- 28 - La servante de la Dame fanée
- bleuts
- 30 oct. 2024
- 15 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 déc. 2024
Partie 1 - Tihiran ?
Depuis le départ de la jolie Tihiran, Gahan n’avait plus réussi à trouver le sommeil. Et s’il lui arrivait quelque chose ? Et si Davin la trahissait ?
Gahan avait peur de perdre sa jolie fleur.
Non.
Gahan ne devait pas laisser ses sentiments obscurcir son jugement.
Davin était laid et bruyant, mais il était l’ami de sa tendre Tihiran. Et elle n’oubliait pas qu’il avait fait une belle offrande à Dame fanée. Il ne pouvait pas être si mauvais que ça.
Par conséquent, Gahan avait décidé de lui faire confiance. Elle avait simplement attendu le retour de Tihiran avec impatience. Sa chaleur et son sourire lui manquaient chaque jour.
« Si seulement Tihiran pouvait vivre avec Gahan ! »
C’était impossible. Gahan le savait.
Mais parfois, Gahan rêvait d’une autre vie où elle n’aurait pas été choisie par la Dame fanée pour être sa Gardesprit et où Tihiran n’aurait pas été une An du clan des voleurs de visage.
Là, peut-être que les choses auraient été différentes.
Gahan entendait la Dame fanée l’appeler. Elle était restée loin d’elle trop longtemps et ses forces s’amenuisaient.
Mais tant qu’elle pouvait respirer la douce odeur de Tihiran et sentir sa chaleur contre elle, peu importait de souffrir.
Elle se fichait de flétrir si elle avait la possibilité de le faire dans les bras de la plus belle fleur.
Pourtant, Tihiran n’était pas revenue.

Le premier soir, Gahan avait refoulé son inquiétude.
Peut-être Tihiran était-elle fatiguée ? Peut-être avait-elle trouvé de bonnes baies sur la route et avait tant mangé qu’elle n’avait pas pu venir ? Ou peut-être avait-elle simplement oublié le chemin ?
Gahan n’avait pas dormi. Elle était restée aux aguets toute la nuit. Mais Tihiran n’était pas venue.
Le second soir, un voleur de visage s’était montré. Ce n’était ni Tihiran ni Davin. Gahan était restée cachée.
Le voleur de visage avait alors déposé dans son camp un bol avec ses baies préférées.
Était-ce sa jolie fleur qui lui avait dit que Gahan aimait les baies ?
Gahan avait senti qu’elles n’étaient pas empoisonnées. Alors elle les avait toutes mangées. C’était très bon.
Le troisième soir et ceux qui suivirent, le voleur de visage était revenu. Il la cherchait. Il l’appelait. Mais Gahan ne s’était pas montrée. Elle voulait voir Tihiran, pas lui !
Alors, elle n’avait plus touché aux offrandes. Peut-être comprendrait-il ainsi qu’elle ne voulait voir que sa fleur.
Mais ça ne fonctionna pas.
Au bout de plusieurs jours, Gahan craqua. Son cœur lui faisait mal. Tihiran lui manquait.
Elle qui avait vécu tant de saisons seules n’arrivait maintenant plus à vivre sans son sourire.
Alors Gahan décida de s’approcher du territoire des voleurs de visage. La Dame fanée lui disait de fuir, que cet endroit n’avait pas la protection des Anciens, mais Gahan ne l’écoutait pas.
Elle s’avança vers les rochers qui bloquaient le passage. De grandes pierres arborant des symboles d’un rouge profond.
La Magie de Tihiran.
Sa jolie fleur lui avait dit que c’était son travail. Ces sceaux étaient faits de sa sève. Gahan voulait simplement les trouver pour sentir de nouveau son doux parfum.
Mais alors qu’elle s’en approchait, elle réalisa que l’odeur qui en émanait n’était pas la sienne. Gahan ouvrit grand les yeux. Pourquoi ?
Était-il arrivé quelque chose à Tihiran ?
