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- 39 - La fuite de David - 1/2

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  • 15 oct. 2024
  • 39 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 déc. 2024

— Retour en arrière —


Partie 1 - Chaos dans le village


« David ! David ! » hurla Wilfrid en traversant le village, son épée à la main. « Putain d’merde, t’es passé où ?!

– Là ! Je vais chercher Ayel, il doit être à son atelier ! »


En apercevant David, l’homme se précipita à ses côtés. Sans reprendre son souffle, toujours aux aguets, il posa la main sur son épaule et grogna :


« Borde, dépêche-toi. J’te couvre, d’accord ? On doit s’barrer d’ici au plus vite. »


David hocha la tête. La main qui tenait le pommeau de son épée tremblait. Il n’arrivait pas à réaliser ce qu’il s’était passé. Tout était allé si vite.... trop vite. Il n’arrivait pas se défaire de ce qu’il avait vu. De tout ce sang.


Söl n’était plus là pour les guider maintenant.


« Dès qu’on à récupéré ton rouquin, on bouge à la frontière en espérant que les autres y seront parvenus aussi. »


David se dirigea d’un pas rapide vers l’atelier de Ayel. Le camp des artisans était excentré du village, dans un coin calme encore épargné par les hurlements et la mort. Ce dernier n’avait pas tenu à assister au combat, et David n’avait pas insisté. Ils pensaient tous que Söl gagnerait. Elle ne pouvait pas perdre. C’était impossible.


Et pourtant.


Lorsqu’elle était… lorsque Soren lui avait coupé la tête, tout était devenu flou. Il avait à peine entendu les premiers ordres de Soren, exigeant l’exécution de tous les proches de Söl. Il avait à peine entendu ce dernier les déclarer coupables de trahison.


Wilfrid lui avait sauvé la vie en lui criant de courir. David l’avait écouté sans réellement comprendre et ce n’était qu’à cet instant qu’il réalisait ce qu’il s’était passé.


« Ayel ! On s’en va. » cria-t-il en entrant dans l’atelier.


Son compagnon, jusqu’alors concentré à fabriquer un pied de meuble, releva la tête avec surprise.


« Quoi ?

– Prends tes affaires et discute pas.

– Oui, euh, d’accord. »


Mais ils perdirent un temps fou. Ayel refusait de partir sans ses outils. Il voulait prendre ses vêtements. Ses bijoux. Ceci. Cela.


« Je veux repasser à la hutte pour —

– Bordel Ayel on à pas le temps ! Söl est morte et ce sera notre tour si on reste là ! »


Ayel écarquilla les yeux. Il hocha lentement la tête, sous le choc, et se laissa trainer dehors par David qui lui avait attrapé le bras et le tirait maintenant derrière lui.


Mais lorsqu’ils sortirent de l’atelier, Wilfrid n’était plus seul.


Il combattait Senna, qui s’amusait visiblement de la situation. Il se défendait du mieux qu’il pouvait, mais il était évident que la femme avait le dessus. Elle s’arrêta et les fixa d’un air ennuyé, tandis que Wilfrid criait :


« Il était temps ! Partez, j’la retiendrais pas éternellement.

– Mais…

– CASSEZ-VOUS ! »


David ne se fit pas prier et courut dans le sens opposé, en tirant toujours Ayel derrière lui.



Ils traversèrent les rues du village, tentant d’éviter de croiser qui que ce soit. David priait pour que Wilfrid s’en sorte, tout en sachant pertinemment qu’il était déjà perdu. Qu’il était déjà mort.


Et alors qu’ils se rapprochaient des frontières, leur route fut bloquée par un visage familier.


« Tiens, tiens. Ne serait-ce pas mon adorable apprenti et sa petite pute rousse ? »


David s’arrêta aussitôt. Ayel se cacha légèrement derrière lui, effrayé, tandis que Warin les fixait sans la moindre once de sympathie.


« Warin ? Qu’est-ce que —

– Je suis désolé gamin, mais j’peux pas te laisser partir. Si ça ne tenait qu’à moi, je t’aurais laissé une chance de nous rejoindre. » fit l’homme en dégainant son épée. « Mais les ordres sont les ordres.

– Mais pourquoi ? Söl était votre femme ! Sa mort ne vous fait rien ?

– Cette salope me trompait. J’ai voulu croire à notre relation, mais elle s’est bien foutue de moi. » cracha Warin. « Elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Elle ne m’a jamais considéré comme son égal ou comme un homme à aimer, j’étais seulement celui qu’il fallait épouser pour asseoir son autorité. J’ai été bien con, mais c’est fini maintenant. »


Et aussitôt, sans crier gare, il attaqua David qui l’esquiva avec peine et le repoussa. Ils échangèrent quelques coups, mais Warin avait entrainé David. Il connaissait tous ses mouvements.


« Soren fera un bon guide. Il a le sang de nos anciens meneurs.

– Vous êtes fou ! »


Warin grogna et attaqua de nouveau. David ne parvint pas à l’esquiver et l’épée de Warin lui entailla le torse. Du sang coula, ainsi qu’une douleur vive. David se plia de douleur en lâchant son épée. Ayel hoqueta.


« David !

– Ayel. Reste loin, je t’en prie. »


Warin sourit. Il s’approcha et tendit le bras pour effleurer le visage de David du bout de sa lame.


« Félicitations. Tu es le premier à expérimenter mon nouveau jouet. » susurra-t-il en incisant la tempe de David. « J’ai hâte de voir son effet. À ce qu’il parait, ça va faire mourir ton corps de l’intérieur. Comme si tu pourrissais.

– Quoi ? Mais…

– Maintenant tu vas me suivre gentiment jusqu’aux cachots, ou je coupe la tête à ta jolie petite rouqui —

– AU SECOURS ! À L’AIDE !! »


Warin perdit aussitôt son sourire. Un enfant venait de crier non loin de là.



Warin tourna aussitôt la tête, cherchant la provenance du cri. Son visage déjà pâle était devenu plus blanc que la craie. Il avait reconnu cette voix et à partir de cet instant, il perdit tout intérêt pour David.


« Gaven ? » s’écria-t-il, l’inquiétude suintant dans sa voix. « Tout va bien ? »


Un nouveau cri se fit entendre, suivi d’un bruit sourd. Warin n’hésita pas une seconde et se précipita vers la source. Quelques huttes plus loin, un petit garçon était étalé par terre. Des caisses et tonneaux étaient renversés devant lui, ainsi que des paniers de fruits.


« Tonton ! » sanglota le garçon en se jetant dans les bras de son oncle. « J’ai eu si peur.

– Chut. Ça va aller p’tit gars. »


Warin rengaina son épée, puis souleva l’enfant en se redressant. Il lui caressa tendrement la tête en chuchotant.


« Chut, c’est bon. Tonton va te protéger. Qui t’a attaqué ?

– Je sais pas. » pleurnicha l’enfant. « J’ai couru, j’ai cru qu’il allait me faire mal. Je suis tombé et tout s’est renversé, désolé !!

– C’est bon. Tout va bien maintenant. » répondit Warin en vérifiant qu’ils étaient bien bien seuls. « Mais où sont mes enfants ? Pourquoi vous n’êtes pas restés dans la hutte comme je vous l’avais ordonné ? Où est la personne qui devait vous surveiller ? »


Le petit baissa les yeux, penaud.


« J’avais envie de faire pipi. Je suis parti sans le dire. »


Warin soupira. Tant pis pour David, le garçon était plus important. Il le serra fort contre lui et prit la décision de le ramener dans sa hutte. Les rues du village n’étaient pas sûres pour les enfants actuellement.



Mais durant tout le temps où il s’était occupé du petit, il n’avait pas vu la petite ombre qui se faufila derrière lui pour rejoindre David et Ayel.


« Pssst ! Par ici…

– Landry ? » s’étonna David. « Qu’est-ce que tu fais là ?

– Ça se voit pas ? J’vous sauve les fesses. Allez, venez ! »


Si quelqu’un avait dit à David que le rejeton de Söl, un garçon d’une douzaine d’années ressemblant comme deux gouttes d’eau à sa mère, l’aiderait à fuir Warin… il ne sait pas s’il l’aurait cru.


Mais Landry tira sur le bras de David, le poussant à le suivre jusqu’un endroit plus sûr. Lorsqu’ils furent cachés dans un recoin du village, camouflés par des caisses et l’obscurité, David s’écroula.


Sa blessure au torse le lançait et sa tête semblait sur le point d’exploser.


« David ! » souffla Ayel en lui prenant le visage. « Réponds-moi, dis-moi que ça va.

– Oui oui. C’est bon. J’ai juste besoin de quelques minutes.

– Mais tu saignes beaucoup !

