler pour elle. Son histoire est fascinante. Et même si au début c’était simplement pour le frisson, je me suis retrouvé à l’apprécier. Je lui aurais donné ma vie sans hésiter, tu sais ? »

Dynia se sentait nauséeuse. Elle réalisait à quel point elle était ignorante de tout. À quel point elle connaissait mal les personnes à qui elle tenait.
Son propre fils était impliqué dans des histoires qu’elle ne comprenait pas. Quant à celle à qui elle avait juré fidélité, pour qui elle avait risqué la sécurité de sa propre famille, ne l’avait jamais jugée assez digne pour lui partager ses secrets ?
C’était humiliant.
Mylen sembla remarquer son désarroi, car une pointe d’inquiétude brilla dans ses yeux. Il posa une main sur son épaule et demanda :
« Dynia, ça va ?
– Oui. »
Elle frotta ses bras pour se réchauffer, l’air s’étant refroidi avec la soirée. Elle lança un coup d’œil vers le camp et vit ses compagnons au loin assis, leurs visages assombris par la tristesse. Ils ne parlaient pas, ils attendaient simplement que la soirée passe. Ils étaient tous en deuil. Elle tourna de nouveau la tête vers Mylen et murmura :
« La créature dont tu m’as parlé. Celle qui poursuivait Söl. C’est le père de Landry ? C’est pour ça que le petit est bizarre ? Elle a été abusée ?
– Non.
– Alors pourquoi ? Pourquoi tu m’as raconté tout ça ? C’est Drakan, le père ?
– Non. » souffla Mylen. « C’est moi le père de Landry.
– QUOI ?! »
Dynia perdit toutes ses couleurs. Elle fixa Mylen avec horreur. Mais ce dernier haussa un sourcil et posa les mains sur les hanches, narquois.
« Je plaisante.
– T... toi ! Ce n’est pas le moment ! » cracha Dynia, embarrassée et offusquée de s’être ainsi fait berner. « Tu m’as fait peur. »
Mylen sourit, amusé.
« Il ne s’est jamais rien passé entre Söl et moi. Landry est bien le fils de Warin. Mais je surveille le petit depuis si longtemps que je me suis attaché. Il était censé devenir mon apprenti, tu sais ?
– Vu ce que j’apprends aujourd’hui, ça ne m’étonne même pas. Mais alors, pourquoi il est comme ça ?
– Comme quoi ?
– Je ne sais pas. Pourquoi de la sève coulait de son bras. Pourquoi Adrepo dit que c’est un lutin. Pourquoi il a un foutu sceau étranger sur le bras ? Qui lui à encré ? Et pourquoi ? »
Mylen laissa tomber son sourire. Il fixa la forêt d’un regard vide quelques secondes, plongé dans ses pensées, avant de demander :
« Tu te souviens de sa naissance ?
– Oui, pourquoi ?
– Bien. Alors tu dois te souvenir qu’il est né malade. Chétif, avec un souffle faible dans un corps minuscule.
– Oui. On a même cru qu’il allait mourir. Warin était inconsolable. Heureusement que Söl l’a amené à la surface auprès d’un médecin qui l’a sauvé.
– Ça aussi, c’est un mensonge. »
Dynia cligna des yeux. Elle fronça ensuite les sourcils et grogna :
« Quoi ?
– Le petit n’a pas survécu. La maladie l’a fauché quelques jours après sa naissance. »

Dynia écarquilla les yeux. Elle fixa Mylen avec incompréhension, essayant désespérément de mettre un peu d’ordre et de logique dans tout ce qu’il lui disait.
Comment ça, le petit était mort ?
« Mais. C’est impossible. Qui est le petit garçon qui nous accompagnait alors ? » souffla-t-elle, avant de réaliser. « Par les dieux ! Elle l’a remplacé par un autre enfant ?! Elle a vol—
– Non. L’enfant qui nous accompagnait était bien Landry. En quelque sorte.
– Mais ça n’a aucun sens ! Mylen. Qu’est-ce que tu me racontes ? »
Elle dévisagea son fils, attendant avec nervosité sa réponse. Mylen se frotta la nuque et répondit :
« Tu sais, Söl a toujours interdit à ses enfants d’aller à la surface. Elle avait peur que l’esprit qui la poursuivait ne s’en prenne à eux.
– Attends, tu veux dire que…
– Quand son bébé est mort, elle n’a cependant pas su résister. Elle voulait simplement offrir belle tombe à son enfant, là où il serait bercé par les rayons du Soleil. Tu sais, Söl a été nommée en l’honneur du Soleil. Elle voulait que son enfant demeure auprès d’elle.
– Que s’est-il passé alors ?
– Elle a enterré le corps dans un champ de fleur, près de la sortie du village, et elle s’est endormie là, accablée par le chagrin. Mais quand elle s’est réveillée, la terre avait été remuée.
– L’esprit qui la poursuivait ? Rameau ?
– Oui. Tu sais comment naissent les lutinaes ? »
Dynia hocha la tête.
« Selon nos légendes, les lutins naissent du sang des animaux qui retournent à la terre. » murmura-t-elle. « Mais on ne sait que très peu de choses sur eux. Ils sont censés avoir disparu.
– Les lutinaes ne sont pas tout à fait des lutins.
– Mais David à dit que…
– David se trompe. Lutinae n’est pas la traduction de lutin. Les lutinaes sont une aberration de la nature, quelque chose qui n’était pas prévu par les dieux. »
Dynia se figea.
« C...comment ça ?
– Comme tu l’as dit, les lutins disparaissent. Ils meurent à cause des hommes qui ont détruit leurs forêts. C’est la colère et la haine envers nous qui les a poussés à faire ça.
– Ça ?
– Utiliser le sang des hommes pour faire renaitre leur peuple. Notre Landry est un lutinae façonné par Ramus. Et comme tous les lutinaes, il est né du corps et du sang d’un enfant mort. »

