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- 20 - La disparition de Tyra

  • bleuts
  • 9 nov. 2024
  • 27 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 déc. 2024

Note de l'auteur : Assez souvent, chapitres de David et ceux d'Öta se déroulent en même temps. Les scènes que vous allez lire on lieu en parallèle des deux chapitres sur Öta qui le précèdent, il s'agit d'un autre point de vue.


David avait escorté Söl à un rendez-vous avec son fournisseur, dans l'intention de conclure un marché avec ce dernier afin de lui acheter un élixir miraculeux que Söl avait pu tester durant une lune.


Une seule goutte de ce produit pouvait accentuer prodigieusement les effets d'une potion médicinale. C'était un trésor qui pourrait sauver des vies. Mais lorsqu'ils avaient retrouvé l'homme, il n'était plus que l'ombre de lui-même. La transaction était bien le cadet de ses soucis.


Sous l'ordre de Söl, David avait alors dû quitter la pièce.


Mais les bribes de conversation qu'il avait entendues en sortant avaient piqué sa curiosité. Il avait tendu l'oreille et tenté d'écouter l'échange. Se plaçant non loin de la fenêtre, il avait pu ouïr quelques mots. Il n'avait pas fallu longtemps à David pour comprendre. L'homme voulait faire assassiner un certain Nora.



David se souvenait de ce nom. Tyra lui en avait déjà parlé. Avec Ayel, il avait croisé sa route en ville, lorsqu'ils étaient arrivés à GemmeNoire. Le jeune homme avait offensé David, se gaussant de sa couleur de peau, avant de lui dérober sa bourse.


S'en était suivi d'une bagarre en pleine rue, David relâchant toute sa colère et sa frustration des derniers mois sur le visage du voleur. Bien plus tard, il avait appris qu'il s'agissait de l'ancien amant de Tyra et qu'il lui avait fait du mal. Beaucoup de mal.


Depuis, il l'exécrait. Il avait juré que s'il le recroisait, il ne le laisserait pas partir sans avoir auparavant rendu justice à la jeune femme. Ses poings n'attendaient que ça. Mais de là à vouloir sa mort ?


Cette idée lui laissait un goût amer dans la bouche. Lorsque Söl lui fit signe qu'il était temps de rentrer, David était toujours plongé dans ses pensées.


Que devait-il faire ? Prévenir Tyra ? Malgré le mal que Nora lui avait fait, elle ne l'avait pas totalement oublié. David n'était pas aveugle, il s'en était rendu compte. Elle avait encore des sentiments pour lui. Et connaissant Söl, David se doutait qu'elle ne lui dirait rien pour la préserver.


Mais était-ce vraiment la bonne solution ? En rentrant, David et Söl n'avaient que peu parlé, étant tous les deux plongés dans leurs pensées. Ce n'était qu'en s'approchant du village que Söl avait brisé le silence en murmurant d'une voix soucieuse :


« Je n'avais jamais vu Élan dans un tel état. »



Elle semblait réellement inquiète pour lui. David hocha la tête et demanda :


« Vous vous connaissez depuis longtemps ?

– Mh, laisse-moi réfléchir. Je l’ai rencontré avant d’entrer dans la Caste… je dirais donc environ dix-sept ans ? C’était un admirateur. Je faisais du théâtre de rue.

– Oh. »


David ne s'était pas attendu à ça. Évidemment, il savait qu’elle n’était pas originaire du village. Mais il oubliait parfois que Söl avait presque le double de son âge.


« Et vous êtes amant depuis tout ce temps ?

– Ceci est une question indiscrète. Et je te rappelle que c’est un secret, tu ne dois le répéter à personne.

– Je sais. Alors ? Oui ou non ?

– Peut-être, peut-être pas. »


David sourit tristement.


« Tu l’as connu avant de rejoindre la Caste. Donc, avant de rencontrer Warin. Pourquoi ne pas l’avoir épousé lui dans ce cas ?

– Parce qu’à l’époque Élan, ne me l’a jamais demandé. Tu es content ? Tu vas arrêter avec tes vilaines questions maintenant ? »


Après cela David s'était tut. Il n’avait pas eu l’intention de lui faire de la peine. Si seulement il réfléchissait avant de parler ! Il se sentit coupable. Tout en continuant d’avancer, Söl marmonna dans le vide :


« Humpf. Profiter ainsi de la détresse d’une vieille femme pour lui soutirer des informations privées… Ha ! C’est bien le digne apprenti de Warin.

– Pour le moment, j’ai plus l’impression de tenir de toi que de lui. » répliqua David.


Söl tourna la tête vers lui.


« Ce n’est pas avec des flatteries que tu te feras pardonner de ton indélicatesse. »


Lorsque Söl s’éloigna, un léger sourire sur le coin des lèvres, David se réjouit d’avoir tout de même réussi à lui faire perdre sa mine soucieuse quelques instants.



Après avoir reconduit Söl jusque dans sa hutte, David hésita. Il avait maintenant quartier libre. Il songea à retrouver Tyra, qui à cette heure-ci errait certainement dans le camp des veilleurs.


« Non. Je la verrais demain. »


Ces derniers jours, il avait passé beaucoup de temps avec elle. Elle l’avait entraîné et formé sans relâche dans les souterrains. Alors à cet instant, il n’avait pas forcément envie de vivre une soirée supplémentaire à ses côtés.


Et il devait bien avouer qu’il n’arrivait toujours pas à se prononcer. Devait-il lui parler de l’assassinat ou non ?


Finalement, il rendit visite à Ayel. Ce dernier était en train de travailler dans le quartier des artisans, isolé dans la hutte qui lui servait d’atelier. Comme toujours, c’était la pagaille. Il y avait des outils partout, des matériaux dispersés… Du Ayel tout craché.


David enjamba le bazar et rejoignit son compagnon. Si Ayel l’avait entendu entrer, il n’en laissait rien paraître. Son regard n’avait pas quitté son ouvrage.


« J’ai quartier libre. Je peux t’embêter ?