– La tête, ça saigne toujours beaucoup, mais c’est pas grave. »


David ferma les yeux quelques instants, tandis que le petit garçon surveillait les environs cachés derrière un tonneau. Il semblait à la fois inquiet et impatient. Lorsqu’il se sentit mieux, ou du moins apte à bouger, David inspira et se releva avec l’aide de Ayel.


« Tu veux t’appuyer sur moi ?

– Non, ça va aller. » répondit David en grimaçant. « On doit partir au plus vite. Les sorties vers la surface sont toutes bloquées selon Wilfrid, on doit fuir dans les souterrains.

– Les souterrains ? » répéta Ayel, blanchissant à vue d’œil. « Mais c’est dangereux ! Tu m’as dit que c’était dangereux !

– Oui, bah on à pas le choix. »


Ayel fit un petit bruit angoissé, tandis que David s’avançait vers Landry. Il posa une main sur l’épaule du garçon et marmonna :


« Merci d’avoir monté la garde, mais tu ne devrais pas rester là. C’est dangereux ici.

– J’veux pas retourner au village. Laissez-moi vous accompagner !

– Hors de ques — » fit David avant de s’arrêter en pleine phrase, réalisant la situation.


Ce gamin était celui de Söl. Il était sans doute tout autant recherché qu’eux.


« Et merde. »


Et voilà qu’en plus de devoir essayer de sauver sa propre vie et celle de son compagnon, il avait maintenant un enfant intrépide à protéger.


« Landry. Pourquoi tu n’es pas avec ton frère et ta sœur ? » demanda-t-il. « Où sont-ils ? Ils vont bien au moins ?

– Oui oui. Mylen nous a fait sortir en douce avant le combat de maman. Sylvane et Amaury ont réussi à rejoindre la surface avant la fermeture des passages. Mais Mylen il avait pas pris Gaven alors je l’ai rejoint. C’est moi qui lui ai demandé de faire diversion. Il a bien joué la comédie, pas vrai ? Bon, l’histoire du pipi est vraie par contre. Je l’accompagnais quand on vous a entendu de loin. Papa allait vous tuer pas vrai ? Je vous ai aidé, vous m’en devez une !

– Hein ? »


Ni Ayel ni David n’étaient sûrs d’avoir compris. Ils froncèrent les sourcils et échangèrent un regard hésitant. Que diable racontait cet enfant ?


« Mais pourquoi tu n’es pas avec eux à la surface ?

– J’voulais pas y aller, alors j’ai faussé compagnie à Mylen dès que j’ai pu. J’suis plutôt doué pour ça.

– Pourquoi ? »


Le garçon grimaça, visiblement embarrassé par la question. Il marmonna une réponse inaudible.


« Je n’ai pas compris. » souffla David. « Répète.

– Rigole pas hein !

– Landry ?

– J’ai peur du ciel. C’est tout vide là-haut ! Imagine s’il m’aspire ! J’veux pas me perdre dans le ciel moi. »


Évidemment, David ne parvint pas à retenir un gloussement, s’attirant un regard furieux du garçon qui lui donna en retour un coup de pied. David couina et le fusilla du regard.


« Aïe ! Tu —

– David ! » siffla Ayel avant de se pencher vers Landry. « Je suis désolé pour toi mon garçon, tu peux venir avec nous si tu veux. Mais il faudra que tu sois sage et discret. »


Le petit hocha la tête. Les suivre avait l’air d’être une chouette aventure !


« Je serais discret comme un veilleur !

– Oui, voilà. Parfait. »



Ils ne perdirent pas plus de temps et traversèrent le village d’un pas rapide en évitant la place centrale et les rues où des cris continuaient de résonner. Le combat faisait rage là-bas.


Ils manquèrent de peu de se faire repérer par Senna. Ils se cachèrent et cette dernière continua son chemin sans les voir. Ses vêtements étaient couverts de sang, mais elle n’était pas blessée.


David ferma les yeux quelques secondes. Il n’avait jamais vraiment aimé Wilfrid, mais il ne méritait pas ça. Il espérait au fond de lui qu’il ait réussi à fuir.


« On arrive au quartier des veilleurs. » fit Ayel peu après qu’ils aient repris la route.


Ils s’arrêtèrent aussitôt. Le bâtiment se dessinait devant eux. Lugubre. Lui qui était jusqu’alors un foyer, un lieu que David s’était pris à apprécier, avait désormais perdu toute sympathie à ses yeux. Il frissonna.


Le bâtiment avait maintenant une aura sombre, angoissante. Il empestait la mort.


« Ha, enfin ! J’te tiens, sale gosse ! » fit soudain une voix derrière eux.


Une main attrapa alors le bras de Landry et le tira en arrière.


« Hé ! » couina le garçon en se débattant. « Lâche-moi !

– Non. Qu’est ce qui t’as pris de me fausser compagnie ? Tu es inconscient ?! Tu aurais pu mourir !

– Mais je voulais aider les amis de maman moi aussi ! Et puis je lui ai promis que j’irais jamais dehors !! Lâche-moi, tu me fais mal ! »


Mais l’homme ne l’écouta pas. Il le maintenait en place d’une poigne ferme, comme habitué à cette situation. Ayel qui était resté figé devant la scène ne sut pas comment réagir.


David quant à lui se redressa. Il dévisagea le nouveau venu avec agacement. De toutes les personnes du village, il avait fallu qu’ils tombent sur lui.


Mylen.


Ils ne se connaissaient pas très bien, mais aucune de leur rencontre n’était restée dans sa mémoire comme étant un moment agréable. Et David ne supportait pas son petit air hautain, son regard qui le méprisait et le jugeait à chacun de ses mouvements.


Mais il s’agissait d’un fidèle de Söl. Ils étaient dans le même camp. Mylen avait toujours travaillé pour elle dans l’ombre, sans dévoiler son allégeance au grand jour. Contrairement à eux, il n’était sans doute pas en danger ici.


« Mylen.

– Ah. David. » répondit l’homme. « Encore en vie ? C’est surprenant. »


David voulut faire un pas vers lui, mais s’arrêta aussitôt. Sa blessure venait de lui envoyer un pic de douleur qui le fit grimacer.


« Ah. En vie, mais plus pour très longtemps. » constata l’homme en roulant des yeux. « Vous fuyez dans les souterrains, non ? Tu as ton masque ?

– Quoi ?

– Ton masque. Tu l’as ? Et ton ami, il en a un ?

– Compagnon, pas ami. » siffla David. Mylen haussa un sourcil et lança un regard curieux vers Ayel. « Mais oui, j’ai ce qu’il faut. Je vais mettre celui de Tyra et Ayel mettra le mien. »


Mylen hocha la tête, satisfait de leur réponse.


« Mais ça ne nous servira à rien si on ne réussit pas à quitter le village. » continua David en croisant les bras. « Il doit y avoir des veilleurs qui montent la garde à la sortie.

– Oui, effectivement. J’en viens, le passage est gardé par Gwen. Si on essaye de forcer, elle ne fera qu’une bouchée de nous.

– Fantastique. »


Un sourire étira alors le visage de Mylen.


« Ne vous en faites pas. Cachez-vous, installez-vous pas très loin de la sortie. À l’ouest du quartier des veilleurs, vous trouverez une bonne cachette. Juste derrière l’entrepôt.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

– Secret. »


Mais alors que Mylen faisait mine de partir, Ayel demanda :


« Tu prends le petit avec toi ?

– Oui. Il faut bien le faire participer un peu, pas vrai Landry ? » répondit-il en tapotant l’épaule du garçon, un sourire faux plaqué sur le visage. « Maintenant qu’il est trop tard pour te ramener à la surface, tu vas me suivre et tu vas m’aider dans le reste de ma mission pour te faire pardonner, hein ? »


Le visage de Landry perdit toutes ses couleurs. Il hocha lentement la tête.


« O... oui, bien sûr.

– Parfait. Mets ta capuche et suis-moi. »



David et Ayel avaient décidé de suivre à la lettre les instructions de Mylen. Ils contournèrent le quartier des veilleurs d’un pas discret, bien décidés à se cacher derrière l’entrepôt qui bordait le chemin vers les souterrains.


Mais alors que ce dernier n’était plus très loin, ils tombèrent nez à nez avec Ralf, le cousin de Tyra. Ce dernier écarquilla les yeux et siffla :


« Toi ! Qu’est-ce — »


Cependant il n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit. Il n’eut pas le temps de comprendre. Sans un bruit, une ombre se faufila derrière lui et lui asséna un coup d’une violence fatale.


On lui avait abattu une grosse pierre sur la tête. L’homme tomba sur Ayel, qui recula en criant, et une mare de sang se répandit sur le sol.


« Quel emmerdeur ! J’ai jamais pu l’blairer, il ne va pas me manquer celui-là.

– Dynia ! » s’exclama David, les larmes aux yeux. « Bon sang. Tu as réussi à t’enfuir !

