top of page

- 29 - La croisée des chemins

  • bleuts
  • 29 oct. 2024
  • 32 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 déc. 2024

Partie 1 - Renaissance


Ces derniers jours n’avaient pas été de tout repos pour Öta. Entre son travail au refuge et celui à l’hospice, il n’avait pas une minute à lui. À quoi bon dormir lorsqu’à la place on pouvait aider autrui ?


Mais au milieu de ces journées et de ces nuits infernales, il était tout de même parvenu à prendre le temps de s’absenter. Accompagné de Jol, qui avait insisté pour l’aider, il avait pu vendre à des marchands les robes qu’il avait fait venir de son domaine.


Toutes ces tenues issues de son passé, emplies de souvenirs et de bons moments. Il mentirait en affirmant qu’il n’avait rien ressenti en s’en séparant, mais si cet argent pouvait vraiment servir au refuge, il savait qu’il ne le regretterait pas.


Il avait confié la somme récoltée à Ambroisie, qui l’avait remercié chaleureusement.


« Nous allons pouvoir acheter tant de choses ! » s’extasia-t-elle, les larmes aux yeux. « Des vivres, des couvertures chaudes et même des médicaments ! Merci beaucoup.

- C’est normal. » répondit-il en souriant. « J’ai ramené du faisan pour le souper. Ça fait longtemps que l’on à pas fait un grand repas tous ensemble. »


Ce soir-là, Öta s’était endormi le sourire aux lèvres.

Le souvenir des visages illuminés de ses compagnons berça ses rêves.



Le lendemain, il faisait déjà nuit noire lorsqu’Öta quitta l’hospice. Petrus l’avait retenu quelques heures supplémentaires, lui ayant demandé de l’aide pour terminer quelques tâches. Maintenant libéré, Öta traversait la ville d’un pas tranquille pour rejoindre le refuge.


GemmeNoire était une cité vivante de jour comme de nuit, elle ne s’endormait jamais. Le silence n’y existait pas.


Mais lorsqu’il admirait la lune, marchant paisiblement dans ses rues éclairées par sa lumière, il avait l’impression de retrouver la quiétude de son pays natal. Le bruit disparaissait, effacé par ses rêveries.


« Douce Lune qui s’envole chaque soir, alors que brille dans son dos l’espoir… » chantonnait-il du bout des lèvres, détendu.


Öta arriva dans la rue du refuge en songeant qu’il aurait bien profité plus longtemps de sa promenade. Mais alors qu’il cherchait machinalement la clef dans son escarcelle, il entendit un bruit.


Il releva la tête et découvrit Tyra, qui l’avait visiblement attendu dans l’ombre et qui se jeta dans ses bras.


« Öta ! » gémit-elle, la voix cassée.


Elle le serrait fort, sanglotant contre lui.



« Tyra ? » s’inquiéta Öta en lui caressant la tête pour tenter de l’apaiser. « Que se passe-t-il ? »


La jeune femme ne répondit pas immédiatement. Alors qu’il la dévisageait sans comprendre, Öta remarqua son état. Tyra avait du sang séché sur elle. Que lui était-il arrivé ?


Au moins, elle ne semblait pas blessée.


Avait-elle fait de la magie ? Ou alors, était-ce le sang de quelqu’un d’autre ? Il n’osait l’imaginer.


« Hé, mais c’est mon foulard ? » lâcha-t-il soudain sans réfléchir, en repérant soudain le morceau de tissu au cou de la jeune femme.


Il s’en voulut aussitôt. Ce n’était pas le moment. Mais Tyra réagit enfin. Elle se tendit puis redressa lentement la tête. Son visage brouillé de larmes lui brisa le cœur. Sans mot dire, elle détourna les yeux avec embarras en bredouillant.


« D’accord, tu as gagné. Tu peux le garder. » soupira Öta, qui ne pouvait pas résister à un regard mouillé.


Tyra toucha l’étoffe du bout des doigts.


« Merci…

– Maintenant, dis-moi ce qu’il t’arrive. »


Elle lâcha alors Öta et fit quelques pas en arrière. Elle inspira et répondit :


« Je… j’ai besoin de ton aide.

– Mon aide ? Comment ça ?

– Je peux pas t’en dire plus. Pas ici. Mais j’ai besoin que tu m’accompagnes dans la forêt tout de suite, je t’en supplie. »


Öta comprit à sa voix à quel point c’était important. Il répondit :


« D’accord. Attends-moi là, je vais déposer mes affaires, prévenir les miens de mon absence et j’arrive. »


Il attrapa ses clefs et entra dans le refuge. Lorsqu’Öta réapparut quelques minutes plus tard, il avait les bras chargés. Il lui tendit le châle de laine qu’il portait lors de leur dernier rendez-vous.


« Tiens, couvre-toi. Tu dois mourir de froid. »


Il fouilla ensuite dans son sac et sortit un morceau de pain au fromage.


« Et mange, ça te fera du bien d’avaler quelque chose. J’ai rempli ma gourde si tu as soif.

– Je veux bien. »


Lorsque Tyra eut fini, il demanda avec douceur :


« Tu te sens mieux ?

– Un peu. » renifla t-elle. « Merci Öta.

– Parfait. Alors je te suis. »



Öta et Tyra avaient quitté la ville et s’étaient enfoncés dans la forêt discrètement, évitant les gardes sans trop de difficultés. C’est au bout d’une éternité à marcher silencieusement dans les bois que Tyra s’arrêta.


« Tyra ? » murmura Öta, inquiet. « Tout va bien ? »


La jeune femme n’avait rien dit depuis leur départ du refuge. Il n’avait aucune idée d’où elle l’emmenait ni de ce qu’elle voulait vraiment. S’il n’avait pas eu confiance en elle, il n’aurait sans doute jamais accepté de la suivre ainsi.


« On est plus très loin. » répondit Tyra, en se retournant vers lui. Elle se tripotait les mains nerveusement. « Mais avant ça, promets-moi de ne répéter à personne ce que tu vas voir.

– Bien sûr. » affirma Öta. « Tu peux me faire confiance.

– C’est vraiment important, promets-le-moi.

– Je te le promets, Tyra. » répondit-il en lui prenant la main.


Ils restèrent quelques secondes ainsi, Öta plongeant son regard dans celui de Tyra. Elle se détendit légèrement et soupira. Tyra retira sa main et fit volte-face pour reprendre la route. Öta fronça les sourcils et lui emboîta de nouveau le pas.


« On y est. » souffla t-elle quelques minutes plus tard. « Öta, je te présente Gahan.

– Quoi ? Mais je ne vois pers — »


Öta ne termina pas sa phrase. Il venait d’apercevoir la grotte et la statue derrière Tyra. Il s’en approcha lentement, les yeux écarquillés. Une femme immense aux longues cornes était figée le bras en avant. Elle était faite de bois et d’écorce, tel un arbre. Sur elle, des fleurs et des feuilles avaient poussé.


« Qu’est-ce que…

– C’est mon amie, Gahan. Elle s’est transformée en ça lorsqu’elle est sortie du Creux. Je t’en prie, dis moi que tu peux faire quelque chose ! » supplia-t-elle.


Öta tourna la tête vers Tyra, stupéfait.


« … lorsqu’elle est sortie du Creux ?

– Oui. Tu es un mage élémentaire, tu peux lui rendre sa forme n’est-ce pas ?! S’il te plaît ! Je ferais tout ce que tu veux en échange, mais aide-la, je t’en prie ! »


Öta ne répondit pas. Il s’approcha de Tyra et lui prit le bras pour la forcer à le regarder.