Tout ça, c’était trop pour Dynia. Elle se laissa glisser par terre, dos au tronc d’un arbre. Assise sur le sol, elle murmura d’une voix rauque :
« Bordel. J’ai vraiment besoin d’un verre là.
– Tu vas devoir faire sans, désolé. » répondit Mylen en s’asseyant à côté d’elle.
Dynia secoua la tête. Son esprit était en ébullition. Elle repensait aux premières années de Landry, tentait de se remémorer chaque détail, chaque chose qui aurait pu être un indice sur tout ça.
Landry ? Mort ? Remplacé par un lutinae ? Et Söl qui l’avait élevé comme son propre enfant, aux yeux et à la barbe de tous ? Comment ?
« Pourquoi diable a-t-elle gardé cet enfant ?
– Je crois qu’elle ne le sait pas elle-même. Mais c’est peut-être parce qu’elle avait l’espoir de retrouver son bébé quelque part dans ce petit corps et parce qu’elle refusait de l’abandonner ?
– Bon sang. Comment elle a pu nous cacher tout ça ? Comment elle a fait ?
– Drakan.
– Drakan ?
– Oui. Après avoir réussi à dérober l’enfant à Ramus, elle l’a appelé à l’aide. À qui d’autre pouvait-elle se confier ? »
Mylen soupira. Il ouvrit son sac et en tira un petit carnet. Il s’agissait du livre qu’il lisait quelques jours plus tôt. Il le tendit à Dynia.
« Regarde. »
Elle prit l’objet et le feuilleta, son visage devenant de plus en plus pâle au fur et à mesure qu’elle en découvrait le contenu. Elle leva les yeux vers Mylen et souffla :
« C’est… ?
– Oui. Il appartenait à Söl, elle me l’a confié en même temps que son enfant. »
Dynia ferma les yeux. Dans le carnet se trouvaient des croquis de Landry. Des croquis de son corps. Des descriptions de ce que Drakan et Söl lui avaient infligé au fil des ans.
Ils avaient mutilé le bébé. Ils avaient taillé ses oreilles pour cacher leur forme étrange. Ils lui avaient arraché ses feuilles. Ils lui avaient rasé le crâne. Ils lui avaient…
Elle sentit la nausée remonter et serra le carnet, sentant la colère bouillir dans son ventre. Ils ne valaient pas mieux que la créature qui avait déterré l’enfant !
« C’était le seul moyen de cacher la vérité. » expliqua doucement Mylen. « Si ça peut te rassurer, il était trop petit pour se souvenir de la douleur. Pour les feuilles, il a pris l’habitude.
– Qu’est-ce que tu me racontes ? Tu penses que c’est normal ce qu’ils ont fait au gamin ? Tu as lu ce qui est écrit ?! Ils l’ont mutilé !
– Oui.
– Ne me dis pas que tu as participé à tout ça. Mylen. Tu n’as pas osé ? »
Mylen soupira.
« Je te jure qu’il ne se souvient pas de la douleur. Et Drakan est un mage particulièrement doué, il savait ce qu’il faisait.
– Il a utilisé la magie sur le petit ?
– Évidement. Il s’en est servi pour aider Söl à cacher la vérité à tout le monde. Mais c’était temporaire. Il est ensuite parti à la recherche d’une solution plus efficace et pratique. Plus permanente.
– Laquelle ?
– Le sceau, évidemment. »

« Le sceau, évidemment. »
Mylen tendit la main. Dynia comprit et lui rendit le carnet. Il le rouvrit et tourna les pages jusqu’à tomber sur celle qui l’intéressait. Le sceau. Celui qui se trouvait sur le bras de Landry.
Et selon le dessin, ses deux bras avaient été encrés. Deux sceaux différents. Mylen en désigna un du bout du doigt.
« Là. Tu le reconnais ? C’est Drakan qui le lui à encré. »
Dynia contempla la page avec consternation et ne répondit pas. Elle était recouverte de notes et de recherches qui n’avaient aucun sens à ses yeux. Certaines phrases n’étaient même pas écrites dans leur langue.
« Celui-là, c’est un sceau d’esprit qu’une amie de Drakan lui a enseigné. » expliqua Mylen. « L’autre servait pour son apparence, mais ce n’était pas le plus important. Le premier avait une importance capitale. Il avait un effet sur son âme.
– L’âme d’un lutin. »
Mylen hocha la tête.
« Selon les sources de Drakan, les lutins et lutinaes partagent tous leur mémoire. Ils peuvent se connecter entre eux, ils sont liés. Ils sont comme les ramifications d’un seul arbre, unis par leur origine.
– Oh, bon sang.
– Söl avait beau l’aimer, elle était terrifiée à l’idée qu’en grandissant il devienne comme Rameau et s’en prenne au village.
– Alors le sceau, c’était pour ça ? »
Mylen plongea son regard dans celui de Dynia.
« Oui. Le sceau était une cage, une prison pour son âme. Landry n’avait aucun souvenir de sa précédente vie et aucun moyen de se lier aux autres lutins. Avec il était en quelque sorte un enfant normal.
– Bordel.
– Mais le sceau n’était pas infaillible. Il n’est pas vraiment un sybil tu sais, c’était juste une excuse pratique pour justifier certaines choses. On pense que ses "rêves" étaient peut-être des traces de son lien avec Ramus. »
Dynia se redressa. Elle murmura :
« Et il le savait ? Pour ses origines, pour tout ça ?
– Oui et non. C’est compliqué.
– D’accord. » répondit-elle en se frottant l’arête du nez. « Bon sang. C’est compliqué. Le petit va me manquer.
– Moi aussi.
– Alors, il est vraiment mort ? Ce n’est pas…
– Oui. » la coupa Mylen, d’une voix sifflante. « Landry est mort. »