– Parle moins fort gamin. On n’est pas sorti d’affaire. »


Elle leur fit signe de les suivre. Ils contournèrent le corps de Ralf, et Ayel ne put s’empêcher de lui lancer un dernier regard. David lui prit la main et le fit passer devant lui en murmurant d’une voix inquiète :


« Ça va aller ?

– Non. » répondit Ayel, la voix brisée. Il était livide. « Tout ça… c’est trop pour moi. J’ai peur, David…

– Je suis là. On va s’en sortir, d’accord ? »



Ayel hocha la tête et serra la main de David à la recherche de sa chaleur. Ils arrivèrent au niveau de l’entrepôt et eurent alors une bonne surprise. Sofie et Max étaient assis là, blottis l’un contre l’autre. Le jeune garçon leva les yeux vers eux et des larmes coulèrent sur ses joues.


« Par les dieux, vous êtes en vie !

– Oui. Grâce à Wilfrid. » répondit David. « Il a décidé de retenir seul Senna pour nous donner une chance. Sans lui… »


Max hoqueta et Dynia hocha la tête, l’air sombre. Tous savaient ici que Wilfrid n’avait aucune chance contre elle. En temps normal, il était déjà incapable de la vaincre, alors blessé…


« Et dire que Senna était mon apprentie autrefois. » siffla Dynia, amère. « C’est moi qui lui ai appris à se battre, tout ça pour que maintenant elle s’en prenne à ma famille ? Je ne l’oublierais pas, ça, c’est sûr.

– Je suis désolé.

– Merci, gamin. »


Ayel lâcha la main de David pour s’asseoir à côté de Max, dos au mur de l’entrepôt. Il replia les jambes sur lui-même et posa son menton dessus. Comprenant qu’il avait besoin d’un peu de solitude, David ne le rejoignit pas. Il demanda à Dynia :


« Vous avez croisé Mylen en chemin ? C’est lui qui vous a envoyé ici ?

– Oui. » répondit David. « Mais il ne nous avait pas dit qu’on tomberait sur vous. Je n’en reviens pas. Je suis tellement soulagé que tu as réussi à protéger tes proches.

– C’est grâce à mon frère.

– Ton frère ? Le père de Wilfrid ?

– Ouais. Tel père, tel fils. Lui aussi à fait diversi — »


Mais Dynia ne termina pas sa phrase. Elle contourna David et tenta de voir de l’autre côté de l’entrepôt, les sourcils froncés. Il la rejoignit et écarquilla les yeux. De la fumée sortait du quartier des veilleurs.


« Qu’est-ce que ?!

– Ça, c’est Mylen qui a oublié qu’on se trouve dans des putains de souterrains. » gronda Dynia en passant une main sur son visage. « Je lui avais dit de faire diversion sans tout faire exploser ou bruler. Mais tu crois que ce gosse m’écouterait pour une fois ?! Non ! Bien sûr ! Pourquoi m’écouter quand on peut faire le contraire ? Je vais le tuer. J’te jure que quand il revient, je vais le tuer. »


L’incendie avait au moins la qualité d’être une diversion efficace. Gwen n’avait pas tardé à quitter son poste, se précipitant avec les autres veilleurs des environs dans l’objectif de l’éteindre au plus vite.


Dynia avait alors ordonné à tout le monde se couvrir la bouche tandis la fumée noire les enveloppait rapidement. Le petit groupe en profita pour s’échapper.


Ils s’enfuirent, s’éloignant le plus vite possible du village. Ils traversèrent le territoire des veilleurs et s’arrêtèrent finalement près d’un dolmen, essoufflés.


Dynia se laissa alors choir contre un rocher et soupira. Ils étaient restés quelques minutes ainsi, reprenant leur souffle en silence, encore sous le choc, lorsque Mylen et Landry apparurent à leur tour.


« Dynia ! » s’exclama le garçon en se jetant dans les bras de la guerrière. « T’as vu comment on s’est trop bien débrouillé ? Y’avait de la fumée partout !

– Landry ? Mylen t’a retrouvé ? On était si inquiets, pourquoi tu lui as faussé compagnie au lieu de le suivre à la surface ?! »


Le petit garçon recula et baissa la tête, penaud. Les yeux humides, il renifla piteusement.


« Dé… désolé…

– On en reparlera, tu ne t’en tireras pas avec des larmes. » grogna Dynia avant de se tourner vers Mylen, des éclairs dans les yeux. « Quant à toi ! Un incendie ? Tu es fou ?? Et s’il s’était propagé dans le village hein ? Et la fumée, dans des souterrains, tu voulais tuer tout le monde ? »


Mylen haussa les épaules.


« Vous n’avez jamais entendu le dicton ? Tout cramer pour repartir sur des bases saines.

– Quoi ?

– Je plaisante. Il n’y a jamais eu d’incendie. La fumée et l’odeur de brulé ont été provoquées par ce genre de petite chose. » fit l’homme en sortant une petite pierre de son sac. « Celle-ci a un autre effet que j’ai hâte de tester. Je les ai achetées sur le marché noir à des mages illégaux. Ce sont des sorts concentrés.

– Tu…

– De rien. » répondit Mylen avec un petit sourire satisfait.



« Mais ne trainons pas plus. » ajouta Mylen. « Je vous ai apporté les masques comme prévu. »


Il désignait un sac qu’il avait déposé à ses pieds en arrivant. Dynia hocha la tête et se pencha pour l’ouvrir. Plusieurs masques s’y trouvaient. Elle en sortit deux qu’elle tendit à Sofie et Max.


« Tenez. Gardez-les précieusement, vous en aurez besoin pour survivre.

– Je croyais qu’on ne pouvait pas mettre un masque sans l’autorisation de son propriétaire ? » demanda David.


Dynia hocha la tête.


« Ouais. Mais ceux-là n’appartiennent à personne. Ce sont des masques de rechange pour les veilleurs qui ont perdu le leur et pour les apprentis. Ils ne sont pas aussi solides et efficaces que les masques de veilleur, mais ils protègent de l’attraction et c’est le plus important.

– Oh, je vois.

– Je les ai récupérés dans l’atelier de Soren. » ajouta Mylen d’une voix trainante en s’adossant à un rocher. « Et j’en ai profité pour refaire la décoration. C’est fou le nombre de choses que l’on peut briser avec un marteau.

– Non. » murmura Dynia. « T’as pas osé ?

– Si. J’ai également brisé les masques qui étaient rangés dans le quartier des veilleurs. Ils auront du mal à nous suivre. Pauvre petit Soren qui va être si débordé entre son rôle de nouveau chef et son travail de fabriquant de masque. C’est dommage qu’il n’ait pas encore formé d’apprenti à qui confier cette tâche, n’est ce pas ? »


Dynia éclata de rire et David ne put s’empêcher de sourire, presque envieux de ne pas avoir pu participer. Il aurait donné n’importe quoi pour voir ça ! Soren allait devenir fou. Surtout qu’avec Ralf hors d’état de nuire, il allait devoir s’occuper également des sceaux du village.


Avec un peu de chance, il allait mourir d’épuisement.


« C’était génial de tout casser ! » s’exclama Landry. « On le refera, dit ? »



« Garde-le toujours sur toi. » fit David en expliquant à Ayel comment porter son masque. « Il te protégera de l’attraction des souterrains. Tu peux le mettre sur la tête ou l’accrocher ailleurs, tant que tu le gardes près de toi.

– Même pour dormir ?

– Oui, même pour dormir. Mais on s’y habitue vite, tu vas voir. »


Ayel hocha la tête, peu convaincu. Il fixa le masque avec tristesse, songeant à tout ce qu’ils étaient en train de perdre. Il aimait ce village, devoir le fuir était un crève-cœur. Et tout ce sang, ces morts… était-ce vraiment utile ?


Pourquoi Soren avait-il fait ça ? Pourquoi les gens le suivaient ? C’était si injuste… Au fond de lui, il en voulait presque à David de s’être lié d’amitié avec Söl. S’il avait gardé ses distances, peut-être n’auraient-ils pas eu à fuir dans un lieu aussi effrayant.


Mais comment aurait-il pu savoir ? Comment aurait-il pu prédire ça ?


« Ne trainons pas. » fit Dynia en ajustant son sac sur son épaule. « On doit trouver un abri pour la nuit.

– Et qu’est-ce qu’on fera ensuite ? » demanda Sofie. « On ne va pas fuir éternellement. Où allons ? Que faisons-nous ? Tu as un plan ? »


Sofie avait soulevé un point important. Les regards se tournèrent vers Dynia qui secoua la tête. Comme tout le monde, elle était dépassée par les événements. Le duel et la mort de Söl étaient arrivés bien trop abruptement pour qu’elle puisse réellement appréhender la situation.


Elle se doutait bien que Soren tramait quelque chose, mais pas qu’il agirait aussi vite. Il ne leur avait laissé aucun répit. Et son nombre d’adeptes parmi les veilleurs était affolant.