« Tyra, calme-toi.

– Mais —

– Cette grotte mène aux souterrains ?

– Oui. Mais tu m’as promis de ne pas le répéter ! Je n’avais pas le droit de te le dire, j’ai brisé mon serment. Si mon peuple l’apprend…

– Attends, ton peuple vit dans les souterrains ? »


Öta lui lâcha le bras et recula. Tyra s’avança vers lui et lui prit la main.


« Öta. Je voulais te le dire. J’avais prévu de convaincre les miens que tu pouvais nous être utile, pour qu’ils acceptent de te laisser venir.

– Bon sang.

– Alors je t’en prie, ne m’en veux pas… »


Öta ferma les yeux et soupira. Il n’en revenait pas. De nombreuses questions se bousculaient dans sa tête.


« Quand on en aura fini ici on va avoir une longue discussion toi et moi. Et ne pense surtout pas à te défiler. »


Tyra hocha la tête.


« Je répondrais à toutes tes questions, mais pitié avant ça dis moi que tu peux inverser le sort ! »



« Tyra. » murmura Öta, attristé. « Je ne peux pas faire de miracle. Tu réalises que je ne peux pas transformer le bois en chair ? »


Tyra baissa la tête. Ses épaules s’affaissèrent. Elle s’était doutée de la réponse, mais jusqu’alors elle avait tenté de garder espoir. Elle se redressa alors et essuya les larmes qui avaient perlé aux coins de ses yeux.


« Regarde-la au moins, je t’en prie ! Dis-moi qu’elle ne souffre pas et qu’elle n’est pas piégée dans une torture éternelle par ma faute. »


Öta hocha la tête et s’approcha de Gahan.


Durant tout ce temps, il en était resté assez loin. Mais maintenant qu’il prenait enfin le temps de la regarder de près, il ne pouvait que réaliser à quel point elle était magnifique. Et immense. Il n’avait jamais vu une femme de cette taille-là.


« Je me demande à quoi elle ressemblait réellement. » songea-t-il.


Il toucha la statue du bout des doigts en fermant les yeux. Il pouvait sentir des résidus de magie pulser en elle, comme un cœur paisiblement endormi.


« Elle ne souffre pas. » expliqua-t-il et Tyra soupira de soulagement. « Mais c’est étrange. Que faisait-elle lorsque vous êtes sortis ? J’ai entendu dire que certains mages élémentaires qui dépassaient leurs limites pouvaient finir dans un état similaire, mais je ne vois rien autour d’elle qui montre que ce soit ça. Elle n’a pas l’air d’avoir fait de la magie.

– Non ce n’est pas ça. » répondit Tyra en secouant la tête. « Elle était blessée et je voulais l’amener à la surface pour que tu la soignes. Nous venions de sortir quand c’est arrivé.

– Pour que je la soigne ? » s’étonna Öta, interloqué. « Pourquoi moi ? Vous n’avez pas de guérisseur dans ton village ?

– Si, mais Gahan ne vient pas de mon village.

– Quoi ? »


Tyra passa la main sur son visage et soupira :


« Je suis désolée si c’est décousu. Je suis épuisée. Gahan vient d’un peuple des souterrains. C’est mon village qui l’a attaquée, car ils ont eu peur d’elle. Je l’aurais soigné moi-même si elle était faite de chair et sang. Mais c’est de la sève qui coulait de ses blessures, alors j’ai pensé qu’avec ta magie… »


Öta s’éloigna aussitôt de la statue, horrifié.


« Attends. Une créature des souterrains faite de sève ? Tu te moques de moi ? Tu as tenté de ramener un ogre à la surface ?!

– Ce n’est pas un ogre ! » s’offusqua Tyra. « J’ai déjà vu plein de carcasses d’ogres, ils n’ont rien à voir avec Gahan. C’est une Sylène.

– Une quoi ?

– Une Sylène. C’est le nom que l’on donne au peuple des souterrains. Ce sont des êtres qui vivaient là avant nous. »


Öta s’adossa à un arbre.


« C’est incroyable. Les souterrains sont peuplés. » murmura-t-il. « Est-ce qu’il s’agit d’anciens esclaves qui auraient continué de vivre dans les décombres après la chute du royaume ?

– C’est ce que je pense. » répondit Tyra. « Mais on ne parvient pas à communiquer avec eux. Ils ne parlent pas la même langue que nous. C’est pour ça que je t’ai fait écrire ces panneaux en vieux-nordan, tu te souviens ? C’est comme ça que je communiquais avec Gahan au début.

– Je comprends mieux. »


Öta ferma les yeux quelques secondes pour assimiler tout ça et reprendre son calme.


« Mon peuple déteste les Sylènes. Ils pensent que ce sont des monstres et ils leur font la guerre depuis le premier jour. » continua Tyra. « Je n’avais jamais pu communiquer avec l’un d’eux avant Gahan. Je pensais qu’en devenant secrètement amie avec elle, je pourrais leur montrer qu’ils n’étaient pas des monstres.

– Mais tu as échoué. »


Tyra soupira.


« Je me suis confiée à notre cheffe. Au début elle m’a laissé faire, mais elle a ensuite changé d’avis et décidé de nous séparer. Gahan n’a pas compris et a attaqué le village pour me retrouver.

– Que s’est-il passé ensuite ?

– Elle a été blessée. J’ai voulu la sauver en l’amenant à la surface pour que tu la soignes et… »


La voix de Tyra se brisa. Öta osa une main sur son bras pour l’apaiser.


« C’est bon. Tu ne pouvais pas savoir.

– Je m’en veux tellement… » murmura-t-elle. « Elle ne méritait pas ça. Elle est morte loin de chez elle par ma faute…

– Ne vois pas ça comme une mort. » répondit Öta. « Vois ça comme une renaissance. »


Il fit tourner Tyra pour qu’elle fasse face à Gahan et lui montra ses pieds.


« Regarde, elle a déjà pris racine. Elle est maintenant chez elle ici et cette terre est la sienne. Je ne crois pas qu’il y ait plus belle fin que celle de renaître en arbre.

– Vraiment ? Tu penses ?

– Ce que je vais te dire est dur, mais si tu ne l’avais pas amenée ici elle serait peut-être simplement morte de ses blessures dans ton village en étant entourée de gens qui la haïssent. Ici, elle est entourée par la nature et la tranquillité. Tu n’as peut-être pas "sauvé sa vie", mais tu lui as offert la plus belle sépulture qu’il soit. »


Tyra resta silencieuse quelques secondes avant de murmurer :


« Je n’avais pas vu ça comme ça… merci. »



« Elle est bien mieux comme ça, tu ne trouves pas ? » fit Öta en reculant.


Tyra hocha la tête, émue. Öta venait d’user de sa magie sur Gahan. Il ne pouvait peut-être pas transformer le bois en chair, mais ça ne signifiait pas qu’il ne pouvait rien faire pour elle.


Öta avait décidé d’offrir une posture plus noble et poétique à la Sylène. Grâce à lui, Gahan avait maintenant l’air sereine, les mains jointes et les yeux fermés. Éclairée par les rayons de la lune, elle semblait prier.


« Merci. » murmura Tyra. « Elle paraît si détendue… »


Elle se blottit contre Öta, qui l’accueillit dans une étreinte protectrice. La chaleur de ses bras autour d’elle l’apaisait. L’un contre l’autre, ils admirèrent longuement Gahan sans mot dire.


