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- 34 - Retour à GemmeNoire

  • bleuts
  • 20 oct. 2024
  • 27 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 déc. 2024

Partie 1 - Le cadeau du lutin


La nuit qui suivit sa discussion avec Öta, Tyra ne parvint finalement pas à dormir. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait, mais elle repensa toute la nuit à ce qu’elle avait appris, se remémorant et analysant en boucle chaque mot que le jeune homme avait prononcé.


Si Tyra n’était pas choquée par ces révélations, elle ressentait tout de même de la peine pour David. Il n’avait pas mérité ça. Néanmoins s’il en souffrait encore, il le cachait bien.


Quoiqu’en y repensant, son mauvais caractère et son obstination presque caricaturale en découlaient sans doute ; peut-être était-ce lié à cette soudaine liberté qu’il n’avait pas su gérer. Mais Tyra ne pouvait que supposer, imaginer. David n’était pas là pour lui parler et se confier.


« David, tu m’manques gros crétin. » murmura-t-elle, en serrant son oreiller contre elle.


Le lendemain, lorsqu’Öta toqua à sa porte, Tyra était toujours debout. Posée au bord de sa fenêtre, elle venait de passer plusieurs minutes à regarder le soleil se lever.


« Öta ? » s’étonna-t-elle en lui ouvrant. « Il est drôlement tôt, qu’est ce que j’peux faire pour toi ? »


Au vu des cernes qui ornaient ses yeux, il n’avait pas beaucoup plus dormi qu’elle.


« Je veux rentrer à GemmeNoire. » soupira-t-il en s’adossant au mur. « Je sais que je t’avais dit qu’on resterait plus longtemps et que je te ferais visiter le coin, mais j’ai envie de partir.

– Quoi ? Aujourd’hui ?

– Pourquoi pas ? Je suis venu pour avoir une réponse à mes questions, alors maintenant… » soupira-t-il. « J’y ai réfléchi toute la nuit, si je reste plus longtemps je vais m’attacher à la petite et ça deviendra compliqué. Je vais vouloir accompagner Elliot, je vais me sentir obligé d’aider mon père… et je sais qu’ensuite, je ne parviendrais plus à m’en aller.

– Oh. »


Tyra lui posa une main sur le bras et répondit :


« D’accord. Je comprends.

– Alors on part aujourd’hui ?

– Quoi ? Non ! » rétorqua-t-elle en secouant la tête. « T’as vu dans quel état tu es ? Tu tiendrais pas une heure à cheval avant de t’écrouler !

– Parle pour toi.

– Moi ? Tu plaisantes ? J’te signale que j’te rétame en endurance, et que j’suis capable de tenir plusieurs jours sans dormir ! »


Öta croisa les bras, satisfait.


« Alors c’est décidé.

– Mais non !

– Si. »


Tyra secoua la tête en s’asseyant sur son lit, laissant Öta entrer dans la pièce.


« T’es bien gentil, mais tu veux qu’on parte comme des voleurs ? Et ton père ? Qu’est-ce qu’il va en dire ?

– Hum. » fit mine de réfléchir Öta. « Hum… Je pense qu’il va ronchonner, et dire quelque chose comme : "Ah, les jeunes ! Aucune éducation, c’est désolant !" Ensuite, je vois bien oncle Üter lui répondre avec sa voix bourrue : "En même temps, s’tu voulait qu’ton chiard soit bien éduqué fallait p'têtre, j’sais pas.... l’éduquer ? T’a laissé l’sale boulot à ta p’tite harpie, donc bien fait pour toi !" »


Tyra sourit, amusée par l’imitation fort convaincante de Öta. Ce dernier continua :


« … ce qui ferait sans doute lever les yeux au ciel à mon père, qui pousserait ensuite un long soupire dramatique avant de s’en aller, non sans évidement claquer la porte théâtralement.

– Wouah.

– N’est-ce pas ? »



« Elliot ! Je t’ai cherché partout ! » s’exclama Tyra en entrant dans les cuisines.


Elle posa sa main sur le mur et s’arrêta pour reprendre son souffle. L’homme déposa le sac qu’il portait et se retourna, surpris.


« Tyra ? Bonjour. Maitre Öta vient juste de partir, si tu le cherches il doit sans doute se trouver à l’écurie pour préparer vos chevaux.

– Non, j’viens te voir toi. J’voulais pas partir sans te dire au revoir.

– Oh. Merci, l’attention me touche. » répondit Elliot. « J’ai apprécié notre rencontre.

– Moi d’même. Estelle n’est pas là ? Je lui aurais bien dit au revoir aussi. »


Elliot ne lui répondit pas, se contentant de montrer la table du doigt. Tyra sourit et se baissa. La petite se trouvait effectivement dessous et jouait avec une orange.


« Salut toi. On à pas eu l’temps d’apprendre à ce connaître, mais tu vas me manquer.

– Badabeb.

– Tout pareil. »


Tyra se redressa, satisfaite. Elle fouilla ensuite dans sa sacoche et en sortit un petit parchemin roulé qu’elle tendit à Elliot.


« Tiens, c’est pour elle. Vous êtes pas obligés d’lui donner, mais j’me suis dit qu’elle serait peut-être contente quand elle sera plus grande.

– Qu’est-ce donc ?

– Une p’tite lettre. Öta m’a dit que vous aviez pas prévu de lui cacher ses origines, alors j’ai écrit de p’tites anecdotes que j’ai vécues avec David. Je lui ai aussi fait un dessin de lui. J’ai des progrès à faire pour les portraits, mais pour une fois je suis fière du résultat.

– Mais… quand est-ce que tu as eu le temps de faire ça ?

– Cette nuit. J’arrivais pas à dormir, alors bon. »


Tyra se mordit la lèvre. Elle avait écrit en Abarian, sachant qu’Elliot pourrait lire et traduire. L’homme déroula le parchemin, curieux. Il resta quelques minutes à lire son contenu, le visage ne trahissant aucune de ses pensées.


