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- 10 nov. 2024
- 27 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
Partie 1 - A la recherche de Merry
Tous les matins, avant de se rendre à l’hospice, Petrus passait voir si tout allait bien au Refuge. Il en profitait pour ensuite faire le chemin avec Öta jusqu’à leur lieu de travail.
Ce dernier l’avait donc guetté avec impatience… et le prit à part dès qu’il arriva. Il lui confia sans attendre ce qu’il s’était passé durant la nuit, la façon dont il avait rencontré Tyra et retrouvé Nora et lui demanda de l’aide.
« … et je lui ai dit que j’allais me charger du corps, mais je ne sais pas quoi faire. Je dois prévenir la garde ?
– Certainement pas, jeune fou ! » s’exclama Petrus en retour, faisant sursauter Öta.
D’une voix plus douce, l’homme expliqua :
« N’oublie pas les marques sur ses mains. Et si les gardes les voyaient ? Et si une enquête était faite, pour savoir s’il y a d’autres mages dans son entourage. Ne penses-tu pas qu’ils pourraient remonter à toi, puis à nous ? Le Refuge doit rester loin de ce genre de problème.
– Bon sang, j’avais presque oublié… »
Petrus posa la main sur son épaule, ajoutant :
« Je connais un homme qui peut s’occuper de faire disparaître le corps si tu y mets le prix.
– Disparaître ? Dit comme ça, c’est horrible… » répondit Öta, troublé. « Tu ne veux pas t’en charger à ma place ? Contacter cet homme et…
– C’est ta responsabilité, c’est toi qui dois le faire. Il vit dans le quartier brun, près des quais. Je vais te dire où le trouver et tu vas y aller ce matin.
– Et pour l’hospice ?
– Je leur dirais que tu es fatigué et que tu as besoin de repos. Tu peux t’absenter quelques jours le temps de mettre tes idées au clair, je m’occuperai de tous. »
Öta hocha la tête, reconnaissant.

Ce matin-là, il suivit les directives de Petrus à la lettre. Après avoir rencontré l’homme que Petrus lui avait recommandé, suivant ses conseils à la lettre, Öta retourna au refuge, la boule au ventre.
Toute cette situation l’angoissait.
Tout se passait bien trop vite !
Sur le chemin il se demanda si la jeune femme serait toujours là à son retour. Peut-être était-elle déjà rentrée chez elle ? Ou bien, était-elle restée ? Si c’était le cas, sans doute avait-elle fait profil bas en restant dans la chambre, intimidée. C’est ce qu’il aurait fait à sa place.
Il se serait roulé en boule dans son lit, accablé par les événements et angoissé de se réveiller dans un lieu inconnu.
Öta accéléra en l’imaginant pleurer, recroquevillée dans un coin. Personne ne ferait attention à elle… Il ne devait pas la laisser seule plus longtemps ! Lorsqu’il entra dans le refuge, essouflé, Ambroisie le salua avec son éternelle douceur. Amusée, elle lui lança :
« Ton invitée martyrise mon petit frère, tu devrais faire quelque chose.
– Hein ? »
Troublé, Öta prit la direction de la cour intérieure. Il entendit la voix de Tyra, et pressa le pas. Que faisait-elle donc ?
« Comment ça, tu n’as jamais bu d’hydromel ?! » s’exclama t-elle, avec une voix mélodramatique. « Pauvre enfant !!
– Mais, je… » Yann bredouillait, rouge vif.
Le garçon jetait des coups d’œil autour de lui, cherchant du soutien. Quand son regard croisa celui d’Öta, il l’implora des yeux de venir l’aider. Tyra remarqua alors sa présence. Elle lâcha Yann et se tourna vers Öta, grognant :
« C’est de la maltraitance ça, tu sais ! »
Quoi ?

« N’oublie pas que tu n’es pas chez toi ici. Un peu de respect. » gronda Öta, agacé.
Yann profita de cet instant de répit pour se faufiler derrière lui et rejoindre sa sœur dans le couloir.
Lorsqu’il vit la jeune femme reculer, Öta s’en voulut d’être aussi dur. Ces derniers jours, la fatigue et l’angoisse avaient eu raison de sa patience. Il n’était pas aussi sec habituellement.
Il soupira. D’une voix se voulant plus douce, il la questionna :
« Pour quelle raison parlais-tu d’alcool avec Yann ?
– Je lui ai demandé où trouver à boire… » répondit-elle, détournant les yeux. « J'en avais besoin. Après... tu sais ? »
La colère d’Öta lui avait fait l’effet d’une douche froide.
« Ah, je vois. »
Öta lui fit alors signe de le suivre, tandis qu’il se dirigeait vers la réserve. Il prit une clef dans son escarcelle et déverrouilla la porte.
« Si c’est de l’hydromel que tu veux, nous en avons ici. Ce n’est pas le meilleur, mais il nous aide à tenir lors des nuits froides.
– Ah, merci ! » s’exclama-t-elle, se détendant légèrement.
Elle fit un pas en avant, mais se stoppa lorsqu’Öta secoua la tête. Il referma la porte et plongea ensuite son regard dans celui de Tyra.
« Mais ce ne sera pas gratuit. Service contre service. »
Tyra plissa les yeux. C’était donc ce genre d’homme ?
« Pour qui tu m’prends ? » siffla-t-elle. « Je coucherai pas pour de l’alcool.
– Hein, quoi ? » glapit-il en écarquillant les yeux, offusqué. « Non ! »
Il soupira et après quelques secondes de silence, ajouta :
« Je souhaite qu’en échange, tu m’aides à chercher Merry. Tu la connais, n’est-ce pas ? Je ne veux pas qu’elle reste seule.
– Oh. » Tyra rougit, honteuse. « Bien sûr ! La petite Merry, aha. Euhm, compte sur moi. »
Öta hocha la tête, satisfait. Si Merry était encore en vie, il ne pensait pas qu’elle ait pu se réfugier chez Sarah. Son père ne l’aurait jamais acceptée. Ulrich l’aurait plutôt laissée mourir sur le pas de sa porte.
Quant à Jol… ça impliquait de revoir Elan. Öta préférait garder cette éventualité pour la fin.
« Parfait. » continua t-il. « Je ne connaissais pas très bien Nora, je n’ai aucune idée des lieux où sa sœur pourrait se cacher. Mais toi, tu as peut-être des idées ?
– Oui, je connais les coins où Merry fait la manche, nous pouvons aller voir. » répondit Tyra, soucieuse. « Mais je ne comprends pas pourquoi elle n’était pas avec Nora. Ils s’éloignent rarement l’un de l’autre. »