– Oh. Avec plaisir. » répondit Ayel, qui leva enfin les yeux vers lui.


David récupéra une chaise au fond de la pièce et s’installa à côté d’Ayel. Et tandis que ce dernier continuait son travail, ils discutèrent tranquillement. David ne put garder sa langue bien longtemps et le sujet de la conversation dériva fatalement vers le rendez-vous. À voix basse, il raconta à Ayel ce qu’il avait appris,


« À ton avis, je dois faire quoi ?

– À mon avis tu ne devrais pas t’en mêler. »



David haussa les sourcils, interloqué. Ayel continua :


« Söl est notre chef. Tu dois respecter ses décisions.

– Mais…

– Tu n’aurais pas dû écouter cette conversation sans son autorisation. Si elle l’apprend, elle perdra sa confiance en toi. Tu as de la chance qu’elle t’apprécie, ne gâches pas tout bêtement. »


Il hocha la tête, comprenant ce que voulait dire Ayel. De plus, maintenant qu’il savait qu’elle avait des dons de voyance, il réalisait qu’il était pratiquement impossible de mentir à Söl. S’il répétait la discussion, il ne pourrait pas lui cacher. Mais il n’aimait pas cette réponse.


« Si Tyra apprend que je le savais et que je ne lui ai rien dit, c’est sa confiance à elle que je perdrai. »


Ayel posa ses outils et se tourna complètement vers David.


« Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. »


David croisa les bras et soupira.


« Quand même, c’est incroyable toutes les magouilles dans lesquelles la Caste trempe. Des contrats pour tuer des gens ! Tu penses que les assassins habitent dans le village ?

– Je mettrais ma main à couper que ces assassins sont des veilleurs. »


David grimaça, n’appréciant pas l’idée. Ayel continua :


« Hé ! J’y pense… si ça se trouve, Söl va demander à Tyra de se charger du contrat !

– Non. Ce serait vraiment de mauvais goût. » rétorqua David. « Et même si Tyra est très forte, je doute qu’elle puisse faire ce genre de travail.

– Pourquoi ?

– Elle est beaucoup trop brutale pour ça. » David s’était exprimé avec tant de conviction qu’Ayel pouffa de rire. « Elle casserait tout sur son passage et se ferait arrêter en quelques minutes.

– Dit comme ça, on dirait vraiment une sauvage »


David plongea ses yeux dans ceux d’Ayel, et d’une voix dont perçait l’effroi, il s’exclama :


« Mais c’en est une ! Depuis nos entraînements, j’ai des bleus partout sur le corps ! »



Le lendemain, David se leva en même temps qu’Ayel et se fit peindre le visage par ce dernier. C’était devenu leur routine matinale et David ne ronchonnait plus autant que les premières fois. Il soupirait et attendait que ce soit fini sans faire la moindre remarque désagréable.... un véritable exploit de sa part.


Lorsqu’il fut prêt, il rejoignit Tyra dans le camp des veilleurs. Elle était attablée avec une autre personne dont David avait déjà oublié le nom, et discutait joyeusement. Et évidemment, elle était déjà en train de boire une bière. Il faut dire que les veilleurs buvaient à toute heure, et rarement de l’eau.


Même David s’y habituait. Il se servit d’ailleurs une chope en arrivant et s’installa à côté de son amie.


« Hé David ! Ne te reposes pas trop, on à une journée chargée aujourd’hui.

– Quel est le plan ? » demanda-t-il.


Pour le moment, Tyra lui avait fait découvrir une grande partie de leur territoire dans les souterrains, elle l’avait entraîné au combat et apprit des gestes de survie. Il s’attendait à faire quelque chose de similaire. Mais Tyra, qui s’était levée entre temps, s’exclama :


« Aujourd’hui, tu vas commencer par te laver le visage ! Désolé pour tes peintures, mais tu devras faire sans.

– Quoi ?

– On part à la surface ! Ta première expérience en haut. »



Mais il aurait dû s’en douter. Si Tyra l’avait emmené à la surface, ce n’était pas vraiment pour le former aux patrouilles ou autres travaux intéressants. Ce n’était pas pour lui offrir une expérience palpitante et lui permettre de revoir le soleil.


Non. Il soupira pour la énième fois.


Voilà déjà trois heures qu’elle picolait dans l’auberge de la Citrouille, soi-disant pour garder l’entrée et surveiller les personnes suspectes. L’auberge appartenait aux abarians et cachait l’un des passages menant aux souterrains. Ils étaient d’ailleurs montés par celle-ci.


David et Tyra s’étaient installés dans la pièce qui cachait l’entrée, autour d’une table en bois bien abîmée par le temps. Il ne faisait aucun doute que l’alcool coulait à flot régulièrement dessus.


« Lysa, sers-moi une bière ! J’ai soif ! » s’exclama Tyra en agitant sa chope lorsque la fille du tenancier passa non loin.


« Pas question, tu as assez bu.

– Pfft, t’es pas drôle. »


David soupira et croisa les bras, ennuyé. Il râla :


« On va rester ici encore longtemps ?

– Mais quel enfant, tu m’as déjà posé la question ! Je te l’ai déjà dit, on attend la relève. Elle arrive à midi. »


Nouveau soupir de David. Au bout d’interminables minutes de silence, Tyra se leva :


« Oh, mais c’est vrai ! Je crois que j’ai laissé mes dés ici. Ça va nous occuper. »


Elle se leva et commença à farfouiller dans le bazar de la pièce. Il y avait des caisses et des sacs partout, les autres veilleurs n’hésitant pas à abandonner leurs affaires ici.


« Ils sont quelque part là… » murmura-t-elle en ouvrant les tiroirs d’un meuble. « Oui ! Les voilà ! »


Elle secoua fièrement son sachet et se réinstalla. Elle l’ouvrit et répandit les dés sur la table avec un grand sourire.


« Ils sont jolis. » fit remarquer David.


Il avait attrapé un dé et le regardait avec intérêt.


« C’est toi qui les as faits ?

