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- 26 - Apprendre à se connaître

  • bleuts
  • 1 nov. 2024
  • 42 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 déc. 2024

Partie 1 - Mot pour mot


Du côté de Öta, la vie suivait son cours. Le jour à l’hospice, la nuit au refuge.


Et depuis que Jol avait découvert que les deux chatons qui vivaient maintenant au refuge avaient du sang Nahr, il leur interdisait l’accès à sa chambre. Ils étaient sensibles à la magie et dévoraient ses feuilles.


Les chatons avaient donc hérité d’un panier dans la chambre d’Ambroisie. Mais rapidement, leurs miaulements incessants avaient manqué à Öta. Il s’y était habitué bien trop vite, et peut-être même attaché. Mais ça, jamais il ne l’avouerait à haute voix.


Lui ?

Aimer les chatons ?


Quelle drôle d’idée.


Certes, il lui arrivait de se faufiler dans la chambre d’Ambroisie pour jouer avec eux et les caresser, mais c’était simplement pour s’assurer qu’ils allaient bien. Des chats en bonne santé, voilà qui était plus efficace pour chasser les rats, non ?


Voilà. S’il jouait avec eux, c’était uniquement pour entretenir leurs muscles.



« Tu crois qu’elle va me recontacter ? » demanda Öta d’une petite voix, un soir où il était avec Ambroisie. « Tyra, je veux dire. »


La jeune femme se tourna vers lui, posa le chiffon qu’elle tenait et répondit :


« C’est au moins la cinquième fois cette semaine que tu me poses la question.

– Pardon. » marmonna Öta, en détournant les yeux. « Mais à ton avis ?

– Öta. Ma réponse n’a pas changé, je n’en sais rien.

– D’accord, pardon. »


Il y eut un petit silence, avant qu’Öta ne marmonne :


« N’empêche, elle savait bien y faire. »



La nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures lorsqu’Öta quitta le refuge. Ces derniers temps, il n’avait pas eu une minute pour lui. Même si la guerre contre le Sud était heureusement bien loin de la capitale et qu’ils n’en souffraient pas autant que d’autres cités, les tensions s’intensifiaient.


Comme le Sud était sous l’égide d’un roi abarian et que le peuple abritait de nombreux orians libres, la haine contre ces deux groupes s’était accentuée. Öta ne comptait plus le nombre d’orians qu’il avait dû soigner et aider ces derniers temps.


Quand il voyait ce que les humains pouvaient faire, il était rassuré de savoir David à l’abri chez son père, loin de la capitale et de ses soucis.


Même Ambroisie en avait été victime en se rendant à la boulangerie.


On lui avait interdit l’accès, lui arguant qu’elle faisait fuir les honnêtes clients. Depuis, elle envoyait toujours Jol à sa place. Les Etris étaient heureusement épargnés.


Mais en parlant de boulangerie, celle qui faisait les petits pains sudans que Petrus appréciait tant avait décidé depuis deux jours d’arrêter d’en proposer, de peur des représailles. Depuis, l’homme était grognon. Il aimait manger ce pain avec du bon fromage en rentrant de ses dures journées de travail. Comment survivre sans sa dose de réconfort ?


En repensant aux grognements frustrés de Petrus, Öta secoua la tête avec amusement. Il s’engouffra dans les ruelles obscures, le visage caché sous sa capuche. Ce soir, il profitait de l’accalmie pour se rendre à la taverne où il avait dansé avec Tyra. Ne sachant pas comment la recontacter, il espérait que quelqu’un pourrait l’aider.


Ou peut-être pourrait-il la croiser ? Tyra avait insinué lors de leur soirée qu’elle s’y rendait souvent. Öta avait donc un peu d’espoir.


Mais ce soir-là, il n’y avait aucune trace de la jeune femme. Öta se posa à une table et commanda à boire. Il sympathisa avec une serveuse qui lui plaisait bien, mais fut fort déçu en apprenant qu’elle était fiancée.


Quel dommage !


En discutant avec le tavernier, il apprit que Tyra était effectivement une habituée et qu’elle venait parfois le soir. Personne ne connaissait son nom ni ne savait d’où elle venait. Mais elle était néanmoins appréciée en ce lieu.


« Si elle revient, vous pourriez lui transmettre un message de ma part ?

– Bien sûr, j’dois lui dire quoi à ta p’tite donzelle ?

– Dites lui mot pour mot : "Dans une semaine, rendez-vous sous le pont où l'on s'est quittés." Je pense qu'elle comprendra.

– Pas d’problème mon gaillard, j’ferais l’oiseau messager si elle passe par là. »


Öta le remercia, espérant que Tyra se montrerait à la taverne d’ici là. Il comptait bien y revenir la veille du rendez-vous pour savoir si elle avait reçu son message.



Lorsqu’Öta retourna à la taverne quelques jours plus tard, le tavernier lui confirma que Tyra était passée rapidement la veille. Elle avait beaucoup bu et joué aux dés avec d’autres habitués.


« J’ai transmis l’message à ta donzelle. J’pense qu’elle a bien b'soin d’un p’tit remontant, la petiote à d’la chance aux dés, mais hier elle d’vait être distraite parce qu’elle a perdu plusieurs fois.

– Oh. Elle joue souvent aux dés ?

– Ah ça ouais, et elle s’débrouille vraiment bien pour dépouiller les gars. Et aux cartes aussi, j’sais pas comment elle triche, mais c’est propre. »


Öta nota l’information, se demandant si elle accepterait de lui apprendre quelques astuces de jeu. Ce n’était pas faute d’avoir essayé contre Petrus et Jol, mais il n’arrivait jamais à tricher. Son expression coupable le trahissait à chaque fois.


« Et elle a réagi comment à mon message ? » s’enquit Öta, curieux. « Elle vous a dit si elle allait venir ?

– J’sais pas, elle m’a remercié puis m’a d’mandé une cervoise bien fraiche. J’ai pas posé d’question, ça m’regarde pas. Mais t’as l’air d’lui plaire.

– D’accord, merci. » soupira Öta. « Je veux bien une petite cervoise moi aussi. »



Öta avait eu une idée dont il était très fier.


Depuis quelques jours il ne cessait de se demander comment remercier Tyra pour les petits dessins qu’elle avait glissés sur son bureau. Lui aussi voulait lui offrir un modeste présent fait main, mais il n’avait pas eu d’inspiration jusqu’au jour du rendez-vous.


Mais l’idée lui avait soudain sauté aux yeux : et s’il lui offrait des fleurs ? Après tout, le livre que Tyra lui avait dérobé et dont elle s’était servie comme modèle pour ses dessins traitait de plantes !


Elle devait donc forcément les aimer ?


Et ça tombait bien, Öta était vraiment doué pour faire pousser des plantes et était capable de créer de jolies fleurs à partir de sa magie. Utiliser de la magie, c’était comme faire quelque chose à la main, non ?


Il avait donc décidé de lui faire un petit bouquet avec celles qui sentiraient le plus bon et dont les couleurs pourraient éclairer son regard.


Une fois que tout fut prêt, il se faufila hors du refuge sans se faire voir, n’ayant pas envie d’être surpris par Ambroisie. Il l’entendait déjà se moquer de lui en voyant ses fleurs.


« Pour un garçon qui ne veut pas de relation sérieuse, tu t’impliques énormément ! »


Humpf ! Pas du tout ! C’était juste pour la remercier.


Il s’enfonça dans l’obscurité, un petit sourire impatient sur les lèvres. S’il y à bien une chose que Öta adorait, c’était faire des cadeaux et en recevoir.



Öta était venu en avance. À cette heure-ci, il n’y avait plus beaucoup de monde dans les rues et comme il pleuvait très légèrement, il se félicitait d’avoir donné rendez-vous à Tyra sous le pont.


Car bien que l’humidité ne le dérangeait pas, sa région natale étant la plus pluvieuse et brumeuse du royaume, il n’avait pas envie d’abimer sa belle coiffure.


L’heure du rendez-vous arriva et Öta soupira. Il doutait. Il s’était fait beau, mais de manière beaucoup plus « féminine » que la dernière fois. Il avait ressenti le besoin d’être coquet, lui qui n’en avait pas souvent la possibilité avec son travail.


Mais, et si elle n’aimait pas ?

Non. Il ne devait pas y penser !


L’heure continua d’avancer, mais aucune trace de jeune femme. Elle était en retard. Il tourna en rond, serrant ses fleurs contre lui. Leur parfum était doux et apaisant. Et il sentait sa magie pulser en elles.


C’était agréable, mais insuffisant pour le rassurer. Il était désespérément seul.



Öta attendit deux longues heures avant de se rendre à l’évidence : Tyra ne viendrait pas.


Comme si la déception de ce rendez-vous raté ne suffisait pas, une averse se déclara alors qu’Öta rentrait chez lui.


Il ne parvint malheureusement pas à s’abriter à temps. Détrempé, il courut jusqu’à la porte du refuge, peina à ouvrir la serrure sous la pluie battante et s’engouffra dedans. Hors de question qu’il ne ressorte après ça !


Une fois dans son bureau, il se délesta de ses habits mouillés et s’écroula sur son lit. Ses cornes cognèrent contre le mur et il couina de douleur. Il se redressa pour attraper son oreiller et plongea le visage dedans, les larmes aux yeux.



« Et c’est pour ça que si un jour tu as des papillons dans le ventre en pensant à une fille, tu dois fuir très loin.