« À ce sujet… je pense que nous devons parler. »
Il invita Tyra à s’installer dans la cour, tandis qu’il se dirigeait dans la réserve pour remplir un pichet d’hydromel. Il en profita pour retirer sa cape, qu’il laissa sur une caisse.
Lorsqu’il revint, il posa le pichet et deux verres sur la table, avant de s’asseoir à son tour. Tyra le regarda faire, le menton posé sur les mains. Elle lui souriait, le visage éclairé par le soleil matinal.
« Pourquoi cherchais-tu Nora ? » demanda-t-il, en la servant.
Cette question le taraudait depuis quelque temps, mais il n’avait pas encore trouvé l’occasion de lui poser. Comme elle semblait en meilleure forme que la veille, il jugeait le moment opportun. Mais elle haussa les épaules et chuchota :
« Secret. »
Öta se mordit la lèvre, un peu déçu. Mais chacun ses raisons, si elle ne souhaitait pas en parler, à quoi bon insister ? Il but une gorgée d’hydromel, avant de continuer :
« Tu sais, au début j’ai cru que tu venais pour faire du mal à Nora. À cause de ce qu’il a fait à Merry. Alors j’ai eu l’espoir que tu saches où elle était.
– Comment ça ? Que lui a-t-il fait ? » demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.
Öta lui révéla tout ce qu’il avait appris : la magie, l’agression de Merry, sa disparition… Tyra l’écouta silencieusement, le visage sombre. Lorsqu’il eut fini, elle but son verre d’une traite avant de le reposer bruyamment.
« Ce salaud… Je le savais. C’était sûr que ça arriverait. Merry est trop gentille, je lui avais dit de partir, qu’un jour il lui ferait du mal, mais elle ne m’a pas écouté…
– Mais ça fait beaucoup de temps que tu le connais ? Vous étiez proches ? » tenta Öta, qui n’était pas certain qu’elle veuille lui répondre.
Elle opina et se resservit un verre.
« Ouais, on peut dire ça. On s’aimait, y’a longtemps. Mais il m’a fait du mal, à cause de sa foutue magie, alors on s’est séparés. »
Tyra soupira, avant de grogner :
« Ce connard à bien fait d’crever. »
Öta était touché par la douleur dans la voix de la jeune femme et resta silencieux, l’écoutant évoquer ses sentiments à cheval entre l’amour et la haine.
« J’sais qu’il s’est remis en couple avec une gamine de l’âge de Merry. Je les ai vu trainer ensemble. J’avais peur pour elles, alors quand j’passais dans l’coin je les surveillais. » continua t-elle, avant d’ajouter avec un petit rire : « Merry m’grillait tout l’temps. Elle venait me voir et me rassurer en m’affirmant que Nora avait arrêté ses conneries.
– Je n’ai pas eu l’occasion de vraiment lui parler, mais elle avait l’air d’être une bonne personne.
– C’est une perle cette gamine. J’me souviens quand elle me suivait partout, en disant qu’plus tard elle voudrait être comme moi. Ça m’agaçait, j’arrêtais pas d’lui crier dessus… » la voix de Tyra se brisa. « J’espère qu’elle va bien.
– On va la retrouver, t’en fais pas. » murmura Öta, qui n’y croyait pas vraiment.
Tyra hocha la tête, les épaules basses. Il continua :
« Tout d’abord tu vas me montrer les coins où elle traine. Et si on ne la trouve pas là-bas, on ira voir Jol.
– Jol ?
– La fille en couple avec Nora. Elle est amie avec Merry. »
Tyra se tendit et répondit :
« Je comprends pas. C’est elle qu’on devrait aller la voir en premier. Elle saura peut-être quelque chose. Et il faut que quelqu’un lui dise pour Nora.
– Je… c’est compliqué. Disons qu’elle ne m’apprécie guère…
– Pfeuh ! Si tu n’as le courage, je lui parlerai. Je te dois bien ça. » ajouta t-elle, remarquant la gêne et l’hésitation d’Öta.
« Tu m’as soutenue hier, alors à mon tour »

Alors qu’Öta se levait et se dirigeait vers sa chambre pour chercher sa besace, il fut interrompu par Ambroisie. Cette dernière s’approcha de lui et lui demanda :
« Tu pourrais t’occuper de Jon ? Je voulais le changer, mais il te réclame.
– Je comptais partir… » répondit Öta, qui n’avait pas prévu ça.
Ambroisie insista avec un ton si doux qu’il était impossible de refuser :
« S’il te plait Öta…
– D’accord, d’accord. »
Öta se tourna vers Tyra, qui regardait la scène avec intérêt, et lui expliqua :
« C’est un enfant qui a besoin de beaucoup d’attention. Est-ce que tu peux attendre pendant que je m’occupe de lui ?
– Pas d’soucis, j’te suis ! »
Öta grimaça. Il aurait préféré qu’elle patiente dans la cour, mais soit. Au moins, elle ne traumatiserait aucun autre membre du refuge si elle restait avec lui. Il laissa la jeune femme le suivre tandis qu’il se dirigeait vers la chambre de l’enfant.
C’était un tout petit garçon. Le refuge l’avait récupéré, mourant dans la rue. Seule l’intervention d’Öta et Petrus, qui étaient tous deux présents ce soir-là, avait permis de sauver le petit.
Au vu de ses minuscules oreilles coupées, c’était un Orian destiné à grandir comme esclave. Pourquoi donc était-il dans la rue, plutôt qu’auprès de ses maîtres ? Personne ne le savait. Mais il était hors de question de l’abandonner maintenant. Ambroisie parlait même de l’adopter lorsqu’il irait mieux. Elle ferait une merveilleuse mère pour le petit, il n’en doutait pas.
« J’suis contente d’voir des lieux comme ça, où les p’tits orians sont aussi bien traités. » fit remarquer Tyra, tandis qu’Öta changeait et lavait le petit. « T’es un bon gars.
– Merci. »
Lorsqu’il eut terminé, le petit insista pour qu’Öta reste. Mais Tyra s’en mêla. Elle secoua la tête et s’accroupit devant lui :
« Öta doit partir, mais c’est promis il jouera avec toi la prochaine fois. Pas vrai Öta ? » ce dernier hocha la tête. « Là il doit m’aider à retrouver mon amie.
- Maiiiis... »
Öta lui caresse la tête et dit :
« Jon, tu te souviens comment tu étais quand on t’a accueilli ? Son amie est peut-être dans le même état. Elle a besoin de nous. »
Le petit hocha la tête vigoureusement, et s’enfuit ensuite se cacher dans son lit. Non sans trébucher en chemin.
« Maintenant, hâtons-nous avant qu’une nouvelle personne ne requière mon aide. Y’a pas moyen d’être tranquille deux minutes ici. »
Tyra répondit par un petit rire.
Et justement, Yann se dirigeait vers eux avec visiblement l’intention de demander quelque chose à Öta. Mais en apercevant Tyra à côté de lui, il devint rouge vif et fit demi-tour. Öta, qui avait remarqué la scène, éclata de rire.
« Je devrais t’embaucher comme garde du corps, en fait.
– Tu vois ? J’ai eu raison de le secouer un peu tout à l’heure. » répliqua t-elle.