Finalement, Öta brisa le silence.


« Rentrons à présent. Tu as besoin de dormir, et moi aussi. Je suis épuisé. »


Tyra tourna la tête vers lui et demanda :


« Est-ce que je peux… ?

– Bien sûr. Reste aussi longtemps que tu le souhaites. »



Partie 2 - Lâcher prise


« On va au refuge ou chez ton ami aux draps tout doux ? » demanda Tyra alors qu’ils venaient d’arriver en ville. « Parce qu’à choisir…

– Je ne suis pas certain que Petrus apprécie ta présence chez lui. » répondit Öta en grimaçant. « D’ailleurs, tu penseras à lui rendre la couverture que tu lui as « empruntée ».

– Je ne vois pas de quoi tu parles.

– Bien sûr. C’est comme le foulard et mon livre, tu n’y es pour rien et ce n’est qu’une coïncidence s’ils sont parvenus entre tes mains.

– Exactement ! » affirma Tyra en posant les mains sur les hanches. « C’est juste un concours de circonstances. »


Öta soupira, mais n’ajouta rien. Il était trop épuisé pour la contredire. Tyra se rapprocha de lui et lui prit le bras.


« Alors on dort au refuge ? » demanda-t-elle. « Ce sera comme lors de notre première rencontre.

– Non. » répondit Öta. « Je loue maintenant une chambre non loin. Ce n’est pas le grand luxe, mais je suis plus tranquille et ça m’oblige à dormir. Sinon, je ne peux pas m’empêcher de travailler toute la nuit.

– Oh. »


Öta sourit. Il la mena jusque chez lui, fier de lui dévoiler son habitation. Ce n’était pas bien grand et la pièce était en pagaille, mais il y régnait une atmosphère chaleureuse.


« Ça sent bon. » murmura Tyra.


Des plantes séchaient un peu partout, répandant une douce odeur dans toute la pièce.


« Tiens, débarbouille-toi. » fit Öta en lui tendant un seau d’eau fraîche. « Tu en as bien besoin.

– Oh merci.

– Tu pourras dormir dans mon lit. » continua t-il. « Les draps ne sont peut-être pas aussi doux que ceux de Petrus, mais ils sont plus agréables que les couvertures toutes mitées du refuge.

– Et toi ? Tu vas dormir où ?

– Dans mon fauteuil, comme la dernière fois. J’ai l’habitude ne t’en fait pas. »


Tyra hocha la tête. Elle se rinça les mains et le visage, puis retira sa tunique sale.


« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Öta, en remarquant que la jeune femme le fixait avec embarras. « Tu as besoin d’autre chose ?

– En fait, tu…

– Oui ?

– Tu pourrais dormir avec moi ? »


Öta leva les yeux au ciel, amusé.


« D’accord, mais je te préviens, je bave quand je dors.

– Oui, ça j’avais déjà remarqué. »



Tyra se réveilla en sursaut lorsque les rideaux de la chambre furent soudainement ouverts. Éblouie par la lumière, elle enfonça son visage dans sa couverture pour se protéger.


« Mmmh Öta, laisse-moi dormir encore un peu.

– Non. Allez, debout ! Il est temps de te lever. »


La voix n’était pas du tout celle d’Öta.


Tyra sortit le museau de la couette pour fixer la personne qui avait ouvert les rideaux. Il s’agissait d’une jeune fille aux yeux vairons et aux cheveux courts que Tyra ne reconnut pas immédiatement. Il lui fallut quelques secondes pour faire le rapprochement.


Elles ne s’étaient jamais rencontrées, mais Tyra l’avait déjà vue plusieurs fois de loin lorsqu’elle surveillait Nora. Quel était son nom déjà ?


« Euh. Jol c’est ça ?

– Oui ! Öta t’a parlé de moi ? En bien j’espère. » s’exclama-t-elle en souriant. « C’est lui qui m’envoie. Toi tu es Tyra, n’est-ce pas ?

– Ouais c’est ça. »


Tyra s’enfonça de nouveau dans ses draps. Elle n’avait aucune intention de se lever. Aujourd’hui, elle comptait bien dormir toute la journée dans ces draps chauds.


« Hum. Quand Öta m’a demandé de t’apporter des vêtements propres, je n’imaginais pas que ce serait pour remplacer… ça. » fit Jol. « Tu as tué quelqu’un ? »


Elle avait trouvé la tunique ensanglantée de Tyra et la regardait en plissant le nez de dégoût. Elle la plia et la rangeant dans son sac en expliquant :


« Je m’occupe de la lessive aujourd’hui, mais je ne te garantis pas de pouvoir récupérer ça.

– Euh d’accord, merci ? »


Elle n’avait qu’une hâte : que la jeune fille reparte. Jol parlait trop vite et s’activait dans la pièce comme si elle était chez elle. Et Tyra n’aimait pas ça.


« Tiens, voilà des vêtements propres. Ce sont les miens, alors fait y attention. » fit Jol en déposant son fardeau sur le lit. « Ne laisse pas de trace de sang suspecte dessus, merci. Je te les prête uniquement parce qu’Öta me l’a demandé. »


Tyra jeta un œil de loin sur la tenue, curieuse, mais ne bougea pas de son lit. Jol haussa les épaules.


« Bon, sur ce j’ai du travail. » fit-elle en prenant la porte. « Si tu le cherches, Öta traîne au marché place de la gargouille. »


Et elle s’en fut. Lorsque le silence revint, Tyra soupira de soulagement.



Ce matin, Öta s’était levé aux aurores. Il n’avait pas très bien dormi, car son lit n’était pas très bien adapté à ses cornes. Sa nuque lui faisait mal. Lorsqu’il dormait seul, il s’arrangeait toujours pour trouver une position confortable. Parfois il abandonnait même son lit pour son fauteuil. Mais avec la présence de Tyra, il avait du faire l'impasse du confort.


Alors aujourd’hui, dès que le soleil avait commencé à se lever, il s’était extirpé du lit en silence sans réveiller la jeune femme et s’était habillé rapidement avant de quitter son logis.

Il s’était promené tranquillement, profitant de l’air frais du matin, en réfléchissant à ce qu’il s’était passé la veille.


Öta avait hâte d’interroger Tyra et d’en apprendre plus sur son village.


Il rêvait depuis tout petit de visiter les souterrains dont parlaient les légendes de son enfance et il avait du mal à réaliser qu’il avait enfin trouvé un accès. Mais il se doutait aussi qu’il ne serait pas bon de harceler Tyra avec des questions. Il n’avait aucune envie de la perdre pour ça.


Et alors qu’il songeait à elle, ses joues rosirent. Elle s’était blottie contre lui toute la nuit et ne l’avait pas laissé indifférent. L’avait-elle remarqué ? Il espérait que non.


« Il faut que je fasse attention. »


Après sa promenade, il s’était rendu chez Jol pour lui demander de prêter des vêtements propres à Tyra.


« J’allais partir pour le refuge là, et ta maison est sur le chemin, je peux lui apporter si tu veux.

– Oh, ce serait fantastique, merci. Je compte aller au marché avec ta mère, tu pourras lui dire de m’y rejoindre si elle veut ?

– C’est noté. »


C’est donc accompagné de Alda qu’Öta se rendit au marché. Ils achetèrent quelques fruits et légumes en discutant joyeusement. Voilà longtemps qu’il n’avait pas passé un peu de temps avec elle.