– Des papeuyons ? Mais za ze mange pas, za peut pas aller dans le ventre ! »



« Et pi même que zi elle veut pas, z'épouzerai tonton Öta comme za zaurai des hiztoires tous les zoirs ! ! »



Quelques jours plus tard, Öta se rendit chez la grand-mère de Jol pour voir Alda et Élan. Depuis quelques temps, il leur rendait visite occasionnellement au plus grand plaisir de l'herboriste.


L’homme avait fini par comprendre qu’Öta avait besoin d’espace et qu’il devait juste lui laisser le temps pour renouer leurs liens. Öta le remerciait pour ça. Qu’Élan fasse cet effort le touchait et l’avait convaincu de faire aussi un pas en avant.*


C’est pour cela qu’environ une fois par semaine, il se rendait dans la grande maison de la vieille dame pour partager un moment avec ses amis. C’était aussi un moyen de se changer les idées après tout son travail au refuge et à l’hospice.


« Öta, tu tombes bien ! » s’exclama Alda ce jour-là en le voyant arriver. « Un homme est venu de Mortherbe avec toute une cargaison pour toi. On a tout monté dans l’ancienne chambre de Jol.

– Fantastique ! »


C’était la meilleure nouvelle de la semaine. Il attendait cette livraison avec impatience depuis si longtemps ! Sans attendre, Öta laissa son sac à l’entrée et se précipita à l’étage. Il entra dans la chambre et découvrit plusieurs coffres. Il les ouvrit et put constater qu’il s’agissait de ce qu’il avait attendu avec impatience.


« C’est quoi ? » fit Jol, dans l’embrasure de la porte.


Elle était toujours nerveuse lorsqu’il s’agissait de se rendre dans son ancienne chambre. Mais la curiosité était forte. Elle entra, tendue et hésitante.


« C’est des vêtements ? » demanda-t-elle. « Qu’est-ce que tu vas faire de tout ça ?

– Ce sont les tenues et bijoux que je portais quand j’étais plus jeune. J’ai demandé à mon père de me les faire parvenir. J’ai rencontré un marchand qui est intéressé pour m’en racheter à bon prix.

– Tu veux les vendre ?

– Oui, pour le refuge. »


Öta sourit, gêné. Il expliqua :


« Je ne voulais pas demander d’aide financière à mon père, du moins pas directement de l'argent, mais si on veut acheter plus de médicaments et améliorer les conditions de vie au refuge il nous en faut. Alors je me suis dit que je pourrais me séparer de mes anciennes affaires. Je lui ai demandé de me les envoyer pour que je puisse les revendre.

– Oh, je vois. »


Jol se pencha vers les coffres, admirant les beaux tissus qui s’y trouvaient. Öta sortit un châle vert et siffla de plaisir :


« Oh, je me souviens de celui-là. C’est ma mère qui l’a tissé ! Je le portais tout le temps.

– Il est vraiment superbe. Je n’ai jamais vu un aussi beau vert.

– Tu veux farfouiller avec moi ? J’en ai pour un moment, j’avais une sacrée garde-robe. »


Jol sourit et s’assit à côté d’Öta. Elle se sentait déjà plus détendue, contaminée par la bonne humeur du jeune homme. Elle toucha une étoffe du bout des doigts, émerveillée. Depuis qu’elle était libre de porter ce qu’elle voulait, elle redécouvrait le plaisir des beaux vêtements.


« Si quelque chose te plait, je te l’offre. »


Jol tourna la tête vers Öta, touchée.


« Vraiment ?

– Oui, bien sûr ! »



Öta et Jol avaient passé des heures à fouiller dans les coffres ensemble, admirant les vêtements avec enthousiasme. Cette dernière avait enfilé plusieurs des robes d’Öta, se prenant au jeu. Elles étaient si belles ! Un peu trop longues, certes, mais si jolies !


« Je nage dedans ! » avait ri Jol en essayant une robe d’un doux vert mousse qui était beaucoup trop grande pour elle. « Mais au moins, elle est confortable !

– Essaye la avec le serre-taille, comme ça on tend le tissu derrière et on le coince à l’intérieur.

– Mais ce ne sera pas beau de dos ?

– On s’en fiche, c’est juste pour tester. »


Alda était montée un peu plus tard dans la soirée, curieuse de voir ce qu’ils faisaient. Elle n’avait pas pu se retenir de rire en voyant le désordre. Les robes et accessoires étaient étalés partout par terre et sur le lit. Le sol n’était même plus visible !


« Il y en a qui s’amusent par ici. » commenta-t-elle depuis l’embrasure de la porte, faisant rougir sa fille de gêne. « Je sens que vous n’allez pas descendre de sitôt. Je vous apporte du thé et des biscuits ?

– Oh oui, merci maman !

– Merci Alda. »



« Et sinon, ça se passe comment avec ton amoureux ? » fit Jol, la bouche pleine de biscuits. « Vous vous êtes revus ?

– Hein ? »


Jol but une gorgée de thé avant d’expliquer :


« Bah t’avais eu un rendez-vous avec un garçon le mois dernier non ? C’était après notre sortie à la bibliothèque. J’ai gardé le secret, comme je t’avais promis.

– Quoi ? » s’étouffa Öta. « Mais non ?! »


Il toussa, ayant avalé de travers sous la surprise. Jol se faufila derrière lui et tapa dans son dos pour l’aider. Une fois son souffle repris, il grogna :


« Je t’ai déjà dit, c’était une femme ! Et c’était rien de sérieux, on se voit pour le plaisir.

– Vous ne vous êtes pas revu alors ? » demanda Jol, déçue de voir capoter la belle histoire d’amour qu’elle imaginait. « Même pas une fois ?

– J’aurais bien voulu, je lui ai donné rendez-vous, mais elle n’est pas venue.

– Quoi ? Comment ça ? »


Öta lui expliqua alors les derniers événements. La façon dont il avait cherché à la contacter à la taverne car elle ne lui avait laissé aucun indice, le message et le rendez-vous seul sous les flots.


« Et tu es sûre qu’elle a eu ton message ?

– C’est ce que m’a affirmé le tavernier en tout cas. Il lui a transmis mot pour mot. »


Jol, intriguée par cette histoire, répéta :


« Mot pour mot ?

– Oui, et alors ? Quel est le problème ?

– Bah si tu lui donnes rendez-vous dans une semaine, mais qu’elle a le message quelques jours plus tard, ça ne vous donne plus la même date. Non ? »


Öta ouvrit la bouche, puis la referma. C'était idiot. Ça ne pouvait pas être ça. Non ?


« C’est pour ça qu’il faut donner de vraies dates ! » souffla Jol, amusée. « Et après ça ose dire que les filles sont cons. »


Öta ne répondit pas. Si Jol avait raison, alors Tyra serait sur le pont…


« … ce soir ! Et merde ! »



Installés confortablement l’un contre l’autre dans le canapé et réchauffés par la chaleur de la cheminée, Alda et Élan lisaient tranquillement un livre en amoureux lorsqu’ils entendirent quelqu’un dévaler les escaliers. Öta passa à toute vitesse, suivi d’une Jol hilare qui trottinait derrière lui.


Alda haussa un sourcil.


« Öta ?

– Je suis désolé, je dois y aller ! Merci pour le thé, il était très bon. »


Et sans leur laisser le temps de comprendre, il sortit. Jol ferma la porte derrière lui avant de retourner dans le salon. Une expression inquiète s’était dessinée sur le visage de sa mère qui ne comprenait visiblement rien. Quelle mouche l’avait donc piquée ?


« Que se passe-t-il ? » demanda Alda à sa fille, en se levant. « Rien de grave j’espère ?

– S’il court comme ça, c’est forcément pour retrouver une jolie fille. » affirma en retour Élan, sans laisser le temps à Jol de répondre. « J’ai raison ?

– Peut-être bien.

– Ah, les hommes… » fit Alda en levant les yeux au ciel.


Élan s’approcha d’elle et posa les mains sur sa taille pour la tirer contre lui. Il plongea son nez dans son cou et murmura :


« On retourne lire ? C’est le meilleur moment, je suis sûr que le chevalier va avouer ses sentiments à la princesse à la fin du chapitre.

– Oui oui. » rit Alda. « Retourne t’installer, je vais me resservir une tasse de thé et j’arrive. »



Öta traversa la cité d’un pas rapide. Le pont où il avait donné rendez-vous à Tyra était à l’autre bout de la ville et la nuit était déjà tombée depuis longtemps. Si la jeune femme venait effectivement ce soir, elle ne devrait plus tarder. Öta avait peur d’être en retard.


Et s’il faisait mauvaise impression ? Et si elle repartait avant qu’il n’ait pu la rejoindre ?


Il était frustré d’y aller sans être aussi bien apprêté que la dernière fois, mais il se rassurait en se disant qu’au moins il ne portait pas la vieille chemise de lin tachée de sang qu’il avait trainé la veille.


Malgré son tablier, ses vêtements finissaient souvent par souffrir de son travail. Recoudre des gens, c’était salissant.


Öta arriva enfin au pont gris.


Il s’arrêta quelques secondes pour reprendre son souffle, avant de lever la tête et regarder autour de lui. Aucune trace de Tyra dans les alentours. Soudain, il entendit une voix venant du dessus.


« Lève la tête, idiot. »


Tyra était assise sur le bord d’un toit et agitait les pieds dans le vide. Elle sourit en croisant son regard.


« La vue est jolie d’ici. On voit bien le ciel. » fit la jeune femme d’une voix forte, en désignant la lune qui était particulièrement visible ce soir. « Tu m’rejoins ?