Tyra ayant réussi à convaincre Öta d’aller voir Jol en premier lieu, ils se préparèrent rapidement et prirent la route vers les quartiers de la haute ville. Il avait une bonne distance à marcher, alors en chemin, ils discutèrent tranquillement. Parler et penser à autre chose aidait à relâcher la pression.
Öta se sentait particulièrement rassuré par le flot de paroles et la joie de vivre de Tyra. Si elle n’avait pas été là, il aurait sans doute passé sa journée à se morfondre et ressasser les événements. Il commençait presque à l’apprécier. Mais il fronça les sourcils lorsqu’elle s’exclama soudain :
« J’aime bien ton accent ! J’ai un ami qui a le même !
– Quoi ? » répondit bêtement Öta, qui ne s’y attendait pas. Tyra avait l’air d’avoir le don pour passer du coq à l’âne, changeant de conversation en plein milieu d’une phrase.
« Bah ça te donne un petit côté rustique qui contraste avec tes manières distinguées, c’est mignon. »
Öta s’arrêta de marcher, offusqué. Comment ça « rustique » ?
« Ah ! Et moi je trouve que ton accent te donne un air de bécasse.
– Quoi ?! » s’offusqua à son tour Tyra, sans vraiment relever l’insulte. « Mais je n’ai pas d’accent !
– Ah les gens de la capitale… » rétorqua t-il « … C’est VOUS qui avez un accent !

Lorsqu’elle releva qu’Öta la guidait toujours plus haut dans la ville, Tyra fronça les sourcils. Remarquant son trouble, il lui expliqua :
« La grand-mère de Jol est aisée.
– Quoi ? J’pensais pas que Nora trainerait avec une gamine d’la haute. Elle cache bien son jeu la p’tite. » grinça Tyra, amère.
Et lorsqu’ils arrivèrent devant la maison où vivait la famille de Jol, elle siffla.
« Wow, sacrée baraque. On peut y loger combien d’gens tu crois ? »
Öta haussa les épaules : il ne s’était jamais posé la question. Mais il avait remarqué à quel point les vêtements de Tyra étaient sales et usés, bien qu’il n’avait fait aucune réflexion à ce sujet. Il se doutait qu’elle ne devait pas avoir beaucoup de moyens, comme la majorité des gens dans cette cité.
Pour lui, cette maison n’était pas très grande comparé à son domaine. Mais pour elle, ce devait être un château.
Il se demandait où elle vivait. Elle avait refusé de répondre à cette question, l’intriguant plus que de raison. Était-elle à la rue ? Ou habitait-elle dans un lieu à l’abandon, comme Nora et Merry ? Öta espérait en apprendre plus sur elle avant qu’elle ne parte.
Mais l’heure n’était pas aux questions. Il prit son courage à deux mains et s’avança pour toquer à l’imposante porte en bois. Il s’arrêta lorsqu’il remarqua que Tyra ne le suivait pas.
« Ça ne va pas ?
– J’vais faire tache si je t’accompagne. » avoua Tyra, soudain beaucoup moins sûre d’elle. « Tu m’as vue ? Ils vont m’jeter dehors. J’pensais qu’on allait voir des gens normaux t’vois, pas des riches.
– Mais non. Ne t’en fais pas. »
Il se glissa derrière elle et la poussa devant lui jusque là porte. Et sans lui laisser le temps de réagir, il toqua. La porte s’ouvrit quelques secondes après sur le visage fatigué de Alda, qui fixa Tyra sans comprendre avant de s’éclairer en apercevant Öta :
« Öta ! »
Tyra se décala et regarda cette femme enlacer Öta. Elle était d’une rare beauté, sa peau pâle contrastant avec ses cheveux de jais. Bien que son visage soit marqué par des cernes, elle ne semblait pas bien âgée.
Le malaise de Tyra fut accentué. Elle était si belle ! Des vêtements simples, mais pourtant de très bonne facture, vivant dans une maison aussi grande… ils ne faisaient pas partie du même monde. Elle fit un pas en arrière.
Öta, qui avait entre temps quitté l’étreinte de son amie, remarqua son mouvement et lui glissa :
« Hé, m’abandonne pas. »
Il se tourna ensuite vers Alda :
« Je te présente Tyra, c’est une… euh… »
Il chercha ses mots. Comment définir la jeune femme ? Ce n’était pas son amie, mais ce n’était pas une inconnue. Il abandonna, ne trouvant rien de crédible.
«... « Une amie. »
Un sourire amusé commença à se peindre sur le visage de Alda, si bien qu’Öta ajouta précipitamment :
« Et quand je dis amie, c’est pas ce genre d’amie hein. Une amie amicalement amicale.
– Enchantée Tyra, je me nomme Alda. » gloussa Alda, après avoir haussé un sourcil moqueur. « Entrez vous deux, j’en connais un qui va être ravi de te revoir Öta.
– Je n’en doute pas… » grimaça-t-il.