– Non. » Tyra perdit son sourire et se gratta la nuque, gênée. « C’est Nora qui me les a offerts. On jouait souvent ensemble… »


David grimaça. Lui qui détestait mentir, se retenait de tout lui révéler au sujet du contrat. Comme pour saboter ses efforts, Tyra avait plusieurs fois abordé son nom ce matin. Et voilà qu’il revenait encore une fois sur le tapis. C’était dur de contenir.


Il se tendit et détourna les yeux. Il faisait vraiment un piètre menteur.


« David ? Ça ne va pas ?

– Si, tout va bien. Alors, on joue ?

– Nan. Tu me caches quelque chose et j’aime pas ça. Tu réagis bizarrement ce matin. »



Finalement, David craqua. Il révéla tout à Tyra, se débarrassant du lourd fardeau qu’était ce secret. Et il s’était attendu à plusieurs réactions de sa part. Des pleurs. Des cris. De la colère.


Mais elle l’avait simplement écouté attentivement, les sourcils froncés. Si elle était touchée, elle se gardait bien de l’exprimer.


« C’est donc ça qui te tracassait ? » demanda-t-elle, une expression inquiète se peignant sur son visage quand il eut fini de lui raconter l’entrevue.


Il hocha la tête. Il s’était montré plus émotif et concerné qu’il ne l’aurait souhaité, sa voix tremblant lorsqu’il avait parlé. Toute cette histoire l’avait bien plus remué qu’il ne l’aurait imaginé. Tyra se leva et lui posa alors la main sur l’épaule. Elle lui sourit :


« Merci de m’avoir prévenue, mais tu ne dois pas te mettre dans un tel état pour ça.

– Mais tu…

– Allez, c’est bon. Passons à autre chose. »


Elle se réinstalla. David la fixa, sans comprendre. À sa place, il aurait explosé. Comment faisait-elle pour rester aussi calme ? Comme si de rien n’était, elle attrapa ses dés et s’exclama :


« Tu as déjà joué aux dés ?

– Tyra.

– Quoi ? »


David plongea son regard dans le sien :


« Que comptes-tu faire ?

– Au sujet du jeu, ou de Nora ?

– À ton avis ? »


Elle reposa les dés et soupira.


« Je vais le trouver, lui parler une dernière fois pour n’avoir aucun regret et ensuite je vais l’oublier. Content ?

– Tu ne vas pas le prévenir ? Ou tenter de le sauver ? »


Tyra éclata de rire. Un rire faux.


« T’es sérieux ?

– Bah…

– Pour rien au monde j’vais risquer ma place dans la caste pour un p’tit merdeux dans son genre. S’il se fait buter, c’est qu’il l’aura bien mérité. »


David remarqua que ses yeux brillaient. Elle contenait ses larmes. 



Pour passer le temps et oublier l’ambiance pesante, ils jouèrent aux dés jusque midi. Ensuite, la relève se montra enfin. C’était un homme d’âge mûr qui les remplaça. En arrivant, il avait tendrement ébouriffé les cheveux de Tyra. Elle s’était débattue, rouge de honte.


« Arrête, j’aime pas ça ! J’suis plus une gamine. »


S’extirpant agilement, elle avait attrapé sa cape et son écharpe, rangé en vitesse son sachet de dés dans son sac, et avait fait signe à David de la suivre.


« Bouge-toi, on y va ! » s’était-elle exclamée en direction de David, avant de s’adresser à l’homme : « Tout était calme, bon courage ! »


David lui avait emboîté le pas, non sans saluer poliment le veilleur qui entre temps s’était assis et allumait sa pipe. Il rattrapa Tyra qui était sortie et s’étirait en bâillant. David cligna des yeux, ébloui.


Même s’il y avait beaucoup de lumière dans les souterrains, c’était bien peu comparé à celle du jour. L’air était assez frais, et il frissonna.


Il se posa contre un mur et ferma les yeux quelques secondes. Les rayons du Soleil étaient particulièrement agréables.


Tyra ne dit rien et attendit. Ça faisait longtemps qu’il n’était pas remonté, elle comprenait sa réaction. Lorsqu’il se redressa, ils purent partir.


« Normalement, on doit faire un rapport entre les relèves, mais personne ne le fait quand il ne se passe rien. » expliqua Tyra, en marchant. « C’est-à-dire quasiment à chaque fois. »

– Si j’ai bien compris, garder l’entrée c’est plus une précaution qu’une nécessité. » répondit David. « Heureusement qu’on ne doit pas faire ça toute la journée.

– Tu sais, je l’ai déjà fait. Surtout quand j’étais apprentie. »


Elle lui donna un coup de coude et s’exclama, amusée :


« Les maîtres aiment bien refourguer leur sale boulot aux p’tits nouveaux. Ça t’arrivera aussi !

– Fantastique. J’ai hâte. »


Tyra tourna, guidant David dans des ruelles étroites. Elle lui expliqua leur objectif de la journée.


« Il y a plusieurs types de travaux à faire en ville, qu’on définit avec les autres veilleurs lors des réunions. Après, on a tous nos domaines de prédilection. L’homme qui a pris notre relève s’occupe souvent de tout ce qui touche aux transactions et livraisons. Il est le lien de la Caste avec plusieurs contrebandiers.

– Et toi ?

– Moi je patrouille. Je surveille dans l’ombre, parfois je discute avec les marchands, taverniers, voyageurs, j’écoute ce qu’il se dit… et je repère les informations intéressantes.

– Comme quoi ? »


Tyra sourit, moqueuse.


« Par exemple. .. » commença-t-elle. « Une fois il m’est arrivé d’entendre parler de deux hommes pas très discrets qui glanaient des renseignements sur la caste.

– Ah ? » grimaça-t-il. « Et tu as fait quoi ?

– Durant plusieurs jours, je les ai suivis pour voir s’ils étaient dangereux avant de prendre ma décision. Ces deux idiots n’ont absolument rien remarqué ! Et dire que j’étais derrière eux pendant tout ce temps…

– Tyra… » grogna David, qui venait de comprendre.