Anxieuse, elle se demandait si elle n’en avait pas trop fait, si ce n’était pas déplacé. Mais fnalement Elliot releva la tête et fit :


« Je pense que ça ne posera pas de problème. J’en parlerais à mon seigneur, merci. »


Il glissa le parchemin roulé dans son tablier.


« De rien. Je me suis dit qu’à sa place c’est le genre de chose que j’aurais aimé avoir.

– C’est très gentil. » approuva Elliot. « Je suis désolé, mais je vais devoir te chasser maintenant. Je dois finir de préparer le sac de provisions pour votre départ. »



« Je suis frustrée. » ronchonna Tyra.


Voilà plusieurs heures que les deux voyageurs avaient quitté le domaine de Morthebois, après des adieux émouvants. Öta avait du passer bien une heure à convaincre son père que non, il ne souhaitait pas rester le temps de quelques derniers repas, que non, il ne voulait surtout pas revoir Estelle avant son départ, et que oui, il s’en sortirait très bien.


« Frustrée ? Pourquoi ?

– Parce que plus je m’éloigne de Morthebois, plus je repense à toutes ces choses que j’aurais aimé faire avant de partir !

– Ah bon ? Comme quoi ? »


Tyra plissa le nez.


« Déjà, j’voulais enquiquiner Elliot. Et puis j’avais créé toute une histoire dans ma tête, pleine de rebondissements, pour lui permettre de trouver l’amour. » fit-elle en pensant à Aubry. « Ça aurait été mignon comme tout.

– Dit comme ça, tu me fais étrangement penser à lui.

– Il m’a tout appris ! » rit-elle. « Je l’aime bien, je suis triste à l’idée de ne plus jamais le revoir.

– Et moi donc ! Je te dirais si j’ai des nouvelles de lui. Père m’a fait la promesse de me tenir au courant. Il m’enverra un courrier pour me prévenir lorsqu’il sera parti.

– Oh j’veux bien. J’espère que tout se passera bien pour lui. »


Öta hocha la tête, partageant son avis. Il n’arrivait pas encore à réaliser que la prochaine fois qu’il se rendrait à Morthebois, Elliot ne serait plus là. L’homme était l’âme du domaine, présent depuis toujours. Öta n’imaginait pas ces murs sans lui.


« Je me demande s’il va continuer de se maquiller. Il était drôlement beau avec les peintures abariannes.

– J’en doute.

– C’est dommage. » murmura Tyra. « Bref. Tout ça pour dire que j’avais plein d’idées de choses à faire au domaine. Par exemple, j’avais aussi beaucoup d’inspiration sur diverses manières d’asticoter les gardes et de les rendre fous. »


Öta sentit une goutte de sueur couler le long de son dos. Quelle catastrophe avaient-ils bien pu éviter ?


« Raconte ?

– Ah non ! Je garde ça dans un coin d’ma tête, si jamais je reviens j’veux pouvoir exécuter mes plans tranquillement.

– Tyra…

– Je garde, pour les gardes… c’est bien trouvé, non ? »


Öta leva les yeux au ciel en souriant.


« Garde un peu ton sérieux, veux-tu ?

– Quoi, comment tu veux que je garde le sourire si je dois me garder de faire de l’humour ?

- Pffft. »



Lors du premier jour de voyage, la fatigue s’était vite fait sentir. Si bien qu’ils décidèrent de faire une pause en fin d’après-midi. Ils s’arrêtèrent dans la première ville qu’ils trouvèrent sur leur route, un lieu qu’ils n’avaient que rapidement traversé à l’allée.


Tyra s’étira en bâillant, heureuse de descendre de son cheval. Elle regarda autour d’elle avec curiosité.


« Cette ville fait partie de Morthebois ou pas ?

– Oui, mais nous ne sommes pas très loin de la fin de nos terres.

– Je vois. »


Tyra fouilla dans son sac pour un sortir un morceau de papier qu’elle tendit à Öta.


« On est où exactement ? C’est où Morthebois dessus ? »


Öta se pencha pour regarder ce que Tyra lui montrait. Il s’agissait d’une carte du Nord et de ses plus grandes villes.


Mais si le dessin de la carte était propre et très réussi, l’écriture des noms de lieux était catastrophique. Lorsqu’elles étaient lisibles, les lettres étaient aussi maladroites et tremblantes que celles d’un enfant.


« Où as tu trouvé ça ?

– Je l’ai faite moi-même. À la base je voulais prendre la carte qui se trouve dans ton atelier pour la ramener chez moi, mais j’ai pas réussi à la décoller. » répondit sincèrement Tyra. « Du coup j’lai recopiée.

– Ah. Ceci explique cela.

– Quoi ?

– Tu as mal recopié les noms de ville. »


Tyra regarda sa carte, une moue dépitée sur le visage. Elle s’était pourtant appliquée ! Ce n’était pas sa faute si elle ne savait pas lire le nordan !


« Du coup, Morthebois se trouve ici. » montra Öta, en souriant gentiment. « Et GemmeNoire est là.

– Et là, c’est quoi ?

– Rocheglacée.

– Et là ?

– PierreBrune.

– Et là ?

– C’est la mer.

– Oh ! Tu as déjà vu la mer ?

– Je me suis même déjà baigné dedans.

– C’est vrai que l’eau y est salée ? » demanda Tyra, les yeux brillants. « Tu es déjà monté sur un bateau ? »


Öta opina du chef.


« Si j’avais su, je t’aurais fais visiter le port de Varech.

– Tu peux toujours m’le décrire. Tu veux bien me raconter ? »


Ils discutèrent donc ainsi tout l’après-midi, Öta partageant avec elle souvenirs et anecdotes en réponses à ses innombrables questions.



Le deuxième soir, Öta et Tyra s’arrêtèrent de nouveau dans une auberge pour se reposer. Ils discutaient tranquillement depuis une bonne heure, sirotant une bière bien fraîche, lorsque Tyra décida de commander à manger.