Dynia plissa les yeux, sentant que quelque chose se cachait derrière cette phrase, mais n’insista pas. Elle n’avait pas franchement envie de s’attarder plus que de raison sur le sujet. Elle s’étira en bâillant, épuisée par ces derniers jours.
« J’espère que je vais trouver un bon endroit où l’enterrer. » murmura Mylen pour lui-même. « Il faut que je trouve l’endroit qui lui irait le plus.
– Enterrer quoi ?
– Son bras. C’est la dernière trace qu’il nous reste de son âme et Söl aurait aimé qu’il ait une sépulture, j’en suis certain. »
Dynia se mordit la lèvre. Dans leur culture, ils étaient plutôt habitués à bruler les morts. Ils ne les enterraient pas. Elle s’était attendue à ce qu’ils en fassent de même.
« Tu veux l’enterrer, comme le font les nordans ?
– Pourquoi pas ? Söl aurait voulu qu’il soit dans un lieu baigné de soleil, mais je doute qu’on trouve ça de sitôt. Mais peut-être qu’ils auront une idée, un lieu où il serait en paix ? » fit Mylen en désignant le groupe de Sylène qui les accompagnait. « Tu pourrais peut-être demander à David de leur poser la question ?
– Tu as confiance en eux ?
– Non. Mais ils connaissent ce territoire et je pense qu’ils respectent les lutinaes. Il y a moyen qu’ils nous aident.
– Ils les respectent, ils les respectent… » maugréa Dynia. « Je n’en suis pas si sûre quand je vois la réaction qu’a eue l’autre monstre quand il a vu le bras. J’ai bien cru qu’il allait nous bouffer. »
Elle repensait à la colère froide qui avait brillé dans les yeux et résonné dans la voix d’Adrepo.
« C’est le sceau qui l’a effrayé.
– Pourquoi ? Parce qu’il vient de son peuple ?
– Parce qu’il implique que Landry était un lutinae lié à un lutin, même si le sceau les séparait. Je… C’est compliqué, et je ne suis pas sûr de tout comprendre d’accord ? Drakan nous parlait souvent par énigme.
– Mais tous les lutinaes ne sont pas liés aux lutins ? Ce n’est pas ce que tu me disais ? »
Mylen fit une moue bizarre et Dynia n’insista pas. Elle bâilla une nouvelle fois, sentant la fatigue prendre de plus en plus le dessus.
« Donc demain, on arrive ? Je me demande à quoi ressemble leur village. » murmura-t-elle pour changer de sujet. « Tu sais, on n’a jamais réussi à trouver le village de ceux qui attaquaient notre territoire.
– Ah bon ?
– Ouais. Mais ils n’ont pas l’air d’être du même groupe. Je me demande combien il existe de "clans" ? Est-ce qu’ils communiquent entre eux ou pas du tout ?
– Moi je me demande surtout s’ils sont tous aussi bien bâtis que ceux qui nous escortent. Si j’avais su que les Sylènes étaient aussi beaux, j’aurais peut-être accepté de faire partie des veilleurs qui partent en expédition finalement. Et, puis tu as vu les cornes du plus grand ? Ça fait réfléchir. Je ne dirais pas non à les empoign—
- MYLEN. »
Dynia se tourna vers lui, les yeux ronds comme des soucoupes. Il haussa les épaules, amusé.
« Ne sois pas si rabat-joie. Je sais de source sûre que Tyra adore les cornes elle aussi. C’est de famille. On ne peut rien contre le sang.
– Mylen. Je ne veux pas savoir. »

Il faisait nuit dans le camp, mais personne ne dormait réellement. Tous étaient encore aux aguets, et l’esprit marqué par ce qu’ils avaient vécu récemment. David, les bras croisés, écoutait attentivement la réponse d’Adrepo.
À la demande de Dynia, il lui avait demandé s’il connaissait un endroit où enterrer Landry. Il n’était pas certain d’apprécier son rôle de traducteur. Il était difficile de tout comprendre et appréhender.
Mais au moins, Adrepo avait une qualité que David savait apprécier : il parlait d’une voix lente et claire, bien qu’un peu trop grave à son gout.
« Il dit qu’il y a un site sacré qui conviendrait.
– Quel genre de site sacré ? » demanda Mylen en s’approchant. Il posa la main sur l’épaule de Dynia et fixa David d’un air intrigué.
David plissa le nez à sa vue, mais se retint de faire une remarque désagréable. Il posa la question à Adrepo qui murmura quelques mots en retour.
« Ils appellent ça un "repos des esprits". Il dit que c’est là que doivent reposer les lutins et que c’est un honneur pour Landry d’y être accueilli. »
Un lutinae, plutôt. Dynia songea alors qu’il était dommage que David n’ait pas assisté à leur discussion. Elle lança un regard interrogatif à Mylen, qui haussa les épaules l’air de dire "raconte-lui ce que tu veux, je m’en fiche". Elle soupira.
« David, je ne sais pas trop. Un site sacré ? Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. »
David fit la moue. Il traduisit la réponse de Dynia, s’attirant un regard agacé d’Adrepo. Le sylène renifla de dédain et marmonna quelques mots en détournant la tête.
« Il n’apprécie pas trop que l’on refuse son offre. C’est ça, ou rien. Et au vu de sa réaction, je crois qu’on devrait éviter de l’enterrer ailleurs sans son autorisation. On n’est pas sur notre territoire.
– Bordel, mais quel chieur !
– Dynia, un peu de retenue quand même. » répondit Mylen en levant un sourcil.
Sa mère lui donna un coup de coude sec en retour.
« David, tu peux lui dire que c’est bon. » ajouta Mylen en secouant la tête, ignorant les bougonnements de sa mère.