Elle gloussa et continua :


« L’un s’appelait Ayel, et l’autre David. Franchement, on aurait dit des enfants. Aucun talent de recherche et de discrétion.

– C’est bon, j’ai compris hein.

– Et le pire, c’est que finalement ils ont rejoint la caste ! Tu y crois, toi ? On accepte vraiment n’importe qui de nos jours. »


David croisa les bras et grogna, vexé.



« Surtout, tu ne dis rien et tu restes en retrait. Tu observes de loin. »


Tout l’après-midi, David suivit Tyra dans les allées bondées de la capitale. Il la contempla travailler. Quand elle le guidait dans les ruelles, il écoutait attentivement ses conseils et ses astuces.


Elle lui raconta de nombreuses histoires très intéressantes. Tyra connaissait tous les potins et les rumeurs sur les habitants du quartier brun. Et elle ne manquait pas d’anecdotes compromettantes sur les marchands et personnes de valeur.


« C’est plus simple de les faire chanter en cas de besoin quand on sait certaines choses. » sourit-elle. « Mais moi, je me contente de récolter des informations pour la caste. Tout ce qui concerne leur utilisation n’est pas de mon ressort. »


Lorsque le soleil entama son changement progressif de couleur pour devenir la lune, Tyra soupira :


« Le Soleil se couche. On va s’arrêter là, je pense que pour une première sortie c’est bien assez.

– C’était agréable de revoir un peu la lumière du jour. On recommencera demain ?

– Ce n’est pas moi qui décide. » murmura-t-elle. « Comme je ne suis chargée de toi qu’en l’absence de Warin et que je n’ai jamais eu d’apprenti avant, ce sont d’autres maîtres qui choisissent à ma place.

– Ah bon ?

– Oui. Tous les matins, j’ai une petite réunion avec eux. Je leur parle de tes progrès et je leur donne mon avis. Franchement, ils ont l’air assez satisfaits de toi pour le moment. »


David hocha la tête. Il saisissait mieux.


« Bon. Maintenant que c’est fait, nous avons un peu de temps avant de rentrer à la caste. Que dirais-tu d’un petit détour ? » demanda Tyra.


David se tendit. Il comprit immédiatement ce qu’elle voulait faire. Il haussa les épaules et fit mine d’être indifférent :


« Comme tu veux, je te suis.

– Merci. » chuchota-t-elle.


Ils prirent la direction des abords de la ville, les quartiers les plus miséreux et plus bas. Un lieu où la mort, la pauvreté et le chaos étaient à leur extrême. Quand ils n’étaient pas effondrés ou brûlés, les bâtiments étaient sales et dans un piteux état.


La « maison » de Nora ressemblait plus à une vieille cabane rafistolée avec des planches moisies et cassées.


« Tu m’attends là ? J’ai besoin d’être seule avec lui. Je ne sais pas combien de temps ça va prendre. »


David hocha la tête et croisa les bras en s’adossant à un arbre. Il prévoyait poireauter là et s’ennuyer durant un temps interminable, mais Tyra revint très vite. Son visage était pensif, un peu pâle. Elle s’approcha de lui et expliqua :


« Il n’est pas là. Et c’est le bordel, on dirait qu’il y a eu une bagarre.

– Tu penses qu’ils sont déjà passés ?

– Ah ça non. » affirma-t-elle. « Aucune chance, si le contrat a été demandé hier, il ne se passera rien avant plusieurs jours. Il a encore du temps devant lui.

– Alors, pourquoi ?

– Ça, je n’en ai aucune idée. » souffla-t-elle. « Je vais rester ici quelques heures pour le guetter, tu penses pouvoir rentrer sans moi ? »


Ce dernier haussa les épaules et répondit :


« Non, je vais rester avec toi, ça ne me dérange pas. Je ne vais pas te laisser seule. »


Tyra sourit et le remercia en réponse, légèrement gênée. Elle n’avait pas osé lui demander, de peur d’avoir l’air pénible. Et ainsi, ils guettèrent Nora toute la soirée. Mais aucune trace de lui ni de quiconque. La lune brillait depuis longtemps dans le ciel lorsqu’ils abandonnèrent finalement.


« Il ne viendra pas. » soupira Tyra. « Mais au moins, j’aurais essayé. Je n’aurais pas de regrets. »


Ils rentrèrent bredouilles.



Le lendemain matin, David se leva aux aurores. En vérité, il n’avait pas dormi de la nuit. Toute cette histoire le tourmentait, l’empêchant de fermer l’œil correctement. Maintenant qu’il avait révélé la vérité à Tyra, il se sentait plus léger. Mais, l’idée qu’elle n’ait pas pu parler à Nora le dérangeait.


Il s’imaginait à sa place et réalisait que contrairement à ce qu’elle affirmait, ne pas l’avoir trouvé la veille la mènerait forcément à ressentir des regrets. Sans tarder, David s’habilla en vitesse et sortit de sa hutte. Il traversa le village, appréciant le calme et silence du matin.


Si quelques villageois s’attelaient déjà à leur tâche, la majorité somnolait encore à cette heure-ci. Il arriva au quartier des veilleurs. Il comptait assister à la réunion matinale dont Tyra lui avait parlé.


Lorsque David s’engagea dans la grande pièce, celle où tout le monde se rassemblait pour manger, boire et discuter, il trouva directement ce qu’il cherchait. Il faisait encore très sombre. Tyra était assise, entourée de trois veilleurs. Elle récapitulait tout ce qu’ils avaient fait la veille tandis que les hommes écoutaient avec intérêt.


Mais le bruit que fit David en entrant leur fit tourner la tête vers lui.


« Bonjour ?

– David, tu es déjà là ? » s’étonna Tyra, en se levant. « Pour le moment, attends dehors s’il te plaît. »


Alors qu’il allait réagir, l’un des veilleurs toussota pour amener l’attention vers lui :


« C’est bon. Nous avions fini. Aujourd’hui, vous garderez l’entrée le matin et vous vous entraînerez dans les souterrains après la relève. Warin sera heureux de voir que son apprenti s’est entraîné durement. »


David se redressa. Tendu, il répondit d’une voix hésitante :


« À ce sujet, j’ai une requête.