Mais lorsqu’elle se leva, elle donna malencontreusement un coup dans son sac. Jusqu’alors posé sur le banc où elle était assise, il glissa. Il était mal fermé et plusieurs choses se répandirent sur le sol.


« Merde !

– Attends, je vais t’aider à ramasser. » réagit aussitôt Öta en se baissant. « Tiens j’ai trouvé… hein ? Une pomme de pin ?

– Merci ! J’ai peut-être fait tomber les glands aussi.

– Mais pourquoi tu te trimballes avec tout ça ? » demanda Öta en se relevant, une fois tout ramassé.


Tyra posa son sac sur la table. Il était rempli à ra-bord de pommes de pin, de glands et de châtaignes.


« Bah parce que j’les ai gardés ! C’était trop chou comme façon de présenter tes excuses alors j’avais envie de les ramener. J’ai pris les plus jolis pour décorer ma hutte.

– De quoi tu parles ?

– Ah fais pas l’innocent ! » gloussa Tyra. « J’sais que c’est toi le "lutin" qui les as mis dans ma chambre toutes les nuits. Même si franchement, t’aurais quand même pu éviter d’en foutre dans mon pieu.

– … quoi ? »



« Donc tous les matins, tu t’es réveillée dans un cercle de pommes de pin et tu ne m’as rien dit ?

– N’oublie pas les châtaignes et les glands. » répondit Tyra avec amusement. « Oh, et le deuxième jour y’avais aussi des fleurs !

– Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? »


Öta n’en revenait pas. Sidéré, il regarda Tyra hausser nonchalamment les épaules et répondre :


« Bah j’pensais que c’était toi. Ça aurait gâché la magie si j’étais venue t’en parler.

– Je te jure que je n’y suis pour rien.

– Alors c’était peut-être vraiment un lutin ? Tu crois que c’est celui de ton enfance qui est venu me rendre visite ?

– Probablement. » répondit Öta dans un murmure pensif. « Si c’est le cas, c’est un grand honneur. J’espère que tu l’as remercié comme il se doit.

– Bah non du coup, vu que j’pensais que c’était toi. » paniqua Tyra. « Tu crois que je l’ai vexé ?

– Si c’était le cas, tu aurais plutôt trouvé du crottin de cheval dans ton lit.

– Ah. »


Un léger sourire étira les lèvres d’Öta. Si Tyra ne mentait pas, alors il y avait toujours un lutin dans le domaine. Cette nouvelle lui réchauffait le cœur, voilà bien longtemps qu’ils n’avaient pas eu le moindre signe de leur visite.


« Je suis rassurée alors. Tu crois que le lutin va nous suivre ? Ce serait amusant.

– Non, rêve pas. Ils sont attachés à leur terre. Mais il te rendra peut-être de nouveau visite si tu reviens à Morthebois un jour.

– Dans ce cas, j’lui préparerai un cadeau la prochaine fois. »



Le reste du voyage se passa sans grand encombre. Il ne fut guère des plus agréable, une fine pluie rythmant régulièrement les pas de leurs chevaux, mais hormis cela ils parvinrent très vite dans la province de GemmeNoire.


« Nous arrivons demain. » affirma Öta.


Les deux voyageurs s’étaient installés dans la grange d’un fermier qui avait accepté de leur offrir l’hospitalité pour la nuit. L’homme s’était montré bon et généreux et leur avait même proposé deux bols de potage bien chaud.


« Si nous gardons le rythme, nous pourrons en outre atteindre la cité avant le coucher du soleil.

– Ouf ! Après ça, on ne me fera plus jamais monter sur un cheval ! »


Öta hocha la tête en souriant. La façon dont Tyra se plaignait régulièrement souffrir des interminables chevauchées l’amusait.


Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas aussi souvent souri. Tyra avait le don pour égayer ses journées. Il appréciait sa jovialité et sa bonne humeur constante.


Ce voyage lui avait donné de nombreuses occasions de perdre le sourire et de s’envelopper dans le drapé d’une humeur morose. Pourtant, elle avait toujours retrouvé la gaieté rapidement.


Öta l’admirait pour ça.


« Öta ? Ça va ?

– Oh pardon, j’étais dans mes pensées. » répondit-il en relevant la tête.


Tyra le fixait avec curiosité.


« Tu pensais à quoi ? Raconte.

– Je me disais juste que tu me fais penser au soleil.

– Au soleil ? » s’étonna-t-elle avant d’ajouter rapidement : « Quoique non en fait, j’veux pas savoir.

– Pourquoi ?

– J’suis sûre que tu vas encore dire un truc mielleux pour m’attendrir. » siffla-t-elle. « Mais t’obtiendras pas mes faveurs aussi facilement ! J’vois clair dans ton jeu.

– Zut, tu m’as démasqué.

– Ha ! J’le savais ! »


La jeune femme éclata d’un rire franc et s’étendit dans la paille en souriant. Les secondes passèrent tandis qu’elle perdait son air joyeux.


« Ça va être dur de rentrer chez moi après tout ça. » murmura-t-elle, pensive. « J’ai hâte de retrouver mon village, mais les journées sur la route en ta compagnie vont me manquer.

– Tu pourras venir me voir quand tu veux. La porte de ma petite chambre te sera toujours ouverte, tu sais ? Et le refuge aussi.

– J’suis pas sûre qu’on me laisse sortir de sitôt après une si longue absence. »


Tyra se redressa et plongea son regard dans celui d’Öta.


« Notre cheffe va me punir, j’en ai aucun doute. Je pourrais plus te voir. Surtout qu’en plus, je suis partie alors que Gahan avait mis le bazar au village. Ils vont me reprocher de ne pas avoir été là quand ils avaient besoin de moi.

– Merde. C’est de ma faute, si je n’avais pas décidé de partir —

– C’est moi qui ai choisi de te suivre, gros nigaud. » le coupa Tyra. « Et à choisir, je préfère être là pour toi que là pour eux. T’as eu plus de mots gentils pour moi ces derniers jours que mon peuple en toute une vie.