Alda avait retrouvé bonne mine, c’était rassurant de la voir sans ses traits tirés par l’inquiétude.


« C’est impressionnant à quel point Ausra est calme. Tu sais, c’est rare qu’elle nous réveille la nuit. Je me souviens quand Jol avait son âge, c’était une tout autre histoire. C’était un vrai cauchemar.

– C’était ? Elle n’a pas vraiment changé, tu sais. » rit Öta.


Tout en se promenant, Öta n’avait pas cessé de surveiller les environs, se demandant si Tyra viendrait. Il espérait qu’elle parviendrait à le trouver. Mais aucune trace d’elle.


Öta et Alda se séparèrent vers midi, et le jeune homme rejoignit le refuge en se disant que Tyra s’y était peut-être rendue pour l’attendre. Mais aucune trace d’elle ici non plus.


« Öta ! Tu tombes bien. » fit Ambroisie en le voyant arriver. « On a besoin de toi, un nouveau blessé est arrivé ce matin.

– D’accord, j’arrive tout de suite. » répondit-il en posant son sac.


Le travail l’appelait.



Parmi toutes les choses que Petrus lui avait enseignées, recoudre les plaies n’était clairement pas la préférée de Öta. Il soupira. Au moins, la blessure d’aujourd’hui n’était pas très grave.


Alors qu’il s’essuyait les mains en traversant la cour, il entendit des cris. Ambroisie et Jol semblaient discuter ensemble. Ou plutôt, Jol semblait gronder la pauvre femme. Öta tendit l’oreille.


« Mais fais le premier pas ! Invite-le, bon sang !

– Je ne sais pas trop…

– Si tu veux que Petrus te remarque, il va falloir te bouger ! Montre-lui qu’il t’intéresse ! »


Öta comprit immédiatement de quoi il s’agissait pour avoir lui-même été à la place de Jol quelque temps auparavant. Il avait abandonné depuis. Il sourit en murmurant pour lui-même :


« Aie. Bonne chance Jol. »



« Öta, tu restes avec nous pour le souper ce soir ?

– Non désolé. Et je ne serais pas très présent les prochains jours, si vous avez besoin d’aide allez voir Petrus d’accord ? » répondit Öta en quittant le refuge.


Ambroisie haussa un sourcil intrigué en le regardant partir, tandis que Jol murmurait près d’elle :


« J’suis sûre qu’il va retrouver son amoureuse. »


Lorsqu’Öta arriva chez lui, il s’attendait à y trouver Tyra. Il ne l’avait pas vue de la journée et avait donc supposé qu’elle était restée au chaud. Mais sa chambre était vide.


Le lit avait maladroitement été refait, les vêtements de Jol étaient posés au-dessus et visiblement la jeune femme avait fouillé dans ses affaires.


Il s’approcha de son bureau en remarquant une feuille sortie. Öta se souvenait pourtant avoir rangé ses travaux. Il la prit avec intérêt. Elle était recouverte de petits dessins.


« Ah, Tyra… »


Öta reposa la feuille en levant les yeux au ciel et s’assit sur son lit. Il resta ainsi à fixer le mur avec déception. Était-elle partie sans lui dire au revoir ?


Il aurait voulu passer plus de temps avec elle. Il soupira. Sa soirée s’annonçait bien morose.


Öta décida de ne pas se laisser abattre. Il se redressa avec détermination. C’était l’occasion de profiter d’avoir un peu de temps libre pour avancer dans ses lectures. Il se pencha de nouveau sur son bureau et attrapa un livre.


Machinalement, il ne put s’empêcher de regarder de nouveau la planche de dessins de Tyra.


Soudain, un doute le saisit. Et si c’était un message caché ? Elle en serait bien capable, elle qui adorait les énigmes.


Il lâcha le livre pour reprendre le papier. Il y avait des arches, un pont, un marchand, et divers autres petits dessins à la suite. Celui du bas semblait représenter Tyra entourée de fanions.


« Hum. Trois arches. C’est sans doute la place des Trois Voûtes ? Il y a un pont juste après, ça coïncide. »


Était-ce un plan pour la retrouver ? Öta décida de suivre cette idée, curieux.


« Au pire si je me trompe, ça m’aura fait une bonne balade. »



Öta traversa la ville en suivant les indications de la feuille. Il était certain d’avoir vu juste, car chaque élément représenté sur le dessin se suivait sur le chemin, telle une carte.


La nuit était tombée lorsqu’il arriva au niveau des remparts est. Il ne se rendait jamais de ce côté de la ville et découvrait les lieux. Selon le dessin, il ne restait que la grande porte à passer. Le dernier dessin représentait Tyra entourée de fanions. Était-elle donc proche ?


Il s’avança avec curiosité. Il n’y avait aucune trace de Tyra après cette porte, mais des lumières un peu plus loin attirèrent son attention.


De grandes tentes colorées étaient dressées dans la plaine, à mi-chemin entre les remparts et la forêt. Il pouvait distinguer des gens réunis autour d’un feu, d’autres qui dansaient, et de la musique s’échappait du campement.


Öta avait entendu parler d’eux, il s’agissait d’un groupe d’artistes itinérants qui revenaient tous les ans à la capitale. Ils organisaient des représentations et leur présence animait la ville.


Il s’approcha du camp en cherchant Tyra du regard. Elle avait dessiné des fanions autour d’elle, et il y en avait plein d’accrochés ici. Elle était forcément là.


Öta passa devant plusieurs danseuses légèrement vêtues qu’il ne put s’empêcher d’admirer. Elles étaient belles. Mais comment faisaient-elles pour ne pas mourir de froid avec si peu de tissu sur la peau ?


Il frissonna et continua sa route jusqu’à trouver Tyra.


Elle était assise près du feu et se faisait maquiller par un orian. En apercevant Öta arriver, elle fit signe à l’homme de s’arrêter et se leva.


« Öta ! Tu m’as trouvé ! Ma petite énigme t’a plu ?

– Ce n’était pas simple. » répondit-il en souriant. « J’ai failli passer à côté.

– Mais non. J’étais sûre que tu comprendrais. »


Elle posa les mains sur les hanches et ajouta :


« Alors ? T’as bien aimé la p’tite visite ? Je t’ai fait passer par les plus jolis coins du quartier. » Elle montra du doigt la porte par laquelle Öta était sorti de la ville et demanda : « Tu as vu comment la porte est belle ? C’est ma préférée.

– C’était magnifique. Merci. »


Tyra rougit de bonheur. Elle se tourna alors vers l’homme qui la grimait lorsqu’Öta arrivait et dit :


« J’te présente Cyras, c’est un vieil ami.

– Enchanté. » fit l’homme en tendant la main vers Öta. « Tyra m’a dit beaucoup de bien de toi aujourd’hui. »


Öta lui serra la main en hochant la tête. Ses mains étaient immenses !


Comme de nombreux orians, l’homme était bien plus grand que lui et le dépassait aisément. Öta, qui n’était pourtant pas petit, se sentait minuscule en sa présence.


« Tyra et toi êtes les bienvenues pour passer la soirée en compagnie de notre humble troupe. Si tu as soif, tu peux aller te servir une bière là-bas. Quant à moi, je dois finir de maquiller cette jolie demoiselle.

– Oui ! J’veux une lune sur l’autre joue ! » approuva Tyra en sautillant de joie.


La tristesse de la veille semblait bien loin. Était-ce pour elle une façon de se protéger ?