– David ! » gronda Tyra, rougissant de honte.


Mais le veilleur agita la main pour la faire taire :


« Je t’écoute.

– Hier, j’ai énormément apprécié patrouiller à la surface. Et lorsque Warin reviendra, je sais qu’avec lui mon apprentissage sera centré sur les souterrains.

– Et… ?

– Et j’aimerais profiter de l’opportunité d’être formé quelque temps par Tyra pour mieux découvrir cette facette du travail des veilleurs. Ce serait dommage de ne pas plus exploiter cette chance. Après tout, je ne pense pas qu’un seul après-midi soit suffisant pour apprendre. Je vous en prie, laissez-nous quelques jours à la surface ! »


David avait le cœur qui battait fort dans sa poitrine. Il s’était exprimé d’une traite, en tentant d’étouffer sa gêne. Les trois hommes échangèrent un regard surpris.



« Tu as eu de la chance qu’ils acceptent. » soupira Tyra. « Mais la prochaine fois, préviens-moi avant de te pointer à la réunion d’accord ? D’quoi j’ai l’air après ? »


Ils avaient quitté le quartier des veilleurs et traversaient le village. David ne répondit pas. Elle souffla.


« Et puis tu aurais dû m’le dire si tu voulais plus de sorties à la surface, j’me serais arrangée pour leur en parler. Tu sais qu’tu peux te confier à moi ?

– En vérité, je n’ai pas plus que ça envie de patrouiller à la surface. C’est intéressant, mais je me suis habitué aux souterrains. »


Tyra s’arrêta et le dévisagea sans comprendre.


« Dans ce cas, pourquoi ? » demanda-t-elle, interloquée.


David lui sourit en retour et secoua la tête :


« Et après, c’est moi qui suis long à la détente.

– Hein ?

– J’ai fait ça pour toi. »


Tyra s’empourpra et détourna les yeux. Elle venait de comprendre. Il lui offrait une chance supplémentaire de dire au revoir à Nora. Elle bredouilla quelques paroles inintelligibles, avant de donner un coup de poing dans les côtes de David, qui couina :


« Aïe ! Pourquoi t’as fait ça ?

– T’es vraiment trop con ! » beugla-t-elle, avant de lui tourner le dos et d’ajouter dans un murmure : « … merci. » 


Les jours qui suivirent, David découvrit de nombreuses facettes du travail de Tyra. Comme elle voulait lui faire expérimenter un maximum de travaux différents, elle se concerta avec d’autres veilleurs pour savoir qui avait besoin d’aide ou une mission à leur confier.


Elle prenait très au sérieux la tâche qui lui avait été assignée. Elle voulait se montrer digne de la confiance de David. Du moins, quand elle ne le laissait pas faire tout le travail à sa place…


Par exemple, la veille, ils avaient aidé à transporter des marchandises provenant des quais. Il s’agissait de caisses d’armes et de matériaux issus tout droit du Sud et importés en contrebande par les fournisseurs de la caste.


« Il y a vraiment des passages partout. » avait réalisé David en déposant une caisse dans un entrepôt non loin des quais.


Ce dernier appartenait aux abarians et cachait une énième entrée vers les souterrains.



Entre deux missions il accompagnait Tyra jusque la cabane de Nora. Mais le voleur n’était toujours pas réapparu. Chaque fois qu’ils repartaient bredouilles, le regard de Tyra se ternissait de déception. David avait de la peine pour elle.


Malgré tout ce qu’il lui avait fait, tous les traumatismes qu’il lui avait infligés, et malgré sa fin imminente, Tyra continuait de s’inquiéter pour Nora.


Le soir après leur journée éprouvante, elle insistait pour rester sur place. Elle faisait d’abord un tour en ville, surveillant les coins où il avait l’habitude de traîner. Elle s’était même rendue dans des lupanars et autres lieux que David réprouvait fortement.


Ensuite, elle le guettait toute la nuit chez lui et revenait le lendemain aux aurores, épuisée et déçue.


David ne restait pas avec elle le soir. Ce n’était pas qu’il ne voulait pas, mais ne voyant déjà que trop peu Ayel, il ne pouvait pas se permettre de l’abandonner toutes les nuits.


Mais tout bascula ce matin-là, lorsque David et Tyra croisèrent Söl. David et Tyra se dirigeaient vers la surface lorsque Söl les intercepta.


« David, j’aimerais parler avec Tyra. Seule à seule. » ordonna t-elle, en lui faisant signe de s’éloigner.


Il ouvrit la bouche pour contester, mais un regard de la dirigeante suffit à le dissuader. Il recula et haussa les épaules.


Lorsqu’il fut assez loin, Söl posa une main sur l’épaule de Tyra et l’invita à s’asseoir près d’elle sur des pierres. La jeune femme la fixait, inquiète. Avait-elle deviné qu’ils cherchaient Nora ?


« J’ai cru comprendre que tu formes David aux travaux à la surface. C’est très bien, je suis fière de toi. » commença Söl d’une voix douce et maternelle. « J’en parlerai à Warin lorsqu’il reviendra pour qu’il te donne plus de responsabilités avec les prochains apprentis.

– Quoi ? » répondit Tyra, prise de court.


Elle ne s’attendait pas du tout à ce que Söl aborde ce sujet.


« Les veilleurs que vous avez aidés cette semaine sont venus me voir hier soir. Ils ne tarissaient pas d’éloges sur vous deux. Je pense que d’ici quelques années, je pourrais songer à te confier ton propre apprenti. Mais seulement si tu continues dans cette voie.

– Vraiment ? » Tyra se leva, les yeux écarquillés et brillants. S


öl lui fit signe de se rasseoir avec un petit rire amusé. Embarrassée par cet accès de joie, elle se rassit aussitôt sur les marches. D’une voix plus sérieuse, Söl ajouta :


« Cependant, lorsque je me suis rendue à ta hutte hier soir pour te féliciter, tu n’étais pas là.