– Ils ne te méritent pas. » grogna Öta.


Tyra répondit par un petit rire.


« Quand tu dis ça, tu ressembles vraiment à David.

– Ah bon ?

– Depuis qu’il est arrivé au village, il n’hésite pas à grogner sur ceux qui disent du mal de moi. Il me fait penser à mon idiot de frère.

– C’est vrai que tu as un frère. » se souvint alors Öta. « Comment s’appelle-t-il ?

– Ah. »


Tyra grimaça, réalisant qu’elle en avait trop dit. Elle sembla peser le pour et le contre avant de répondre :


« Tu peux garder un secret ?

– Oui, bien sûr.

– J’ai deux grands frères et tu en as déjà rencontré un. Tu te souviens de Cyras ?

– Cyras ? Le Cyras qui nous avait maquillés ? »


Öta écarquilla les yeux, surpris. Il ne s’était pas attendu à ça. Mais cela expliquait de nombreuses choses. Il comprenait mieux leur proximité et la raison pour laquelle l’homme avait proposé à Tyra de rejoindre sa troupe.


« Oui. C’est mon demi-frère maternel en fait. Il est né avant que ma mère épouse mon père, elle l’a caché pour ne pas avoir de soucis avec le village. Son père était un barde, tu vois ?

– Oh. Et donc c’est lui, l’idiot de frère dont tu parlais ?

– Oui. Il est très protecteur.

– J’ai cru remarquer. » répondit Öta en frissonnant.


Il n’avait pas oublié les menaces que Cyras lui avait faites. L’homme lui avait laissé une forte impression.


« Attends, me dis pas qu’il a recommencé ? Je suis désolée pour ça, il est vraiment lourd quand il s’y met.

– Ne t’en fais pas. » la rassura Öta. « Et du coup, qui est ton autre frère ?

– Soren. »


Tyra avait prononcé son nom d’une voix dur qui étonna Öta. Il demanda :


« Oula, tu n’as pas l’air de beaucoup l’apprécier.

– Je l’adore. » murmura Tyra. « Mais c’est un enfoiré. Tu vois l’sale con qu’était parfois Nora ? Bah c’est d’la pisse de chat comparé à Soren.

– Alors dit comme ça, il n’a pas l’air d’être le type de personne que j’aurais envie de croiser.

– Ah ça… J’te le souhaite pas. » répondit Tyra.



Les remparts de GemmeNoire se dessinèrent au loin. Öta et Tyra échangèrent un sourire, soulagé d’enfin arriver. Ils suivaient tranquillement un chemin qui longeait la forêt royale, profitant de leurs derniers instants ensemble, lorsqu’Öta brisa le silence.


« Dis, Tyra ?

– Oui ?

– On est du bon côté de la forêt, tu veux aller voir Gahan ? » demanda-t-il d’une voix hésitante.


Il avait peur que sa proposition ravive des souvenirs douloureux à son amie. Tyra ralentit l’allure de son cheval et pencha la tête vers Öta.


« Je pensais y aller plus tard pour ne pas t’imposer ce détour.

– Ça ne me dérange pas. » répondit Öta. « Je n’ai pas envie de te laisser seule. »


Tyra se mordit la lèvre.


« Tu es insupportablement prévenant, ça commence à faire beaucoup là. Tu ne veux être un peu plus égoïste parfois ? J’ai l’impression d’abuser d’ta gentillesse.

– Ça me fait plaisir. » répondit Öta en haussant les épaules. « Allez, tu sais comment rejoindre le bois maudit d’ici ?

– Oui, c’est par là. »


Le chemin jusque Gahan fut assez long, car le bois maudit se trouvait au plus profond de la forêt. Le soleil se couchait lorsqu’ils l’atteignirent.


La Sylène était toujours là où ils l’avaient laissée, figée dans la position paisible qu’Öta lui avait offerte. Sur sa tête, lovés entre ses cornes, de petits oiseaux avaient fait leur nid.


À ses pieds, un renard dormait. Il s’éveilla en entendant Tyra et Öta arriver et disparut aussitôt, avalé par la forêt.


« Gahan ! Tu t’es fait des amis ? » s’émerveilla Tyra, en s’approchant.


Elle lui toucha le bras et lui offrit son plus tendre sourire. Öta la regarda faire, ne sachant pas comment agir. Il préférait rester en retrait pour le moment.


« Je suis désolée de pas être venue t’voir, j’étais en voyage loin d’ici. » expliqua-t-elle. « Mais je t’ai rapporté des souvenirs. »


Tyra ouvrit son sac à la recherche de son carnet. Elle tendit ensuite fièrement devant elle les dessins qu’elle avait faits à Morthebois.


« Je t’ai dessiné des choses que j’ai vues. C’est pour toi, regarde. Là c’est la maison d’Öta, là c’est l’Abonde de Morthebois, et là c’est la jolie robe qu’il m’avait prêtée. »


Après avoir tourné toutes les pages, elle referma le carnet et le déposa aux pieds de Gahan.


« Si tu veux, je te ferais d’autres dessins, je dessine vite. » continua-t-elle. « Et je t’ai aussi apporté des pommes de pin. J’te les donne pas toutes parce que je veux en garder, mais c’est un cadeau du lutin de Morthebois. J’espère que ça te plaît ? »


Évidemment, Gahan ne répondit pas, toujours figée. Les épaules de Tyra s’affaissèrent légèrement, mais elle garda son grand sourire.


« Bon bah voilà. Je reviendrais te voir, c’est promis ! Ce soir j’peux pas rester parce qu’Öta m’attend, je peux pas trop traîner tu comprends ? Mais je resterai plus longtemps la prochaine fois.

– Attends. » fit Öta, alors que Tyra se retournait pour partir.


Le jeune homme se dirigea vers son cheval et fouilla dans les sacs qui pendaient autour de la selle. Au bout de quelques secondes, il en tira quelque chose.


« Elle parle le Vieux-nordan, c’est bien ça ? » demanda-t-il à Tyra, qui opina sans comprendre.