Depuis quand préparait-il son coup d’État ? Comment Söl avait-elle pu manquer ça ?


« À vrai dire, je ne sais pas trop. » avoua-t-elle. « Rester en vie me semble une bonne idée pour commencer. Grâce à Mylen nous avons un peu de répit, mais je ne doute pas un seul instant que nous aurons bientôt des veilleurs à nos trousses.

– Et quoi ? » demanda David. « On va juste errer dans les souterrains comme des âmes en peine ? Si c’est ça, on aurait mieux fait de tenter de forcer une sortie vers la surface.

– Les sorties sont scellées. » siffla Mylen.



« À moins que tu ne sois un expert en magie noire et magie du sang, en plus d’être capable de vaincre une bonne quinzaine de veilleurs énervés, tu ne passeras jamais.

– T’es bien passé toi pourtant. »


Mylen leva les yeux au ciel pour exprimer son agacement, et croisa les bras en rétorquant :


« Oui, parce que c’était avant le combat. Avant la défaite de Söl.

– Donc tu étais au courant de ce qui allait se passer ? Pourquoi tu aurais fait sortir les enfants sinon ? Pourquoi tu ne nous as pas préve —

– David, c’est bon. » siffla Dynia en s’interposant. « C’est pas le moment de parler de ça. Mylen a fait de son mieux, d’accord ?

– Mouais.

– Quant à nous, avec un peu de chance on trouvera une sortie ailleurs. GemmeNoire n’est pas la seule cité construite au-dessus des souterrains.

– Oh.

– Tu penses que c’est faisable ? Qu’on peut trouver une sortie quelque part ? » demanda Ayel.


Il fixait David avec espoir.


« C’est vrai que tu dis tout le temps que Morthebois est constellé de ruines du genre. Peut-être que si on part par là… ?

– Oui. Autrefois les souterrains traversaient tout le royaume et reliaient toutes les cités entre elles. Mais la plupart des entrées sont détruites ou scellées. Je ne sais pas si — .

– On se débrouillera. » le coupa Dynia, satisfaite. « Tu viens avec nous Mylen ? Ou tu préfères rester au village ? Soren t’apprécie, tu ne risques rien.

– Rester au chaud dans un village qui empeste le sang et la mort, ou partir à l’aventure dans des souterrains mortels sans savoir si je reverrais un jour la lumière du jour ? » fit Mylen en roulant des yeux. « Quel choix difficile. Je ne sais que choisir.

– Reste au village, on n’a pas besoin de toi. »


David avait marmonné, agacé. Mylen ne releva pas. Il posa une main sur le bras de Sofie et lui lança un regard interrogatif.


« Sofie ?

– Je te préférerais en sécurité, mais je me sentirais plus sereine avec toi à nos côtés. »


Mylen hocha la tête.


« D’accord. Va pour les souterrains mortels.

– Et moi ? » demanda Landry.


Tous les visages se tournèrent vers lui.


« Toi, tu me suis. » répondit Mylen en lui posant la main sur la tête. « Tu n’as plus trop le choix. »


Une dizaine de minutes plus tard, tandis qu’ils avaient quitté le territoire des veilleurs, Dynia se pencha vers Mylen. Elle lui demanda :


« Tu n’as pas eu de nouvelles de mon frère pendant que tu faisais diversion ?

– Non. Mais toi tu as croisé le mien je suppose ? C’est toi qui lui as fait ça ?

– Tu m’en veux ?

– Non. J’étais juste curie— . »


Mais Mylen n’eut pas le temps de finir sa phrase. David venait de s’écrouler devant eux.


« David ! »



Partie 2 - A la recherche d'une sortie


Lorsque David rouvrit les yeux, la première chose qu’il remarqua était la dureté du sol. Il tenta de se redresser, mais la douleur le fit aussitôt regretter son idée. Son gémissement attira l’attention de Sofie qui était assise à côté de lui.


« David ! Tu es enfin réveillé ! Comment tu te sens ?

– Je ne sais pas… » marmonna-t-il en s’asseyant difficilement.


Sa vision était étrangement trouble à droite. Il se frotta l’œil, mais Sofie lui attrapa aussitôt la main pour l’arrêter.


« Non. N’y touche pas.

– On est où ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Tu t’es évanoui dans la forêt. Mylen et Ayel ont du te porter, heureusement qu’ils étaient là. Ça fait maintenant trois jours que tu délires. »


Trois jours ? David écarquilla les yeux et tenta de se lever, mais Sofie l’en empêcha. Elle secoua la tête négativement puis souffla :


« Je vais prévenir les autres que tu es réveillé. Et on va t’apporter à manger. Tu dois être affamé.

– Je…

– Prends ton temps. »


Dès qu’elle eut disparu, David détailla autour de lui. Il se trouvait dans une sorte de cabane de fortune, allongé sur une cape qu’il reconnut comme étant celle de Max. Son torse était couvert d’une étrange substance, une sorte de cataplasme qui empestait. L’odeur lui prenait le nez. Il grimaça.


Alors comme ça, il s’était évanoui ? Était-ce à cause de ses blessures ? À cause de ce que Warin lui avait fait ? Il avait espéré avoir mal compris, mal entendu. Il avait espéré que sa blessure n’était pas grave.


Mais il s’était trompé.


« Bordel.

– David ! » s’exclama Ayel en entrant dans la cabane. Il s’assit à côté de lui et lui vola un baiser. « J’ai cru que tu étais mort ! Ne me fais plus jamais ça !

– Ayel…

– Comment tu te sens, gamin ? » fit Dynia en s’accroupissant à leurs côtés. « Tu arrives à penser et bouger ?

– Je ne sais pas trop. J’ai comme une gêne dans l’œil et je vois flou à droite. »


Dynia et Ayel s’échangèrent un regard triste. L’aînée soupira :


« Je vais être franche avec toi. C’est ta blessure qui s’étend et on ne sait pas comment l’arrêter. C’est pas joli. Tu vas bientôt perdre l’usage de ton œil.

– Q... Quoi ?

– C’est de la magie noire. Warin adore les poisons, il les collectionne. Y compris ceux qui sont magiques. De ce que j’ai compris, ça va s’étendre et te bouffer à petit feu. Si ça avait été sur une extrémité, on aurait pu t’amputer, mais il t’a touché au visage et au torse. »


David les fixa, le regard vide. Ils n’étaient pas sérieux. Ce ne pouvait pas être vrai.


« Je vais mourir ?

– On va tout faire pour que ça n’arrive pas. » fit Ayel, les larmes aux yeux. « La bonne nouvelle c’est que le cataplasme que Dynia t’a fait devrait t’empêcher de souffrir. Elle l’a fait avec des plantes des souterrains.

– Ouais. On les utilise quand on doit recoudre ou amputer des gens. Ça empêche d’avoir trop mal parce que ça engourdit. Tu as de la chance de t’être enfuie avec moi, à force de diriger les expéditions de récolte je connais les emplacements de chaque plante par cœur.

– Merci Dynia. » renifla David. « Merci pour tout.

– Mais t’es pas tiré d’affaire. C’est surtout en attendant qu’on trouve une sortie. Dès qu’on sera à l’extérieur, on pourra trouver un mage qui pourra peut-être t’aider ! »


David fit un sourire triste. Ils n’avaient aucune certitude à ce sujet, rien ne disait qu’ils parviendraient à trouver une sortie un jour. Alors, réussir à sortir à temps pour le sauver ? Ce serait un miracle. Il secoua la tête. Il refusait d’y penser. Il n’était pas prêt.


« Et il s’est passé quoi pendant mon "absence" ? » demanda-t-il pour changer de sujet. « On est où ?

– Près des ruines où je t’avais emmené avec Tyra. On s’est dépêché de les rejoindre, vu que beaucoup de plantes médicinales poussent ici et que les Sylènes évitent ce territoire. On a croisé deux sylènes en chemin, mais on s’est bien défendus. Tout le monde va bien.

– Ah. D’accord. » répondit David, sans vraiment écouter.


Il se sentit défaillir et Ayel le retint.


« David ?

– Désolé. Je me sens bizarre.

– Repose-toi alors. » fit Dynia. « On repart demain matin. »



« Hé le macchabée, je t’apporte ton repas. » fit Mylen en entrant dans la tente de David. « Mange tout, ça te fera du bien. »


David, qui était allongé, se redressa. Il fixa le bol quelques secondes avant de murmurer :


« Merci.

– De rien. Si tu meurs, c’est moi qui vais devoir creuser pour t’enterrer et je n’ai absolument aucune envie de me couvrir de terre pour tes beaux yeux ternes.

– Toujours aussi charmant. » marmonna David en prenant une cuillère de soupe. « Beurk. C’est amer.

– C’est normal. Dynia y a mis des feuilles qui sont censées t’aider à calmer tes nausées. Leur seul défaut est qu’elles ont mauvais gout.