– Comment veux-tu que je monte là haut ?! » cria Öta, non sans être embarrassé de parler aussi fort pour qu’elle l’entende. « On à dit rendez-vous sous le pont, pas dessus ! »


Tyra haussa les épaules et s’exécuta. Elle descendit aisément en quelques secondes, aussi agile qu’un félin. Mais, si la gravité n’avait pas prise sur elle, ce n’était pas le cas de ses vêtements car son bonnet tomba.


Öta le ramassa et lui tendit lorsqu’elle arriva devant lui. Elle le renfila aussitôt, les joues roses. Face à face, ils se fixèrent quelques secondes sans vraiment savoir quoi dire, avant que Tyra ne brise le silence :


« Bon, on va où ?

– J’sais pas. » répondit Öta. « Tu as une idée ?

– Attends, tu m’donnes rendez-vous sans avoir de plan ? » s’esclaffa Tyra. « C’est quoi ça ?

– Je n’y ai pas réfléchi ? Je voulais juste te voir. »


Tyra s’arrêta net de rire.



« On peut aller à la taverne, j’en connais quelques-unes avec une bonne ambiance. » fit Tyra en réfléchissant. « Tu es plutôt hydromel ou bière ?

– J’ai plutôt envie de me promener. » répondit Öta. « On pourra boire plus tard ? Tu as des coins en ville à me faire découvrir ?

– À cette heure-ci ? Mes quartiers préférés sont mal famés et je risquerai de croiser des personnes que je n’aime pas. »


Öta hocha la tête. Il n’avait pas choisi la meilleure heure pour cette activité. Que faire ?


Pendant qu’ils réfléchissaient, il en profita pour regard la jeune femme. Elle ne portait pas de robe et était légèrement moins maquillée que lors de leur dernière rencontre, mais en y regardant bien on pouvait voir des petites traces de maquillage effacé au coin de ses yeux.


Öta connaissait ça. Elle avait sans doute tenté de se maquiller plusieurs fois, insatisfaite du résultat.


« Öta ? Arrête de rêvasser et donne-moi des idées. Qu’est-ce que tu veux faire ? »


Il sourit et s’approcha d’elle. Il glissa les mains sur la taille de Tyra et murmura :


« Moi ? À ton avis ?

– Non merci. »


Elle le repoussa et s’éloigna, tandis qu’Öta plissait le nez de déception. Au moins, il avait essayé.



« Oh, je sais ! » fit Tyra.


Ils avaient avancé jusqu’aux quais et l’idée lui vint en admirant les oiseaux barboter sur l’eau.


« Tu aimes la nature, non ? Et si on allait en forêt ? Au moins, on sera tranquille toute la nuit.

– En forêt ? » répondit Öta, sans comprendre. « Mais ce n’est pas un lieu de rendez-vous ça ! Et nous n’avons pas le droit d’y aller, elle appartient au roi.

– Comme si ça te gênait ? » gloussa Tyra. « « Sieur braconne et fait la vierge effarouchée après ?

– Comment tu sais ça ? Les gens du refuge te l’ont dit ? » répliqua Öta, une pointe de peur dans la voix.


Il ne manquait plus que ça ! Il n’avait aucune envie que ça se sache, il tenait à garder sa tête et ses membres le plus longtemps possible. Etre décapité ou mutilé pour braconnage, ce n’était pas dans ses objectifs.


« Mais non, j’ai vu ton arc dans ton bureau. Et comme au refuge ils m’ont dit que c’est toi qui fournis la viande, j’ai vite compris. T’as beau bien parler, j’pense pas qu’t’ai le droit.

– Ne le dis à personne.

– T’en fais pas, j’aime bien chasser aussi. Allez, j’ai envie d’une balade en forêt ! En plus, je connais un coin sympa qui va forcément te plaire. »


Öta hésita, avant de répondre.


« Pourquoi pas ? C’est… original.

– Avant d’y aller, on passe au refuge chercher ton arc ? Je veux te voir l’utiliser, s’il te plait ! Tu me feras une démonstration. »


Öta accepta et la suivit, ne sachant pas quoi répondre. C’était vraiment le rendez-vous le plus saugrenu de sa vie. Et il n’arrivait pas à définir s’il trouvait les idées de Tyra idiotes ou géniales.


Ils traversèrent le quartier en discutant joyeusement, quittant les quais pour se rendre au refuge. Tandis qu’Öta ouvrait la porte et s’engouffrait dans le bâtiment caché, Tyra grimpa sur un muret pour regarder le ciel. Elle se sentait bien ce soir, légère et heureuse.


Öta traversa la cour, qui était presque déserte à cette heure-ci, pour rejoindre son bureau. Sur le chemin, la porte de la réserve lui donna une idée et il hocha la tête pour lui-même, satisfait.


Une fois dans son bureau, il se pencha pour tirer la malle qui se trouvait sous son lit.


Il fouilla dedans durant quelques minutes, hésitant sur les vêtements chauds à porter. Il avait froid depuis qu’il avait quitté Jol et une escapade dans la forêt nécessitait d’être un peu plus couvert.


Il vit alors un de ses châles en laine qui était d’une teinte proche de celle de l’écharpe de Tyra et sourit. Parfait ! Ils s’accorderaient comme ça. C’était tout de même plus joli que le gilet en croute qu’il portait pour chasser.


Une fois couvert, il attrapa une gourde, une lanterne, puis son grand sac qu’il vida. Öta tourna ensuite la tête vers son arc, et hésita. Devait-il vraiment le prendre ? Il n’avait pas envie de s’encombrer avec et chasser à cette heure ci ne l’intéressait pas.


« Elle s’en remettra. » marmonna-t-il en se détournant de l’arme.


Il attrapa tout de même sur son bureau une des flèches qu’il avait fabriquée récemment, avant de mettre son sac sur son épaule et quitter la pièce.


En chemin, il se rendit dans la réserve. Avec un chiffon, il enveloppa de la viande séchée et du fromage qu’il fourra ensuite dans son sac. Il remplit également la gourde d’hydromel avant de quitter la pièce.


Lorsqu’il retrouva Tyra, elle descendit de son muret.


« Bah alors, t’as fait quoi de ton arc ?

– J’ai pas envie de le prendre.

– Oh…

– Mais tiens, je t’offre une jolie flèche que j’ai faite hier. C’est pour te remercier des dessins. Je sais que ça vient de toi. »


Öta lui tendit l’objet avec crainte. Il n’avait jamais fait de cadeau aussi incongru à quelqu’un. Mais Tyra n’était pas n’importe qui. Elle était plus étrange de toutes les personnes qu’il n’avait jamais rencontrées. Et c’était ça, son originalité, qu’il appréciait chez elle.


C’était la première fois qu’il se faisait une amie aussi décalée que lui. Tyra prit la flèche et la serra contre elle, les yeux brillants.


« Merci.

– Bon, je dois t’avouer qu’à l’origine je comptais t’offrir un bouquet de fleurs. Mais il n’a pas survécu jusqu’à notre rencontre. » ajouta Öta en haussant les épaules, embarrassé.


Tyra secoua la tête.


« Tu sais, dans ma culture les flèches ont de nombreuses symboliques très fortes. Je les aime beaucoup, j’en ai même une d’encrée sur le mollet.

– Sur le mollet ? Je ne l’ai même pas remarqué.

– Il faut dire que quand tu m’as déshabillée, c’était pas mes mollets qu’tu voulais voir. » rétorqua Tyra.


Öta éclata de rire avant de lui prendre la main.


« Allez ! On y va ? »



Partie 2 - Promenons nous dans les bois...


Tandis qu’ils avançaient dans la forêt pour rejoindre l’endroit où Tyra voulait emmener Öta, ils discutèrent joyeusement. Öta ne put s’empêcher de commenter la tenue de Tyra, qu’il trouvait jolie. Elle sourit et affirma :


« Tu m’invites, me fais un cadeau et me complimentes… Si j’te connaissais pas, j’pourrais croire que tu me courtises. Tombe pas amoureux de moi, hein.

– Parle pas de malheur. »


Tyra perdit son sourire et tourna la tête vers lui. Elle fronça les sourcils, vexée, et répéta :


« De malheur ?

– Après, si tu n’aimes pas les compliments je maîtrise beaucoup d’insultes. » rétorqua Öta en l’ignorant. « Je connais des femmes qui adorent ça. C’est très stimulant quand on…

– Fais ce que tu veux avec elles, mais au moindre mot de travers la prochaine fois qu’on couche ensemble, t’es un homme mort.

– Ah, parce que tu prévois déjà de repasser la nuit avec moi ? Intéressant.

– Je te déteste, tu le sais ça ? »



Ils avaient quitté depuis longtemps les sentiers, marchant sur un terrain abrupt et sauvage.


« C’est ici ! » s’exclama Tyra, tandis qu’ils atteignaient une zone assez difficile d’accès de la forêt. « On arrive à l’endroit que je voulais te montrer !

– Il était temps, mais j’espère qu’on saura retrouver notre chemin après.

– Mais oui, ne t’en fais pas. » affirma Tyra. « Regarde, c’est joli non ? »


Elle désignait un petit lac et une cascade, dont les rayons de la lune illuminaient l’eau cristalline. C’était magnifique. Le sourire moqueur d’Öta fut aussitôt remplacé par une expression émerveillée. Ses yeux brillaient, tandis qu’il se tournait vers Tyra.


« Tu avais raison, c’est superbe.

– Et tu n’as pas tout vu ! Suis-moi ! »


Ils firent le tour du lac pour atteindre la petite cascade. Tyra s’approcha alors des fourrés qui se trouvaient non loin et se faufila dedans.