Le site n’était pas très proche et n’était pas sur leur route pour le village, mais il était possible de faire l’aller-retour dans la nuit. Mais lorsque tous les compagnons de David commencèrent à ramasser leurs affaires, Adrepo secoua la tête. David soupira.
« Il dit qu’une seule personne peut venir avec lui sur le site sacré. Le reste du camp reste ici avec ses compagnons.
– Quoi ? Mais non, c’est hors de question ! On a tous le droit de dire au revoir au petit !
– C’est ça ou rien. »
Dynia donna un coup de pied rageur dans son sac. Adrepo leva les yeux au ciel et agita deux doigts, l’air profondément blasé.
« Il dit, deux maximums. » traduisit David. « C’est sa dernière offre.
– Fais chier. » grogna la guerrière. « Bon, dans ce cas ce sera Mylen et toi.
– Pas toi ?
– Je dois garder un oeil sur le reste du groupe. Ça me fait déjà bien chier de vous laisser tous les deux partir, mais je pense que Mylen aura besoin d’un traducteur pour ne pas foutre le bazar sur leur site sacré. »
Mylen leva les yeux au ciel.
« Vous ne volez rien, vous ne cassez rien, vous ne brulez rien et vous revenez vite. » ajouta-t-elle, sachant pertinemment qu’elle avait choisi le pire duo possible. « Et si j’entends dire que vous vous êtes encore battus, je vous jure que vous allez en baver. Faites au moins un effort pour le p’tit. Et priez pour nous, d’accord ? »
Partie 3 - Lutinae Fora
David suivait Adrepo et Mylen avec plus de difficultés qu’il ne l’aurait souhaité. Les deux hommes avançaient silencieusement d’un pas rapide et assuré, tandis qu’il trainait presque des pieds derrière eux.
Il avait beau faire mine que sa blessure n’était pas un problème, il la sentait s’insinuer en lui et dérober ses forces.
Mylen sembla le remarquer, car il s’arrêta en posant la main sur le bras d’Adrepo, avant de lui faire un signe de tête en direction de David. Le Sylène grogna, mais s’arrêta.
« Bah alors ? Ce n’est pas vraiment le moment pour défaillir. » fit remarquer Mylen. « Je te préviens, si tu meurs tu es trop gros pour que j’accepte de te creuser une tombe.
– Je préfère encore que mon corps pourrisse à l’air libre qu’être enterré dans une tombe que tu aurais creusée.
– C’est bon à savoir. Je note. »
David renifla, agacé. Mylen lui tendit alors sa gourde et ajouta :
« Tu as soif ? Tu veux qu’on fasse une pause ?
– Non merci, ça ira. » répondit fièrement David en repoussant la gourde. « Ne tardons pas.
– Bien, bien. Comme tu veux. »
Adrepo avait regardé la scène sans mot dire. Il haussa alors un sourcil en direction de David en semblant demander si tout allait bien. David acquiesça pour le rassurer. Il ne voulait pas être un fardeau. Adrepo plissa les yeux, peu convaincu, mais accepta cette réponse.
Ils reprirent alors la route, d’un pas plus mesuré. Adrepo se retournait régulièrement pour vérifier que David était toujours là.
Ils arrivèrent moins d’une heure plus tard. La forêt était différente par ici. Les arbres étaient plus grands, plus noueux. Il y avait des ruines de pierre enveloppées dans la végétation.
Mylen frissonna. C’était un lieu chargé en magie, il n’y avait aucun doute à ça. Elle piquait sa peau, comme le froid d’un hiver blanc. Adrepo s’arrêta alors.
Il tendit la main aux deux hommes en s’adressant à David. Ce dernier fit la grimace et traduisit à Mylen :
« Il veut qu’on lui donne nos masques. On ne veut pas que nous les prenions sur le site.
– Nos masques ? »
Mylen retira le masque qui pendait à sa ceinture et le fixa en réfléchissant.
« Les Sylènes ne sont pas censés en avoir peur et refuser d’y toucher ? » demanda-t-il. « Et comment va-t-on faire pour l’attraction, sans eux pour nous en protéger ?
– Je lui demande. »
David marmonna quelques mots à Adrepo, qui se redressa et les fixa avec une curiosité nouvelle. Il arracha alors le masque des mains de Mylen pour le regarder, le retournant dans tous les sens pour l’examiner.
« Hé !?
– Thu.madeil ni niid. » répondit Adrepo en posant le masque sur un rocher. Il tendit ensuite la main vers David. « Davin. »
David fixa Mylen, à la recherche d’un signe montrant qu’il était sous le coup de l’attraction des souterrains. Mais rien. Il hocha alors la tête et déposa son propre masque aux côtés de celui de Mylen.
Adrepo hocha la tête, satisfait. Il ajouta quelques mots en leur faisant signe de les suivre.
« Tu es sûr de toi ? » demanda Mylen. « Je ne sais pas si c’est une bonne idée.
– Il dit qu’on ne risque rien ici, mais que si on a peur on doit rester près de lui. Essaye de ne pas t’éloigner, d’accord ?
– Fantastique. » répondit Mylen en levant les yeux au ciel.
Ils arrivèrent alors dans une clairière sombre. De nombreux moenias s’y trouvaient, et en son centre, un immense arbre aux racines noueuses. David s’arrêta.
« Un cercle de lutins. » murmura-t-il. « On se croirait dans la forêt de Morthebois. Lutinaes Fora.
– Dah. » confirma Adrepo. « Lutinaes Fora. »

« Lutinaes Fora ? » répéta Mylen en s’avançant dans la clairière, le visage exprimant une sincère curiosité. « Qu’est-ce donc ?
– Il y a une forêt à côté du domaine de Morthebois. Une vieille forêt, très ancienne. On dit que c’est là-bas que les lutins naissent.
– D’où le nom Lutinaes Fora. Fora signifie forêt ?
– Exactement. Et lutinaes signifie lutin. » approuva David. « Si c’est le même genre de lieu, j’en comprends mieux le caractère sacré. Et pourquoi Landry serait bien ici. C’est un lieu très pur qui abrite de nombreux esprits. »
« La traduction serait plutôt Forêt des Lutinaes » songea Mylen.
Mais il n’avait absolument aucune envie de se lancer dans une nouvelle explication. Que David ne sache pas la différence entre un lutin et un lutinae lui importait peu. Il tourna la tête et admira autour de lui.
Au centre de la clairière, plusieurs petits rochers formaient deux cercles enlacés l’un dans l’autre. Mylen s’en approcha et les examina avec un pincement au cœur. Il avait déjà vu un rocher de ce genre. Il y en avait un là où Söl avait enterré son bébé. Il avait été ancré là par Ramus le jour où... Mylen grimaça.
Il n’aimait pas cet endroit.
« David, demande à notre guide où nous devons aller. » souffla-t-il.
David hocha la tête et s’exécuta. Adrepo se redressa alors, comprenant que les deux hommes avaient fini de parler. Il leur fit signe de leur suivre et se dirigea vers l’arbre qui dominait les lieux.
C’était un immense chêne, perché sur un rocher recouvert de lierre. Ses racines pendaient au milieu des feuilles et se mêlaient à la végétation.
Lorsqu’Adrepo s’approcha, les racines bougèrent alors pour laisser entrevoir un passage sous le rocher.
« Stühd.teh. » fit-il.
Ils lui emboitèrent le pas avec prudence. Ils entrèrent dans le passage et traversèrent un couloir sombre qui s’enfonçait sous terre. Mylen s’arrêta pour regarder les murs avec intérêt.
De nombreux personnages étaient peints dessus. Des fresques qu’il ne pouvait s’empêcher d’admirer en se demandant ce qui était représenté dessus. Était-ce des lutinaes ?
Lorsque David lui souffla de se dépêcher, Mylen s’en détacha à contrecœur. Il n’avait jamais été une personne particulièrement passionnée par les mythes et légendes, même ses propres dieux l’ennuyaient plus qu’autre chose, mais tout ça piquait bien plus sa curiosité qu’il ne l’aurait imaginé.
Ils arrivèrent alors en bas du chemin. Il s’agissait d’une grande grotte avec un arbre au centre.
« Un arbre sous un arbre. Original. » lâcha Mylen en haussant un sourcil. « Et si on compte les arbres de la surface, on à un arbre, sous un arbre, sous un arbre.
– Mylen, ta gueule c’est pas le moment. »
Mylen ne répondit pas. Il venait de remarquer la présence d’une femme au centre de la grotte, entourée de rochers semblables à ceux de la clairière. Une femme qui ressemblait énormément à Adrepo.
Elle se fondait si bien dans le décor que si elle n’avait pas bougé, il ne l’aurait jamais remarquée. Elle avait la peau aussi sombre que la nuit et ses cheveux blancs avaient d’étranges racines vertes. Ses cornes semblaient faites de bois et de l’écorce recouvrait une petite partie de son visage, sous son œil.
« Matre ! » fit Adrepo, semblant lui aussi étonné de sa présence.
Elle se leva et échangea quelques mots avec lui, semblant mécontente de le voir, avant de se tourner vers les deux visiteurs. Elle leur lança un regard froid.
« Bien soir. Je.ëtre Hedera. Pourquoi enfant de surface.ëtre sur mon territoire ? »