– Elles ne sont pas très efficaces. C’est le gout qui va me faire vomir.

– Arrête de te plaindre et mange. »


David plissa le nez, mais ne répondit pas. Il porta le bol à ses lèvres et but quelques gorgées en tentant de faire abstraction. Il frissonna de dégout.


« Si tu as froid, Sofie a lavé et recousu ta tunique.

– Hm. Tu vas rester là longtemps ?

– Pourquoi ? Tu n’apprécies guère ma présence ? Je suis pourtant très avenant et je sais faire la discussion. » répondit Mylen avec un sourire narquois.


L’homme s’étira tandis que David répondait en déposant son bol à côté de lui.


« Avenant ? Qui sait faire la discussion ? Toi ?

– Évidement. » fit Mylen en bâillant. « Je peux par exemple te décrire les dix meilleures façons de se débarrasser d’un cadavre, tout en te partageant mes petites astuces personnelles testées et approuvées. J’ai de nombreuses anecdotes à ce sujet. »


David ferma les yeux.


« Après, ma technique favorite reste quand même de tout faire brûler. Ça ne laisse pas de trace et ça réchauffe les longues nuits d’hiver. »


La nuit allait être longue.

Très longue.



Le lendemain, alors que le groupe se préparait à repartir, David se pencha vers Dynia. Il lui demanda avec curiosité :


« Dis Dynia. Je reconnais le coin. On est pas loin du moenia, pas vrai ?

– Ouais. Tu veux aller le voir ?

– Pourquoi pas. » murmura-t-il en rosissant de gêne. « Si ça ne te dérange pas. »


La guerrière hocha la tête. Elle avait prévu de passer à côté pour lui donner l’occasion de se recueillir, mais elle aurait dû se douter qu’il en ferait la demande.


« Tu sais, Ayel s’y est rendu plusieurs fois quand tu étais entre la vie et la mort.

– Quoi ? Pourquoi ?

– Pour prier pour toi, idiot. Je lui ai raconté comment on à découvert ce gros rocher. Quand il a su que c’était lié à ta culture, il a insisté pour que je l’y emmène.

– Oh, Ayel… »


David tourna la tête pour regarder son compagnon. Ce dernier était en grande discussion avec Sofie et l’aidait à ranger le bivouac. Un sourire tendre fleurit sur ses lèvres.


« Et dire qu’il ronchonne tout le temps quand je lui en parle d’habitude.

– Comme quoi, parfois l’amour est plus importants que les croyances. Être capable de prier une divinité étrangère pour le salut de l’être aimé. C’est beau, n’est-ce pas ? »


David opina, touché.


Ils prirent la route quelques minutes plus tard. Mais lorsqu’ils se rapprochèrent du Moenia, le petit Landry s’arrêta. Le visage pâle, il tira sur la tunique de Sofie en murmurant :


« Sofie.

– Quoi ?

– Je veux pas y aller. Je me sens pas bien. »


Elle fronça les sourcils et se pencha pour toucher le front de l’enfant. Il était un peu chaud, mais rien d’inquiétant. Mais il était vrai qu’il était étrangement calme ces derniers temps. Était-il malade ? Elle fit signe au groupe de s’arrêter.


« Le petit se sent mal.

– Tiens. » fit Dynia en sortant une gourde d’eau qu’elle tendit au garçon. « Bois. »


Le garçon en but une petite gorgée avant de la rendre à Dynia. Cette dernière hocha la tête et ajouta :


« Bien. Tu te reposeras en arrivant au rocher, on est plus très loin.

– Mais…

– Pas de mais. On y va. »


Mais à peine le garçon eut fait quelques pas qu’il s’arrêta de nouveau. Dynia ouvrit la bouche pour le réprimander lorsqu’il vomit.



« Landry ?

– Je me sens pas bien. » gémit l’enfant en se tenant le ventre. « Je veux pas y aller. Je — »


Il ne parvint pas à finir sa phrase et vomit de nouveau. David, qui avait assisté à toute la scène, se précipita alors à ses côtés. Sans laisser le temps aux autres de réagir, il s’accroupit à côté de lui et lui posa une main sur le dos en murmurant :


« Hé. Ça va aller. Tu reveux de l’eau ?

– J’ai… j’ai mal… »


David lui caressa le dos doucement, tandis que Dynia sortait de nouveau sa gourde pour la donner au garçon. Mylen s’approcha et se baissa à leur niveau.


« Qu’est-ce qu’il se passe ? Il est malade ?

– On ne sait pas. Il vient de vomir. »


Le petit tremblait. Mylen lui prit le visage pour le forcer à le regarder.


« Tu as mal où ? Tu as encore des nausées ? »


Le petit hocha la tête timidement, mais ne répondit pas. Sans aucune douceur, Mylen l’examina sous tous ses angles. Il lui ouvrit la bouche, puis regarda ses yeux, avant de le forcer à incliner la tête pour regarder dans ses oreilles.


Le nez du garçon coulait et il l’essuya du bout du pouce en fronçant les sourcils.


« Arrête. » fit l’enfant en se dandinant pour se libérer de sa poigne. « Tu me fais mal.

– Je ne vois rien d’alarmant. Il a probablement juste mal digéré son repas. » fit Mylen en l’ignorant. « Dynia, tu as encore les racines que tu as données à David pour ses nausées ? Tu penses que ça l’aiderait ?

– Oui. Toute notre récolte est ici. »


Elle déposa son sac par terre et l’ouvrit. Il était plein. Ils avaient collecté pas mal de choses lorsqu’ils étaient partis en chasse de plantes médicinales pour David, afin d’être préparés à toute situation.


« Tiens, tu vas manger ça. » fit-elle en lui tendant une racine. « Ça t’aidera. Mâche bien surtout.

– Merci. » murmura-t-il avant de grimacer. « Beurk. C’est amer.

– C’est normal. Mange tout. Tu vas te reposer un peu et dès que tu te sentiras mieux on repartira. Ce soir, on fera ce qu’il faut pour que tu te sentes mieux. Et si tu es trop faible, je te porterais d’accord ?

– Non ! Je peux pas y aller ! »


Le garçon avait crié, les larmes aux yeux. Surprise, Dynia échangea un regard avec Sofie. Mylen fronça les sourcils et demanda :


« Tu ne peux pas aller où ?

– Là-bas. » fit-il en désignant la direction où ils allaient. « Ça veut pas de moi. Ça me fait mal dedans.

– Ça ? De quoi, ça ?

– Je sais pas… » pleura-t-il en se recroquevillant. « Je veux ma maman. »


David, qui n’avait pas arrêté de lui caresser le dos en lui murmurant des mots de réconfort, se redressa et dit :


« La santé du petit est plus importante que le reste. Il est peut-être sensible à quelque chose, tout est tellement étrange par ici. Tant pis pour le moenia. »


Il ajouta d’une voix douce en désignant l’est :


« Landry. Si on part par là, ça serait mieux pour toi ? »


Le petit hocha doucement la tête. Ses yeux brillaient de reconnaissance, éclairant son visage pâle.


« Ça se tient. Mais si ce n’est que ça, allez voir le rocher et revenez, je vais rester avec le petit. » fit Dynia. « On vous attendra ici. Ça te conviendrait Landry ?

– Oui je pense… »


David leva la tête.


« Quoi ? Mais —

– Ton sacrifice est très appréciable David, mais on est juste à côté. Ce serait bête d’avoir fait tout ce chemin pour rien. En plus la zone est assez sûre. Le petit sera en sécurité avec moi.

– Tu ferais mieux de les accompagner, Dynia. » fit Mylen. « Je vais rester. Mieux vaut que notre meilleure guerrière soit avec le plus gros du groupe, je saurais protéger Landry en cas de problème.

– Hum. C’est d’accord, on va se dépêcher. Criez s’il se passe quoi que ce soit et on viendra vous aider. »


Lorsque le groupe fut assez éloigné, Mylen se tourna vers Landry.


« Gamin, il va falloir qu’on parle. »



« Tu es sûre que c’est une bonne idée de les laisser seuls ? Ils ne risquent rien ? » chuchota David en se penchant vers Dynia, tandis qu’ils traversaient un petit cours d’eau pour rejoindre le moenia.


« Le petiot ne craint rien. Mylen le protégera de sa vie s’il le faut.

– Mouais. Mais je me demande bien ce qui l’a mis dans cet état.

– Il est très sensible et c’est sa première fois dans les souterrains. Ça a dû jouer. » murmura Dynia en se frottant le menton. « Je me demande s’il n’a pas senti l’ogre de l’autre côté des ruines. Tu sais, celui que je vous avais montré ?

– Oh. Tu penses ? Il est assez loin quand même. Ce pourrait-être tout autre chose.

– Ouais. Mais tu te souviens pas comment Landry a réagi quand j’ai essayé de lui donner mon masque ? »


David hocha la tête. Il s’en souvenait très bien. Lorsqu’ils avaient fui le village et que Dynia avait distribué les masques, elle avait pris la décision de confier le sien au petit garçon.