Jamais elle n’aurait dû la laisser repartir !

La toute première fois où Gahan avait été confrontée à la barrière du territoire des voleurs de visage, elle avait senti sa présence et s’était arrêtée.
Gahan l’avait touché du bout des doigts, curieuse, mais n’avait pas tenté de traverser. Elle n’en avait pas vu l’intérêt. Elle avait simplement fait demi-tour et s’était cachée en haut de la grotte pour regarder les voleurs de visage.
C’était amusant.
Mais ça, c’était bien avant que Tihiran ne vienne vers elle, aussi belle et forte que la mélodie qui battait maintenant dans son cœur.
Cette fois, Gahan comptait bien traverser la barrière. Pour Tihiran.
Il était hors de question que Gahan la laisse souffrir. Si sa fleur était encore en vie, elle se devait de la sauver !
Elle donnerait tout pour lui éviter un destin tragique. Jamais Gahan ne parviendrait à se pardonner si Tihiran finissait comme sa douce Nahen.
Gahan s’avança, mais le sceau ne la laissa pas passer. Il repoussait la magie du gouffre. Elle n’eut donc pas d’autre choix que de le briser.
Ainsi, Gahan entra dans le territoire des voleurs de visage.
Mais soudain, elle hoqueta.
Une brutale sensation de vide lui fit tourner la tête.
Elle n’entendait plus la voix de la Dame fanée.
Elle ne sentait plus la protection des Anciens.
Silence.
Néant.
Comment Tihiran pouvait-elle vivre dans un endroit aussi terrifiant ?
Aussi douloureux ?

Gahan se sentait seule et faible dans ce territoire inconnu. Mais Gahan était aussi courageuse, son affection pour Tihiran la poussait de l’avant. Rien ne pourrait l’empêcher de la retrouver.
La sensation de vide qui l’écrasait ne l’arrêterait pas. Elle se glissa dans le village, tapie dans l’ombre. L’odeur de Tihiran y était présente, mélangée à plusieurs parfums plus étranges les uns que les autres.
Mais Gahan était capable de la reconnaître entre mille. Elle décida de la suivre.
Sur son chemin se trouvaient de nombreuses huttes semblables à celles du village où elle vivait autrefois. Une pointe de tristesse enserra son cœur.
La nuit étant tombée depuis longtemps, il n’y avait pas beaucoup de vie. Les gens dormaient, sans se douter que Gahan arpentait leurs rues.
Une hutte se démarqua alors. Le parfum de sa fleur y était plus présent que sur les autres.
Gahan décida d’entrer. Immédiatement, elle sut qu’elle avait trouvé. C’était la tanière de Tihiran. Il y avait ses drôles de vêtements étalés sur le sol et un bouquet de fleurs sur la table.
Gahan s’en approcha. Ces fleurs étaient blanches, lumineuses, magiques.
C’était les fleurs de Gahan.
Elle ferma les yeux, touchée, et sentit les larmes perler aux coins de ses yeux.
Tihiran les avait gardés.
Elle avait gardé son cadeau.
« Tyra ? T’es là ? » fit soudain une voix masculine à l’extérieur. « J’viens de finir ma patrouille et j’suis encore chaud si tu veux t’entraîner un peu ce soir. »
Un mâle entra.
Il se figea aussitôt.
Gahan et lui se fixèrent.
« Putain de merde. » souffla t-il.
Gahan ne saisit pas le sens de ces mots. Mais elle comprit qu’il était temps de fuir.

Lorsqu’elle fut surprise par un mâle dans la hutte de Tihiran, Gahan avait tenté de fuir.
Mais il l’avait attaqué et elle n’avait pas réussi à l’éviter. La hutte de Tihiran était trop petite et trop étroite. Elle ne pouvait pas se mouvoir correctement dedans ni grimper à un arbre pour se mettre à l’abri.
Cependant, même s’il l’avait blessée elle était finalement parvenue à s’enfuir après l’avoir mordu au bras.