Tyra regarda Öta les dépasser et entrer dans la maison. Il avait l’air de bien connaitre l’endroit et ses occupants, car il se dirigea sans la moindre hésitation. Contrairement à elle qui resta plantée dans l’entrée sans savoir où se mettre. Alda la fit sortir de ses pensées lorsqu’elle s’adressa à elle :
« Je vais faire du thé. Que dirais-tu de m’aider à l’apporter dans le salon ? Je viens de faire des pâtisseries, je pense que ce sera parfait avec. »
Tyra déglutit. Des pâtisseries ? Son ventre gargouilla et Alda hocha la tête, satisfaite :
« Allez, suis-moi »
Alda ouvrit une porte et descendit les escaliers, imitée par Tyra. Lorsque cette dernière entra dans cette cuisine si jolie, dont la senteur sucrée des gourmandises embaumait la pièce, elle se détendit légèrement. Alda prépara du thé tandis que Tyra fixait la scène avec fascination. L’odeur était incroyable !
La femme désigna ensuite un petit plateau de pâtisseries qui mirent l’eau à la bouche de Tyra.
« Tu peux le porter ? Il n’y en a pas beaucoup, mais je ne pensais pas recevoir de visite.
– Oui bien sûr. » répondit Tyra, en soulevant le plateau.
L’odeur ! C’était si sucré, si doux… Elle suivit Alda jusqu’au salon et déposa les gâteaux sur la table, tout en admirant d’un œil curieux l’intérieur de cette maison richement meublée. Elle se retourna en entendant la discussion qui avait lieu non loin :
« Je me suis tant inquiété ! Tu as l’air épuisé… Alda m’a affirmé que tu allais bien et que tu travaillais avec Petrus ? Tout se passe bien ? Ce vieux cabot ne t’en fait pas trop baver ? J’aurais voulu venir te voir, mais Alda m’en a dissuadé.
– Et elle à raison. J’ai toujours besoin de temps, Élan. »
Öta faisait face à un homme au regard aussi triste et marqué que celui de Alda, mais qui semblait profondément heureux de le revoir. Tyra hoqueta.
« Élan ? »
Ce dernier tourna alors la tête et plissa les yeux en apercevant la jeune femme :
« … On se connait ? »

Il y eut quelques secondes de flottement, avant qu’Élan n’écarquille les yeux et ne souffle :
« Mais oui… C’est toi ! La p’tite gamine qui suivait Gérard partout ? »
Voilà longtemps qu’il ne l’avait pas vue ! Il ne se souvenait pas de son prénom, n’y ayant jamais prêté attention, mais ses traits étaient assez reconnaissables pour l’avoir marqué. Élan s’approcha d’elle, un grand sourire éclairant son visage. Sourire qui disparut aussitôt lorsqu’il réalisa la situation :
« Mais que fais-tu ici ? Tu es venue avec Öta ? Vous vous connaissez tous les deux ?
– C’est plutôt à moi de poser cette question. » rétorqua Öta, en croisant les bras.
Tyra, quant à elle, recula d’un pas. Personne ne sembla remarquer la panique qui la gagnait ni ses yeux fixés avec horreur sur Élan. Elle inspira et tenta de se calmer, tandis qu’Élan lui tournait le dos pour expliquer à Öta :
« Tu te souviens de la femme dont je t’ai parlé, Söl ?
– Celle à qui tu vends tes marchandises et avec qui tu couches joyeusement ?
– Oui c’est ça. » toussa t-il, sous le regard amusé de Alda qui s’était assise pour contempler la scène. « Cette jeune fille était l’apprentie de Gérard, le second de Söl. Je l’ai croisée plusieurs fois lorsqu’elle l’accompagnait à nos rendez-vous, il a quelques années. »
Il se tourna de nouveau vers Tyra :
« C’est bien ça, je ne me trompe pas ? »
Tyra, qui avait reprit contenance, opina :
« O... Ouais.
– Toutes mes condoléances. Söl m’a appris pour sa mort. C’était un homme bon.
– Merci. »
Öta tourna la tête vers Tyra, fronçant les sourcils. Elle faisait donc partie de ces personnes qui travaillaient pour le marché noir. Il n’en savait pas beaucoup à leur sujet, Élan restant très vague lorsqu’il en parlait, mais sa curiosité fut piquée. Mais il n’eut pas le temps de poser ses questions, car l’homme le devança et demanda :
« Mais ça ne m’explique pas comment vous vous connaissez tous les deux. Pourquoi êtes-vous venus ici ensemble ?
– C’est à propos de Nora. » répondit Öta. Il déglutit difficilement. « Tyra et moi, on…
– Tyra ? » répéta-t-il.
Élan sembla à son tour réaliser quelque chose. Merry lui avait parlé d’une jeune femme qui avait autrefois entretenu une relation avec Nora. Une jeune femme du nom de Tyra. C’était forcément elle !
Il lança un regard à Alda, qui ne comprit pas. Elle haussa les sourcils, lui faisant signe de s’expliquer.
« Je… Je n’avais pas fait le rapprochement… je ne me souvenais pas de ton nom. » murmura t-il, peiné. « Merry m’a parlé de toi, de ce qu’il t’a fait… »
Tyra se figea.

Tyra se figea. Il savait. Cet homme savait ce que Nora lui avait fait.
Elle recula, portant ses mains à son ventre. Son regard, toute la pitié qui en suintait… ça la brulait. Elle se sentait prise au piège dans cette maison.
Où était la sortie ?
Elle devait partir.
S’en aller, loin d’ici.
La main de Alda sur son épaule la fit sursauter. La femme la fixait, l’air inquiet.
« Assieds-toi, tu as l’air épuisée. »
Elle se tourna ensuite vers Élan et le fusilla du regard :
« Et si tu les écoutais au lieu de leur couper la parole ? Öta continue, je te prie.
– O... Oui. » répondit Öta, troublé.
Cette fois, il n’avait pas manqué la réaction de Tyra. Ainsi que son geste. Il soupira. Une fois assis, il commença :
« Il y a quelques jours, Nora est arrivé au refuge… »
Il résuma tout ce qu’il s’était passé, la boule au ventre. Tyra ne disait rien. Alda et Élan, quant à eux, s’échangeaient des regards inquiets.
« … Et c’est à ce moment-là qu’on l’a trouvé… »
Sa voix se brisa. Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Il continua :
« On à… On a trouvé son corps. Il était pendu dans sa maison. »
Il sanglotait tout en parlant et Alda le prit dans ses bras.
« Chuuuut. C’est bon.
– C’est de ma faute… Je lui ai dit des mots horribles… Je l’ai poussé à se tuer ! »
Il avait crié, relâchant toute sa culpabilité dans ces mots. Et durant les longues minutes qui suivirent, Öta pleura dans les bras de Alda, tandis que Tyra fixait le mur, les yeux brouillés de larmes.