Lorsqu’Öta revint une bière à la main, Cyras avait fini de maquiller Tyra. Les deux amis discutaient maintenant ensemble et un grand sourire éclairait le visage de Tyra.


C’était agréable de la voir aussi joyeuse après la soirée éprouvante de la veille, bien qu’Öta suspectait la bière d’être en partie responsable de son allégresse.


« Ma proposition tient toujours, tu sais ?

– Merci Cyras, je n’oublie pas. »


Öta arriva à ce moment-là. Il fronça les sourcils. De quelle proposition parlait l’homme ? Est-ce que… ? En y regardant de plus près, Cyras et Tyra semblaient proches. Trop proches. Y avait-il quelque chose entre eux ?


Tyra ne parut pas remarquer son trouble. Elle s’approcha de Öta et lui sourit fièrement.


« Alors ? Ça me va bien ?

– De quoi ? Le maquillage ou ma tunique ? » sourit Öta. « C’était bien la peine que Jol t’apporte des vêtements.

– C’était gentil de sa part, mais j’avais trop peur d’abimer sa robe. Cette fille est effrayante.

– Parce qu’abimer mes vêtements à moi, ça ne te dérange pas ?

– Cette chemise est à moi maintenant. » Tyra se glissa à côté de lui, posa la main sur son torse et chuchota dans son oreille : « Si tu veux la récupérer, il faudra me l’arracher…

– Avoue, tu l’as mise juste pour pouvoir dire ça. »


Tyra tira la langue, espiègle. Soudain, elle eut une idée. Elle tourna la tête et s’éloigna pour retourner aux côtés de Cyras, qui commençait à ranger son maquillage.


« Cyras ! Tu veux bien maquiller Öta aussi ? S’il te plait.

– Je veux bien, mais tu lui as demandé son avis avant ?

– Euh. »


Tyra se mordit la lèvre.


« Öta ? Tu veux bien que Cyras te maquille ? S’il te plait, s’il te plait, s’il te plait ! Je suis sûre que tu serais très beau comme ça.

– Comment refuser une telle proposition ? »



Öta frissonna en sentant le pinceau sur sa peau. C’était agréable. Tandis que Cyras le maquillait, il ne put s’empêcher de le dévisager avec admiration et curiosité.


L’homme avait un visage très délicat, sa peau claire était mise en valeur par ses cheveux et ses yeux couleur corbeau. C’était un bel homme, à n’en point douter.


« Ça fait longtemps que vous vous connaissez ? » demanda Öta pour cacher sa gêne.. « Vous avez l’air de bien vous entendre.

– On peut dire ça.

– Je rends visite à la troupe depuis que je suis toute petite. » expliqua Tyra avec un sourire triste. « Ma mère était très amie avec eux. Après sa mort, j’ai gardé le contact. »


Öta eut un pincement au cœur. Il ne pouvait que partager sa mélancolie. Perdre un membre de sa famille était horrible.


« Quand elle fugue, elle vient souvent ici. » sourit Cyras. « Je me souviens lorsqu’elle était gamine, elle hurlait et se débattait chaque fois que Gérard venait la chercher. C’était très amusant de voir ce grand bonhomme galoper après elle dans tout le camp. »


Öta ne put s’empêcher de rire en imaginant une Tyra miniature se faire courser dans le campement. Elle devait bien animer les soirées la troupe.


« Bon. J’étais parfois un peu difficile.

– Un peu difficile ? Tu étais une vraie terreur. Après la mort de mam— »


Soudain Cyras se tut. Tyra fronça les sourcils, le fusillant du regard, mais ne dit rien. Öta ne comprit pas les raisons de ce mutisme, mais se sentit soudain très mal à l’aise.


« Bon. J’ai fini. » fit Cyras en posant son pinceau, mettant fin au silence par la même occasion. « Tiens. »


Öta prit le miroir qu’il lui tendait et se regarda dedans. Voilà longtemps qu’il n’avait pas eu l’occasion d’être aussi maquillé. C’était étrange, mais agréable. Voir son reflet ainsi grimé lui plaisait énormément.


« C’est parfait. » murmura t-il, touché.


Tandis que les deux hommes se levaient, Tyra s’exclama :


« Hé ! J’ai envie de danser. Vous venez ? »



Tandis que Tyra s’éloignait en direction des tentes des danseurs, Öta fut arrêté par la main de Cyras sur son épaule. L’homme avait la poigne forte et Öta sursauta.


« Une dernière chose. » fit Cyras, la voix sombre et menaçante. « Tu es peut-être l’invité de Tyra, mais n’oublie pas que je garde un œil sur toi. Au premier geste ou propos déplacé envers une membre de la troupe et j’te pète une corne. C’est clair ? 

– Oui monsieur. » couina Öta, apeuré.


« Bien. »


Cyras lâcha Öta et le poussa d’une petite tape dans le dos.


« Tu peux aller danser maintenant. »



Lorsqu’Öta retrouva Tyra, celle-ci dansait déjà.


Elle avait retiré sa tunique et défait les lacets dans ses cheveux. Les encrages sur ses bras étaient visibles, mais étrangement personne ne semblait y prêter attention.


Tyra était montée sur une petite scène. Entourée de musiciens et d’autres danseurs, elle tourbillonnait joyeusement au rythme de la musique.


Öta s’arrêta, subjugué. Il ne l’avait encore jamais vu sourire ainsi. Elle semblait libre et heureuse, guidée par sa passion.


Il aurait été incapable de dire combien de temps il resta ainsi à l’admirer.


Ce fut Tyra qui le fit revenir à lui. Elle s’approcha en s’exclamant :


« Bah alors, Öta, ne reste pas planté là. Viens danser avec nous !

– Je préfère te regarder. » répondit-il. « Tu es étincelante ce soir. »


Les joues de Tyra se colorèrent et elle le remercia d’une petite voix. Sans rien ajouter, elle rejoignit de nouveau les danseurs et musiciens.


Mais plusieurs fois, alors qu’elle dansait, elle ne put s’empêcher de tourner discrètement la tête pour vérifier s’il la regardait toujours.



Sentant que les bières qu’il avait bues commençaient à faire un peu trop effet, Öta décida de partir à la recherche d’un pichet d’eau pour se rafraîchir. C’est à contrecœur qu’il s’éloigna de la musique et des danseurs.


Il erra quelques minutes dans le camp, à la recherche de son chemin, et en profita pour admirer les tentes autour de lui. C’était la première fois qu’il voyait d’aussi près un tel campement. Il y avait l’air d’y faire bon vivre, et Öta les envia légèrement.


Ce devait être une belle aventure de voyager dans le royaume entouré d’autant de compagnons. C’était comme un petit village en mouvement. Öta se demanda alors quelle serait leur prochaine destination. Se rendaient-ils parfois dans la région de Morthebois ? Il n’avait pas souvenir d’avoir entendu parler d’eux chez lui.


« Hé joli cœur, tu es perdu ? » fit une femme en s’approchant de lui. « C’est dommage. Un beau garçon comme ça ne devrait pas rester seul le soir.

– Non ça va, je sais où je vais. » menti Öta, qui n’était pas rassuré.


Les paroles de Cyras résonnaient au fond de son esprit. Il tenait à ses cornes !


« Je… Bonne soirée.

– Allez, ne pars pas si vite. Tu ne vas pas me laisser seule tout de même ? Accompagne-moi au moins jusqu’à ma tente. »


Öta recula, embarrassé. Il n’avait aucune envie de suivre une parfaite inconnue, tout aussi jolie soit-elle.