« Aaah, putain ! » avait-il craché de surprise, laissant une ouverture à Gahan qui en avait profité.
Et alors qu’elle s’éloignait et se cachait, le mâle avait appelé les siens. Sa voix avait résonné dans tout le village. Maintenant, des dizaines de voleurs de visages arpentaient les rues à sa recherche.
Leurs traits sombres étaient terrifiants et leurs armes empestaient le sang de son peuple.
Elle ne pouvait pas rester ici.
Ils étaient fous et dangereux.
Gahan comprenait enfin pourquoi la Dame fanée lui avait répété tant de fois de se méfier d’eux.
Cachée dans l’ombre derrière un mur, Gahan haleta. Elle était blessée et couverte de sa propre sève. Paniquée, elle ne savait plus quoi faire.
Sans la Dame fanée et les Anciens pour la protéger, elle se sentait vulnérable. Faible.

Ainsi commença une interminable traque. Gahan fut débusquée plusieurs fois et se défendit. Elle n’aimait pas l’idée d’attaquer les amis de sa douce Tihiran, mais elle n’avait pas le choix.
Leur sang se mélangeait à la sève sur ses vêtements. Sa vision devenait trouble.
Elle perdait le contrôle.
Et alors qu’elle se faufilait derrière une hutte près de la grande place, une voix la fit sursauter.
« Oh bordel, Gahan ? Je vais chercher Tyra, ne bouge pas. Euh merde, elle ne doit pas comprendre. Pas bouger ? Ami, pas bouger, rester cacher, Tihiran ? »
Gahan hocha la tête. Elle n’était pas sûre d’avoir bien saisit, mais elle n’avait pas d’autre choix que de faire confiance à Davin.
Partie 2 - Le sauvetage
« Le village est attaqué ! Des Sylènes ont passé les frontières ! »
Tous les veilleurs qui se trouvaient dans la taverne avaient aussitôt abandonné la Citrouille pour retourner au village. Tous, sauf Gwen et son partenaire.
« Je reste là pour faire rempart en cas de problème. » avait-elle affirmé, en prenant la place de Tyra et David. « Vous, vous partez avec les autres. Ils risquent d’avoir besoin de ta magie, Tyra. »
Tyra avait hoché la tête, angoissée. Elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer Gahan parmi les attaquants. Allait-elle bien ? La peur lui tordait le ventre.
Ce fut l’esprit ailleurs qu’elle suivit ses camarades dans le passage qui menait aux souterrains. Elle n’écouta pas leur discussion, n’entendit pas le résumé de la situation, détachée.
Elle était comme entourée d’une brume qui étouffait leurs mots. Le regard dans le vide, elle les suivit jusqu’au village. Ce fut la main de David sur son épaule qui la fit revenir à la réalité. Elle sursauta.
« Hé, Tyra, ça va ? Tu tiens le coup ?
– David ? Je… Oui. »
Elle passa la main sur son visage et inspira pour tenter de reprendre contenance. Tyra jeta un œil autour d’elle et remarqua qu’elle était seule avec lui.
« Où sont les autres ?
– Quoi ? Mais ils… » David fronça les sourcils. « Tyra, tu es sûre que ça va ?
– À vrai dire, j’sais pas. » murmura t-elle. « Je suis désolée, j’ai pas écouté. Que doit-on faire ? Quelle est la situation ? »
Elle entendait la voix de Warin au loin qui donnait des ordres depuis la grande place.
« De ce que j’ai compris, plusieurs Sylènes se cachent dans le village. Ils ont blessé plusieurs veilleurs, dont Wilfrid. On doit rejoindre le groupe sur la grande place pour prendre nos ordres, les autres ont déjà avancé.
– Merde. Comment va Wilfrid ?
– Il a une vilaine morsure, mais il s’en remettra. » fit une voix derrière eux.
Dynia s’approcha, l’épée à la main et le visage sombre.