Comme c’était un masque de veilleur terminé et complet, il était plus efficace que les masques apportés par Mylen. Elle préférait savoir le garçon en sécurité.


Mais le petit avait refusé catégoriquement et s’était mis à pleurer quand elle avait insisté en tentant de lui poser sur la tête. Il avait repoussé le masque qui était tombé par terre et s’était fissuré.


Dynia avait serré les lèvres, mais n’avait pas insisté. Landry avait alors hérité d’un masque d’entrainement. Mylen lui avait accroché à la ceinture, car le petit refusait toujours de le mettre sur sa tête.


« Je pensais que c’était juste un caprice. » murmura David. « Mais maintenant que tu le dis, c’est bizarre.

– Ouais. Mon masque provient de cet ogre, ça appuie ma théorie.

– Mais ça reste bizarre. Je ne suis pas convaincu. Et comment ça se fait qu’il réagisse comme ça ? Je veux dire, même s’il est jeune et que c’est sa première fois dans les souterrains, ça me parait excessif. »


Dynia soupira.


« Contrairement à ses adelphes, Landry a toujours été un peu spécial. Il est comme sa mère, tu sais ? »


David pencha la tête, surpris. Comment ça ? Que voulait-elle dire ?


« Comme sa mère ?

– Ouais. Un sybil. Il est encore un peu jeune pour apprendre à exploiter tout ça, mais il a déjà montré des prédispositions. Il voit des choses qu’on ne voit pas, il ne faut pas chercher à comprendre.

– Oh.

– J’ai tendance à l’oublier. Tu as bien fait tout à l’heure de nous rappeler à l’ordre. »


Dynia ne le félicitait pas souvent. David sentit une douce chaleur se répandre en lui. C’était agréable. Il toussota de gêne, les joues rouges et détourna le regard. C’est à ce moment-là qu’il aperçut le moenia se dessiner au travers des arbres.


« Oh ! On est arrivés. »



« Oh ! On est arrivés. »


David accéléra le pas, dépassant le reste du groupe. Il s’approcha du moenia avec les yeux brillants. Il n’avait pas changé. Il était toujours aussi beau. Il y avait quelque chose d’apaisant et rassurant qui s’en dégageait.


David remarqua quelques fleurs déposées au sol et comprit qu’il s’agissait de l’œuvre de Ayel. Il sourit tendrement avant de se diriger vers le champ de fleurs non loin. Tout comme la dernière fois, il en cueillit quelques-unes et fit un petit bouquet avec qu’il déposa ensuite devant le moenia.


Il se redressa et ferma les yeux pour prier silencieusement.


Il supplia la dame de leur apporter sa protection, de les guider vers la lumière et d’aider le petit garçon à se sentir mieux.


« Demande-lui de soigner ta blessure aussi, on ne sait jamais. » murmura Ayel en se postant à côté de lui.


David hocha la tête. Avec tout ça, il en oubliait presque le propre mal qui le rongeait. Le cataplasme de Dynia était efficace, David ne sentait presque plus la douleur. Il était simplement engourdi, comme empâté dans un rêve particulièrement lourd.


David inspira et retira lentement le pendentif autour de son cou. Il fixa le bijou avec tristesse. Ce pendentif représentait le symbole du village, une roue solaire. Söl lui avait offert le jour où elle avait officiellement accepté David et Ayel dans le village.


Tous les habitants en portaient un. C’était un symbole fort d’appartenance qui se transmettait de génération en génération. Mais pour David, c’était surtout un cadeau de Söl. Ce symbole solaire, il la représentait elle. Söl, le soleil de ce village…


Il serra le pendentif dans ses mains et ferma les yeux quelques secondes.


« S’il vous plaît, prenez soin d’elle. » chuchota-t-il. « Laissez là vous rejoindre et offrez-lui la paix. Elle le mérite. »


David sentit un souffle de vent soulever ses cheveux. Comment était-ce possible dans des souterrains ? L’Abonde lui répondait-elle ?


Il se baissa pour déposer le pendentif avec les fleurs, au pied du moenia. Il entendit Ayel bouger à côté de lui et leva les yeux. Son compagnon se sépara de son propre pendentif qu’il déposa aux côtés de celui de David.


« S’il vous plaît, prenez soin d’elle. » répéta Ayel.


C’est alors qu’a sa plus grande surprise, Dynia s’approcha. Elle les imita et déposa à son tour son pendentif, suivie immédiatement par Sofie et Max.


« S’il vous plaît, offrez-lui la paix. » murmurèrent-ils.


Tous avaient le regard brillant.


Ils restèrent de longues minutes ainsi, à prier silencieusement. David sourit, touché. Il n’aurait jamais imaginé Dynia faire ça, elle qui était si attachée à ses propres croyances. Comme quoi, elle avait raison.


Parfois l’amour était plus important que les croyances. Être capable de prier une divinité étrangère pour le salut d’un être aimé, il n’y avait rien de plus beau.


David se releva et fit signe à ses compagnons qu’il était temps de repartir.



Lorsque le groupe de David retourna sur ses pas pour rejoindre Mylen et Landry, ils les trouvèrent assis contre un arbre. Landry s’était endormi et avait posé sa tête sur les genoux de Mylen, qui lisait tranquillement ce qui semblait être un petit livre.


« Un livre ? Il a vraiment pensé à prendre un livre avec lui ? » chuchota Ayel dans l’oreille de David, sidéré. « Je l’envie un peu.

– Tu pourras toujours lui demander de te le prêter. Mais à ta place j’éviterais. Il a des gouts… suspects. »


En entendant le groupe arriver, Mylen referma prestement l’ouvrage qu’il glissa aussitôt dans son sac. Il secoua Landry en murmurant :


« Gamin, réveille-toi. On va repartir.

– Mhhh. »


Le petit ouvrit les yeux et bâilla. Il hocha doucement la tête sans mot dire et se laissa soulever par Mylen, qui le fit monter sur ses épaules. Landry serra ses petits bras autour de son cou et posa la tête contre lui en refermant les yeux.


« On peut y aller.

– Comment va le petiot ? » demanda Dynia. « Il se sent mieux ?

– Il est épuisé, mais la racine que tu lui as donnée l’a soulagé. Je vais le porter un peu pour qu’il se repose. »


La femme hocha la tête. Dans ce cas, le groupe n’avait plus aucune raison de rester. Elle fit signe aux autres de reprendre la route et ce fut tous ensemble qu’ils prirent la route vers l’Est.



Alors qu’ils traversaient la forêt, Dynia gardait toujours un air concentré et alerte. Elle prenait parfois des notes dans un petit calepin et David ne put résister à regarder au-dessus de son épaule.


Il regretta aussitôt. Déjà qu’il avait des difficultés à lire les mots clairs et bien écrits, alors là… ce ramassis de gribouillis n’avait strictement aucun sens. En sentant son regard, Dynia expliqua :


« Je prends des notes pour éviter que l’on se perde. On va en direction d’un territoire inconnu, on a jamais exploré aussi loin. J’essaye aussi de comprendre où on pourrait se trouver sous la surface.

– Oh. » murmura David. « Oui, bien sûr.

– Le souci, c’est que je ne connais pas bien la carte du royaume. Je n’ai jamais eu l’occasion de quitter mon village, tu comprends ? Ce qui est le cas d’à peu près tout le monde ici hormis Ayel et toi.

– C’est vrai. » réalisa David.


Il était la personne du groupe ayant le plus de connaissances sur le reste du royaume ici. Entre son voyage avec Ayel, celui avec Öta, et les nombreuses heures dans son enfance à aider son ami à apprendre ses leçons, il visualisait bien la carte du royaume.


Car bien qu’il soit incapable de lire les cartes, il avait mémorisé les noms et les lieux à l’oral à force d’entendre Öta les répéter encore et encore.


Cette nouvelle avait un gout étrange. Jusqu’alors, il était toujours celui qui ne savait rien. Toujours à dépendre des autres. Mais cette fois, il avait peut-être une chance de se montrer utile.


« J’aime ton regard. » sourit Dynia. « Tu crois que tu saurais m’aider ? Selon nos suppositions, les ruines du moenia se trouvent sous une forêt au sud de GemmeNoire.

– Laisse-moi réfléchir…

– Tu ne saurais pas s’il y a quelque chose vers l’Est ? Je pense que c’est la direction où l’on va. »


David se mordit la lèvre. Il ne savait pas grand-chose de cette zone.


« Je ne suis pas sûr, mais si on continue vers le sud-est on ira vers… ah merde, c’est quoi son nom ? Je l’ai sur le bout de la langue.

– Ça te reviendra. Qu’est-ce que tu peux me dire dessus ?