Öta hocha la tête, satisfait. Il se dirigea alors vers Gahan en parlant dans cette langue. Il semblait lui aussi lui raconter quelque chose, mais Tyra n’en saisit aucun mot.


Il ouvrit alors la main et dévoila un pendentif en bois semblable à celui qu’il portait si souvent. Mais le symbole sur ce dernier était différent. Le jeune homme déposa le pendentif autour du cou de Gahan et lui fit un dernier sourire avant de se retourner vers Tyra.


« Tu lui as dit quoi ?

– Que je lui ai fait faire un pendentif de l’Abonde de GemmeNoire. Tu sais, celle dont je t’avais parlé dans la bibliothèque ?

– Oh ?

– Je me suis dit que ce serait bien pour elle d’avoir la protection de la déesse de la région. Si l’Abonde est toujours là, elle prendra soin de Gahan maintenant.

– Bon sang. C’est adorable Öta, merci…

– Tu comprends mieux pourquoi je voulais venir moi aussi ? Mais tu as raison, nous ferions mieux de ne pas traîner. De plus, je pense que le petit renard a hâte de retourner faire la sieste auprès de son amie, regarde. »


Öta montra du doigt un buisson derrière lequel l’animal se cachait tout en les fixant de son regard ambré. Lorsqu’ils partirent, il reprit place à ses pieds.



« Je vais t’abandonner, je dois rapporter les chevaux à ma tante. » soupira Öta lorsqu’ils furent arrivés à GemmeNoire. « La connaissant, elle va me tenir la jambe toute la soirée. »


Ils avaient déchargé leurs affaires dans sa petite chambre et discutaient maintenant dans la rue, les chevaux à côté d’eux.


« Bon courage.

– On se retrouve ici dès que j’ai fini ? »


Tyra secoua la tête. Elle n’était pas d’humeur à attendre et mourait d’envie de bouger.


« J’pense que je vais rejoindre Cyras. J’ai envie de le voir et j’sais qu’après ce sera compliqué. J’pense que je dormirais au camp.

– Ah d’accord. J’espère que tu passeras une bonne soirée alors.

– Tu pourras toujours venir quand tu auras fini avec ta tante ?

– Non, je pense que j’irais me coucher directement en rentrant. Je suis mort de fatigue. »


Après un tel voyage, Öta n’avait plus qu’une envie : s’écrouler dans son lit et dormir plusieurs jours d’affilés. Il ne comprenait décidément pas d’où Tyra puisait ses forces. Comment pouvait-elle encore songer à crapahuter ?


« T’sais, demain je vais rejoindre mon village. » ajouta Tyra d’une voix hésitante. « Plus j’attends et plus ce sera difficile de rentrer. Je préfère pas tarder.

– Oui, je comprends. On pourra se voir avant si tu veux ? Je pourrais t’accompagner sur un petit bout de chemin.

– Avec plaisir. À demain alors ?

– Oui. À demain, Tyra. »



Partie 2 - Mauvaise nouvelle


Le lendemain matin, Öta ne se leva pas aux aurores. Contrairement à ce qu’il avait prévu, il ne fit pas le ménage dans sa chambre, ne se rendit pas au marché pour faire quelques courses, et n’alla pas prévenir ses proches de son retour.


Il préféra profiter de son lit jusqu’en fin d’après-midi, peu enclin à bouger. Il lut un roman blotti dans une couette bien chaude et fit plusieurs petites siestes. Quel plaisir de ne rien faire ! C’était agréable d’être enfin un peu seul avec soi-même.


Ce ne fut que lorsque le soleil commença à se coucher qu’il se décida à remuer.


Il se débarbouilla avec un peu d’eau, enfila des vêtements propres et quitta sa chambre en la laissant plus désordonnée que jamais.


Öta traversa la ville et retrouva Tyra, qui l’attendait patiemment au camp de la troupe. Elle se réchauffait les mains au coin du feu en écoutant Valorïn parler. Son sac reposait à ses pieds, prêt à partir avec elle. Le conteur fit un sourire courtois à Öta en le voyant arriver.


« Monseigneur. Quel plaisir de vous voir ! Comment se porte votre père ?

– Très bien. Il attend avec impatience votre prochaine visite.

– Ha ! Ça ne saurait tarder, je reprendrais la route après la foire d’automne. » répondit Valorïn. « Avez-vous pu obtenir les réponses à vos questions ?

– Oui, merci. »


Öta fit un petit signe de tête à Tyra, qui se leva aussitôt. Elle s’épousseta et remercia Valorïn d’un sourire aimable.


« Vous partez déjà ?

– Oui. J’ai envie de passer un peu de temps avec Öta, mais j’reviendrais papoter c’est promis.

– L’amour n’attend pas, n’est-ce pas ? »


Tyra leva les yeux au ciel et attrapa le bras d’Öta, qui n’eut pas le temps de réagir. Elle le guida hors du camp en babillant joyeusement au sujet de sa soirée en compagnie de Cyras. La veille, elle avait passé un moment très agréable et s’était couchée aux aurores.


« … et j’étais en train de raconter notre soirée à la taverne quand le soleil s’est levé ! J’te jure, la nuit est passée à une vitesse folle.

– Et bien, heureusement que je ne suis pas venu te retrouver plus tôt alors.

– Ah ça, tu m’aurais dénichée en train d’roupiller dans la tente de Cyras. Tu devrais voir la quantité de coussins qu’il possède ! C’est si moelleux qu’on à l’impression de dormir sur des nuages. Je veux la même chose dans ma hutte.

– Je sens que Cyras va se retrouver dépouillé de plusieurs coussins prochainement.

– Pfft. »


Tyra ne prit même pas la peine de le contredire. Elle plissa le nez et fixa les portes de la ville avant de demander :


« Tu es toujours d’accord pour m’accompagner ?

– Je suis là pour ça.