« C’est lui qui a donné l’alerte. Personne n’était préparé à ça et c’est le chaos. On ne sait pas combien de Sylènes se sont introduits dans le village, mais chaque veilleur qui s’est retrouvé seul face à eux s’est fait attaquer sauvagement. Wilfrid est le seul conscient, les autres sont dans un état critique. » expliqua Dynia. « On les a réunis sur la grande place et ton aide serait la bienvenue. Tu sais stopper la perte de sang, c’est ça ?
– Oui, bien sûr ! J’y vais immédiatement.
– Parfait. Je vais t’accompagner. » affirma Dynia. « Quant à toi David, si tu veux te rendre utile, tu ferais mieux de te dépêcher de rejoindre le groupe de Lothar. Ils sont au sud du village et regroupent les habitants. Et surtout, ne reste pas seul, les patrouilles se font en groupe de trois minimum. »
David hocha la tête.
« Et si je croise un Sylène en chemin ? Je fais quoi ?
– Tu cours le plus vite possible. » répondit Dynia. « Ne tente rien, tu ne ferais pas le poids. »
Dynia et Tyra le laissèrent alors. David resta seul quelques secondes à regarder dans le vide avant de soupirer.
« Putain de nuit de merde. »
Mais alors qu’il contournait la grande place pour rejoindre Lothar, il remarqua une forme recroquevillée dans l’ombre. Une forme cornue. David fit un pas en arrière, prêt à s’enfuir, lorsqu’il reconnut la personne.
« Oh bordel, Gahan ? »
Elle était blessée et haletait. En y regardant de plus près, David remarqua que le sang n’était pas le sien. Mais un liquide ambré qui ressemblait étrangement à de la sève coulait de ses blessures en se mêlant au rouge du sang.
« Je vais chercher Tyra, ne bouge pas. Euh merde, elle ne doit pas comprendre. Pas bouger ? Ami, pas bouger, rester cacher, Tihiran ? »

Après avoir couvert Gahan de sa cape, David l’avait laissée seule pour rejoindre la grande place. Il s’était faufilé à la recherche de Tyra, tentant de se cacher pour ne pas se faire repérer par Dynia ou Warin.
Il ne voulait pas subir de reproches pour ne pas avoir suivi les ordres. Et s’il leur révélait la présence de Gahan, elle se ferait aussitôt tuer. Il n’en avait aucun doute.
Alors, dans l’immédiat, il n’avait aucune envie de croiser leur chemin.
Il trouva rapidement Tyra. Elle était assise par terre, occupée à aider les blessés à l’aide de sa magie. David resta caché derrière une caisse et écouta ce qu’il se passait.
« Je ne peux pas les guérir, mais j’ai stoppé l’hémorragie comme je peux. » fit Tyra. « Ça ira ?
– C’est parfait. Warin a envoyé quelqu’un chercher le soigneur, il ne devrait plus tarder. »
Tyra soupira, visiblement soulagée. Elle ajouta à voix basse :
« J’crois que les Sylènes qui les ont attaqués ont fait attention à pas toucher d’organe vital.
– Balivernes. C’est juste un coup de chance. » siffla Dynia. « Reste auprès d’eux, je vais voir si Warin à des nouvelles. »
La femme s’éloigna et David profita de l’occasion.
« Psst ! Tyra !
– Quoi ? »
Tyra releva la tête, cherchant d’où venait le bruit. Il lui fallut quelques secondes pour apercevoir David non loin, à demi caché derrière un tonneau.
« David ? » chuchota-t-elle. « Qu’est-ce que tu fais là ?
– On à un problème. Gahan est dans le village et blessée.
– Quoi ?!
– Chut ! Tu vas me faire repérer.
– Pardon. » s’excusa Tyra en baissant la voix. « Où est-elle ? C’est pas trop grave ? Ma pauvre Gahan…
– Elle n’est pas loin. Je l’ai vue sur le chemin des cuisines, près du cellier. Je l’ai cachée sous ma cape, mais si quelqu’un passe par là…
– D’accord. » Tyra regarda autour d’elle avant d’ajouter : « Fais-la entrer dans le cellier, j’vous rejoins dès que possible. Je vais inventer une excuse pour m’absenter, si je pars sans prévenir j’vais avoir des ennuis. »
David hocha la tête avant de repartir. Il retrouva rapidement Gahan, qui n’avait pas bougé. La Sylène était toujours sous sa cape et l’attendait les yeux écarquillés.