– Euhm. C’est une région comme Morthebois, assez ancienne et abandonnée. Sauf qu’il n’y a quasiment pas de ville et villages là-bas. C’est que des ruines et des montagnes. Mon ami d’enfance rêvait d’aller voir les ruines. » expliqua David. « Comme toutes celles du royaume en fait.

– Des ruines ? Avec un peu de chance, on trouvera une sortie là-bas alors. Une sortie qui n’est pas scellée.

– Peut-être. » souffla David sans trop y croire.


Dynia lui posa la main sur l’épaule et ajouta :


« On va y arriver et te sauver, d’accord ? Comment tu vas pour le moment ?

– Ton cataplasme m’engourdit alors je ne sais pas trop.

– Je regarderais ça ce soir. »


Ils continuèrent de marcher quelques minutes, chacun dans ses pensées. Il admirait le lierre qui poussait sur les arbres lorsqu’un souvenir revint soudain à lui. Il s’exclama alors :


« Yliavtïr!

- Yliavtïr ? » répéta Dynia. « Quoi ?

– Le nom de la région en Vieux-Nordan. C’est Yliavtïr. Son autre nom est TrêveLierre, je crois. »


David hocha la tête.


« À partir d’ici, nous sommes en territoire inconnu. » fit-elle quelques heures plus tard en se tournant vers le reste du groupe, l’air grave. « Soyez prudents et silencieux. »


Ils venaient de traverser un pont de pierre très ancien, qui comme la plupart des fondations de la région était en partie écroulé. Son épée dégainée, Dynia conduisait le groupe avec prudence. Sur ses ordres, David surveillait leurs arrières attentivement.


Il réalisait à quel point son rôle était important. Il n’avait pas le droit de se baisser son attention.


Ainsi, lorsqu’ils montèrent le camp le soir venu ils n’étaient guère plus rassurés. Il y avait quelque chose de déstabilisant dans la forêt. Elle était plus sauvage que celle d’où ils venaient.


« David. Laisse-moi voir tes blessures. » fit Dynia en s’asseyant à côté de lui.


David hocha la tête. Elle mouilla un morceau de tissus à l’aide de sa gourde et essuya son visage.


« Alors, tu abandonnes ta nouvelle barbe ? » demanda-t-elle avec curiosité. « Tu t’es rasé comme avant, non ?

– Oui. J’ai des années d’habitudes alors c’est plus simple à entretenir sans miroir.

– Y’a vraiment que toi pour vouloir entretenir ta barbe dans un tel moment. » sourit-elle. « Toi et Mylen. Ce garçon refuse de laisser pousser le moindre poil sur son menton.

– Et Ayel aussi. Il prend soin de lui.

– C’est pas faux. Vous êtes ma petite bande de garçons coquets. »


David lui répondit par un petit rire tandis qu’elle finissait de nettoyer sa plaie. Dynia fronça alors les sourcils. Les lèvres pincées, elle l’examina sans mot dire. David hésita avant de demander :


« Ça ne s’arrange pas ?

– La blessure à bien cicatrisé. Mais ton œil devient noir.

– Noir ? »


David regretta de ne pas avoir de miroir sous la main.


« Oui. Le blanc de l’œil a complètement noirci. Tu vois toujours aussi mal avec ?

– Je ne vois plus grand-chose. » confirma David en fermant son autre œil pour vérifier. « Juste des formes floues. C’est douloureux quand j’insiste avec.

– On a perdu une borgne pour en gagner un autre, c’est fou ce que le destin fait bien les choses. » se moqua Mylen en passant à côté d’eux.


David le fusilla du regard tandis que Dynia soufflait fort du nez.


« Ne l’écoute pas. » grimaça-t-elle. « Montre-moi plutôt ton torse. Allez, retire ta chemise.

– Oui oui. »


David s’exécuta et la laissa l’examiner. Ses mains palpèrent sa peau au niveau de sa blessure, mais il ne sentit rien. Aucune douleur, aucune sensation, pas même celle des doigts de Dynia.


« Je ne sens pas tes mains quand tu touches la blessure. » souffla David, inquiet. « C’est normal ?

– Et si j’appuie, tu ressens quelque chose ? »


Elle joignit le geste à la parole. Une douleur vive fit sursauter David.


« Hum. Au moins, ça s’étend lentement. Nos petits bidouillages semblent aider. Tu as encore plusieurs jours avant que ça ne commence à toucher tes organes.

– Et il se passera quoi quand ça arrivera ? »


Dynia ne répondit pas et David comprit que ce ne serait pas agréable. Il n’insista pas.



Quelques heures plus tard, alors qu’elle montait la garde pendant que le groupe dormait, un bruissement dans les feuilles fit se redresser Dynia. Un animal ? Ou un visiteur ?


Elle se pencha pour attraper son arme mais s’arrêta aussitôt. Une lame sous la gorge, un souffle dans la nuque, une voix rauque.


« Mar thu.beïr, thu.anbeil morth. »


Dynia se figea. Un sylène ? Elle s’était fait surprendre par un Sylène ?


Gardant son sang froid, elle tenta rapidement de regarder autour d’elle sans bouger, forçant sur ses yeux pour analyser son environnement. Elle ne pouvait pas atteindre son épée sans risquer que la lame sous sa gorge ne lui dérobe sa vie.


« A-tha.anbeil ? A tha.anbeil re Coenan-khrirh ? » siffla le Sylène dans son oreille. « Tha.anbeil Hedera-searanta ? Lech damae-searanta ? Thu.siarad lech thu.mortha. »


Le Sylène la poussa en avant, l’impatience dans ses gestes. Dynia n’avait aucun mot pour répondre. Elle ne comprenait pas.


« Je ne parle pas— » commença-t-elle, lorsque soudain un son attira leur attention. Un bruit dans la forêt.


Le Sylène cracha et releva la tête aux aguets, intrigué et énervé. Dynia plissa les yeux, tentant d’apercevoir quelque chose, lorsque le Sylène s’écroula d’un coup sur elle. Dynia se dégagea aussitôt les yeux écarquillés, tout en posant la main sur son épée, prête à combattre.


Le sylène était tombé au sol dans un bruit sourd. Mort.


« Ça saigne bien ces bêtes-là. » grogna Mylen en lui retirant son couteau de la tête. « Tu te ramollis. Tu t’es laissé surprendre.

– Oh bordel. Mylen. »


Dynia ne lâcha pas son épée et regarda autour d’elle avec suspicion. Étaient-ils maintenant seuls ?


« Mylen ?

– Tu peux souffler. »


Elle soupira profondément, son cœur battant violemment dans sa poitrine.


« Dynia, Mylen ? Que se passe-t-il ? J’ai entendu du bruit. » fit la voix encore endormie de Sofie.


Petit à petit tout le camp se réveilla et tomba sur le corps refroidissant de l’étrange visiteur nocturne. Stupeur, angoisse, nausée. Tandis que Dynia donnait des ordres à tout le monde, Mylen retourna le cadavre et se pencha dessus, intrigué.


« C’est donc ça un Sylène ? Ce n’est pas très joli.

– Il… il est mort ? » fit Landry en s’approchant. « Vraiment mort ?

– Ouais. Tu m’étonnes que Wilfrid ait douillé quand il s’est fait mordre. Admire un peu ça. » fit Mylen en ouvrant la bouche de la créature. « Tu as vu comment ses dents sont taillées ? Tu veux toucher ?

– Beurk, non. »


Mylen fouilla le corps, mais rien n’attira son attention. Il récupéra finalement le poignard du Sylène et se redressa.


« Belle lame, un peu rustique, mais pas dénuée de charme. Je me demande combien je pourrais la vendre.

– La vendre ? » souffla David en s’approchant. « Sérieusement ?

– Si tu savais. Tout ce qui vient des souterrains intéresse certains collectionneurs fortunés. Ça se vend une fortune sur le marché noir. Je devrais peut-être aussi récupérer ses dents, si un jour on sort d’ici ça me sera utile.

– Tu—

- Mylen. » les coupa Dynia « C’est pas le moment, surveille la forêt avec David. »



Alors qu’ils préparaient le camp pour repartir, Ayel s’approcha de Mylen. Le corps du Sylène était toujours là. Ayel ne put s’empêcher de le regarder et regretta aussitôt. Mylen tourna la tête vers lui.


« Oui ?

– À ce qu’il parait, c’est toi qui as sauvé Dynia cette nuit. » murmura Ayel. « Je… merci. Je n’ose pas imaginer ce qui nous serait arrivé si tu ne l’avais pas fait.

– Oh. Le joli roux se réveille et daigne enfin m’adresser la parole ? »


Ayel rougit aussitôt d’embarras. Depuis le début de leur fuite dans les souterrains, il n’avait pas vraiment parlé avec Mylen. Juste le strict minimum, lorsqu’ils en avaient besoin. Jamais seul à seul. Il détourna les yeux.


« Je ne voulais pas être impoli. Désolé.