Le cœur lourd, Élan se leva et servit une tasse de thé qu’il donna à la jeune fille. Elle le remercia du regard et l’accepta. La chaleur était réconfortante. Élan lui chuchota alors, profitant qu’Öta ne puisse pas l’entendre :
« Le contrat ? C’est toi qui as… ? »
– Non. » répondit t-elle, la gorge nouée et les yeux fixés sur la tasse en forme de citrouille.
La voix cassée, elle ajouta dans un souffle :
« Je ne suis pas… Je voulais juste le voir une dernière fois avant…
– Tu penses qu’il s’est vraiment pendu, ou… ?
– Ils ne laissent jamais de corps derrière eux. Pas comme ça. »
Élan se mordit la lèvre. Après l’agression de Jol, Alda et lui avaient tourné en rond durant des jours… La haine était leur seul quotidien.
Alors, il s’était rendu auprès de Söl et lui avait demandé de tuer Nora. Il n’y avait pas que le marché noir qu’elle dirigeait. Il lui avait supplié d’envoyer un assassin pour lui arracher la vie et le faire souffrir.
Mais lorsqu’elle avait accepté sa requête, lui répondant que ce serait fait dans les prochaines semaines, il ne s’était pas senti soulagé. Seulement vide.
Et maintenant que le garçon s’était pendu, Élan était soulagé de ne pas avoir sa mort sur la conscience. Il était soulagé de ne pas devoir mentir à Merry, Jol et Öta sur les circonstances de sa disparition…
« Garde tout ça pour toi, Öta et Jol ne doivent jamais savoir ce qui aurait dû arriver… » murmura-t-il alors.
Elle hocha la tête.

Öta s’était arrêté de pleurer, réconforté par la douceur maternelle de Alda. Après avoir essuyé ses larmes, il se pencha et piocha une pâtisserie sur la table. Il savoura le doux gout sucré.
Au refuge, il n’y avait que peu de place pour des produits de ce genre. La cuisine de Alda lui manquait parfois. Elle était rassurante.
« Il va falloir l’annoncer à Jol… » murmura t-il, les yeux toujours baissés.
Il sentit Alda se tendre à côté de lui. Elle répondit :
« Je m’en chargerai, ne t’en fais pas.
– Elle va m’en vouloir… Nora lui a dit des horreurs à mon sujet. Elle va me haïr toute sa vie. De ma faute, elle à perdu l’homme qu’elle aime. »
Il sentit les larmes perler de nouveau aux coins de ses yeux et renifla. Tout en s’approchant, Elan rétorqua alors :
« Elle ne l’aime plus, ne t’en fais pas. Il nous à montré son vrai visage, ce sale fils de ch…
– Elan. » gronda Alda.
Il ferma la bouche et leva les yeux au ciel, croisant les bras avec agacement. Öta les fixa avec incompréhension. Finalement, Alda expliqua :
« Je n’ai pas voulu te couper lorsque tu m’as expliqué ce qu’il s’est passé avec Nora. Mais c’est nous qui avons recueillis la petite Merry après son agression.
– Merry ! » réalisa enfin Tyra, en se redressant.
Elle fixa Alda avec espoir, et cette dernière hocha la tête avec un sourire :
« Oui, elle va bien. Et elle à pu expliquer la vérité à Jol, qui en voyant l’état de son amie à compris qu’elle se fourvoyait depuis le début. »
Alda avait délibérément évité d’aborder l’agression de Jol. Öta ne devait pas savoir. Ça ne le regardait pas. Ils avaient prit la décision de lui cacher lorsque Jol leur avait supplié de n’en parler à personne.
La jeune fille se sentait sale, marquée pour toujours. Et elle était pour le moment incapable d’en parler. Elle en avait honte et voulait laisser ça derrière elle. Et ses parents voulaient avant tout qu’elle se sente mieux.
« Et nous avons pu soigner la petite Merry. » ajouta Alda avec un sourire. « Elle va beaucoup mieux. »
Le soulagement gagna le cœur de Öta, qui en frissonna. Les yeux humides, il échangea un sourire avec Tyra. Cette dernière demanda alors :
« Et où sont-elles ? Où sont Merry et Jol ? »