Hedera était une étrange créature.
Le corps de cette mystérieuse femme semblait n’être tracée que d’une ligne, celle d’un trait de pinceau appliqué d’un geste rapide et précis.
Mylen n’avait jamais rencontré une personne aussi grande. Même David et Adrepo, qui n’étaient pourtant pas des petits gabarits, ne l’atteignaient pas. Et son cou… ? Était-ce seulement possible d’avoir un cou aussi long ?
« Nous, euh… voyageur… » bredouilla David, pris au dépourvu.
Mylen tourna la tête vers lui et leva les yeux au ciel. Visiblement, David avait été pris de court et ne savait pas comment répondre à la femme. Les joues roses d’embarras, il bafouilla quelques mots avant que Mylen n’intervienne.
Ce dernier fit une légère révérence, s’inclinant légèrement devant elle, avant de répondre d’une voix trainante :
« Enchanté, Hedera. Mon nom est Mylen et voici mon ami David. Nous ne sommes rien d’autre que des voyageurs égarés à la recherche d’un chemin vers la surface. Nous n’avons aucune mauvaise intention et ne nous attarderons pas sur vos terres si vous ne le souhaitez pas.
– Je.voir, dah. Nous.aider vous. » répondit Hedera d’une voix plus douce.
Elle semblait accepter sa présentation. Mylen remarqua l’air soulagé d’Adrepo et se demanda ce qu’il leur serait arrivé dans le cas inverse. Il n’était cependant pas sûr de réellement vouloir le savoir.
« Matre. » fit Adrepo avant de murmurer quelques mots à l’oreille d’Hedera. La femme hocha la tête, un éclat fugace de stupeur brilla dans ses yeux avant qu’elle ne se tourne de nouveau vers Mylen.
« Enfant-idiot.dire que vous.vouloir dire adieu ä lutinae ? Ce.ëtre raison de votre visite dans Sanktüha ?
– Oui. Nous avons perdu un ami. Il a été… Coenan... » souffla Mylen sans parvenir à finir sa phrase, l’émotion bloquant sa voix.
Hedera hocha la tête, lui faisant signe qu’il n’avait pas besoin d’expliquer plus. Elle désigna les rochers autour d’elle, le regard triste.
« Sanktüha.ëtre refuge pour lutinae parti. Ami de vous.ëtre bienvenu ici. » murmura-t-elle. « Que son nom.ëtre ?
– Landry.
– Landry ? Ce.ëtre pas nom de Lutinae. » répondit-elle aussitôt surprise. « Ce.ëtre nom de personne. Je.connaitre pas lutinae Landry. Vous.faire erreur.
– Quoi ? »
David et Mylen échangèrent un regard perdu. Que voulait-elle dire par là ? Adrepo leur fit alors un signe derrière Hedera, tapotant son bras du bout du doigt. Mylen comprit aussitôt et retira délicatement son sac. Il le posa par terre et en sortit avec précaution un paquet.
Le bras de Landry, toujours enfoui dans sa stunique.
La tête inclinée, il tendit le paquet à Hedera qui le prit avec méfiance. Elle ouvrit la tunique et le doute quitta aussitôt son visage. Elle prit le bras et l’admira durant de longues secondes avant de déclarer :
« Je.reconnaïtre ce symbole. Je.avoir enseigner lui ä enfant de surface. Vous.ëtre ami de Drakan ? »