« Myriam, laisse-le tranquille. » fit soudain la voix de Tyra. « Il est avec moi. »


Elle se tenait derrière eux, les mains sur les hanches et les sourcils froncés. En l’apercevant, Myriam devint blanche.


« Tyra ?! Je ne savais pas. Pardon ! » couina-t-elle, avant de s’enfuir sans demander son reste.



« Merci. » souffla Öta, soulagé. « Mais qu’est-ce que tu lui as fait pour qu’elle ait aussi peur de toi ?

– Moi ? Rien, c’est juste mon charisme naturel. » répondit Tyra en haussa les épaules.


Il haussa un sourcil, sceptique.


« Laisse-moi en douter.

– Quoi ?! » s’offusqua Tyra. « Mais c’est méchant ça !

– Allez, raconte. Je suis sûr que tu en meurs d’envie. »


Tyra sourit, amusée. Elle fit mine de réfléchir avant de répondre :


« À vrai dire, j’sais pas trop. C’est peut-être à cause de la fois où j’ai mis du crottin dans son oreiller ?

– Quoi ?! Tu as vraiment fait ça ?

– Ah non je sais, c’est peut être à cause du verre d’eau aromatisé à la bave de limace ?

– Tyra…

– Ou sinon, c’est à cause de la fois où j’ai déplacé sa tente sans lui dire ! Avec l’aide de Cyras, on l’avait changé de place et la pauvre n’arrivait plus à retrouver son chemin. »


Öta resta sans voix. Elle avait vraiment osé faire toutes ces choses ? Et Cyras avait participé ? Il n’imaginait pas l’homme faire ce genre de bêtise.


« M… Mais pourquoi ?

– Elle m’embêtait tout le temps et disait du mal de moi dans mon dos. Depuis, elle a arrêté. » répondit fièrement Tyra.


Öta siffla, impressionné.


« Je note qu’il vaut mieux éviter de s’attirer ton courroux.

– Et encore, j’t’ai pas tout raconté. »



« Tu veux retourner danser ? » proposa Öta en désignant la partie du camp d’où s’échappait encore de la musique. « Il est encore temps.

– Non, c’est bon.

– Tu veux qu’on rejoigne Cyras alors ?

– Non merci. » siffla Tyra. « Je l’ai croisé en venant, il a commencé une partie d’Gobelin avec ses amis et j’ai aucune envie d’y jouer.

– Une partie de Gobelin ?

– C’est un jeu Sudan. » répondit Tyra. « Ça s’joue avec des dents d’gobelin.

– Berk. » grimaça Öta.


Décrit comme ça, ce jeu ne donnait pas envie de le découvrir.


« De toute façon, j’ai jamais compris les règles. » ajouta Tyra. « Elles n’ont pas d’sens.

– Ça ne m’étonne pas. La culture sudante est bizarre.

– Ouais. »


Ils échangèrent un regard amusé.


Mais cet instant de complicité s’évapora aussi rapidement qu’il était venu, tandis qu’un silence bien trop long pour ne pas être inconfortable prit place.


Öta se gratta la joue. Une question lui brûlait les lèvres depuis qu’il était arrivé sur ce camp et il cherchait depuis le bon moment pour la poser.


Il hésita quelques secondes supplémentaires, avant de murmurer d’une voix peu assurée :


« Dis Tyra…

– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

– Est-ce que Cyras et toi, vous… ? »


Tyra haussa un sourcil. Elle pencha la tête et fixa Öta avec incompréhension.


« J’ai pas compris.

– Je vous ai entendu tout à l’heure. Il t’a parlé d’une proposition et vous sembliez très proche, alors j’ai pensé que vous étiez peut-être… amants ou quelque chose comme ça ? »


Tyra éclata de rire. Un rire clair qui décontenança aussitôt Öta. Qu’avait-il dit de si drôle ?


« Pfffrrt Cyras et moi.... pouahahahahaha !! »


Elle ne parvenait plus à s’arrêter de rire, se tenant les côtes en s’étouffant à moitié. Elle tapa du poing sur la table à côté d’elle en fermant les yeux. Öta sentit ses joues rosir et grogna :


« Hé ! Arrête de rire !

– Mais, pfffrttt Cyras quoi ! »


Öta croisa les bras, vexé. Devant une telle réaction, il sentait soudain très bête.


Au bout d’une bonne minute, Tyra parvint à reprendre son souffle. Elle avait tant ri que ses yeux étaient rouges de larmes. Elles les essuya du bout des doigts.


« Désolé, j’m’y attendais pas. » rit-elle. « Pfffrt Cyras et mouahahahahahahahah !! »


Et son rire reprit de plus belle.


Fanart de la scène par Dreamplotter https://www.facebook.com/profile.php?id=100081201530657
Fanart de la scène par Dreamplotter https://www.facebook.com/profile.php?id=100081201530657

« Heureusement que tu n’as pas posé la question à Cyras. » gloussa Tyra une fois qu’elle eut repris son souffle. « En réponse il t’aurait sans doute jeté dans le fleuve !

– Je n’en doute pas un seul instant. » soupira Öta. « Alors ? »


Il savait que sa curiosité le perdrait un jour, mais il était bien décidé à tenter le tout pour le tout.


« J’admets que je me suis trompé. Mais je reste curieux. Quelle était cette proposition ?

– En fait, Cyras aimerait que j’rejoigne la troupe. Depuis des années, il veut que je devienne sa partenaire. Mais j’ai toujours refusé. »


Tyra avait murmuré ces mots, l’indécision perçant dans sa voix. Öta écarquilla les yeux, ne s’attendant pas à cette réponse. Pourtant, en y repensant c’était évident. Tyra avait l’âme d’une artiste.


« Et… tu penses refuser de nouveau ?

– Je ne sais pas trop. » répondit Tyra dans un souffle. « Ça fait des années que je lui dis non. Mais avec tout ce qu’il s’est passé récemment dans ma vie, Nora, le village, Gahan…

– Tyra…

– Parfois, il m’arrive de penser que j’aimerais vraiment disparaître. Alors peut-être que partir avec la troupe… c’est ce que je dois faire ? Ainsi, je ne serais plus un fardeau pour mon village. »


Tyra baissa les yeux. Elle ne souriait plus, le masque joyeux s’étant brisé en même temps que sa voix. Öta sentit son cœur se serrer. Il ne voulait pas qu’elle parte !


« Reste. Reste. Reste ! » répétait une voix dans sa tête.


Il inspira avant de répondre en songeant aux mots que Alda lui avait offerts il y a longtemps :


« L’important n’est pas ce que tu dois faire, mais ce que tu souhaites vraiment.

– Ce que je souhaite vraiment ?

– Est-ce que tu veux vraiment partir ? C’est dans cette troupe que tu vois ton avenir ? »


Elle n’avait pas pensé à son avenir depuis bien longtemps. Est-ce que devenir artiste dans la troupe, comme Cyras lui avait proposé, l’intéressait vraiment ? L’idée de voyager de ville en ville, entourée d’amis, à pouvoir danser et chanter de tout son saoul était séduisante.


Mais elle tenait à son village. Elle aimait son travail et les souterrains plus que tout. Les sylènes la fascinaient et elle rêvait d’un jour pouvoir découvrir le village où était née Gahan. Si elle avait bien un rêve, c’était de pouvoir un jour arpenter librement les souterrains.