– Je comprends. Il faut faire bonne figure devant ton compagnon. » siffla Mylen en s’appuyant sur l’épaule de Ayel. Il murmura dans son oreille : « Mais dis-moi, il est au courant pour notre petite soirée ? Pour tous ces mots que tu m’as chuchoté ?

– Non. Ne lui dis pas, j’avais trop bu. J’étais angoissé et.. et… mais on à rien fait de mal.

– Si ce n’est pas mal, pourquoi ne pas lui dire ? »


Le visage de Ayel se tordit d’embarras.


Quelques jours avant l’attaque du village, il avait passé sa soirée dans la taverne du village et avait trop bu. Il avait passé la nuit à flirter avec Mylen. Il ne connaissait pas l’homme à ce moment-là, mais il n’avait pas pu résister à ce plaisir coupable.


Celui de se sentir désiré.


Ils n’étaient pas allés plus loin, mais depuis lors Ayel se sentait terriblement fautif et regrettait. Il se sentait sale et méprisable.


Il avait bien eu l’intention d’en parler à David, il cherchait le bon moment, mais lorsqu’il avait compris que Mylen et lui ne s’entendaient pas, il avait gardé le silence. Depuis, cette situation lui pesait.


Il secoua la tête.


« En… en tout cas, heureusement que tu étais là. Pour le sylène. » marmonna-t-il. « C’est impressionnant, pour quelqu’un qui n’est pas un veilleur, de si bien se débrouiller. Moi, je serais bien incapable de ça. »


Un sourire narquois étire le visage de Mylen.


« De "ça" ? De tuer, tu veux dire ? »


Ayel plissa le nez, regrettant aussitôt d’avoir relancé cette discussion. Il tenta de repousser Mylen, mais celui-ci resserra son étreinte sur ton épaule.


« D’être discret et efficace, plutôt. » grimaça Ayel. « Ne serait-ce que l’assommer, je saurais pas le faire.

– C’est mon métier, joli cœur. Meurtre, menaces, vol, chantage, que des petits boulots qui nécessitent un peu de… discrétion et d’efficacité. » susurra Mylen. « Je pourrais te raconter mes contrats si tu le souhaites. En anonymisant bien sûr. Mais je réserve les plus dérangeants pour David.

– Ha. Euh. Non merci. »


Mylen rit et relâcha Ayel.


« Ton homme nous regarde, va le rejoindre. Les regards assassins ne lui vont pas au teint. »


Ayel ne se fit pas prier et se dirigea aussitôt vers David, se jurant de ne plus faire l’erreur de parler seul au blond.


« Ça va Ayel ? Vous parliez de quoi ?

– De l’attaque de cette nuit. » frissonna le roux. « Je voulais le remercier de nous avoir sauvés, mais je regrette. Ce mec est glauque. »


David hocha la tête.



« TOI ! »


Le cri de David résonna dans la forêt, tandis qu’il quittait l’arrière du groupe. Voilà deux heures qu’ils avaient repris la route. Il enjamba une racine pour rejoindre Mylen, l’air furibond.


Ayel essaya de l’arrêter, mais David l’ignora. Il tenta de donner un coup de poing à Mylen, qui recula et l’esquiva, surprit. L’homme haussa un sourcil, perplexe.


« David ? Qu’est-ce que…

– Ordure ! »


Mylen esquiva un second coup de peu, peu habitué à faire face à de la force brute. Ayel gémit et enfonça son visage dans ses mains.


« Oh. » comprit Mylen. « Il t’en a enfin parlé ?

– Oui ! Comme si ça ne te suffisait pas de me torturer chaque jour en me rappelant que j’vais crever, t’as essayé de briser mon couple ? T’es quel genre d’ordure ?!

– Oula, j’y suis pour rien moi. » siffla Mylen, piqué au vif. « Je ne savais pas qu’il était pris. C’est ton rouquin qui est venu me voir. Discutez ensemble, mais ne me mêlez pas à vos histoires. »


David s’arrêta et hésita.


« Tu crois quoi au juste ? » continua Mylen, perdant patience. « Que je suis insensible ?

– Ouais ! Voilà, exactement.

– Et bien tu te trompes. Tu crois que ça m’a fait plaisir de savoir que le seul gars de ce foutu village qui m’a fait des avances et a osé m’adresser la parole sans se chier dessus cette année était déjà pris ?!

– Ils se chieraient pas dessus si t’étais un peu plus aimable !

– Va te faire foutre, David. » grogna Mylen. « Et toi aussi Ayel. »


Et sans leur laisser le temps de répondre, il se détourna. Dynia les rejoignit alors, furieuse.


« Mais ça ne va pas ? Vous voulez qu’on se fasse tous tuer ? » siffla-t-elle à voix basse. « Toute la forêt doit savoir qu’on est là maintenant ! Bravo.

– Lâche-nous, tu veux. » grogna David.


Dynia plissa les yeux.


« David, tu… »


Mais elle n’eut pas le temps de répondre. Un bruit dans la forêt. Feuillage qui bouge.


Et en quelques secondes, le groupe se retrouva encerclé de Sylènes, des lances et des arcs pointés sur eux.



Comment se défendre lorsque le groupe était encerclé et menacé par des ennemis bien plus nombreux ? Dynia échangea un regard avec Mylen, qui grimaça.


Ils avaient dégainés leurs lames sans attendre, mais c’était un geste bien vain.


Ils supposaient que leur seule protection actuellement était leurs masques. Sans eux, les Sylènes les auraient certainement déjà embrochés sur leurs lances. Car s’ils étaient comme les habitants de leur territoire, seule leur peur de s’en approcher d’aussi près les retenait.


Mais dans ce cas, pourquoi ne tiraient-ils pas de flèches ? Pourquoi simplement les encercler ?


Ha ! Si seulement leur groupe n’avait été constitué que de veilleurs, des guerriers et explorateurs aguerris, ils auraient sans doute eu une chance même en sous-nombre, mais là…


Soudain Dynia lança un regard surpris à David, qui n’avait pas attendu ses ordres pour avancer en direction des sylènes. Il inspira profondément avant de dire quelques mots.


Il s’agissait de phrases en vieux-nordan, des phrases qu’il avait pensées et préparées afin d’expliquer qu’ils n’étaient que des voyageurs de passage et qu’ils ne cherchaient pas le combat.


Les sylènes échangèrent des regards et se tournèrent vers l’un d’entre eux. Il était plus jeune que les autres, mais semblait pourtant bien plus redoutable. Le chef du groupe.


Ce dernier grogna à ses congénères des mots d’une voix rapide, des mots à l’accent prononcé que David ne comprit que partiellement. Il se tourna ensuite vers lui et prononça quelques phrases en désignant leurs masques. Dynia murmura :


« Il dit quoi là ?

– Je ne suis pas sûr. Je crois qu’il veut savoir d’où nous venons et pourquoi on a volé des visages.

– Des visages ?

– Nos masques. »


Dynia renifla, touchant son masque du bout des doigts pour vérifier qu’il était toujours là, tandis que David répondait d’une voix forte qu’ils venaient de loin et qu’ils utilisaient les masques pour se protéger, sans mauvaises intentions.


Le chef grogna, visiblement peu satisfait de la réponse, et fit un signe à ses hommes. Ces derniers poussèrent alors le groupe avec la pointe de leurs lances, les forçant à avancer. Max et Sofie se serrèrent près de Dynia, tandis qu’Ayel se plaça aux côtés de David en fixant les créatures avec peur.


Landry, qui était près de Sofie jusque là, voulut rejoindre Mylen mais trébucha sur une racine et tomba.


« Aïe ! »


Les sylènes le piquèrent du bout de leur lance pour le forcer à se relever et il boita avec peur jusque Mylen, qui le souleva pour le porter.


« Je te protège p’tit gars. »


Ils furent alors conduits hors de la forêt, sur une plaine obscure. Des alignements d’immenses rochers s’y trouvaient, des menhirs à l’aspect effrayant en parti engloutis par une brume opaque.


Le chef des sylènes cria alors à la brume en brandissant sa lance au-dessus de lui. Il y eut quelques secondes de silence, un silence lourd et oppressant, avant qu’une ombre n’apparaisse. Une ombre effrayante qui fit glapir de peur Landry. Le petit gémit dans les bras de Mylen, plongeant son visage dans sa tunique.


L’ombre prononça quelques mots d’une voix d’outre-tombe avant de s’évanouir, laissant un profond malaise et une étrange sensation de faim derrière elle.


« Bordel de merde. » souffla Mylen. « C’était quoi ça ?

– Ils disent quoi ? » demanda Dynia tandis que le groupe de Sylène les poussait de nouveau en avant, les forçant à pénétrer dans la brume. « David, qu’est-ce qu’ils ont dit ?

– Je ne sais pas, je ne suis pas sûr… mais l’ombre a parlé de nous dévorer. »


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