« Attention, les branches piquent un peu. »


Curieux, Öta la suivit. C’était dense, mais il ne lui fallut pas longtemps pour passer au travers. Ils atteignirent une grotte derrière la cascade. Le bruit de l’eau et l’humidité dans l’air y étaient étrangement apaisants.


« Regarde ! C’est les mêmes symboles que ceux que j’ai vus dans ton bureau. Ça te plait ? »


Öta prit la lanterne qu’elle lui tendait et la leva devant lui. Il écarquilla les yeux. Tous les murs étaient recouverts de fresques et de peintures en partie effacées représentant des personnages sombres au dos vouté. Il se retourna et remarqua un immense bol de pierre au centre de la grotte. Il s’en approcha et murmura :


« Comment tu as réussi à trouver ça ?

– Y’a quelques années, le soir je trainais moins dans les tavernes qu’dans la forêt. J’ai découvert plein de lieux cachés, mais ils sont tous en ruine. » Elle hésita, avant d’ajouter : « Mais on est d’accord, c’est les mêmes symboles que ceux que j’ai vus sur ton bureau ?

– Oui et non. Je ne connais pas très bien ces symboles-là. Néanmoins tu aurais pu trouver plus joyeux comme lieu de rendez-vous.

– Comment ça ?

– Les personnages là, ce sont des esclaves.

– Des esclaves ? »


Öta sourit.


« On est dans un oenthu. » 




« Un oenthu ?

– C’est un mot de vieux-nordan, l’ancienne langue du Nord. C'est ma langue maternelle, on la parle encore là d'où je viens. »


Tyra fronça les sourcils, mais ne dit rien, tandis qu’Öta expliquait d’une voix claire et passionnée :


« J’en ai déjà vu quelques-uns en visitant des ruines anciennes à Morthebois, mais je ne savais pas ce que c’était. »


Ses yeux brillaient lorsqu’il parlait. Le sujet lui plaisait beaucoup.


« J’ai découvert le nom et le sens récemment en étudiant à la Grande Bibliothèque.

– Et c’est quoi au juste ?

– C’est compliqué. »


Öta se tourna vers le mur pour admirer les fresques tout en continuant :


« On pense que c’est là que les ogres asservissaient les humains autrefois. Ils faisaient couler leur sève dans ce récipient et les forçaient ensuite à le boire. Ça établissait un pacte entre eux.

– Les ogres ? » souffla Tyra.


Öta opina.


« Tu sais ce que c’est ?

– J’en ai entendu parler. Continue. C’était quoi ce pacte ?

– Si l’ogre mourait, ses esclaves aussi. Mais en contrepartie, tant qu’ils étaient en vie ils n’étaient plus victimes du temps. Et il était impossible pour eux de s’enfuir, une sorte de lien invisible les liait.

– De la magie du sang ?

– Je pense. »


Tyra se mordit la lèvre. Elle regarda autour d’elle d’un air soucieux, avant de se tourner de nouveau vers Öta.


« Tu as l’air de vraiment t’y connaitre. Tu crois qu’tu pourrais m’en dire plus sur les ogres et tout ça ? Je suis curieuse.

– Oh. Avec plaisir ! »



Le visage d’Öta s’illumina. C’était la première fois qu’il rencontrait quelqu’un qui montrait plus de curiosité que de dégout à l’évocation de ce sujet qui le fascinait tant. Ça lui manquait souvent de raconter ses histoires à David. À la capitale, c’était un sujet que l’on n’abordait pas et ça faisait qu’Öta se sentait souvent seul. Différent.


« Ça te vient d’où cette envie d’étudier tout ça ? » demanda Tyra. « C’est quand même original comme passe-temps.

– C’est un sujet assez tabou, mais ma religion était autrefois pratiquée par les ogres. C’était leur religion à eux avant qu’on ne se l’approprie. » Tyra hocha la tête, l’invitant à continuer. « Ce n’est pas fascinant ? Malgré le mal qu’ils ont fait à nos ancêtres, nous faisons perdurer leurs croyances.

– Et ça n’te gêne pas de prier leurs Dieux ?

– En fait ce ne sont pas des dieux, plutôt des déesses.

– J’en ai entendu parler. Les Abondes, c’est ça ? Et vous les dessinez sur des rochers que vous appelez des moenias ? »


Öta resta silencieux, fixant Tyra avec stupeur. Embarrassée par son regard, elle sentit ses joues rougir et se gratta la joue.


« Ça ne va pas ? J’ai dit quelque chose de mal ? Je me suis trompée ?

– C’est juste que… non, rien. »


Il fit un sourire gêné avant de continuer :


« Tu as raison. Abonde et Moenia. Tu sais autre chose ?

– Pas vraiment. Mais tu peux m’en parler si tu veux, ça m’intéresse vraiment. Dis-moi absolument tout. Ta culture, les ogres, les esclaves, l’histoire du royaume… je veux tout savoir. »


Öta hésita, avant de répondre. Il était si étonné par la curiosité de Tyra à ce sujet qu’il en avait perdu ses moyens.


« Si… si tu veux, on pouvait se revoir ? » bredouilla-t-il en rougissant. « Je pourrais… te montrer la grande bibliothèque et… euh… des gravures ?

– Avec plaisir. Et comme ça, tu m’expliqueras tout ?

– Je… euh… oui bien sûr !

– Et on ira quand ? » insista Tyra. « Demain tu es libre ? »



« Et si on sortait ? » fit Öta quelques minutes plus tard, une fois les battements de son cœur calmés. « Ce n’est pas que je n’aime pas les grottes sombres et humides, mais j’ai bien envie de profiter de la jolie vue dehors. »


Ils firent le chemin inverse, se faufilant dehors. La lumière de la lune leur fit cligner les yeux, éblouissante en comparaison à l’obscurité de la grotte. Alors qu’ils contournaient le lac pour rejoindre un endroit où s’installer, le pied de Tyra se prit dans une racine.


« Aaah ! »


Se sentant chuter, elle voulut s’accrocher à Öta pour reprendre son équilibre. Mais ce dernier eut le réflexe de reculer d’un pas. Son geste la fit basculer en arrière. Tyra tomba alors sur les fesses, en plein dans l’eau froide.


« Aïe !

– Ça va ?

– Ouais, j’ai juste le cul détrempé. » grogna t-elle.


Öta lui tendit la main pour l’aider à se relever. Lui aussi avait vécu la désagréable sensation d’être détrempé récemment et il ne pouvait que compatir. Mais, il ne put s’empêcher de glousser :


« Chacun son tour.

– Hein ?

– Non rien. »


Et comme si ça ne suffisait pas, tandis qu’elle se redressait avec l’aide de Öta, sa main glissa. Elle retomba dans l’eau aussitôt.



Les vêtements maintenant mouillés, Tyra avait frissonné de froid en sortant de l’eau.


« Ça va aller ?

– J’ai pas trop l’choix. » marmonna Tyra.


Le tissu humide qui lui collait à la peau était une sensation très désagréable. Ils se dirigèrent vers un endroit plus dégagé. Tyra s’installa sur un tronc d’arbre avant de retirer ses gants et sa tunique. Pendant ce temps, Öta ramassait de quoi allumer un feu. Rapidement, ils furent réchauffés par la douceur des flammes.


« Ce n’est pas très discret, mais personne ne vient jamais par ici. On ne devrait pas croiser âme qui vive. » fit Öta. « Ça va mieux ?

– Un peu.

– Tiens. »


Öta retira son châle et lui posa sur les épaules. Il était chaud et doux.


« Merci. Il est drôlement joli, j’aime bien sa couleur. C’est presque la même que celle de mon écharpe.

– C’est pour ça que je l’ai mis.

– Quoi ? »


Tyra le fixa sans comprendre. Öta se gratta la joue et expliqua :


« Et bien, je trouvais ça bien que nos vêtements s’accordent. C’est peut-être bête, mais..

– Non pas du tout. C’est pas bête. » Tyra lui fit un immense sourire. « C’est mignon.

– Hm. »


Embarrassé, Öta se détourna. Il fixa le feu quelques secondes, avant d’entendre un bruit derrière lui. Le ventre de Tyra gargouillait.



Partie 3 - Différences de cultures


Assis l’un contre l’autre, Tyra et Öta discutaient en grignotant les quelques victuailles apportées par ce dernier. Il ne restait déjà presque plus rien, tous deux étant très gourmands.


« Allez ! Parle-moi de toi. » fit joyeusement Tyra, tout en sirotant l’hydromel.


Öta n’avait pas su lui reprendre, ne pouvant résister au plaisir de lui laisser toute la gourde pour la rendre heureuse. S’il en avait pris, c’était avant tout pour elle.


« Hum. Par quoi commencer ? » réfléchit Öta. « Mon nom complet est Öta de Morthebois.

– Öta de Morthebois. » répéta la jeune femme. « C’est joli. Je trouve ça beau d’avoir hérité du nom de là d’où tu viens.

– C’était une idée de mon père. Dans son pays, les enfants sont nommés selon le village où ils sont nés. » expliqua le jeune homme, heureux de pouvoir raconter cette anecdote. « Quand j’ai reçu mon nom complet à ma majorité, il a fait la demande pour que j’aie celui-là et ça a été accepté.

– Mais j’comprends pas. » répondit Tyra. « Recevoir un nom à rallonge à la majorité, c’est pas typique du culte éclaiste ? Je croyais t’étais d’une autre religion moi.

– C’est compliqué. Tout le pays est gouverné par les éclaistes, alors on doit se faire à leurs traditions. C’est plus une histoire de culture que de foi, tu vois ? »


Tyra hocha la tête, satisfaite de la réponse.