– Dans ce cas, suis-moi. C’est dans la basse-ville. »


Öta hocha la tête. Il avait entendu le tremblement dans sa voix et prit la main de Tyra pour la rassurer. Elle lui fit un sourire reconnaissant. Ils marchèrent côte à côte dans les rues sans vraiment parler. Ils étaient tous deux plongés dans leurs pensées.


Tyra était rongée par l’angoisse tandis qu’Öta était rongé par la curiosité. Qu’allait-il se passer ? Qu’allait-il apprendre ?


Finalement, ils atteignirent une rue assez sombre. Au loin, une enseigne en forme de citrouille se dessina et Tyra se redressa.


« C’est là ! La citrouille.

– J’en ai entendu parler. Léo m’a raconté y avoir travaillé.

– Il y travaille toujours. Oh, regarde ! C’est Dan ! »


Tyra lâcha la main d’Öta et se précipita vers un homme. Ce dernier fumait tranquillement sa pipe et était appuyé sur un vieux tonneau. Il tourna la tête en entendant Tyra l’appeler.


Dan écarquilla alors les yeux en voyant la jeune femme arriver et lâcha sa pipe qui tomba par terre. Il ne fit aucun geste pour la ramasser, trop occupé à dévisager la nouvelle venue.


« Tyra ? Tu… tu es en vie ? »



Tyra s’arrêta et fronça les sourcils, perplexe. Öta la rattrapa aussitôt et échangea un regard perdu avec elle. Il lui prit la main pour la rassurer, tandis qu’elle demandait à Dan :


« En vie ? Quoi ?

– Je… on pensait tous que tu étais morte ! Tu as disparu si longtemps… Où étais-tu ?

– Wilfrid ne vous a rien dit ? » siffla Tyra, légèrement agacée. « Bordel ! Je lui avais pourtant demandé de vous transmettre le message. Cet abruti a dû oublier. Je suis partie en voyage avec un ami, y’avais pas d’inquiétude à avoir. »


Le visage de Dan devint soudain livide. Il grimaça, mal à l’aise.


« Wilfrid ? Oh merde. Je comprends mieux.

– Quoi ? Comment ça ? »


L’homme détourna les yeux. Il y eut quelques secondes de flottement, un silence lourd et inquiétant, avant qu’il ne murmure :


« Tyra. Je suis vraiment désolé, mais Wilfrid est mort. »



Tyra sentit son monde basculer. Wilfrid, mort ? Non, c’était impossible… pas lui. Pas son ami. Elle n’avait même pas pu lui faire ses adieux.


« Non, non… pas lui, pas lui, pas lui… »


Elle recula d’un pas, les yeux embrumés de larmes. Öta l’empêcha de tomber en arrière en se glissant derrière elle pour la retenir. Il ne savait pas quoi faire pour l’aider et regardait la scène d’un œil triste.


Tyra lui avait vaguement parlé de Wilfrid en évoquant leur amitié de longue date et son attachement envers lui, mais il ne le connaissait pas et ne savait pas quels mots prononcer pour apaiser sa peine.


« Wilfrid… » gémit-elle, perdue. « Comment ? Pourquoi ? J’avais pourtant soigné sa blessure !

– Je… Nous ne devrions peut-être pas parler ici. » répondit Dan en lançant un regard derrière lui. Il ramassa sa pipe et continua : « Il s’est passé beaucoup de choses en ton absence. Le village n’est plus le même.

– De quoi ? » paniqua-t-elle. « Dan, que s’est-il passé ? »


Dan leur fit signe de le suivre et les guida jusqu’à une ruelle étroite un peu plus loin, loin des regards indiscrets. Il n’avait aucune envie d’être là, d’être celui qui allait devoir tout annoncer à Tyra. Mais il n’avait pas le choix.


« Dan ? »


Il s’adossa au mur et se frotta l’arête du nez en soupirant.


« Par où commencer ? Bon sang… » souffla-t-il. « Il s’est passé tant de choses. Après l’attaque des Sylènes, on était tous divisés et surpris que Söl n’ait pas pu nous protéger. Plusieurs veilleurs l’ont blâmé pour ça.

– Pourquoi ? Elle n’est pas responsable !

– Parce qu’elle n’a pas eu de vision au sujet de l’attaque. Normalement, elle aurait dû le voir et nous prévenir. » grimaça Dan. « Et c’est là qu’on à appris qu’elle avait perdu ses pouvoirs.

– Quoi ? »


Tyra repensa alors aux derniers jours avant l’attaque. Söl qui restait enfermée à méditer, refusant d’adresser la parole à qui que ce soit, priant jour et nuit les dieux. Était-ce pour ça ? Parce qu’elle ne parvenait plus à entendre les murmures des dieux ?


« Tu aurais dû voir ça… Quand ça s’est su, ça a viré à la panique dans le village. On dépendait tellement de Söl que la savoir privée de ses pouvoirs, ça a effrayé tout le monde.

– Je comprends mieux pourquoi elle était à bout de nerfs ces derniers temps. J’espère qu’elle va mieux… » gémit Tyra. « Mais en quoi c’est lié à la mort Wilfrid ?

– J’y viens… »


Dan détourna les yeux.


« Les choses se sont enchaînées à une vitesse folle. Soren a défié Söl en affirmant que c’était un signe. Selon lui, elle n’était plus capable de gouverner maintenant qu’elle ne pouvait plus communiquer avec les dieux.

– Soren a fait ça ?! Merde. Mais il est en vie, rassure-moi ? Söl l’a épargné ? Elle a beau dire ce qu’elle veut, elle l’aime comme son fils. Elle serait bien incapable de lui faire du mal.

– … Söl a perdu. »


Tyra ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit. Le regard perdu, elle dévisagea Dan sans comprendre.


Non. Elle avait forcément mal entendu. Ce n’était pas possible. Söl ne pouvait pas perdre.


Mais Dan continua, ne laissant plus aucun doute :


« Juste après avoir assassiné Söl, Soren a ordonné l’exécution de tous ses partisans. Il y a eu de nombreux combats dans le village et plusieurs morts. Wilfrid en faisait partie, je crois qu’il couvrait les fuyards lorsque Senna l’a tué. Avec son bras blessé, il ne faisait pas le poids. »


Tyra blanchit.