Et si elle partait, elle ne reverrait sans doute plus ses proches… Bien qu’elle s’était persuadée qu’ils seraient mieux sans elle, la simple idée de les quitter lui était insupportable.


« Non… »



« Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? » demanda Tyra. « Si tu avais la possibilité de tout plaquer pour devenir quelqu’un d’autre, tu le ferais ? »


Öta lui offrit un sourire triste.


« Quand j’y repense… c’est exactement ce que j’ai fait quand j’ai accepté de suivre Élan et Alda. » souffla-t-il. « Et ça m’a sauvé.

– Ça t’a sauvé ?

– Si je n’avais pas pris cette décision, je pense que je ne serais plus de ce monde aujourd’hui. »


Tyra écarquilla les yeux.


« Öta. Toi aussi, tu… ? »


Elle ne termina pas sa phrase. Öta hocha la tête, serrant sa main avec douceur.



Partie 3 - Une petite fille à la peau sombre


Tyra posa les mains sur ses hanches et s’exclama :


« C’est bien gentil, mais je t’ai invité pour passer une bonne soirée, pas pour broyer du noir ! »


Elle était déterminée à mettre de côté l’ambiance pesante qui s’était installée. Öta la remercia d’un sourire.


« Et bien, que me proposes-tu ? Tu veux rejoindre les autres ? » demanda-t-il. « Il n’est pas trop tard pour retourner danser.

– Non. Mais demain, si tu veux, on pourra assister aux répétitions. Tu vas adorer.

– Oh. Je suis curieux, ça peut-être amusant. »


Tyra hocha joyeusement la tête.


« Hum. Je sais ! Je vais te présenter Valorïn.

– Valorïn ?

– Tu vas bien l’aimer, suis-moi. »


Öta lui emboîta le pas tandis qu’elle traversait le camp d’un pas rapide. Il ne fallut pas longtemps pour trouver le dit Valorïn. L’homme était assis au coin du feu. Il lisait un vieil ouvrage qu’il reposa avant de se retourner en entendant Tyra arriver.


La première chose qu’Öta remarqua était l’étrangeté de ses cheveux. Était-ce des plumes ? L’homme était vraisemblablement un Etris.


« Tyra. C’est un plaisir de te revoir. » fit-il en se levant, d’une voix douce et posée. « Et tu es accompagnée à ce que je vois. Qui est-ce ?

– Oui, je vous présente mon ami Öta. C’est notre invité ce soir. »


Öta hocha la tête poliment, légèrement intimidé par le regard perçant de l’homme. C’était une sensation étrange, comme s’il pouvait voir à travers lui.


« Je me nomme Valorïn, enchanté. Pardonnez mes manières, mais me voila fort étonné de rencontrer le fils du seigneur de Morthebois en pareil lieu.

– Quoi ? Vous — » bredouilla Öta.


Comment cet homme avait-il pu faire le rapprochement aussi vite ? Morthebois était bien loin d’ici, et bien qu’il s’agisse d’une noble lignée, peu de personnes connaissaient sa famille. Tyra échangea un regard avec lui, tout aussi stupéfaite.


« Ahaha. » rit l’homme. « Vous ressemblez à votre père. »



« Vous connaissez mon père ? » demanda Öta, étonné. « Je n’ai pas mémoire de vous avoir déjà vu au domaine… »


Tyra regardait la scène avec avidité. C’était peut-être l’occasion d’en apprendre plus sur Öta, lui qui était si secret. Valorïn sourit et fit signe aux deux amis de s’installer à ses côtés autour du feu où il se réchauffait quelques instants plus tôt.


« Laissez-moi vous raconter une histoire. » commença t-il. « Une drôle de rencontre qui prit place quelques années plus tôt, alors que vous n’étiez que de petits poussins protégés au chaud dans leur nid. »


Il décala son livre afin de permettre à Tyra de s’asseoir, tandis que Öta préférait rester debout les bras croisés et le regard intrigué.


« Mon nom est Valorïn, et depuis bien des années j’exerce le travail aussi beau que plaisant de conteur. Je voyage de ville en village, parfois accompagné de cette charmante troupe que voilà, parfois seul.


Au fil de mes nombreuses pérégrinations, j’ai pu parcourir notre royaume et découvrir ses plus belles régions. Morthebois fut l’une d’entre elles.


Un berceau oublié, que tous évitent et dont la réputation ne fait malheureusement pas honneur à cette terre de mythes.


Pourtant, je n’ai rarement vu plus splendide et ancien. Une aura toute particulière s’échappe de ses villages et de ses forêts, aussi mystique qu’intrigante.


Le terreau parfait pour de belles histoires. »


Öta hocha la tête, appréciant la description. Il avait parfois le mal du pays ici. Morthebois et ses vieux bois, ses marécages et ses ruines anciennes lui manquaient souvent.


« Un jour, tandis que je vagabondais à Morthebois, mes pas m’avaient mené jusqu’une petite auberge non loin du domaine du seigneur de ces terres.


J’y fus accueilli comme un roi. Les voyageurs étant rares, il était toujours difficile pour les petites gens d’acquérir des nouvelles du monde. Tous m’assaillaient de questions sur la capitale et sur les territoires que j’avais pu parcourir…


C’était sous leurs yeux avides de bonnes histoires que je m’étais choisi un petit tabouret et avais déclaré mienne une place non loin de la cheminée.


Ce soir-là, comme à mon habitude j’avais ainsi partagé quelques contes que je maîtrisais bien. Je débutais à peine l’une de mes plus belles fables lorsqu’un homme rejoignit l’assemblée.


Je n’y aurais sans doute jamais prêté gare, si cet individu n’avait pas les cornes les plus longues que j’ai pu voir. C’était sans nul doute un Etris.


Mon visage fut éclairé d’un sourire. Quel plaisir de pouvoir partager mon art avec l’un de mes camarades !


Il était fasciné par ces histoires que je contais, buvant mes paroles avec le regard émerveillé d’un enfant.


Et bien plus tard, pendant que je profitais d’une délicieuse cervoise offerte par la tenancière, cet homme étrange me rejoignit. La bonté s’échappait de sa voix aussi calme que délicate.


Nous bavardâmes toute la soirée, évoquant notre pays d’origine avec une douce nostalgie. Et c’est ainsi qu’il m’expliqua que c’était en ayant entendu parler d’un conteur estan présent en ville, qu’il avait décidé de venir partager cette soirée en ma compagnie.


Nous nous séparâmes avec le sourire et le bonheur d’avoir fait une belle rencontre.


Ce ne fut que bien plus tard que j’appris que cet homme n’était nul autre qu’Ëten le Gris, le seigneur local.


Il se trouve qu’il lui arrivait souvent de s’enfuir discrètement de son domaine pour prendre l’air dans les tavernes et auberges alentour.


Il insistait pour que tous gardent le secret de ces escapades et ne s’adressent à lui que sans ses titres. »


Öta s’était finalement assis par terre, captivé par l’histoire. Il buvait les mots de Valorïn, réalisant qu’il n’en savait que peu sur son père. Tyra avait changé de place pour se reposer contre lui, fascinée.


« Votre père me fit bonne impression, et ce fut ensuite plusieurs fois, tandis ma route me guidait jusque Morthebois, que j’eus le plaisir de le revoir. »




Öta avait écouté l’histoire de Valorïn avec fascination. Son père était une personne très secrète et discrète, qui ne partageait que très rarement ses pensées.