Elles n’étaient pas ici. Autrement, elles auraient forcément entendu leurs voix et seraient venues les voir.
La jeune femme avait hâte de voir Merry, pour enfin s’assurer qu’elle était en bon santé et ne manquait de rien. Depuis que Öta lui avait parlé de son agression, elle tentait de cacher son inquiétude, mais une boule s’était formée dans son ventre.
« Elles sont en sécurité. » répondit Elan. « Nora connaissant l’emplacement de cette maison, nous avons donc préféré les installer ailleurs quelque temps. »
Depuis son agression, Jol était terrorisée. Elle ne parvenait plus à dormir dans sa chambre. Chaque petit bruit la faisait sursauter. Même bloquées, les fenêtres et le balcon étaient devenus sources d’angoisse. Et si Nora revenait finir ce qu’il avait commencé ? Jol ne pouvait s’empêcher d’y penser. Sa chambre était devenue un lieu terrifiant pour elle.
Alors, Alda et Elan avaient fait le nécessaire pour que leur fille se sente de nouveau en sécurité.
« Tu te souviens de Darius ? » demanda Alda avec un sourire, en se tournant vers Öta.
Ce dernier hésita :
« Pas vraiment. Le nom me dit quelque chose…
– C’est un ami proche. Je t’ai déjà parlé de lui. » expliqua Elan. « Il vivait dans le hameau avec nous depuis très longtemps, mais à déménagé à GemmeNoire il y à deux ans.
– Oh ! »
Öta s’en rappelait maintenant. Darius était l’amant de Alda, celui qu’elle fréquentait lorsque Elan voyageait durant plusieurs mois.
« Jol est chez lui. » comprit-il alors. « Et elle doit bien le connaitre s’il à vécu plusieurs années avec vous dans la forêt de BrancheNoire, non ?
– Oui. » Alda souriait, heureuse. « Jol l’adore ! Elle le considère même comme son oncle, c’est adorable. Elle le surnommait Dada lorsqu’elle était enfant.
– C’est pour ça que nous avons pensé à lui. » ajouta Elan. « Il a accepté d’héberger Jol et Merry le temps qu’il faudra. Il habite près de chez Sarah, ce n’est pas très loin d’ici.
– Pas très loin ? Dans ce cas, qu’attendons nous ? » fit Tyra, en se levant. « Allons les voir !
– Non. » répondit Alda.
Tyra tomba des nues. Elle s’agaça, n’ayant pas envie de tarder plus longtemps :
« Non ? Comment ça, non ?! Je dois annoncer à Merry ce qui est arrivé à son frère !
– Nous nous en chargerons. »
Alda avait croisé les bras, catégorique. Ce geste fit froncer les sourcils de Tyra. Elle s’impatienta :
« Ce n’est pas à vous de le faire. Je connais Merry depuis bien plus longtemps que vous ! Elle sera rassurée de me voir. Et elle rentrera avec moi, je ne veux pas qu’elle se retrouve seule dans la rue ! »
Mais Alda ne céda pas. Elle soupira :
« Nous n’avons pas l’intention de la laisser retourner dans la rue. Calme-toi.
– Mais —
– Avec Elan, nous comptons garder Merry et l’élever comme notre fille. Nous lui en avons déjà parlé et elle à dit oui. En tant que parents, c’est donc à NOUS de lui parler.
– Votre fille ? Parents ? » répéta Tyra, dans un souffle.
Elle fixa le couple avec stupeur.

Öta ouvrit la bouche, puis la referma. Quelle nouvelle ! Il ne s’y attendait pas. C’était extrêmement généreux de leur part. Son regard croisa celui d’Élan. Un sourire fier et heureux fendait son visage.
Bon sang. Il s’en était passé des choses durant son absence ! Öta réalisa alors que leur vie continuait, même sans lui. Et cette pensée le troubla. C’était pourtant ce qu’il avait souhaité, non ?
« Tu sais, Merry est plus jeune que Jol. Elle a beau être très mature et intelligente, elle reste une enfant. » expliqua Alda à Tyra. « C’était impensable pour nous d’imaginer la laisser retourner dehors. Elle a besoin d’un foyer.
– C’est sérieux alors ? » demanda Tyra, hésitante.
Alda opina.
« Oui. Cette maison n’est pas la nôtre, nos revenus sont maigres, mais nous saurons nous occuper d’elle. »
Tyra hocha la tête, sans voix. Elle se rassit lentement, réalisant tout ce que ça impliquait. Elle se souvenait d’une scène qui l’avait marquée quelques années auparavant. Merry qui pleurait car elle n’avait ni papa ni maman. L’enfant sanglotant dans les bras de son frère, se demandant ce qu’elle avait fait de mal !
Tyra se rappelait de comment Nora l’avait consolé, lui répétant que lui serait toujours là pour elle. À l’époque, le jeune garçon était encore doux et bienveillant… Mais il n'était plus là. Il était peut-être enfin temps que quelqu’un d’autre s’occupe d’elle ?
« Merci… » murmura-t-elle.
Alda lui répondit par un sourire chaleureux, avant de continuer :
« Tu sais, tu pourras venir la voir quand tu veux. Personne ne t’empêchera de lui rendre visite. Mais d’abord, tu dois nous laisser le temps de lui parler.
– hm… »
La colère de Tyra s’était estompée. Et toutes ces informations l’avaient bouleversée. Elle ne savait plus quoi penser ou dire.
« Laisse-nous juste quelques jours et ce sera bon. » conclut-elle.
Öta se leva alors. Il avait besoin de bouger. C’était beaucoup de nouvelles et d’émotions, bien plus que ce qu’il pouvait encaisser.
« Toutes mes félicitations. Mais il se fait tard et le Refuge n’est pas tout près. Je vais rentrer avant que la nuit ne tombe.
– Tu ne veux pas rester pour la nuit ? Ta chambre — » proposa Élan, mais Öta secoua la tête négativement.
Ce fut une dizaine de minutes plus tard qu’il sortit enfin. L’air frais lui fit énormément de bien. Une fois qu’il eut dit au revoir à Alda et Élan, il se tourna vers Tyra. Elle l’avait suivi, sans mot dire. Bouleversée. Il plongea ses yeux dans les siens :
« Je peux te raccompagner chez toi si tu le souhaites. Il suffit que tu m’indiques le chemin.
– Non merci. » répondit-elle en grimaçant. « Je n’ai pas trop envie d’y retourner pour le moment.
– Dans ce cas, reste quelques jours au Refuge. Tu es toujours la bienvenue. »

Partie 2 - Retrouvailles
Les jours qui suivirent, la jeune femme resta au Refuge. Ou plus exactement, elle y dormit. Durant la journée elle disparaissait souvent pour ne revenir qu’une fois la nuit tombée, si épuisée qu’elle s’endormait immédiatement.
Öta était agacé. S’il lui avait proposé de séjourner quelques jours ici, ce n’était pas que par bonté d’âme. Il souhaitait lui poser des questions, en savoir plus sur le marché noir et cette Söl que Élan évoquait régulièrement sans jamais entrer dans les détails.
Il avait l’air d’y avoir beaucoup de secrets à ce sujet. Et Öta adorait les secrets. Mais les rares fois où il avait réussi à se retrouver seul avec elle, Tyra avait refusé d’en discuter.
« Je n’ai pas le droit d’en parler. » était l’unique réponse qu’elle avait daigné lui donner.
Se rendant compte qu’il parlait à un mur, il avait finalement abandonné ses investigations. Du moins, pour le moment. Haussant les épaules, il était retourné à ses occupations. Il passa les quelques jours de repos que Petrus lui avait offert à reprendre des forces. Dormir, lire, étudier, se promener, prier…
Par chance, il n’y avait eu aucun blessé grave ou de malade qui nécessitait ses soins en urgence.
Et donc, ce matin-là Öta s’était posé dans la cour. Assis par terre, il était en train d’explorer un ouvrage qu’il avait récemment acquis. Il se l’était procuré dans une petite échoppe qu’il avait découverte grâce à Petrus.
« Tu lis quoi ? » fit une voix féminine au-dessus de lui.
Tyra le fixait avec curiosité, les mains sur les hanches. Elle paraissait sur le point de partir, comme tous les matins.
« Un ouvrage sur l’herbologie.
– L’herboquoi ?
– Hm. Un livre sur les plantes. »
Il tourna les pages et lui montra une illustration à l’intérieur du livre.
« Regarde, il y a des reproductions des plantes et des informations à leur sujet. C’est captivant. »
Tyra se redressa et bailla :
« Bof, ça n’a pas l’air très amusant. Puis s’tu veux des plantes, t’as qu’a aller dans la forêt y’en à plein.
– Ah, merci. Je n’aurais jamais deviné. » répliqua t-il, moqueur.
Jugeant la conversation close, il se replongea dans sa lecture. Agacée d’être ainsi ignorée, elle leva les yeux au ciel et s’éloigna. Mais au bout de quelques pas, elle se retourna et lui tira la langue.
À cet instant précis, Öta releva la tête. Il lui lança un regard narquois et elle s’empourpra avant de s’enfuir.