« Vous connaissez Drakan ? » demanda Mylen dans un souffle.
Il ne s’était pas attendu à entendre ce nom dans les souterrains. Pas comme ça. Était-ce donc cette femme l’amie dont Drakan leur avait parlé dix ans auparavant ? Celle qui lui avait appris le sceau ?
Drakan connaissait donc des habitants des souterrains ? Et il n’avait jamais rien dit à personne ? Söl était-elle au courant ? Drakan lui avait-il révélé la nature de son amie ?
Et bon sang. De toutes les personnes qu’ils auraient pu croiser dans les souterrains, comment se faisait-il qu’il tombe sur elle ? C’était tellement improbable que Mylen fronça le nez, frustré.
David lui lança alors un regard de profonde incompréhension. Qui était Drakan au juste ? Pourquoi Mylen semblait si surpris ? Toute cette histoire n’avait aucun sens à ses yeux.
Il se mordit la lèvre. Il valait mieux continuer de laisser le blond parler.
« Je. comprendre mieux le nom de Landry. » fit Hedera en regardant toujours le bras de l’enfant, admirative. « Mais Drakan.dire toi pour sceau ? Drakan.dire que sans sceau, lutinae.ëtre…
– Oui je sais. Nous aimerons offrir une sépulture au petit Landry. » la coupa-t-il, en insistant sur le nom de l’enfant. « Pouvez-vous nous aider ? »
Hedera plissa les yeux avant de tendre délicatement le paquet à Mylen.
« Dah. Enfant-idiot.emmener vous au bien endroit. Vous. pouvoir l’enterrer dans alcöve. » fit-elle en désignant des portes de pierre plus loin. « Landry.ëtre enterrë avec gens, pas lutinae. »
Sans attendre leur réponse, elle se tourna vers Adrepo et lui murmura quelques mots dans leur langue. La compréhension éclaira le visage de l’homme, qui hocha la tête solennellement.
Il dit alors quelques mots à David avant de se diriger vers les cavités, en les invitant à le suivre, tandis que Hedera se rasseyait dans le creu de l’arbre et fermait les yeux. En quelques secondes, son corps immobile avait perdu toute vie, devenant semblable à une statue antique incrustée dans le bois.
« Donc, on est dans un cimetière ? » murmura David pour lui-même. « Je me demande qui est enterré dans les alcôves.
– Sans doute des gens de leur peuple. » répondit Mylen en haussant les épaules.
Ils grimpèrent jusqu’aux plus hautes portes. Adrepo regardait attentivement dans chacune d’entre elles en passant devant, et s’arrêta finalement vers la fin du chemin.
« Il dit qu’on peut déposer Landry dans l’une des alcôves de ce couloir. Celle du fond est libre. » traduisit David. « Nous devons y déposer son bras, ainsi que des objets auxquels il tenait si on en a. On pourra également prier avant qu’il ne scelle définitivement la tombe.
– Ce n’est pas vraiment ce que j’imaginais quand je parlais de l’enterrer. » grimaça Mylen. « Söl aurait préféré qu’il retourne à la terre, pas à la pierre. Là c’est… impersonnel. Je ne sais pas trop.
– Mylen…
– Je sais. On n’a pas vraiment le choix. »
La douleur perçait dans sa voix. David, qui ne pouvait pas le détester lorsqu’il le voyait dans un tel état, voulut s’approcher pour tenter de le réconforter. Mais Adrepo le devança.
Il posa la main sur son épaule. Elle était chaude. Ce simple geste empli d’empathie et de compassion fit frissonner Mylen, qui hocha la tête avec reconnaissance.
Il s’avança et déposa délicatement le paquet dans l’alcôve. Il ouvrit ensuite son sac pour en sortir le carnet de Söl et le déposa à ses côtés. Pour finir, il retira sa boucle d’oreille en forme de lune.
« Je sais que tu l’aimais. Elle est à toi maintenant. »
Mylen ferma les yeux quelques secondes. Il pouvait sentir la présence de David derrière lui. Il sentait son agitation. Le jeune homme se frottait les bras avec embarras, ne sachant pas comment agir et se comporter dans cette situation.
« David. Sors.
– Qu… quoi ?
– J’aimerais me recueillir sans avoir un ours de cent kilos qui fait tout trembler derrière moi. Tu vas faire s’écrouler le plafond à force te balancer d’un pied à l’autre. »
David grogna, mais accepta de sortir, non sans croiser les bras et froncer les sourcils de mécontentement. Adrepo hésita avant de le suivre, laissant Mylen seul. Ce dernier soupira de soulagement et fixa l’alcôve d’un regard vide. Les larmes commencèrent alors à couler le long de ses joues.
« Je suis désolé. »

Bien qu’il n’appréciait pas d’avoir été poussé dehors par Mylen, David devait bien avouer qu’il en était soulagé. Il ne savait pas comment agir, comment se comporter dans cette situation.
Il ne connaissait pas Landry. Certes, ils venaient de voyager un peu ensemble, mais ce n’était pas pour autant qu’ils avaient tissé des liens. Ce petit était un étranger pour lui. Il était triste et révolté par ce qui lui était arrivé, mais il ne se sentait pas capable de lui exprimer sincèrement quelques mots d’au revoir. Il ne se sentait pas à sa place.
Après tout, il se sentait terriblement coupable pour ce qui était arrivé. S’il n’avait pas crié, s’il n’avait pas fait autant de bruit, il se disait que peut-être que leur groupe aurait pu éviter de se faire capturer. S’il n’avait pas laissé la colère l’emporter, le petit serait peut-être encore en vie.
Cette simple pensée l’accablait, la culpabilité serrant son coeur comme jamais auparavant.
Tandis qu’il attendait que Mylen ait fini, il repensa à Tyra. Elle aurait aimé lui dire au revoir, elle. Il se souvenait très bien de leur proximité durant la fête de l’équinoxe.
David ferma les yeux pour se remémorer de la scène. Landry et sa sœur dansant ensemble tandis que Tyra jouait de la lyre. S’il y avait bien un souvenir du garçon qu’il voulait conserver, c’était bien celui-ci.
Il fut soudain rappelé à lui par la douleur dans sa tempe. Elle le lançait régulièrement depuis qu’ils n’avaient plus de quoi le soulager. D’un geste machinal, il toucha sa cicatrice du bout des doigts.
Adrepo, qui était adossé au mur et attendait lui aussi, l’avait vu grimacer. David retira aussitôt sa main de son front. Il n’avait aucune envie d’attirer l’attention sur lui.Mais le grand Sylène ne semblait pas de cet avis. Il lui demanda s’il était blessé.
« Thu.madeil roëla ?
– Ne. » répondit David en secouant la tête.
Adrepo ne l’écouta pas. Il fronça les sourcils, soucieux. Il s’approcha alors et prit le visage de David dans sa main pour l’examiner. Ce geste fit tendre la tête vers le haut à David, qui réalisa à quel point Adrepo était grand.
Le sylène marmonna quelques mots avant de tirer sans sommation David hors du couloir. Il attrapa alors une plante lumineuse et lui mit devant le visage, ce qui éblouit David, qui ferma les yeux en grognant.
« Hé !
- Tch. »
Il gratta alors la blessure de David du bout de son ongle pointu avant de porter sa récolte à la bouche. David fit une moue dégoutée qui fut royalement ignorée par Adrepo.
« Svärtmagï. Thu—
– C’est bon j’ai fini. Adrepo peut fermer l’alcôve. » fit Mylen en sortant du couloir. Il espérait que ses yeux n’étaient pas trop rouges.
Mais il s’arrêta aussitôt. Pourquoi David était-il plaqué contre un mur par Adrepo ? Et pourquoi ce dernier lui tenait-il le visage ?
« Qu’est-ce que vous faites au juste ? » soupira-t-il. « Oh. Je sais. Tu as prévu de te venger de ton compagnon en séduisant notre guide ? Pas bête, mais assez puéril comme réaction.
– Quoi ? Non ! » fit David en repoussant Adrepo.
Ses joues étaient devenues rouges d’embarras.
« Je… il regardait ma blessure, c’est tout.
– Et ?
– Et quoi ?
– Il en pense quoi ? » répondit Mylen en croisant les bras.
David perdit son air agacé. Il lança un regard bref vers Adrepo en répondant :
« Je ne sais pas. Tu l’as coupé en pleine phrase. »
Mylen leva les yeux au ciel. Il fallait vraiment lui expliquer et le tenir par la main à chaque fois ? Mais quel enfant, bon sang, quel enfant.
« Je me demande bien comment tu as réussi à survivre aussi longtemps avec un instinct de survie négatif.
– Hé !
– Tu attends quoi pour lui demander ? D’être mort ? Si ça se trouve, il saura comment t’aider. »
David ferma la bouche. Adrepo pencha la tête avec curiosité, regardant leur échange en essayant d’y comprendre quelque chose, en vain.
Finalement, David soupira profondément et se tourna vers Adrepo. Il lui murmura timidement quelques mots, les joues toujours rouges. Demander de l’aide, ce n’était pas dans ses habitudes. Et Mylen qui le regardait, avec cet air condescendant si embarrassant !
Mais Adrepo lui fit un sourire et répondit quelques mots en hochant la tête.
« Il dit quoi ? » demanda Mylen en voyant le regard perdu de David. « Il n’a pas l’air très défaitiste, c’est une bonne nouvelle ?
– Il… il dit qu’il va m’aider. Il pense pouvoir endiguer le maléfice. »