« Mais j’ai un autre nom. » ajouta Öta, piquant la curiosité de la jeune femme. « C’est Öta Herbemort. Je l’ai hérité de ma mère, qui l’a hérité de son père, et ainsi de suite.

– Herbemort ? Pourquoi ce nom ?

– Ma famille maternelle est originaire d’un village nommé Mortherbe. Ce nom, c’est celui que nous avons obtenu le jour où nous en sommes devenus les seigneurs.

– Les seigneurs ?

– Oui. »


Öta coupa un morceau de fromage qu’il dégusta sous le regard curieux et pressé de Tyra, avant de continuer :


« On parlait des Abondes tout à l’heure, tu te souviens ? Et bien, à vrai dire ma famille a passé un pacte avec l’une d’entre elles il y a très très très longtemps. Ce nom, c’est elle qui nous l’a donné lorsque nous avons scellé le pacte. »


Tyra se redressa, intriguée. Elle avait perdu son sourire et buvait les paroles du jeune homme.


« Un pacte ?

– Oui. En échange de la protection de l’Abonde, ma famille s’est engagée à toujours la servir. Tous les quinze ans, nous organisons une grande célébration à Mortherbe et le seigneur actuel doit offrir son sang pour renouveler le serment. Je l’ai fait l’an dernier.

– Tu as offert ton sang ?

– Oui, c’est une offrande de grande valeur. » répondit fièrement Öta. « Mais à ce qu’il parait, mes ancêtres sacrifiaient un doigt à chaque fois. Moi, je ne sais pas si j’aurais eu le courage à leur place.

– C’est étrange… »


Öta se raidit aussitôt, mal à l’aise. Il avait peur d’en avoir trop dit. Lorsqu’on leur en parlait, les gens ne comprenaient jamais. C’était une des raisons pour laquelle ces traditions restaient assez secrètes.


« Oh ! » réalisa Tyra en remarquant la gêne d’Öta. « Je ne voulais pas dire que c’était bizarre ! Je réfléchissais tout haut, c’est tout.

– Et à quoi tu réfléchissais ? » répondit Öta sur la défensive.


Tyra se mordit la lèvre.


« Cette histoire de pacte et de sang, ça m’intrigue. » elle regarda autour d’elle, comme pour s’assurer qu’ils étaient bien seuls, avant de chuchoter : « Tu pratiques la magie du sang ?

– Quoi ? Non ! »



Öta recula, mal à l’aise. Si toutes les formes de magie étaient interdites dans le Nord, certaines étaient tout de même mieux vues que d’autres. La magie du sang n’en faisait pas partie.


À l’instar de la magie noire, elle était considérée comme l’une des pires pratiques magiques. Öta ne savait pas grand-chose à son sujet, mais l’idée d’être associé à quelque chose d’aussi sombre lui fit froid dans le dos.


« Je n’ai rien contre la magie. J’pense pas qu’elle devrait être interdite. » signala Tyra. « T’as rien à craindre, j’te dénoncerai pas.

– On partage le même point de vue sur le sujet. » répondit Öta, tendu. « Mais je ne suis pas un mage du sang.

– T’es sûr ? T’as pas ressenti de picotements dans ton corps en faisant ton pacte ? Une sensation de bien-être, comme si tu t’sentais plus léger ? Apaisé ?

– Je…

– Est-ce que la douleur quand tu t’es coupé était presque irréelle ? Est-ce que la blessure s’est refermée rapidement ? Est-ce que tu cicatrises plus vite que la moyenne quand tu t’blesses ? »


Öta se tendit. Tout ça lui semblait beaucoup trop familier pour qu’il puisse nier.


« C’est la bénédiction de l’Abonde, pas de la magie.

– L’un n’empêche pas l’autre. »


Il fronça les sourcils et plissa les yeux, suspicieux.


« Et comment sais-tu tout ça ? Tu as l’air bien renseignée sur le sujet.

– Je l’ai lu dans des livres ? » grimaça Tyra, prise au piège. « La magie m’passionne et…

– Je ne te crois pas. Dis-moi la vérité. »


Gênée, elle replia ses jambes contre son torse et posa le menton sur ses genoux.


« Ne me force pas à le dire, s’il te plait.

– Tyra. »


Elle ferma les yeux et murmura :


« Je suis une mage. Une mage du sang.

– Tu…

– Mais c’est pas aussi horrible et malsain que ce que les Éclaistes affirment. » ajouta t-elle en redressant la tête. « Ne me déteste pas, je t’en prie. »


Öta ne répondit pas. Il resta silencieux. Le visage fermé, il fixait Tyra.


Mal à l’aise, elle sentit les larmes perler aux coins de ses yeux. Elle s’en voulait de parler sans réfléchir. Elle avait tout gâché !


Il se passa de très longues secondes avant qu’il ne brise le silence dans un soupir.


« Montre-moi. » fit Öta.



Tyra leva les yeux vers lui. Ils échangèrent un regard grave, leurs visages ayant perdu toute trace des rougeurs et de l’insouciance de la soirée. Elle comprit immédiatement qu’il était sérieux. Lentement, le cœur battant, elle se leva et s’épousseta.


« Tu —

– Chut. N’dis plus rien. » fit-elle en lui posant la main sur la bouche, avant de tendre l’oreille. « C’est bon. On est seuls. J’préférais être sûre.

– Personne ne vient dans cette partie de la forêt. » répondit Öta. « Ils pensent qu’elle est maudite. Et nous sommes très loin des sentiers.

– Je sais. Mais mieux vaut être prudent. »



« Alors. Je veux bien t’montrer, mais avant dis-moi ce que tu sais d’cette magie.

–  Pas grand-chose. Elle aussi sombre et dangereuse que la magie noire, mais comme elle est héréditaire les mages sont peu nombreux. » avoua-t-il avant d'ajouter plus bas : « J’ai lu dans un vieil ouvrage que quand la magie a été interdite au début de l’ère d’Éclat, presque tous les mages du sang ont été exécutés ou ont fui dans le Sud.

– Et c’est tout ?

– Oui. »


Tyra soupira.


« Elle est dangereuse, oui. Mais aucune magie n’est sombre. Noire, Blanche, Sang, élémentaire… C’est son usage qui importe, pas sa nature.

– Tu ne peux pas dire ça. » rétorqua Öta. « Tu as bien vu le mal que fait la magie noire. Elle rend fou. »


Il pensait à Nora. Sa descente aux enfers. Sa mort. Toute la souffrance qu’il avait provoquée, avant de ne laisser que du vide. Comment pouvait-elle affirmer une telle chose, après avoir vu toute l’horreur de cette magie ? Après avoir perdu un être qu’elle avait aimé de sa faute ?


« Nora ne savait pas s’en servir. » le contredit aussitôt Tyra, comprenant immédiatement de qui il parlait. « Il n’a jamais été intéressé par son utilisation. Il voulait juste s’droguer et s’oublier dedans.

– Et ça l’a tué. » répliqua-t-il sèchement.


Öta s’en voulut aussitôt pour ces mots. C’était trop tôt. Trop frais. Tyra baissa les yeux.


« J’ai tenté de l’aider, mais il n’a jamais voulu m’écouter.

– Tu n’aurais rien pu faire.

– Si. » Tyra soupira. « T’sais, dans ma culture la magie noire n’est pas interdite.

– Quoi ? Mais —

– Laisse-moi parler. Elle n’est pas interdite, mais seules les personnes dont le mental est assez fort pour la maitriser peuvent s’en servir. Nos shamans, nos chefs, nos encreurs… Ils n’en sont pas dépendants, car ils ont été formés pour connaitre leurs limites. Et t’sais quoi ? Ce sont des gens biens, qui utilisent leur magie pour soulager les maux d’ceux qui souffrent. La magie noire peut faire le bien. Tout comme la magie du sang. »


Tendu, Öta l’écouta sans mot dire. Il ne parvenait pas à la croire lorsqu’elle puisse évoquer le bien que pouvait faire faire la magie noire. Depuis qu’il travaillait au refuge et sillonnait les bas-fonds de la cité, il avait pu voir tout le mal qu’elle provoquait autour d’elle. Toutes les personnes dont la vie était brisée à cause de ses conséquences.


Leurs visages creusés par le désespoir s’étaient gravés dans sa mémoire, telle une image qui ne s’effacerait jamais.


La Magie noire n’avait rien de beau.

C’était un fléau.


« C’est bien beau tout ça. » éluda Öta, n’ayant pas envie d’en entendre plus sur la magie noire. « Mais tu ne m’as toujours pas parlé de ta magie. Comment fonctionne-t-elle ?

– Bah avec du sang.

– Ah. Merci, je n’aurais jamais deviné tout seul. »

– Bon. T’as entendu parler de la magie élémentaire ? » demanda Tyra « C’est celle des Etris, comme toi.

– Oui pourquoi ? Quel est le rapport ? » répondit Öta, perplexe.



Il ne comprenait pas pourquoi Tyra changeait soudain de sujet. Elle passait sans cesse du coq à l’âne. Avait-elle deviné qu’il était mage lui aussi ? Il fronça les sourcils.


« Tu m’as demandé comment ma magie fonctionne, non ? » rétorqua Tyra. « Et bien si tu as entendu parler de la magie élémentaire, c’est plus simple pour moi de t’expliquer. Autant faire les choses bien.

– Ah ?

– Ouais. Tu dois savoir qu’la magie est présente absolument partout sous diverses formes, qu’ce soit dans la nature ou dans les êtres vivants, non ?