« Tu remercieras ton invitée pour ses dons. » fit Ambroisie, s’adressant à Öta.
Ils s’étaient posés dans un coin de la cour, savourant le potage du soir avec les autres résidents du Refuge. Le groupe mangeait souvent en fin d’après-midi. Un grand dîner par jour tous ensemble, avant que le soleil ne se couche. Öta la fixa avec incompréhension.
« De quoi ? Quels dons ?
– Tyra. Elle a offert un capuchon et une poupée à Jon. Je ne sais pas quand exactement, mais le petit est aux anges et ne les quitte plus.
– Oh ?
– J’aimerais la remercier, mais je ne la croise jamais. Cette fille est une vraie anguille !
– Je vois. Je lui transmettrai avec plaisir. » répondit-il avec un petit rire.

Mais lorsque Tyra revint quelques heures plus tard, Öta ne pensait déjà plus aux dons. Il était occupé à lire un vieux livre, éclairé par la lumière d’une lanterne. Quant à elle, elle s’était posée sur son lit et regardait la dite lanterne avec intérêt. Sans doute admirait-elle les insectes qui s’agitaient tout autour ?
Ce furent des coups à la porte du Refuge qui le firent sortir de sa lecture. Cette porte qui menait sur la rue, et qu’ils avaient bricolée avec les moyens du bord en attendant que la serrure soit réparée.
Quelqu’un toquait.
Il soupira. Il n’avait pas envie de bouger. De toute manière, Ambroisie ou l’un de ses frères allait finir par ouvrir. Il replongea dans son livre.
De nouveaux coups se firent entendre. Mais ce n’était plus à l’entrée du refuge. On toquait à la porte de la chambre d’Öta. Yann l’entrouvrit alors, gêné.
« Öta ? Tu as de la visite. »
Yann se décala, laissant entrer un homme qu’Öta n’avait jamais vu. De taille moyenne, ses cheveux étaient blonds et ses yeux bleus.
« Qui êtes v — »
Öta se coupa net dans sa phrase en apercevant une jeune fille derrière lui. Il se leva et se dirigea vers elle avec joie :
« Merry ! Quel plaisir de te voir ! Jol est avec toi ? »
Elle lui fit un sourire gêné.
« Hm, non. Elle ne voulait pas m’accompagner. À vrai dire, je viens voir Tyra. J’ai donné ton nom à l’entrée, car je n’étais pas sûre qu’elle soit là…
– Ah, je comprends. »
Öta recula, embarrassé. Tyra profita qu’il se soit décalé pour se jeter dans les bras de Merry et la serrer contre elle avec affection. Les deux jeunes femmes se séparèrent ensuite, rayonnantes. Elles commencèrent à parler comme s’il n’y avait personne d’autre dans la pièce.
« Tu as fait une tresse. C’est pour lui ? » demanda Tyra.
Merry opina. Inconfortable, Öta resta sans savoir quoi faire. Il s’était tellement inquiété pour Merry et avait tant parlé d’elle avec Tyra, Alda et Élan, qu’il avait fini par ressentir de l’affection pour la jeune fille.
Mais ce n’était pas réciproque. Öta était un inconnu pour elle, à peine croisé quelques fois sans même réellement entamer un dialogue. Certes, elle lui était redevable et reconnaissante d’avoir aidé à soigner Nora. Et elle comprenait sa position dans le conflit qui les avait opposés. Mais ça s’arrêtait là.
Merry n’appréciait pas particulièrement Öta. Et il l’avait lu dans son regard au moment où elle lui avait répondu. Finalement, il décida de sortir de la pièce. L’homme qui accompagnait Merry le suivit silencieusement.
Ce devait sans doute être Darius. Il correspondait plutôt bien à la description qui lui en avait été faite.
« Hum. Vous êtes Darius, je suppose ?
– Oui. Et toi tu es Öta.
– Exactement ! » répondit Öta, joyeusement. « Dites, si je me souviens bien vous êtes forgeron ?
– Oui, pourquoi ? »
Öta fit un petit rire gêné.
« Vous savez fabriquer des serrures ? Parce qu’on doit faire réparer la nôtre. »