« Bordel.

– On a tous supposé que Soren t’avait fait "disparaître" avant le duel. Mais maintenant, c’est évident : même si Wilfrid a prévenu Söl de ton départ, il n’a sans doute pas eu le temps d’en parler à qui que ce soit d’autre. »



Tyra fit quelques pas dans la ruelle, le regard vide.


Söl n’était plus là.

Soren l’avait tuée.


Comment était-ce possible ? Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? Pourquoi ?


Elle savait qu’il était dévoré par l’ambition, mais de là à défier Söl ? De là à l’exécuter de sang-froid ? Elle qui s’était pourtant occupée d’eux comme une mère, elle qui avait pris soin d’eux à la mort de leurs parents ?


« Si seulement j’avais été là… peut-être que… non, tout est de ma faute… »


Si elle n’était pas partie, peut-être aurait-elle réussi à raisonner son frère ? Peut-être aurait-elle pu protéger Söl et Wilfrid ? Peut-être aurait-elle pu empêcher tout ça ?


Alors qu’elle tournait en rond dans la ruelle en marmonnant, sous le choc des révélations, Tyra sentit une main effleurer la sienne. Elle releva la tête. Öta la fixait, l’air profondément perdu. Ce simple échange de regard lui fit l’effet d’une douche froide.


« Et David ? » s’écria-t-elle soudain. « Oh bon sang, où est-il ?! Non, non, non ! Faites qu’il soit encore en vie.

– Tyra, calme-toi. » répondit Dan en plissant la bouche. « Il est peut-être en vie, il fait partie du groupe qui a disparu.

– Disparu ? Mais où ?

– Je ne suis pas sûr. Il faisait partie de la liste des personnes à abattre et j’ai entendu dire qu’il s’était battu avec Warin avant de s’enfuir avec Dynia.

– Warin ? »


Tyra cligna des yeux, hébétée. Avait-elle bien entendu ?


« Pourquoi… ?

– Oui, moi aussi j’ai été surpris. » répondit Dan. « Il semblerait que Warin soit du côté de Soren, c’est lui qui nous a révélé que Söl avait perdu ses pouvoirs. Même mon père en était étonné.

– Bon sang. »


Tyra baissa la tête. Elle se sentait nauséeuse. Toutes ces informations, tous ces drames… C’était trop.


« J’espère que David va bien. » murmura Öta, la voix brisée par l’angoisse.


Dan lança un regard surpris à Öta, mais ne lui répondit pas. Il avait reconnu ce jeune homme au premier regard, il s’agissait de l’amant de Tyra qu’il avait déjà vu de loin sur le port avant tout ça. Connaissait-il David, ou bien Tyra lui en avait-elle parlé ?


À cet instant, la réponse ne lui importait guère.


« Il y avait qui dans le groupe qui a disparu ? » reprit Tyra. « Tu ne sais vraiment pas où ils sont allés ?

– Plusieurs veilleurs et leurs proches. Ils sont un peu moins d’une dizaine je dirais. Quant à leur destination…

– Quoi ?

– Sachant que Soren avait fait bloquer les passages vers la surface, ils n’ont pas pu remonter à GemmeNoire. Ça ne laisse pas vraiment de doute. »



Tyra se mordit la lèvre. C’était donc pire que ce qu’elle croyait. Ils avaient quitté un territoire hostile pour en rejoindre un autre. Étaient-ils seulement encore en vie après tout ce temps ?


« Donc, en résumé David, Ayel, Dynia et plusieurs autres personnes sont parties dans les souterrains pour fuir mon enfoiré de frère et sa pétasse de femme ? » siffla-t-elle. « J’adore ce genre d’bonnes nouvelles.

– Mais si Dynia est avec eux rien n’est perdu. Elle est partie avec sa femme et son fils. Tu étais proche de ce dernier, non ?

– Le p’tit Max ? Bordel oui, s’ils ont touché à un seul de ses ch'veux…

– Et je crois que Mylen aussi fait partie des disparus. »


Öta tourna la tête pour fixer l’entrée de la ruelle, l’esprit vagabond. Il ne comprenait pas toute la discussion, trop de noms et d’informations étrangères pour lui. Mais il réalisait sans peine que David était en danger, et ça le terrifiait. Qu’allait faire Tyra ? La connaissant, elle n’allait pas en rester là.


« Et mon masque ? Ma lance ? » entendit-il Tyra demander lorsqu’il se concentra de nouveau sur la discussion. « Si David est pas la moitié d’un con, il l’aura pris. Je lui avais donné l’autorisation d’le porter quand il veut.

– Effectivement, ton masque a disparu ainsi que plusieurs masques d’entraînement. Et du matériel aussi, ils ne sont pas partis les mains vides.

– Et ma lance ?

– À ce propos… » murmura Dan, gênée. « … elle est brisée. Söl l’a utilisée pour le combat. »


Tyra croisa les bras et renifla.


« Évidemment. C’était la sienne avant qu’elle me l’offre. Fait chier, j’y tenais.

– Je suis désolé. »



Tyra soupira, dépassée par les événements. Trop d’informations, trop de choses à penser, trop de questions sans réponses.


« Merci Dan. » souffla-t-elle en se massant la nuque. « J’espère que m’avoir parlé ne t’apportera de problèmes. Je ne pense plus être la bienvenue au village.

– Je ne peux pas avoir de problèmes si personne n’est au courant. » sourit tristement l’homme. « Je ne compte rien leur dire, je préfère te savoir en sécurité loin de nous.

– Merci. »


Ils échangèrent un regard triste. Toute leur peine et inquiétude se lisait dans leurs traits. Dan ajouta :


« Je veux juste que tu saches que si je suis encore là, ce n’est pas particulièrement parce que je suis un partisan de Soren ou quoique ce soit de semblable.