– Oui. » approuva Öta. « Même si on ne le voit pas avec nos yeux, le monde tout entier en est constitué. Elle pulse tout autour de nous. »


Tyra sourit. Dans le mille. Elle se baissa et ramassa une branche qu’elle lui montra.


« Un mage élémentaire est capable d’faire changer de forme à cette p’tite branche en faisant résonner sa magie avec la sienne. Mais seulement si son élément est lié aux plantes.

– Oui, je sais.

– Donc un mage dont l’élément est l’eau pourra jamais ni sentir ni utiliser la magie d’cette adorable p’tite branche. Pour lui, c’est juste un bout d’bois. »


Öta ne comprenait pas où elle voulait en venir.


« Quel rapport avec la magie du sang ?

– Et bien, nous les mages du sang on est capable d’tout sentir sans distinction. Qu’ce soit la magie qui est dans l’eau, celle dans la terre, celle dans l’air, etc. » répondit fièrement Tyra. « On à une sensibilité accrue, on peut la ressentir sous toutes ses formes. Toutes. »


Öta écarquilla les yeux.


« Attends, quoi ?

– Mais si on peut la sentir, on ne peut pas l’utiliser en résonance comme l’font les mages élémentaires. » continua Tyra en haussant les épaules. « On a pas les capacités.

– Mais dans ce cas, quel est l’intérêt ?

– C’est là que le sang entre en jeu. » répondit Tyra. « Il existe une multitude de façons de s’en servir, mais le principe est toujours le même. On peut se servir de notre sang pour ancrer notre propre magie dans n’importe quelle autre source de magie et ainsi y insuffler notre volonté. C’est pour ça que c’est important de pouvoir la sentir. Et pouf ! Magie du sang. »


La curiosité de Öta ne cessait de croître au fur et à mesure que Tyra lui parlait.


« Je n’aurais jamais imaginer que ce puisse être une magie à l’écoute de la nature. » murmura t-il.


Il tentait d’imaginer tout ce que ça impliquait et ce qu’elle pouvait faire avec.


« Et pourtant, le sang c’est quelque chose de très naturel et primaire.

– Tu n’as pas tort.

– Bon, maintenant que je t’ai un peu rassuré, je vais te faire une démonstration ! » ajouta joyeusement Tyra en se penchant.


Tyra se pencha en avant pour attraper une petite lame cachée dans ses chaussures. D’un geste net et précis, elle fit une fine entaille au centre de la paume de sa main.


« J’aurais bien voulu t’impressionner en te sortant le grand jeu, mais vu l’heure et le chemin qu’on va avoir à faire au retour je préfère économiser mes forces. » expliqua t-elle.


Öta hocha la tête. Il comprenait parfaitement. Rien que l’idée de refaire tout le trajet en sens inverse pour rentrer en ville le fatiguait. Il n’avait pas hâte de repartir. Tyra lui fit signe de s’approcher.


« Regarde. Ça, c’est ma magie à l’état brut. »


Son sang, d’un rouge intense et lumineux, s’élevait autour de sa main. C’était beau, d’une teinte irréelle.


« On ne dirait même plus du sang. » souffla t-il, captivé. « Je n’imaginais pas ça comme ça.

– Vu comme ça c’est joli, mais j’ai tendance à m’en foutre partout et c’est là c’est moins beau. » sourit Tyra. « J’ai la fâcheuse habitude d’m’essuyer les mains sur mes vêtements.

– Je ne dirais rien, mes vêtements sont souvent maculés de sang moi aussi. » répondit Öta, en repensant à ses nombreuses chemises tachées lors des soins qu’il prodiguait aux personnes du refuge. « Mais dans ce cas, pourquoi tu ne puises pas ton sang autre part ? Tu dois forcément utiliser tes mains ?

– Les mains sont l’extension de l’esprit. Le sang qui en provient est l’plus facile à utiliser, car c’est plus simple d’garder une connexion mentale claire avec.

– Je ne suis pas sûr de comprendre.

– Bon. » souffla Tyra. « T’es plus adroit avec tes mains qu’avec tes fesses, non ?

– Ah. Oui, je comprends mieux. »



Öta avait perdu toute sa méfiance depuis un moment, remplacée par son insatiable curiosité. Il devait bien avouer que Tyra avait su utiliser les bons mots lors de ses explications. Il la regarda se diriger vers deux arbres et y tracer avec minutie deux étranges symboles sur leurs troncs en utilisant son sang.


« Ce que j’ai fait là, ce sont des sceaux. » expliqua t-elle. « J’ai ancré ma magie dans celle de ces deux arbres.

– À quoi ils servent ?

– Essaye de passer entre et tu l’découvriras. »


Perplexe, Öta s’exécuta. Mais au moment de passer, il s’arrêta. Il eut beau ordonner à son corps d’avancer, rien n’y faisait. Il se retourna, étonné.


« Je n’y arrive pas ! Je ne comprends pas. C’est comme si mon corps ne m’écoutait plus.

– Les sceaux qu’tu vois là sont une barrière. Tant qu’ils seront actifs, tu n’pourras plus emprunter ce chemin. »


Öta écarquilla les yeux.


« La magie du sang peut faire ça ? .

– Héhé. » Tyra bomba le torse fièrement. « J’ai appris à faire toute sorte de barrières. J’peux empêcher qui je veux de les traverser, tout en laissant le passage ouvert aux personnes de mon choix.

– Si j’avais ce genre de pouvoir, je ferais une barrière sur mon bureau pour empêcher les gosses et les chats trop curieux de s’y faufiler. » sourit Öta. « Tu crois que tu pourrais ?

– Dans tes rêves. »


Öta soupira, déçu.



Tyra lui montra sa main coupée, ferma le poing et le rouvrit. La fine entaille n’était plus.


« Je garde mes forces, mais je te ferai d’autres démonstrations une prochaine fois si tu veux. » sourit Tyra. « Je sais faire beaucoup de choses.

– Comme quoi ?

– Tut tut tut. Ne sois pas trop gourmand. »


Tyra s’assit sur le tronc d’arbre renversé où ils avaient déposé leurs affaires plus tôt dans la soirée. Elle attrapa ses mitaines et les renfila avant de tourner la tête vers Öta.


« Je t’ai montré ma magie, je t’ai tout expliqué, alors maintenant à ton tour de me montrer la tienne.

– Ça fait longtemps que tu le sais ? » demanda Öta.


Que Tyra ait compris qu’il était lui aussi un mage ne l’étonnait pas. Il l’avait soupçonné au moment où elle avait évoqué la magie élémentaire et sa capacité à sentir la magie en toute chose. Elle avait forcément dû ressentir la sienne ?


« J’avais des doutes depuis qu’on s’est rencontré, mais je n’étais pas sûre. Les personnes capables de magie ont une odeur particulière.

– Une odeur ?

– Ouais. Mais je ne sais pas différencier ceux qui s’en servent et ceux qui l’ont refoulé. Mon frère lui, sait le faire.

– Tu as un frère ?

– J’ai pas envie d’en parler. » grimaça Tyra. « Bref, j’savais pas si tu pratiquais ou pas. Enfin, j’men doutais vu que tu fréquentes Élan. Je me suis déjà occupée plusieurs fois du transport des marchandises magiques qu’il fournit au marché noir. Les p’tites pierres magiques, ça se vend super bien.

– C’est moi qui ai préparé la fournée de pierres cette année. » rouspéta Öta, se rappelant des heures qu’il avait passé dessus. « Il m’a bien exploité, et tout ça pour des clopinettes !

– La prochaine fois, passe par moi directement. Tu récupèreras tout le bénéfice.

– C’est bon à savoir. » maugréa Öta. « Mais je ne suis pas sûr qu’il me pardonnerait si je le double.

– À ta guise. »


Il y eut un moment de silence, avant que Tyra de continue :


« Donc, t’es un mage élémentaire ?

– Oui. De la terre.

– C’est pour ça que tu sens bon la forêt ! »


Il ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait fait la remarque. Il leva les yeux au ciel, ennuyé, et constata alors que le jour commençait à se lever. Ils avaient passé toute la nuit dans la forêt.


« Aie. Je crois que pour notre rendez-vous à la bibliothèque, ça va être compliqué.

– Vu comment s’est parti, effectivement. » répondit Tyra.



« On ne devrait pas tarder à rentrer. » murmura Öta, déçu de devoir écourter le rendez-vous. « Quand il fera trop lumineux, ce sera difficile de sortir de la forêt sans se faire voir.

– J’ai pas envie de partir. » répondit Tyra dans un soupir. « C’était trop court. J’aurais voulu continuer de discuter avec toi toute la journée !

– De même. Je n’aurais jamais pensé que nous puissions tant parler. Nous avons plus en commun que ce que j’imaginais.

– C’est bête, mais j’me sens plus légère depuis que j’t’ai avoué pour ma magie.

– Moi aussi. » répondit Öta, bien que ce ne soit pas entièrement vrai.


Il ne lui avait toujours pas parlé de ses feuilles. Ce poids était toujours là. Mais il ne s’en sentait pas capable pour l’instant. Il avait la sensation que ce n’était pas le bon moment.


Tyra se leva et attrapa la gourde d’Öta. Après l’avoir remplie d’eau du lac, elle se dirigea vers les deux arbres qu’elle avait marqués. Elle les toucha du bout du doigt en marmonnant des paroles inintelligibles, avant de disperser le contenu de la gourde sur les symboles.


« Mieux vaut ne pas laisser de traces. Le sang, c’est suspect. » murmura t-elle, avant de se retourner vers Öta.