Les deux jeunes filles s’étaient assises sur le lit d’Öta et discutaient ensemble. Voilà longtemps qu’elles n’avaient pas eu l’occasion d’ainsi se retrouver ! Elles se croisaient toujours dans des lieux et des situations qui faisaient qu’elles n’avaient que peu de temps pour se parler.
C’était un vrai plaisir d’être dans un endroit calme.
Merry avait fait comprendre à Tyra qu’elle ne voulait pas parler de Nora, ne se sentant pas capable d’aborder le sujet pour le moment. La conversation dériva donc tout naturellement vers des sujets plus légers. Le bonheur de Merry d’être accueillie par la famille de Jol, les dernières aventures de Tyra, des potins sur leurs quelques amis en commun…
« D’ailleurs, j’ai été drôlement surprise quand Alda m’a dit que tu trainais avec Öta. » fit alors remarquer Merry. « Vous êtes en couple ?
– Quoi ? Non ! » s’empourpra Tyra.
Elle se leva et toisa son amie du regard :
« Tu me poses la question à chaque fois que je me fais un nouvel ami, t’es pas croyable ! Je ne sors pas avec tous les hommes que je croise, Merry !
– Oh, pardon. »
La jeune fille haussa les épaules, ne semblant pas croire une seconde la réponse de Tyra. Elle ajouta :
« Tu traines avec lui, tu passes la soirée dans sa chambre, et il est très beau garçon. Je me suis fait des idées. »
Tyra plissa les yeux, narquoise :
« Tu le trouves beau ?
– Il a des traits féminins. »
Elle avait insisté sur ce dernier mot et Tyra pouffa. Elle savait que Merry était tombée amoureuse d’une autre fille et avait entamé une relation avec elle. Bien qu’elle ne connaissait pas toute l’histoire, Merry étant assez secrète, elle en savait assez pour comprendre le sens de sa phrase.
« Mais il te plait ? » renchérit Merry, faisant rougir de plus belle Tyra. « Ça fait plusieurs années qu’on s’connait, je connais tes gouts.
– Non ! Enfin si. Je sais pas..
– C’est bien ce que je craignais. » soupira Merry. Tyra fronça les sourcils, ne comprenant pas sa réaction. « Tu sais, tu mérites mieux que ça.
– Quoi ? »
La jeune fille grimaça et se pencha vers Tyra :
« Au premier abord, il a l’air gentil. Mais ce n’est pas un homme sérieux, il te brisera le cœur. J’ai vu et entendu des choses à son sujet…
– Merry…
– Les hommes comme lui ont toutes les femmes qu’ils veulent. Il se servira de toi, puis te jettera. S’il tente de se rapprocher de toi, ne te laisse pas embobiner par ses belles paroles. »
Tyra détourna les yeux.
« Bah… tous les hommes sont comme ça. » répondit-elle, attristée. « Ne t’en fais pas pour moi, j’ai l’habitude.
– Si tu le dis. »
Merry soupira, ne sachant plus quoi ajouter. Elle croisa les jambes et tripota sa tresse du bout dû des doigts, le regard dans le vide. Tyra sourit.
« Hé, tu n’en fais pas pour moi et souris, ma petite Merrigolote.
– Ah non ! » Merry tourna la tête et s’exclama : « Pas les surnoms idiots, je déteste quand tu fais ça !
– Oh, arrête d’être aussi Merrigide.
– Pourquoi je suis venue te voir déjà ? »

Öta avait laissé sa chambre toute la soirée à Tyra et Merry, qui avaient parlé durant des heures. En attendant, il avait fait plus ample connaissance avec Darius et l’avait même convaincu de réparer la serrure pour un bon prix.
L’homme était particulièrement calme, taciturne… tout le contraire de Élan. Öta voyait parfaitement en quoi il avait pu plaire à Alda. Sans compter qu’il savait à quel point Alda adorait les barbus.
Élan avait bien tenté de laisser pousser la sienne, mais elle était pleine de trous et peu fournie… Elan désespérait à ce sujet, et Öta ne pouvait que trop bien le comprendre, sa propre pilosité faciale étant similaire à la sienne. Mais à l’inverse de Élan, Öta préférait raser ses quelques poils.
Darius était donc leur parfait contraire. Et Öta avait décidé qu’il appréciait cet homme, bien qu’il ne se sentait pas forcément très à l’aise avec une personne aussi silencieuse. Ils avaient fini par se poser dans la cour, Öta continuant de lire son livre à la lueur d’une bougie, tandis que Darius somnolait assis contre un mur.
« Je suis désolée, je n’ai pas vu le temps passer. » fit soudain la voix de Merry. Elle était sortie de la chambre et fixait l’homme d’un air penaud. « On peut rentrer. »
Lorsque Merry et Darius s’en furent allés, Öta retourna dans sa chambre. Tyra avait disparu, sans doute pour rejoindre son propre lit. Il grimaça en voyant les draps sans dessus-dessous. Elles avaient du s’asseoir dessus et n’avaient visiblement pas prit la peine de les remettre en place.
« Pfft. »
Le lendemain, tandis qu’il détendait du linge, Tyra s’approcha de lui.
« Oui ? Qu’est ce que tu veux ?
– Je rentre chez moi. Merci, c’était vraiment gentil de m’accueillir le temps que je puisses revoir Merry, mais mon groupe m’attend.
– D'accord. » répondit-il. « Adieu alors. »
Il s’était exprimé avec tant d’indifférence que Tyra prit immédiatement la mouche.
Offusquée, elle grinça :
« Ah d’accord, je vois le genre. »
Elle fit volte face et commença à partir, le menton relevé. Et dire qu’elle s’était sentie triste de devoir s’en aller ! Elle s’était bien trompée.
Öta pouffa.
Elle s’arrêta et se retourna.
« Si tu voyais ta tête, c’est à mourir de rire ! » s’esclaffa t-il, fier de lui.
Tyra rougit de honte.
« Je vais te raccompagner. » ajouta t-il, plus sérieusement. « J’ai compris que tu ne pouvais pas me dire où tu vis, mais je peux au moins faire une partie du chemin avec toi.
– Je ne sais pas…
– Allez, juste quelques pas ensemble avant de se quitter.
– Bon d’accord. Tu peux m’accompagner jusqu’au pont. »

Öta raccompagna Tyra jusqu’au pont. Il aurait souhaité continuer à marcher à ses côtés plus longtemps encore, mais la jeune femme était catégorique : c’était hors de question.
Lorsqu’ils furent arrivés, ils restèrent quelques secondes sans mot dire. Et finalement, Öta fit le premier pas. Il se rapprocha d’elle et se pencha pour lui effleurer lèvres… avant de se redresser, un sourire narquois sur le visage.
Ne s’y attendant pas, elle rougit aussitôt.
« Hé ! Tu… Tu pourrais au moins finir ce que tu commences. » bafouilla t-elle.
Il se pencha de nouveau et répondit :
« Non. Mais si tu reviens me voir au refuge à l’occasion, on pourrait prendre du bon temps ensemble. Tu sais, pour le plaisir.
– Je.. J’étudierai la question. ».
Öta recula. Il haussa les épaules et fit demi-tour pour rentrer.
« Tu sais où j’habite ! » lança t-il en chemin, sans un regard en arrière.

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