Le cœur de David battait si fort dans sa poitrine qu’il avait l’impression de l’entendre résonner dans les couloirs. Adrepo pouvait l’aider ? Vraiment ? Il n’osait y croire. Une goutte de sueur coula le long de son dos, le faisant frissonner.
Adrepo le prit par le bras et le tira derrière lui en s’exclamant qu’ils devaient sortir afin qu’il puisse s’occuper de son problème. David traduisit machinalement ses mots à Mylen qui croisa les bras et s’arrêta.
« Vous n’oubliez pas quelque chose ?
– Quoi ? » demanda David, perdu. « Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Mylen roula des yeux et désigna l’alcôve d’un geste de main agacé.
« Je sais bien que te sauver est une priorité, mais ce serait bien de finir ce qui a été commencé, non ? »
Adrepo ouvrit la bouche et la referma, ses joues s’assombrissant de gêne. Il bredouilla quelques mots qui sonnaient comme des excuses, avant de se diriger vers l’alcôve de Landry.
« Beau garçon, mais un peu couillon si tu veux mon avis. » chuchota Mylen à David, qui répondit par une moue perplexe.
Adrepo lança un regard d’excuse à Mylen avant de s’asseoir devant l’entrée. Il ferma les yeux et inspira profondément, puis déposa les mains sur les parois de l’alcôve.
Et d’un coup, d’un geste si rapide qu’il en fut presque invisible, il tira les murs l’un vers l’autre qui se refermèrent dans un bruit sourd. Un nuage de poussière s’éleva autour de lui, et lorsqu’il retomba, il n’y avait aucune trace de la moindre ouverture.
L’entrée était scellée.
Mylen cligna des yeux, impressionné. Il n’avait pas eu le temps de comprendre ce qu’il se passait. Comment pouvait-on agir sur la pierre ainsi ? Était-ce une sorte de magie ?
Adrepo se releva en marmonnant quelques mots.
« Il dit que tu pourras revenir un autre jour faire une peinture sur la porte si tu le souhaites. » traduisit David « Si tu le ne fais pas, sa mère le fera à ta place.
– Sa mère ? La femme que nous avons croisée ?
– Oui. Elle a peint la plupart des alcôves. Ça lui tient à cœur. »
Mylen hocha la tête. Bien. Il n’était pas très porté sur la peinture, l’idée que l’étrange femme s’en charge à sa place ne lui déplaisait pas. Landry méritait mieux que des gribouillis informes.
Adrepo se dirigea alors vers l’extérieur du sanctuaire en leur faisant signe de les suivre. Lorsqu’ils dépassèrent l’arbre où dormait Hedera, cette dernière n’avait pas bougé. Elle semblait de moins en moins vivante, presque entièrement fondue dans l’arbre désormais.
Adrepo les guida jusqu’une autre sortie, loin du cercle de pierre et de l’arbre dans la clairière. Il parlait sans s’arrêter, semblant expliquer des choses à David qui lui répondait avec hésitation.
Ne comprenant aucun traitre mot de la discussion, Mylen arrêta rapidement de les écouter et focalisa son attention sur la forêt autour d’eux.
Elle était dense, en bonne santé. Plus vivante que toutes celles qu’ils avaient traversées pour venir jusqu’ici. La nature semblait étrangement se plaire sur ce territoire.
Lorsqu’ils furent assez loin du site sacré, Adrepo retira ses gants et fit signe à David de retirer sa chemise. Il avait visiblement compris que la blessure ne concernait pas que son visage. Mal à l’aise, ce dernier hésita. Il lança un regard perdu à Mylen qui lui fit un signe de tête.
« Tu n’as rien à perdre, de toute façon avec ou sans son aide tu vas mourir. Alors, autant lui faire confiance.
– Très encourageant, merci. » siffla David.
Adrepo, n’ayant visiblement pas la patience d’attendre que David daigne se décider à l’écouter, le poussa sans ménagement au sol. Il lui grimpa dessus et lui retira sa chemise.
« Hé ?! Qu’est-ce que tu — ?
– Kr kr kr. » grogna Adrepo. « Shhht. »
Adrepo tendit le tissu à Mylen qui l’attrapa en grimaçant, répugné à l’idée de toucher les guenilles de David. Il plia la chemise et la déposa sur un rocher, le plus loin possible de lui.
Le sylène se mit alors à psalmodier, d’une voix rauque et sombre. Il toucha les blessures de David du bout des doigts, d’un geste aussi fugace que le vent.
Et soudain, les plaies se rouvrirent.
David siffla douleur.
Des volutes noires s’échappèrent de ses plaies, s’enroulant gracieusement autour des bras d’Adrepo, qui les accueillit en souriant.
Le sylène se releva en laissant David sur le sol. Il tendit les bras en continuant de psalmodier. Les volutes s’envolèrent et disparurent dans l’air, comme si elles n’avaient jamais existé.
Adrepo soupira. Il se retourna lentement et tendit la main vers David pour l’aider à se relever.
« Thy.anbeil vat. Thu.äjan ? »
David hocha la tête, abasourdi. Il était étrangement calme, ne ressentant plus de douleurs. Il se sentait bien. Comme ailleurs. Apaisé. Mylen l’aida à s’asseoir sur un rocher.
« Mylen. Je me sens bizarre.
– C’est normal, c’est sa magie qui te fait ça. Tu vas être étourdi encore un moment, alors prend ton temps avant de te relever. » fit-il. « C’est ta première expérience ?
– Non. J’avais déjà… le shaman de CerfBlanc. » souffla David. « Wahou. C’était…
– Ouais je sais. La magie noire fait souvent cet effet-là. »