« Tihiran ? » demanda-t-elle. « Tihiran ? »
David inspira avant de répondre dans un Vieux-nordan approximatif :
└ Tihiran arrive. Tu dois me suivre. ┐
La Sylène opina et se leva pour lui emboîter le pas, sans plus poser de questions. Elle semblait épuisée, à bout de force.
David poussa la porte du cellier et la fit entrer. Il la referma aussitôt et s’y adossa en fermant les yeux. Quel cauchemar !
Gahan quant à elle s’était assise par terre et regardait le plafond. Elle marmonnait dans sa langue, l’air perdu. Plusieurs minutes passèrent avant que quelqu’un ne toque à la porte.
« David, c’est moi. » fit Tyra de l’autre côté.

« Gahan ! » fit Tyra en entrant dans le cellier. Elle se précipita aussitôt vers la sylène et l’étreignit les larmes aux yeux.
« J’ai eu si peur pour toi. » souffla t-elle. « Pourquoi tu es venue au village ? T’aurais dû rester dans les souterrains !
– Tihiran partir, Gahan seule. Tihiran mort aka Nahen ?
– Je suis désolée. Je voulais revenir, mais on m’en a empêché. » mumura t-elle. « Et je ne sais même pas comment te le dire pour que tu comprennes… Pardonne-moi… »
Gahan secoua la tête. Elle ne saisissait peut-être pas les mots de la jeune femme, mais elle voyait ses larmes. Elle les essuya du bout des doigts en souriant. Tyra remarqua alors que la main de Gahan tremblait.
« Oh Gahan… Tu es blessée. Laisse-moi voir ça. »
Elle se pencha vers la Sylène et la regarda attentivement.
« Tu as vu ? » fit David en s’approchant. « Je crois que c’est de la sève qui coule de ses plaies.
– Oui, tu as raison. » répondit Tyra, stupéfaite. Elle effleura du bout du doigt l’une des blessures de Gahan, qui frissonna. « Merde.
– Quoi ?
– Je suis une mage du sang, pas de la terre. Je ne peux rien faire. »
David grimaça. Voilà qui compliquait les choses. Gahan ne pourrait pas tenir éternellement dans cet état.
« Qu’est-ce qu’on fait ?
– Elle ne peut pas rester dans le village, elle va se faire tuer. » répondit Tyra. « Vu le nombre de personnes qu’elle a blessé, ils ne vont pas lui faire de cadeau.
– On peut essayer de la ramener dans les souterrains ?
– Tu plaisantes ? Entre les souterrains et nous, il y a tout un territoire bourré de Veilleurs expérimentés aux aguets. C’est trop dangereux d’aller par là bas.
– Et si on en parle à Söl ?
– Non. Toute cette putain de situation est d’sa faute ! » grogna Tyra. « Si elle m’avait écouté, on n’en serait pas là. »
David soupira. D’une certaine manière, Tyra avait raison. Il comprenait sa colère.
« Je vais tout faire pour t’aider ma belle. J’te le promets. » fit Tyra en caressant le visage de Gahan. Elle se redressa et dit à David : « Je connais quelqu’un à la surface qui fait de la magie élémentaire de la terre. Il pourra peut-être la soigner.
– Mais l’entrée de la Citrouille est gardée, comment tu veux la faire sortir ?
– Y’a d’autres passages, comme celui qui mène à la forêt. Aucun veilleur l’emprunte et il est coupé du territoire des Sylènes. Je pense qu’avec le chaos dans le village, personne l’surveille. On pourrait s’enfuir par là.
– Tu veux vraiment amener Gahan à la surface ?