Ce fut seulement lorsque son oncle Üter lui révéla son passé qu’Öta comprit à quel point il n’en savait que trop peu sur lui.


C’était il y a de nombreuses lunes, lorsqu’Öta tentait d’en apprendre plus sur les étranges feuilles qui poussaient sur sa peau. Ëten refusait de lui répondre, obligeant Öta à questionner son oncle.


En apprenant sa triste histoire, le jeune homme avait alors réalisé qu’il ne connaissait en réalité rien de son père. Celui-ci ne lui avait jamais parlé de lui, toujours enfermé dans un profond mutisme lorsqu’il s’agissait de s’ouvrir aux siens.


Alors, pouvoir en apprendre plus sur lui était une chance qu’il comptait bien savourer.


« Et avez-vous revu mon père récemment ? » demanda-t-il à Valorïn. « Et mon oncle Üter ? Avez-vous eu de leurs nouvelles ? »


Öta envoyait régulièrement des lettres à son père. Il y partageait ses journées, lui offrait de nombreux détails et tentait par tous les moyens de le rassurer afin qu’il ne s’inquiète pas.


Mais lorsque ce dernier répondait, les lettres étaient toujours très concises, presque vides. Öta aurait aimé avoir des détails, savoir comment son père se portait, mais ce dernier restait fidèle à lui-même.


« Oh oui, j’ai eu la chance de rencontrer messire Üter lors de ma dernière visite. » répondit l’homme en souriant. « C’est un homme charmant qui ne manque pas de bonnes histoires à raconter. C’était un réel plaisir de discuter avec lui.

– Et mon père ? Comment va-t-il ?

– Oh, ça… Vous lui manquez énormément. Il ne cesse de parler de vous. Il est terriblement fier de l’homme que vous êtes devenu.

– Il est fier de moi ? » répéta Öta, étonné.


Il ne s’attendait pas à cette réponse et sentit une douce chaleur se rependre dans son ventre. C’était exactement ce qu’il rêvait d’entendre sans se l’avouer. Il sentit ses yeux devenir humides, mais retint toute larme.


Il sentit la main de Tyra sur la sienne et tourna la tête. Elle lui faisait un sourire encourageant auquel il répondit.


« Oh ça ! » s’exclama Valorïn. « Il est même terriblement fier de vous et ne manque aucune occasion de le faire savoir à quiconque veut bien l’entendre. Ce devient même parfois redondant, je dois bien vous l’avouer.

– Aha. Merci. »


Valorïn hocha la tête. Il croisa ensuite les genoux et sembla réfléchir quelques secondes avant de continuer :


« Hormis cela… Hum… Que dire ?

– Mon père était-il en bonne santé ? La dernière fois que je l’ai vu, il avait perdu du poids et était toujours fatigué. J’espère qu’il va mieux.

– Effectivement, votre père me paraissait quelque peu épuisé, mais rien de bien étonnant. Je pense que la faute revient à sa filleule qui lui vole tout son temps. » fit Valorïn, rieur.


Öta fronça les sourcils.


« Comment ça ? Mon père n’a pas de filleule.

– Mais si, voyons. Je l’ai vue. C’est une petite fille. » répondit l’homme, sûr de lui.



Öta plissa les yeux, intrigué. Que son père n’aime pas bavarder et s’étendre sur son passé était une chose, mais lui dissimuler l’existence d’une filleule en était une autre.


Si une personne de leur entourage avait choisi Ëten comme parrain de leur fille, Öta était certain qu’il lui en aurait parlé. Il ne lui aurait pas caché une nouvelle aussi importante.


« Je vous assure que mon père n’a pas de filleule.

– Mais si je vous dis que je l’ai vue. » insista Valorïn, légèrement agacé. « C’est une petite oriane d’environ deux ans à la peau sombre comme l’écorce, aux jolis cheveux corbeau et aux magnifiques yeux caramel. »


Öta se figea. Il sentit un frisson glacé descendre le long de sa colonne vertébrale et répéta :


« Deux ans ? La peau sombre ?

– Oui. Et elle sera sublime en grandissant, croyez-moi. » répondit-il, avant de murmurer pour lui-même : « Hum… quel est son nom déjà… ? Je l’ai sur le bout de la langue. »


Mais d’un coup, Öta se leva. Les yeux écarquillés, son visage était devenu livide.


« Je. Excusez-moi. »


Et sans rien ajouter, il s’éloigna d’un pas rapide. Tyra échangea un regard stupéfait avec Valorïn puis se leva à son tour.


« Je vais le rejoindre, désolé. » s’excusa-t-elle avant de disparaître à sa suite, engloutie par la nuit.



 « Öta ? Öta ! T’es passé où ? » cria Tyra en parcourant le campement.


Elle l’avait perdu de vue en tentant de le suivre et était maintenant à sa recherche depuis plusieurs minutes. Mais l’obscurité ne l’aidait pas, elle n’y voyait pas grand-chose. Il y avait bien des lanternes un peu partout dans le camp, mais elles ne pouvaient pas effacer toute la pénombre ni retirer les tentes qui obstruaient son champ de vision.


« Öta ? »


Après avoir tourné en rond un long moment, elle le trouva enfin. Il était assis à une table et regardait dans le vide. Il pleurait ?



« Öta ? » fit Tyra en s’approchant de lui.


Il ne répondit pas. L’avait-il seulement remarquée ?


Tyra se sentit dépassée. Elle ne l’avait jamais vu comme ça. Il semblait si triste, si désespéré… Mais pourquoi ?


« Hé Öta, ça va ? » insista t-elle en s’asseyant à côté de lui. « Il s’passe quoi ? Tu veux en parler ? »


Öta se redressa. Sans mot dire, il posa la tête sur l’épaule de Tyra et ferma les yeux. Sa respiration s’apaisa. Surprise, il fallut quelques secondes à Tyra pour comprendre ce qu’il se passait.


« Öta ?

– Si c’est ce que je crois, la filleule de mon père est aussi ma petite sœur… » murmura t-il alors.


Tyra fronça les sourcils.


« Ta petite sœur ?

– Ma demi-sœur. » répondit-il dans un souffle. « Je pense que mon père m’a menti en m’affirmant qu’elle était morte.

– Oh.

– Je dois en avoir le cœur net. Je partirais à l’aube, tu peux rester chez moi pendant mon abse —

– Je t’accompagne. »


Öta se redressa.


« Hors de question. C’est loin, tu —

– T’as pas le choix. » siffla Tyra en se levant. « Et tu m’expliqueras tout en route comme ça. »



Il hocha la tête, comprenant qu’il ne parviendrait pas à lui faire changer d’avis. Mais il devait bien l’avouer, l’idée d’être accompagné par Tyra le rassurait légèrement.


« Mais… et ton village ?

– Ils se débrouilleront. D’toute façon, j’ai besoin de changer d’air. J’vais passer voir un ami pour le prévenir. On s’retrouve chez toi dans une heure ?

– Non. Maintenant que je me sens un peu mieux, je vais retourner voir Valorïn pour lui poser quelques questions afin d’avoir plus de précisions. Ensuite si notre discussion confirme mes doutes, je dois aller voir quelqu’un pour tout préparer. Je risque d’y rester longtemps. »


Il fouilla dans son escarcelle pour en sortir son trousseau de clefs qu’il tendit à Tyra.


« Rendez-vous chez moi demain matin à l’aube. »


Comments


  • Instagram
  • Facebook
  • Twitter
  • YouTube
  • TikTok
bottom of page