Dès que David fut en état de marcher, le groupe reprit la route pour retrouver leurs compagnons. Ils avaient déjà trop tardé. Mais encore sous l’effet apaisant de la magie noire d’Adrepo, David écouta le Sylène lui parler d’une oreille peu attentive.
Ce dernier lui expliquait qu’il avait retiré le poison et que sa plaie ne s’étendrait plus maintenant, mais qu’il ne pourrait pas régénérer ce qui avait été rongé. Il semblait désolé de ne pas pouvoir faire plus.
Mais David s’en fichait. Il se sentait bien. Détendu. Il répondait à Adrepo distraitement, ne faisant pas attention à ce qu’il se passait autour de lui.
Il n’avait jamais été aussi heureux.
Mylen s’approcha et lui glissa d’un air taquin :
« Il t’a fait de l’effet, dis-moi. Tu es sûr que ce n’est que le contrecoup de la magie noire ?
– Hein ?
– Se faire grimper dessus par un aussi bel homme, je comprends que ça te plaise. Ayel risque d’être jaloux. » ricana-t-il, moqueur. « Tu crois que si je me blesse moi aussi, il m’arrachera ma chemise ? Je me laisserais bien tenter par l’expérience. »
David haussa les épaules et traduisit machinalement la question à Adrepo, qui s’arrêta aussitôt.
Il cligna des yeux lentement, avant de se retourner. Il pencha la tête pour fixer Mylen avec un mélange de surprise et curiosité.
« Il dit qu’il n’est pas sûr de comprendre ta question.
– David. » se tendit Mylen en sentant le sang quitter son visage. « Merde. Dis-moi que tu ne viens pas de lui traduire ce que je viens de te dire.
– Bah si, pourquoi ? » répondit David en bâillant. « Pfiouh, je meurs d’envie de dormir. On pourrait faire une pause dans une auberge ?
– Tu…
– Ah oui non, c’est vrai qu’il n’y en a pas par ici, flûte. Y sont quand même chiants ces souterrains. Je vais leur dire de construire des auberges, c’est inadmissible. »
Mylen fixa David avec horreur. Bien qu’il faisait tout pour ne pas croiser ses yeux, il sentait le regard insistant d’Adrepo sur lui et son visage se décomposa tandis que ses joues se teintaient de rouge.
« David. T’es mort.
– Bah quoi ? »

Sur le chemin du retour, Mylen ne prononça plus un mot. Les bras croisés, la moue agacée, il resta derrière ses deux compagnons de voyage avec la ferme intention de ne plus leur offrir le moindre mot.
David ne s’en offusqua pas, bien trop occupé à sourire bêtement.
Petit à petit, l’euphorie retomba progressivement, si bien que lorsqu’ils atteignirent leur destination, il était déjà bien plus maitre de ses pensées. Seul un petit sourire heureux subsistait sur son visage.
« David ! » s’exclama Ayel en les apercevant. « Tu es de retour ! »
Il se leva du rocher où il était assis et se précipita vers son compagnon pour l’enlacer. David le souleva et le fit tourner autour de lui, un immense sourire sur le visage. Étonné, mais heureux de cette réaction, Ayel gloussa de plaisir.
Dynia les rejoignit rapidement et après une rapide inspection de Mylen et David, elle hocha la tête de soulagement.
« Vous êtes entiers. Pas de signe de bagarre. Pas de trace de brulure ou de suie. Est-ce que ça signifie que je peux oser espérer que tout s’est bien passé ?
– Oui ! » s’exclama David. « Tu ne croiras jamais ce qui nous est arrivé ! Adrepo m’a soigné ! »
Il montra son visage du doigt, un sourire radieux sur le visage. En l’entendant dire, Ayel hoqueta et lui prit la main, les larmes aux yeux. Était-ce réel ? Il n’osait y croire.
« V... vraiment ? » souffla-t-il avec espoir à son compagnon, qui lui prit le visage et l’embrassa amoureusement. Ayel ronronna de joie et se blottit contre lui.
Tout en lui caressant tendrement la tête, David expliqua :
« Vous auriez dû voir ça ! C’était rapide, mais magnifique ! On aurait dit que la magie dansait autour de lui. Je rêverai de pouvoir faire pareil.
– Le sylène est donc un sorcier ? » murmura Dynia, surprise. « C’est un soulagement. Il a extrait le poison, c’est ça ?
– Oui ! Il ne peut rien pour les séquelles que ça me laissera, mais le poison ne me fera plus de mal. Et dire que tout ce temps, nous aurions pu simplement lui demander de l’aide. »
Dynia hocha la tête. Elle chercha du regard son fils, surprise qu’il ne s’implique pas plus dans la discussion. Mais ce dernier avait rejoint Sofie, avec laquelle il parlait un peu plus loin.
« Et bien… c’est une surprise. Mais une bonne surprise. On avait bien besoin de ce genre de nouvelle. » fit-elle en lui tapotant le bras. « Et le p’tit ? Vous avez pu l’enterrer ?
– Ils nous ont laissé une place dans leur cimetière. Il sera bien. Mylen a pu lui faire ses adieux.
– Tant mieux, tant mieux… »
En s’essuyant machinalement les yeux, Dynia remarqua qu’ils étaient humides.
Elle pleurait ? Elle sentit l’émotion, ce mélange de soulagement et de tristesse, lui serrer le cœur. Ayel, qui s’était détaché de David, lui fit un petit sourire compatissant.
« Et sinon. » continua David. « Bonne nouvelle, on a rencontré la chef du village d’Adrepo. Elle accepte de nous accueillir et de nous aider.
– Hein ? Mais ce n’était pas Adrepo le chef ? Il nous a proposé de le suivre sans savoir si nous serions acceptés dans son village ? »
Dynia leva un sourcil et David grimaça.
« Bon. Tu vas me raconter tout ça en chemin. J’espère sincèrement que ce village sera réellement le refuge dont nous avons besoin. »

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