– Oui, j’ai travaillé jusque très tard… » bredouilla-t-elle.


Söl secoua la tête.


« Tu es libre de faire ce que tu souhaites de tes nuits, tant que tu acquittes de tes tâches. Mais je m’inquiète pour toi. »


La dirigeante se pencha vers elle et lui attrapa la main avec douceur. Tyra se dégagea aussitôt, comprenant alors ce qu’elle voulait faire.


« Non.

– Tyra, tu…

– Je ne veux pas que vous lisiez en moi ! Ce n’est pas parce que je ne sais pas protéger mon esprit aussi bien que Soren que vous avez le droit de me voler mon intimité.

– Mais…

– Comme vous l’avez dit, ce que je fais de mes nuits ne regarde que moi, ça n’a rien à voir avec la Caste. »


En entendant les cris de Tyra, David les rejoignit aussitôt, inquiet :


« Que se passe-t-il ? »


Söl se leva et s’épousseta, avant de répondre :


« Rien. Si elle ne veut pas de mon aide, grand bien lui fasse ! Mais elle devra assumer ses regrets. Faites attention, je ne fermerai pas toujours les yeux. »


Sans leur laisser le temps de répondre, Söl repartit. David la fixa, interloqué. Finalement, il tourna la tête vers Tyra. Cette dernière avait les larmes aux yeux.


« Je n’ai rien compris. Tu m’expliques ?

– Elle a essayé d’lire mes pensées pour savoir ce que je fais de mes nuits. » siffla Tyra, en frissonnant. « Mais je ne voulais pas. Si elle avait lu, elle aurait su que tu as écouté sa conversation et que tu me l’as rapportée. Je ne veux pas que tu aies des ennuis par ma faute.

– Vu sa réaction, à mon avis elle le sait déjà. »


Tyra renifla. Elle était en colère contre Söl. Plus le temps passait, moins elle ne supportait de ne pas avoir d’intimité. Söl savait toujours tout. Et lorsque l’on était aussi proche d’elle, ça en devenait étouffant.



Ce jour-là, Tyra fut d’une humeur massacrante. Sa dispute avec Söl lui pesait. Elle avait des réactions agressives, se vexait facilement et restait renfrognée sur elle-même. C’était insupportable pour travailler, car le ton montait aisément.


Lorsqu’elle rabroua David pour la énième fois, il s’énerva.


« Hé ! T’arrête ça, je n’ai pas à subir ta mauvaise humeur ! » gronda-t-il à bout de nerf, exaspérant d’autant plus la jeune femme. « Ne te sers pas de moi comme d’un défouloir.

– Si tu faisais bien ton travail, ça n’arriverait pas ! »


Elle se retourna et croisa les bras, agacée. David leva les yeux au ciel. Il voulait bien être gentil et compréhensif, mais il n’acceptait pas de se faire crier dessus sans raison.


« C’est ça. Boude si tu veux. » poursuivit-il, en faisant mine de s’éloigner. « Moi je vais continuer d’aider les autres, tu reviendras quand tu seras calmée. »


Tyra ne répondit pas, tournant le dos à David. Il soupira. Et c’était lui, l’apprenti ?



Il retourna travailler près des quais, leur mission d’aujourd’hui se trouvant de nouveau dans cette zone. Il commençait à prendre ses marques, et il y avait toujours des choses à faire dans le coin. Mais au bout d’une demi-heure, ne voyant pas Tyra réapparaître, David finit par s’en vouloir.


Après tout, la jeune femme n’avait pas une vie facile.


Son mentor était mort. Son frère la traitait mal. Son ancien compagnon allait se faire tuer. En ce moment elle ne dormait plus. Et aujourd’hui, elle s’était disputée avec la personne qu’elle admirait le plus…


« J’aurais dû être plus patient. » murmura David, regrettant de s’être emporté ainsi.


Ces derniers jours, il avait tout fait pour qu’elle se sente mieux… et voilà que tous ses efforts avaient été balayés bêtement par son mauvais caractère ! S’en voulant, il retourna là où il avait laissé Tyra. Mais elle était partie.


David hésita. Devait-il quitter le travail pour la chercher ou rester à son poste pour continuer sa tâche ? Finalement, il décida de terminer ce qu’il avait commencé. Après tout, elle était peut-être simplement partie faire un tour pour se calmer ?


À sa place, il apprécierait qu’on le laisse seul. Mais quand le soleil fut couché et que l’heure de rentrer arriva, elle n’était toujours pas revenue. Ne sachant pas quoi faire, il se rendit près de chez Nora. Tyra s’était aménagé un coin en hauteur pour observer les alentours et guetter l’entrée de la maison.


Mais elle ne s’y trouvait pas. Il jeta un œil vers le bâtiment, mais aucune lumière ne s’en échappait. De toute façon, Tyra ne restait jamais dedans. Elle ne faisait que s’y faufiler pour regarder rapidement s’il avait laissé une trace de son passage, avant de retourner à son poste d’observation.


« Peut-être est-elle retournée directement à la caste ? » songea-t-il.


N’ayant pas d’autre piste et étant épuisé, il dut se résoudre à rentrer. Mais Tyra ne s’y trouvait pas non plus.


« Oh, ne te torture pas comme ça. » fit Ayel le soir même, lorsque David lui raconta sa journée. « Tu verras, elle reviendra demain.

– J’espère… »


David soupira. Si Senna n’était pas partie avec Warin en expédition, il se serait rendu chez elle pour lui demander conseil. Mais elle n’était pas prête de rentrer. Et à qui d’autre pouvait-il s’adresser ? Hormis Senna, il ne connaissait pas ses amis dans la caste.


En avait-elle seulement ? Et il était hors de question d’aller voir Soren. Déjà, car David ne pouvait pas le sentir, mais surtout, car ce ne serait que lui donner une occasion de plus pour blâmer sa sœur.


Tyra avait l’air d’avoir déjà bien assez de problèmes avec lui, il ne comptait pas ajouter de l’huile sur le feu.