– Je sais, Dan. Je sais. » le rassura Tyra. « T’es trop bienveillant pour t’impliquer dans ce genre de choses.

– Mais pas mon père. Il fait partie des proches de Soren, c’est pour ça que je n’ai pas été ennuyé.

– Tant mieux. Je préfère te savoir en sécurité.

– Tiens, étrangement cette phrase à un air de déjà vu. »


Ces mots parvinrent à lui faire fleurir un léger sourire au bout des lèvres. Elle haussa les épaules sans répondre.


« Excusez-moi. » s’enquit alors timidement Öta, profitant du silence pour se faufiler dans la discussion. « J’ai une petite question.

– Oui ?

– Comment va Léo ? Tyra m’a dit qu’il travaillait à la Citrouille depuis quelque temps. Est-il au courant de ce qu’il s’est passé au village ?

– Léo ? Léo… » marmonna Dan en fronçant les sourcils. « Ah oui, le serveur ?

– Rassure-moi, personne ne lui a fait de mal ? » demanda Tyra, qui s’en voulait de ne pas avoir pensé à lui plus tôt. « Si quelqu’un à touché ne serait-ce qu’a l’un d’ses cheveux…

– Non, personne n’oserait s’attaquer à un membre d’une autre caste. Mais je ne l’ai pas vu depuis un moment, je crois qu’il a été prié de partir. Je pourrais me renseigner si tu veux, demander discrètement si quelqu’un sait quelque chose ? »


Tyra secoua la tête.


« C’est gentil Dan, mais ça ira. Je préfère que tu ne t’impliques pas, on va se débrouiller pour le retrouver.

– D’accord. Je suis désolé de ne pas pouvoir en faire plus.

– T’en fais pas. Mine de rien j’ai eu d’la chance de tomber sur toi. J’ose même pas imaginer dans quel bordel je me serais fichue si j’étais tombée sur un autre veilleur.

– Ne dis pas ça. Avant qu’il y ait des rumeurs sur ta prétendue mort, nombreux sont les veilleurs à t’avoir cherché en ville pour te prévenir du danger. On faisait tous des rondes dans l’espoir de te trouver et de te protéger.

– Dan…

– Je ne leur dirais rien, c’est plus sûr ainsi, mais tu n’as jamais été seule. »


Tyra baissa les yeux, touchée. Elle ne s’était pas attendue à ça.


« Par contre, je suis absent depuis trop longtemps. » grimaça Dan. « Je dois repartir sinon les autres vont s’inquiéter.

– Je comprends.

– Je ne pense pas qu’on se reverra de sitôt, est-ce que je peux ? »


Il ouvrit ses bras avec hésitation et Tyra hocha la tête avant de s’y engouffrer. Dan lui caressa doucement la tête en murmurant :


« Prends soin de toi, d’accord ? »



Une fois Dan parti, Tyra prit la direction opposée. Öta lui emboîta le pas doucement. Comme elle ne semblait pas d’humeur à parler, il préféra rester silencieux. Ou peut-être était-ce lui qui n’était pas d’humeur ?


Mais après plusieurs minutes à avancer sans but, Tyra s’arrêta. Elle fixa la rue devant elle avant de soupirer. Elle se retourna ensuite vers Öta, ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit.


« Ça va ? » demanda simplement Öta, bien qu’il sache déjà la réponse. « Tu tiens le coup ?

– Absolument pas. Les horreurs, j’en ai l’habitude, mais là… j’arrive même pas à réaliser, j’ai juste l’impression que c’est un mauvais rêve.

– Oui, je comprends totalement. » répondit Öta. « Tu veux qu’on aille au refuge ou voir la troupe ? Un bol de bouillon chaud et des visages amicaux, ça te ferait du bien. »


Sans surprise, Tyra secoua la tête. Il avait fait cette proposition par politesse, se doutant de son refus.


« J’ai trop de choses à faire.

– Comme te précipiter tête baissée dans le Creux pour sauver David ?

– Oui, entre autres. » siffla Tyra. « C’est hors de question que je le laisse pourrir là-bas.

– Je comprends.

– Tu n’essayes pas de m’en dissuader ? » s’étonna-t-elle. « Du genre, me dire que c’est trop dangereux ou j’sais pas quoi ?

– Ce serait déplacé de ma part sachant que je compte bien t’accompagner. Si David est en danger, je ne peux pas rester les bras croisés.

– Non ! »


Tyra agrippa le bras d’Öta, le faisant reculer sous la surprise. Elle gronda :


« Toi tu restes là, à l’abri. Tu t’ferais bouffer là-bas.

– Je t’accompagnerais, tu n’as pas le choix.

– Non ! Tu ne sais même pas te battre ! »


Öta leva les yeux au ciel en se dégageant de la poigne de Tyra. Il soupira et rétorqua :


« Je suis le fils d’un seigneur, idiote. Tu crois qu’on m’a appris quoi ? À cueillir des fleurs ? Bon, oui, mais pas que.

– Mais…

– Je n’aime pas combattre, mais avec un arc ou une épée je saurais me défendre. Je resterais loin du danger, c’est promis. »


Tyra plissa le nez.


« J’aime pas ça.

– Tant pis pour toi. » rétorqua Öta. « Donc maintenant, on fait comment ? On retrouve Léo avant pour être sûr qu’il va bien et pour le rassurer ? Il doit paniquer, le pauvre. Il faut aussi se préparer. Je peux acheter ce qu’il faut, armes et fournitures, il me faudrait juste la liste. Et je suppose qu’on ne pourra pas entrer par les passages que tu connais si c’est toujours surveillé ? Il va falloir qu’on se penche sur le sujet. En tout cas, nos magies et nos métiers respectifs devraient être bien utiles. Par contre, il faudra que tu me résumes tout ce que tu sais sur les souterrains pour que je sois préparé. C’est quoi cette histoire de masque, par exemple ? »


Öta avait prononcé ces mots d’une traite, visiblement bien décidé. Tyra fronça les sourcils.


« Tu m’fais chier, mais d’accord. »



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