Le jeune homme lui tournait le dos, assis sur le tronc. Il était penché en avant, visiblement occupé.


« Öta ? Tu fais quoi ?

– Tu voulais voir ma magie, non ? » répondit Öta en se redressant.


Il tenait de la terre entre ses mains et s’approcha d’elle en souriant.


« Regarde. »


Il ferma les yeux. Une minuscule petite chose sortit alors du tas de terre. En quelques secondes, ce devint une belle fleur aux pétales roses.


« Il y a vraiment quelque chose de magnifique dans la nature. C’est si beau.

– Je vais la planter non loin, comme ça si tu reviens ici tu auras un petit souvenir de cette nuit. » fit joyeusement Öta.


Tyra rougit légèrement et l’admira planter sa fleur d’un regard tendre. Lorsqu’il revint, elle se mit sur la pointe des pieds et lui fit un baiser sur la joue.


« Merci. »


Öta sourit et se pencha sur elle pour l’embrasser.


« Calme tes ardeurs. » sourit Tyra après avoir répondu au baiser d’Öta. « Il faut rentrer.

– On n’est pas si pressés que ça. »



Elle secoua la tête, amusée, avant de le repousser gentiment.


« Aujourd’hui j’suis de repos et j’ai bien l’intention d’aller dormir toute la journée chez moi.

– On peut dormir à deux si tu veux. C’était bien la dernière fois, non ?

– C’est tentant, mais là j’ai vraiment très envie de me reposer. »


Elle s’éloigna sous le regard déçu d’Öta. Ils prirent leurs affaires et traversèrent la forêt pour rentrer. Sur le chemin, ils discutèrent joyeusement de tout et de rien.


« Et donc, on se voit quand à la bibliothèque ? » demanda Tyra, lorsqu’ils furent enfin arrivés en ville. L’heure de se séparer approchait.


Ils étaient passés par un petit sentier escarpé qui se trouvait derrière les vieilles maisons de la basse ville. Habituellement a cet endroit et à cette heure-ci, personne n’en surveillait les allées et venues. Mais ils avaient bien failli se faire remarquer. Il s’en était fallu de peu.


« Je pensais à ce midi, mais je doute que la marmotte soit réveillée.

– Hum, la marmotte veut dormir et propose plutôt ce soir. Ce sera encore ouvert ?

– Si tu viens avant le coucher du soleil, on aura assez de temps devant nous.

– Parfait. »


Tyra plongea alors son regard dans celui d’Öta. Elle hésita avant de demander :


« Dis-moi Öta. Avant de partir, j’ai juste une dernière question.

– Oui ? » répondit Öta, curieux. « Qu’y à t-il ?

– Tu parles bien le vieux-nordan ?

– Très bien, pourquoi ?

– Mais très bien à quel point ?

– Couramment. » répondit-il, sans comprendre pourquoi Tyra lui demandait ça. « C’est ma deuxième langue maternelle. Je connais même les différents dialectes, bien que j’utilise celui de Mortherbe.

– Parfait ! »


Et sans lui laisser le temps de poser de questions, Tyra lui fit un baiser sur la joue avant de s’éloigner.


« À ce soir ! »


Partie 4 - La bibliothèque


Toute la journée, Öta ne cessa de penser à son rendez-vous du soir. Il réfléchissait à ce qu’il pourrait montrer à Tyra, les livres à lui lire, les contes et les légendes à lui partager… C’était si rare de pouvoir évoquer sa culture avec quelqu’un d’autre ! Il en tenait plus en place.


Si bien que lorsque Tyra se présenta devant la bibliothèque, il s’y trouvait déjà depuis un moment. L’apercevant depuis la fenêtre, il traversa le bâtiment pour la rejoindre.


« Jeune femme, veuillez partir. Vous n’êtes pas la bienvenue ici.

– J’vous dis que j’peux entrer, j’suis invitée ! »


Tyra semblait se disputer avec un prieur qui lui bloquait l’entrée. C’était un vieil homme aigri, qui aimait rouspéter sur les visiteurs. En voyant Öta arriver, elle agita la main en sa direction.


« Öta ! Aide-moi.

– Gabin, tout va bien ? » fit Öta en s’approchant de l’homme. « Cette jeune femme est avec moi.

– Messire, vous devriez faire plus attention à qui vous invitez. » répondit l’homme de sa petite voix aiguë. « C’est un lieu de culture non une basse-cour. Vos poules —

– Ah. Si ça ne vous plait pas, vous pouvez toujours en référer à dame Eléanore. » répondit aussitôt Öta, agacé. « Il me semble qu’elle compte s’installer au palais royal pour y passer l’été, ce sera l’occasion parfaite pour lui faire remonter vos plaintes.

– Humpf. Je n’y manquerai pas. »


Le vieil homme fit demi-tour, le visage crispé. Tyra lui tira la langue avant de se tourner vers Öta pour demander :


« Tu vas avoir des ennuis ?

– Oh non, ne t’en fais pas. Il me déteste, mais n’agit jamais. J’ai pris certaines habitudes depuis que je vis dans la basse-ville et il pense qu’un homme de mon rang devrait être plus protocolaire et barbant. » répondit Öta en haussant les épaules. « Mais de par mon rang, j’ai l’autorisation d’emmener qui je veux et de faire partir les prieurs qui me dérangeraient. On est tranquille.

– Je croyais que t’étais juste le seigneur d’un petit village. Ça te donne tant de droits que ça ?

– On peut dire ça. » répondit Öta en montant les escaliers qui menaient au bâtiment, peu motivé à évoquer ce sujet. « Viens, allons à l’intérieur ! »


Tyra plissa les yeux, mais ne dit rien.

Elle lui emboita le pas.



Öta guida Tyra vers une petite table au fond de la bibliothèque, cachée derrière d’immenses rayonnages poussiéreux. Il y avait déposé une pile de livres et une bougie éclairait la scène de sa flamme vacillante.


« J’ai mis de côté tous les ouvrages abordant ma culture. Il n’y en a pas beaucoup, peu de personnes se penchent sur cet aspect de l’histoire du royaume.

– C’est dommage…

– Ces idiots veulent oublier tout ce qui touche au passé et aux ogres. » soupira Öta. « Bon, qu’est-ce que tu veux savoir ? C’est difficile de définir par où commencer.

– Hum. »


Tyra s’assit sur le banc, regarda les livres distraitement, puis jeta un coup d’œil autour d’elle.


« Dis-moi, tu sais s’il existe d’autres ruines comme celles que j’ai trouvées en forêt ? Des lieux ayant appartenu aux ogres ?

– À Morthebois, il y a beaucoup de lieux semblables. » répondit Öta en attrapant un livre.


Il le feuilleta jusqu’à trouver des pages représentant des marécages constellés de ruines.


« Ce sont de vieilles cités qui ont été détruites lors de la rébellion des humains et dont on trouve encore les vestiges au fond des marais.

– Tu les as déjà vues ?

– Oui, je les ai visités une fois avec ma mère. C’était fascinant, mais un peu effrayant. » répondit Öta.


Il continua de tourner les pages de son livre, avant de tomber sur une représentation de cairn.


« Dans une autre mesure, il existe encore des autels pour les Abondes dans de vieux villages du Nord et ce sont également des vestiges de ce temps-là.

– Dans beaucoup de villages ?

– Je n’ai pas le compte, mais il y en a pas mal oui. Et la plus grande cité à encore honorer son Abonde c’est RocheGlacée. Toute une partie de la vieille ville possède encore les fondations d’antan.

– La cité de la sagesse, celle qui est dirigée par l’un des Protecteurs ?

– Oui, dame Eleanore, la Protectrice de la Culture. » répondit Öta. « Tu sais, c’est grâce à cette femme que ma culture ne s’est pas éteinte. Il y a plusieurs siècles, nombreux étaient ceux à vouloir que les vieux-nordans se convertissent au culte éclaiste. Si elle n’avait pas été là pour défendre cette part de l’histoire, je ne serais pas là à t’en parler aujourd’hui.

– Tu as de la chance. J’aimerais qu’elle en fasse de même avec ma foi.

– Tyra… »


Öta posa la main sur son épaule.


« C’est bon, ne t’en fais pas. » le rassura Tyra avec un sourire doux. « Continue. Tu me parlais des autels.

– Je ne peux pas te le montrer, mais il y en a un ici.

– Ici ? »


Öta regarda autour de lui, avant de répondre à voix basse :


« Sous la bibliothèque, il y a l’autel de l’Abonde de GemmeNoire.

– Mais quel drôle d’endroit ! Que fait-il là ?

– Et bien, j’ai cherché la réponse, mais je ne l’ai pas trouvé, alors j’ai envoyé une lettre à Dame Eleanore pour lui poser la question. Cette bibliothèque est sous sa protection depuis plus de six siècles, je me suis dit qu’elle devait bien en connaitre chaque recoin.

– Et elle t’a répondu quoi ?

– Que c’était autrefois l’Abonde de la Culture. Elle était vénérée par les érudits, et la bibliothèque était à l’origine le lieu où ils accumulaient les offrandes. Les habitants de GemmeNoire lui offraient des connaissances. Avec le temps, c’est devenu le lieu où nous nous trouvons.

– Oh. »


Öta sourit.


« À l’origine, ces connaissances étaient surtout centrées sur la magie et la nature. Des sorts, des recettes de potions, ce genre de chose.

– Y’faut pas dire ça aux Éclaistes ou ils vont faire brûler la bibliothèque !