– Dans la forêt, elle sera dans son élément. Il faudra juste qu’elle tienne le temps que j’aille chercher mon ami. J’pense que c’est possible. »
Tyra et David échangèrent un regard. Ce n’était peut-être pas la meilleure solution, mais ils n’avaient pas d’autre idée et pas assez de temps pour réfléchir à autre chose.
« D’accord. » répondit David. « Tu guides Gahan à la surface pendant que moi je vais faire diversion. Je vais dire aux veilleurs que j’ai aperçu un Sylène de l’autre côté du village.
– Merci David. »

Tyra et Gahan parvinrent à se faufiler hors du village sans être vues. Elles avaient manqué de peu de se faire repérer par une patrouille, mais avaient réussi à temps à se cacher.
Tyra avait vu juste : les veilleurs avaient concentré leur attention sur le village et le chemin vers les souterrains.
Alors lorsqu’elles furent loin, sur le sentier dont elle avait parlé à David, elles ne croisèrent plus personne. C’est à peine s’ils y trouvaient des signes de vie. Personne ne passait jamais par ici. C’était un couloir extrêmement long et sombre qui conduisait à la surface après une marche interminable. Comme ce chemin menait directement dans la forêt du roi, ils évitaient de s’y rendre.
Tyra l’empruntait parfois lorsqu’elle voulait rejoindre les bois et s’y ressourcer, mais le trajet l’en dissuadait la plupart du temps. L’absence de végétation des souterrains et de présence du village en faisait un lieu où il était dur de voir où l’on marchait.
Tyra se félicitait d’avoir pris sa lanterne.
« Tihiran… » fit la voix de Gahan derrière elle, faisant sortir Tyra de ses pensées. « Gahan leawatih. »
Elle se retourna et vit Gahan arrêtée, le visage blême. Elle tenait toujours sa blessure au torse, que Tyra avait bandé avec ce qu’elle avait trouvé avant de quitter le cellier.
« On est bientôt arrivées. Tiens bon. » fit Tyra en lui prenant le visage. Elle lui déposa un doux baiser sur le bout des lèvres. « Tu as confiance en moi ?
– Gahan confiance Tihiran. » répondit la Sylène, qui n’avait compris que ce mot.
Elle hocha la tête avant de se redresser légèrement pour suivre de nouveau Tyra. Chacun de ses pas était lent et paraissait difficile.
Tyra frissonna. Plus elles avançaient, plus Gahan semblait souffrir de ses blessures. Elle devait se dépêcher de trouver comment la soigner ! Mais Tyra cachait son inquiétude sous un grand sourire enthousiaste pour ne pas inquiéter Gahan.
Les deux femmes continuèrent leur long trajet avant de finalement parvenir à une vieille échelle de bois. Elles grimpèrent, Tyra aidant Gahan du mieux qu’elle pouvait.
Même si le couloir était en pente et les avait déjà beaucoup rapprochés de la surface, il restait encore beaucoup à monter.
Lorsqu’elles arrivèrent enfin en haut, dans une série de tunnels à l’allure de mine, Tyra ferma les yeux. Elle sentait l’air de la surface parvenir jusqu’à elle. Elles n’étaient plus très loin ! Il devait maintenant faire jour.
« Enfin de l’air frais ! » s’extasia Tyra en sortant, soulagée. Elle inspira profondément avant de se retourner vers Gahan en souriant. « Oh, mais j’y pense, tu n’as jamais vu le soleil non ? C’est beau, hein ? »
Tyra perdit alors son sourire.

Tyra perdit son sourire. Dans l’obscurité, elle n’avait pas remarqué, mais la peau de Gahan avait changé. Maintenant qu’elle était illuminée par la lumière du jour, il était impossible de le manquer.
C’était comme si elle était recouverte d’une fine couche d’écorce. Gahan s’avança à l’entrée du passage, son doux visage éclairé par les rayons de soleil. Elle tendit la main, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés.
Et elle s’arrêta de bouger.
Figée dans son geste.