Rassuré par Ayel, il décida donc de ne rien faire et d’attendre le lendemain. Mais elle ne vint pas. David patienta à leur point de rendez-vous habituel durant plusieurs heures, mais aucune trace de Tyra. Ne sachant pas quoi faire de sa journée, il hésita à sortir seul pour partir à la recherche de la jeune femme.


Cependant, il abandonna vite cette pensée : il n’avait aucune idée des lieux où elle pourrait se trouver. N’ayant pas d’autre choix, il décida finalement de s’en remettre à Söl. La meneuse était dans sa hutte. Concentrée, elle lisait des documents et signait des papiers. En entendant David entrer, elle arrêta ce qu’elle faisait et pivota vers lui.


« David ? Tu ne travailles pas ? Que puis-je faire pour toi ?

– Je me suis disputé avec Tyra hier, et elle a disparu. Je ne savais pas vers qui me tourner… je suis inquiet. » murmura t-il, sentant ses yeux picoter.


« Disparu ? »


Söl se leva. Elle posa plusieurs questions à David, qui lui narra sa journée de la veille avec gêne.


« Ce n’est pas de ta faute, ce n’est pas grave de se disputer de temps en temps avec ses amis. » le rassura Söl, bienveillante. « Vous êtes devenus proches rapidement, vous avez encore du chemin à faire avant d’apprendre à trouver vos limites.

– Merci… » murmura David. « Mais je reste inquiet. »


Söl se tourna et but une gorgée de la tasse qui traînait sur son bureau. Elle inspira.


« Tu me permets de… ? » demanda-t-elle, en tendant la main vers lui.


Comprenant ce qu’elle voulait faire, il opina. Söl se rapprocha de David et posa alors délicatement la main sur son bras. Elle ferma les yeux quelques minutes, semblant presque défaillir, avant de les rouvrir.


« Rassure-toi, de ce que j’ai vu Tyra rentrera dans quelques jours. »


David soupira de soulagement. Il avait eu peur qu’elle fasse une énorme bêtise. Pour avoir lui-même songé de nombreuses fois à se donner la mort, à l’époque où sa vie était d’ombre et de désespoir, il avait craint que Tyra…


« Ce que je vois n’est pas une vérité absolue. Mais c’est assez fiable pour ne pas trop s’en faire pour elle.

– Et tu as vu où elle se trouve ?

– Non. » Söl soupira. « J’ai vu les chemins que peut prendre ton futur ces prochains jours. Pas le sien. Je l’ai vue revenir à tes côtés, mais pas se confier.

– C’est déjà ça… »


David se mordit la lèvre. Malgré tout, il restait soucieux.


« Tu vas la sanctionner ? » demanda-t-il finalement après quelques secondes de silence.


Söl fit un petit bruit de désapprobation.


« Évidemment. Et toi aussi. Ça te passera l’envie d’écouter aux portes. »



Söl fit signe à David de l’attendre avant de quitter sa hutte. Il l’entendit apostropher une personne qui passait par là. Elle revint quelques secondes plus tard, satisfaite.


« J’ai fait appeler Lothar. Quand il arrivera, il se chargera de toi en l’absence de Tyra et je lui laisserais le choix de ta sanction. »


Lothar était le nom d’un des nombreux veilleurs que David avait pu rencontrer récemment. À l’instar de Warin, c’était un vétéran qui travaillait essentiellement sous terre et qui avait une position importante dans le groupe.


Mais si Warin était responsable des expéditions, Lothar était quant à lui investi dans tout ce qui touchait les services au sein même du village. C’était par exemple lui qui s’était chargé d’inspecter les caisses de marchandises que David avait aidé à transporter.


Tyra lui avait expliqué que Lothar se chargeait ensuite de définir ce qui revenait au village et ce qui serait revendu à la surface. Et ce n’était qu’un exemple parmi tant d’autres, Lothar gérait énormément de choses pour la Caste.


« En attendant, que dirais-tu de t’asseoir avec moi ? » continua Söl. Elle se posa sur un coussin et tapota la place à côté d’elle.


David s’exécuta. Si les coussins de Söl paraissaient grands et moelleux lorsqu’elle s’asseyait dessus, ils semblaient bien petits lorsque David en faisait de même.


Mal à l’aise, il abandonna l’idée et préféra s’installer à même le sol. De toute façon, il était assez confortable : toute la hutte de Söl était parsemée de tapis, de tentures et de couvertures.


En attendant l’arrivée de Lothar, ils discutèrent tranquillement.


« Je me souviens quand elle avait l’âge de mes fils, Tyra fuguait sans cesse. » expliqua Söl en souriant, quelques minutes plus tard. « C’était une vraie peste ! Et moi j’étais trop tendre avec elle. C’est un peu de ma faute si elle se comporte aussi mal aujourd’hui.

– Tu parles d’elle comme si c’était ton propre enfant. » fit remarquer David, qui avait noté la douceur et l’amour qui se dégageaient de Söl lorsqu’elle évoquait Tyra.


Cette dernière sourit en retour.


« J’aurais aimé que ce soit le cas. À la mort de leurs parents, Tyra et Soren sont entrés sous ma protection. J’ai bien tenté de tisser des liens avec eux, mais c’était plus compliqué que prévu…

– Ah ? »


David écoutait Söl avec attention. Il était toujours très curieux d’en savoir plus sur l’enfance de Tyra, ainsi que sur sa relation avec Söl. Il avait du mal à cerner ce qui les reliait toutes les deux.


« Soren me hait depuis que j’ai pris le pouvoir. Je n’ai jamais réussi à m’entendre avec lui. Quant à Tyra, bien qu’elle commence à mûrir, elle m’idolâtre et m’admire à outrance depuis son enfance… »




Söl fut coupée dans ses explications par l’arrivée d’un homme, qui entrouvrit le rideau de la hutte.


« Dame Söl ? Vous m’avez fait mander ? »


Söl laissa David sous la garde de Lothar, après lui avoir résumé brièvement ce qu’il devait faire et savoir.