– C’est ce que dame Eleanore m’a dit. C’est un secret, alors garde-le pour toi. L’Abonde a sombré dans l’oubli il y a vraiment très longtemps, avant le décret anti-magie et la venue du culte éclaiste. Elle a disparu en même temps que les ogres.

– Alors, la bibliothèque a été fondée par qui ? Les ogres ? Ou par les esclaves dont tu me parlais ?

– On ne sait pas trop. » répondit Öta. « Je n’ai pas eu plus d’informations.

– C’est dommage…

– N’est-ce pas ? C’est un sujet fascinant. » répondit Öta. « Et un autre des sujets qui me passionnent, c’est leurs cités souterraines.

– Ah bon ? C’est-à-dire ?

– Et bien, j’ai lu que les ogres habitaient surtout d’immenses souterrains qui traversaient le royaume de part en part. Des lieux au plafond immense, à l’architecture simple, dans lesquels ils se mouvaient et fondaient leurs foyers. En vérité, les cités à la surface étaient rares et ils n’y vivaient que peu.

– Oh.

– Mais je n’ai pas réussi à trouver l’entrée des souterrains de Morthebois, le passage à Mortherbe est condamné depuis des siècles. Je sais qu’il existe aussi des souterrains sous GemmeNoire, j’ai fait une demande officielle pour y avoir accès, mais ça m’a été refusé.

– Ah bon ? Pourquoi ?

– Ils pensent que c’est un lieu maudit, et ils ont scellé toutes les entrées. Selon eux, il ne faut pas réveiller ce qui dort sous terre. » maugréa Öta. « C’est tellement frustrant ! »



« Des souterrains qui s’étendent sous tout le pays… ce doit sûrement être impressionnant à voir. » fit Öta, rêveur. « Imagine, si seulement on pouvait les parcourir ! On pourrait y découvrir tant de vestiges du passé. Je crois bien que je pourrais y consacrer ma vie.

– J’imagine. » répondit Tyra. Il y eut quelques secondes de silence, avant qu’elle n’ajoute : « Du coup, tu n’as vraiment trouvé aucune entrée ?

– Et bien, pour GemmeNoire je sais qu’il y en a une sous la bibliothèque et une dans le château, mais les deux ont été scellées il y a des siècles. J’ai fait des demandes pour y avoir accès, en vain.

– Et tu n’as pas cherché d’autre passage ?

– Comment ça ? »


Tyra haussa les épaules en répondant :


« Ben, tu m’as dit que c’était toute une civilisation non ? Ils devaient pas avoir que deux entrées, t’imagine le bordel sinon ? Si GemmeNoire a été construite sur leurs ruines, doit bien y’avoir d’autres passages tu penses pas ?

– Je ne sais pas. Peut-être ? À quoi penses-tu ?

– J’sais pas. Peut-être au niveau des décombres de la basse-ville, ou alors dans la forêt ? T’sais, comme le lieu qu’on a vu cette nuit.

– Le oenthu ?

– Ouais. » Tyra hocha la tête. « Si y’a encore des ruines comme ça dans la forêt, y’a peut-être des entrées cachées aussi ? P'têtre même que les légendes à propos de la forêt maudite, c’est pour cacher les entrées aux gens ?

– Oh. »


Öta se mordit la lèvre, réfléchissant à toute allure. Il avait déjà vaguement pensé à cette possibilité, avant de la mettre dans un coin en songeant qu’il se faisait des idées.


« Ça vaut peut-être le coup de creuser. Je me renseignerais. Merci Tyra.

– De rien. » répondit joyeusement la jeune femme. « J’ai encore des questions ! Tu peux me parler des ogres ?

– Que veux-tu savoir ? »


Tyra se pencha en avant et chuchota :


« Et bien, les gens qui m’ont élevé sont comme tout le monde, ils connaissent la légende nordante sur les ogres. T’sais, qu’ils ont fondé le Nord autrefois et tout. Mais ils y croient pas.

– Ils n’y croient pas ?

– Nan, c’est pas notre culture. Ils pensent que le monde a été fondé par des dieux, et non par des monstres. C’est pour ça qu’en dehors des grandes lignes j’y connais rien. » expliqua t-elle. « Les ogres ont fondé le nord, ils avaient des esclaves humains et c’était une époque où la peur régnait sur le monde. C’est tout ce que je sais. »


Öta hocha la tête, comprenant ce qu’elle voulait dire.


« Et bien, c’est un sujet assez difficile. » répondit-il. « En réalité, on ne sait pas grand-chose. Toutes les traces de leur histoire et de leur passé ont été ensevelies avec eux dans les souterrains. Et personne ne fait de recherche à ce sujet, c’est tabou.

– Zut.

– Donc, en dehors des récits que l’on raconte aux enfants, il n’y a pas grand-chose de plus à dire. »


Öta réfléchit quelques secondes avant d’ajouter :


« J’ai des livres de conte au refuge, je les lis le soir au petit Jon. La prochaine fois, je te les apporterai si tu veux.

– Vraiment ? Ce serait fantastique ! » s’exclama Tyra. Elle eut soudain un faible sursaut et ajouta : « Oh, j’ai failli oublier. »


Elle se pencha à côté de la table pour attraper son sac qui trainait sur le sol et en sortit un petit panneau de bois.


« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Öta. « C’est quoi ça ? 

– Tu m’as dit connaitre le vieux-nordan non ? » demanda timidement Tyra. « Est-ce que tu pourrais m’écrire des phrases de mon choix là-dessus ?

– Hein ? Mais pourquoi faire ?

– J’ai mes raisons. » répondit Tyra. « S’il te plait ? »


Öta ne comprenait rien. À quoi ça pourrait lui servir ? Il fronça les sourcils, perplexe, avant de capituler. Il ne pouvait pas résister au regard suppliant de Tyra.


« D’accord. Dans ce cas je vais emprunter un pinceau et de l’encre au scriptorium, attends moi deux minutes. »


Öta se leva et quitta la pièce, laissant Tyra seule. La jeune femme en profita pour attraper les livres qui trainaient sur la table et les feuilleter. Elle n’y comprenait rien, ne sachant pas lire l’alphabet nordan, mais elle admira les images avec intérêt. Lorsqu’Öta revint avec le matériel, elle était toujours penchée dessus.


« Quand je vois ces jolies images, j’ai envie de me poser à l’ombre d’un arbre et de les recopier. » murmura t-elle. « Mais j’ai plus de papier, j’ai tout utilisé ce que j’avais trouvé pour te faire des dessins.

– Moi aussi, j’aime dessiner. On devrait le faire ensemble un jour, j’ai tout ce qu’il faut chez moi.

– Oh, oui ! » se réjouit Tyra.


Öta sourit et s’assit, déposant le matériel sur la table. Il plongea son pinceau dans un petit pot d’encre et demanda : « Alors, que veux-tu que j’écrive ?

– « Merci pour les fleurs ». « Retrouve-moi au dolmen renversé près du lac aux fleurs blanches » « N’essaye plus de passer ».

– D’accord. » répondit Öta, avant de s’atteler à la tâche. « Tu as rencontré quelqu’un qui parle cette langue et tu veux lui faire passer un message ?

– On peut dire ça.

– C’est bizarre, il ne parle pas du tout le Nordan ? » demanda Öta, perplexe. « Ce serait plus simple pour vous.

– Plus simple, mais moins drôle. » rétorqua Tyra.


Öta fit la moue et continua d’écrire.


« Et il t’a offert des fleurs. » murmura-t-il Öta, légèrement mécontent. « Il est beau ?

– De quoi ?

– L’homme que tu veux retrouver. »


Tyra éclata de rire.


« T’es jaloux ?

– Pas du tout.

– C’est une femme. »


Öta se détendit, un minuscule soupir de soulagement perçant ses lèvres. Tyra ajouta :


« Et elle ne m’intéresse pas comme ça.

– Pourquoi, il y a des femmes qui t’intéressent comme ça ? »


Tyra réfléchit quelques secondes avant de répondre :


« Et bien, par exemple, Alda…

– Oh oui, Alda ! » sourit Öta. « Je comprends. »


Comme résister au charme d’Alda ?



Ils passèrent les minutes qui suivirent à discuter, Tyra demandant à Öta de lui apprendre quelques mots basiques à l’oral. Il lui répondait avec plaisir.


« Et voilà. » conclut Öta en reposant son pinceau. « Vous allez vous retrouver en forêt ? Il n’y a pas de lac et de dolmen en ville.

– Ouais, c’est ça.

– Tu me raconteras ton rendez-vous ? Et tu me présenteras à cette femme ? Ça me ferait plaisir de rencontrer quelqu’un de ma culture.

– On verra. »


Öta fut déçu par les réponses évasives de Tyra. Il allait poser une question supplémentaire, lorsqu’un prieur les coupa :


« Messire, la bibliothèque ferme.

– Oh, merci Paul. » répondit Öta en se levant.


Le prieur repartit et Öta se tourna vers Tyra qui s’était également levée. Il s’approcha d’elle et posa la main sur sa joue, avant de murmurer :


« Je dois tout ranger, je peux te laisser rentrer seule ?

– Oui bien sûr. Merci pour ton aide, Öta. »


Ils se regardèrent, indécis. Öta fit le premier pas et se pencha alors vers Tyra. Ils s’échangèrent un baiser avant de s’éloigner l’un de l’autre.


« Bon, et bien j’y vais. » fit Tyra, rougissante.


Elle s’enfuit alors sous le regard amusé d’Öta. Ce dernier commença joyeusement à ranger les livres, avant de s’arrêter en plein geste.


« Oh non. J’ai encore oublié de lui demander comment la recontacter. »



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