« Gahan ? » fit Tyra, perdue. « Gahan ! »
Tyra se précipita vers elle et posa la main sur son bras. Elle sentait sa peau durcir sous ses doigts.
« Tihiran.. »
Elle avait prononcé son nom dans un dernier souffle. Et soudain, Gahan ne respirait plus.
« Non, non, non c’est pas possible ! » paniqua Tyra, en tentant de secouer son amie. Mais elle ne bougeait plus.
Gahan était devenue une statue de bois.
Tyra s’écroula à ses pieds en sanglotant.

Plus aucune attaque. Plus aucune trace du moindre Sylène dans le village. Les veilleurs ne comprenaient pas ce qu’il s’était passé. Toute cette situation n’avait aucun sens.
« Ils se cachent peut-être pour mieux nous prendre par surprise. Il va falloir être prudent. » avait grimacé Dynia.
Grâce à Tyra, les blessés n’étaient plus en danger de mort. Le soigneur avait affirmé que sans son intervention, certains auraient pu y rester. Et dès que la situation s’était calmée, Söl avait repris le contrôle très rapidement. Elle avait donné des instructions pour sécuriser le village et permettre aux habitants de revenir.
Des patrouilles régulières, des rondes de veilleurs installés en hauteur aux points clés pour surveiller les rues… tout avait été mis en place en quelques heures.
Söl avait également ordonné à Soren d’épauler son cousin pour installer des sceaux directement dans le village.
« David. Je dois te parler. » fit-elle quelques heures plus tard, en s’approchant du jeune homme. « Suis-moi. »
David hocha la tête et lui emboîta le pas. Une fois à l’abri des oreilles indiscrètes, Söl grogna :
« Où est Tyra ? Que me cachez-vous ?
– Utilise tes dons de voyance. Lis dans mon esprit et tu le sauras. » répondit David.
Il était épuisé après cette nuit atroce et n’avait aucune envie de tout lui expliquer depuis le début. Son seul rêve à cet instant était de pouvoir retrouver sa hutte et dormir. Söl secoua la tête. Était-ce de la gêne qu’il décelait dans son regard ?
« Non. Dis-moi tout. »
David inspira. Il ferma les yeux pour réfléchir à ses mots, avant de se lancer dans son explication. La Sylène qui avait attaqué le village était Gahan, certainement inquiète de ne plus avoir de nouvelles de Tyra.
Il l’avait découverte blessée dans le village et avait aidé Tyra à la faire sortir à la surface pour trouver un moyen de la soigner. Il décida d’éviter de parler de l’ami de Tyra, sachant que dévoiler le secret des souterrains à un étranger au village était proscrit.
Depuis, Tyra n’était toujours pas revenue.
« Elle m’a expliqué qu’elle ne reviendrait sans doute pas au village avant plusieurs jours. » ajouta David en bâillant. « Le temps de soigner Gahan et de trouver une solution pour elle.
– Bon sang. » souffla Söl.
Elle s’adossa au mur et soupira.
« J’ai tout fait de travers. Je n’aurais jamais dû les séparer ainsi.
– Oui. » répondit David. « C'était une très mauvaise idée.
– Mais vous n’auriez pas dû amener la Sylène à la surface. » rétorqua Söl. « Qui sait-ce qu’il pourrait se passer si elle trouve le chemin vers la capitale et sème la panique. C’était totalement stupide. Vous auriez dû venir me voir !
– Alors on la fait revenir et on la ramène sur son territoire ?
– Non. Pas dans l’immédiat, c’est trop dangereux. Si quelqu’un nous surprend… Non, maintenant que le mal est fait, il nous faudra prier pour qu’aucun drame n’en découle. »
David hocha la tête. Söl ajouta, amère :
« Félicitations, Tyra a eu ce qu’elle voulait.
– Quoi ?
– Tu lui diras que tant que cette créature sera à la surface, elle sera chargée de la surveiller. En fin de compte, elles vont pouvoir rester ensemble. »

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