« Il subira les sanctions de ton choix jusqu’au retour de Tyra. » avait-elle terminé, d’une voix sérieuse et autoritaire. Elle n’avait rien à voir avec la femme qui souriait quelques minutes plus tôt. « Fais ce que tu veux de lui. »


David avait ensuite suivi l’homme dans le village, silencieux et tendu. Quelle serait sa punition ? Il avait peur de tomber sur une corvée contraignante.


« Il était grand temps que Söl fasse quelque chose, ce n’est pas acceptable qu’un apprenti se comporte aussi irrespectueusement envers notre dirigeante.

– Mais je… » tenta de répondre David, avant d’être coupé.


« Chut. Un apprenti ne doit pas répondre à un maître. Tant que tu n’as pas fini ton apprentissage, tu n’es rien. Je ne veux plus t’entendre. »


David referma la bouche et serra les dents. Lui qui avait trouvé Lothar, admirable jusque là, commençait sérieusement à le détester.


N’ayant pas envie d’aggraver son cas, il décida de faire profil bas.


Quelques minutes après, ils arrivèrent enfin à destination. Un lieu que David reconnut immédiatement. L’odeur lui prit le nez et il grimaça.


« Les latrines ont besoin d’être nettoyées. » expliqua Lothar. « Tu vas t’en charger. Ça t’apprendra où est ta place. »


David pria alors pour que Tyra rentre le plus vite possible.



Épuisé par sa journée passée à récurer les latrines, David pensait pouvoir s’écrouler dans sa hutte et dormir jusqu’au petit matin. Mais c’était sans compter Ayel, qui refusa qu’il n’entre tant qu’il n’avait pas pris un bain.


« Bon sang, tu empestes ! »


Mais il n’avait pas la force de se traîner jusqu’au lac. Prendre un bain, oui… mais pas avant de s’être reposé un peu ! Cependant Ayel était intransigeant : il n’était pas question qu’il embaume leur hutte de l’odeur infâme qui lui collait à la peau.


Finalement, David s’avoua vaincu et abandonna l’idée de dormir sur sa propre couche. Il marcha quelques minutes jusque-là hutte de Tyra et entra dedans. Il se posa sur sa paillasse et bâilla.


« C’est de sa faute, tant pis pour elle ! » marmonna-t-il, avant de s’allonger et de s’endormir.



En se rendant quelques jours plus tard dans la hutte de Tyra pour regarder si elle était rentrée, David remarqua que des affaires semblaient avoir changé de place. Mais pour autant, Tyra n’était pas réapparue.


S’était-elle faufilée sans se faire voir ? Aucune idée. Mais plus les jours s’écoulaient, plus David s’impatientait. Il avait hâte que sa punition s’arrête !


Il avait tout d’abord passé plusieurs jours à récurer les latrines. Söl avait même pris le temps de venir voir son travail, un sourire amusé sur le bout des lèvres. Elle s’était délectée de la situation, arguant qu’elle avait bien fait de le confier à Lothar au vu des résultats plus que positifs…


« Jamais nos latrines n’ont été aussi propres ! »


David avait marmonné, agacé par la situation.


Les jours suivants, Lothar lui avait confié diverses tâches moins éprouvantes. Et moins odorantes. Nettoyer le quartier des veilleurs. Porter de lourdes charges pour les artisans. Aider aux cuisines…


Rien qui ne soit aussi humiliant que la première sanction. Et tout ce travail lui rappelait des souvenirs. Il ne pouvait que repenser aux années passées au service de la famille d’Öta.


Bien que seulement deux ans s’étaient déroulés depuis son départ, tout ça lui semblait bien loin. Il était fier d’avoir réussi à avancer et de vivre maintenant comme un homme libre… Enfin, pas si libre que ça… Il avait tout de même plusieurs tonneaux de pommes de terre importées du sud à éplucher aujourd’hui.


Fort heureusement, les personnes qui travaillaient aux cuisines étaient adorables. Il s’entendait très bien avec elles. Elles avaient toujours un mot gentil et un sourire chaleureux.



Ce qui n’était décidément pas le cas de tout le monde dans ce village. S’il y avait bien une chose qui agaçait David, c’était la propension qu’avaient les gens à critiquer Tyra dès qu’elle n’était plus là.


Il suffisait qu’elle s’absente quelques jours pour que tous s’en donnent à cœur joie. Que des piques mesquines et des rires méchants, des mots que jamais ils n’auraient osé lui dire en face. Et ils ne s’en cachaient pas. À croire qu’ils faisaient tout leur possible pour qu’il entende tout.


« Elle fait honte à sa lignée. Un esprit aussi rebelle n’a pas sa place ici ! Elle devrait prendre exemple sur son frère, plutôt que de bafouer son héritage. » avait affirmé un veilleur en conversant avec l’un de ses confrères, tandis que David balayait dans la même pièce.


Plus tard, tandis qu’il mangeait avec Ayel durant le repas en groupe du village, deux femmes derrière lui bavardaient d’une voix forte :


« Tyra est encore partie ? Elle a dû se trouver un nouveau gars en haut.

– Vu ses gouts, ce doit être encore être un garçon douteux. Je parie qu’elle va de nouveau se faire engrosser puis jeter, elle n’apprend jamais rien de ses erreurs.

– Elle pourrait au moins chercher un homme dans la caste, ça ne manque pas pourtant. »


Et ça continuait sans cesse, chaque jour.


« Ce pauvre Darius doit regretter d’avoir été confié à cette fille-là. Vivement que Warin revienne d’expédition, on ne devrait pas laisser les apprentis au premier venu.

– Attends, je crois que tu te trompes. Ce n’est pas plutôt Damien, son prénom ? »


David était très agacé, et avait une irrésistible envie de remettre à leur place toutes ces commères. Mais Ayel l’en dissuadait, bien qu’il partageait son agacement.


« J’te jure ! » grogna David. « J’ai envie de les frapper.

– Hé. La violence ne résout rien.

– Peut-être, mais ça soulage. »


Ayel soupira.


« Mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?

– S’ils ont plus de dents, ils pourront plus parler. Peut-être qu’ils fermeront enfin leur gueule comme ça. »







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