- 16 - Le masque de David
- bleuts
- 13 nov. 2024
- 26 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
Partie 1 - Le fabriquant de masques
David, Tyra et Senna avaient longtemps avec Söl, déterminant de ce qu’il fallait faire quant au carnet de Sylène.
En attendant que la dirigeante interroge les esprits, soi-disant pour prendre une décision, il fallait cacher les informations qu’ils avaient apprises de la curiosité de Warin et Aline. Ils avaient finalement décidé d’opter pour la version la plus simple : David n’était pas capable de traduire le texte.
« Il suffit de dire que la langue est similaire, mais différente sous de nombreux points. Ça justifiera que tu connaisses quelques mots, mais que tu ne puisses ni traduire ni comprendre le carnet rapidement. » avait expliqué Söl. « Aline se satisfera de cette réponse sans problème.
– Et ce sera toujours plus simple que d’inventer un mensonge sur le contenu. » avait approuvé David.
Ainsi, après ça, Söl avait poussé les trois veilleurs hors de sa hutte. Et alors qu’il prenait la direction du camp, David fut confronté à des regards étonnés et admiratifs.
« C’était impressionnant… » fit Senna. David, ne comprenant pas, plissa les sourcils et répondit : « De quoi ?
– Ta manière de parler avec Söl. Votre proximité. C’est incroyable qu’un nouveau venu dans le village soit entré aussi vite dans les bonnes grâces de notre dirigeante. »
David se crispa. Söl l’avait simplement traîné partout, se servant de lui comme d’une mule et lui imposant de nombreuses discussions. Il n’avait pas franchement choisi de nouer des liens.
Mais c’était étrange de le réaliser. Était-il proche d’elle ?
« Et surtout, je suis impressionnée que tu aies pu lui parler de cette manière sans te faire rabrouer. Elle doit vraiment t’apprécier. » ajouta Senna, pensive.
« De cette manière ?
– Tu n’es pas vraiment très poli quand tu t’exprimes. On dirait un vieil ours grincheux. »
David haussa les épaules et grogna :
« C’est juste que j’aime bien râler.
– Ça, on avait remarqué. » gloussa Tyra.

Ils marchaient en direction du bâtiment des veilleurs, tout en discutant gaiement. David appréciait l’humour et la joie de vivre des deux jeunes femmes. C’était agréable.
Se faire des amis de son âge, rire avec eux et partager de bons moments… il en rêvait depuis longtemps. Plus le temps passait et plus il espérait réellement pouvoir tisser des liens avec elles.
Lorsqu'ils arrivèrent, Warin était présnet dans le camp des Veilleurs. Il discutait avec une personne que David n’avait jamais vue. Un homme qui devait avoir l’âge d’Ayel, aux longs cheveux noirs et au visage fin. Non loin, il remarqua un paquet enveloppé dans du tissu, posé sur une table. Qu’était-ce donc ?
« Oh ! C’est Soren. » s’exclama Tyra en entrant à son tour. « S’il est là, c’est qu’ils ont fini de tout préparer. Je me demande si… »
Mais elle ne termina pas sa phrase, baissant les yeux. L’homme avait tourné la tête vers eux, fixant d’abord la jeune femme avant de se pencher et de scruter David. Ce dernier fronça légèrement les sourcils, tendu.
Warin se retourna alors à son tour en remarquant l’échange de regards.

« Ah ! David, nous t'attendions. C'est parfait !
– Vous avez fini les préparatifs ? » fit Senna, qui était entrée à son tour.
Elle fit un sourire discret à l’inconnu, qui lui rendit. David dévisagea Warin, cherchant toute trace de son agacement et de son impatience constante dans ses traits. Mais le veilleur semblait de bonne humeur.
« David, je te présente Soren. »
Il se décala pour faire place à l’homme qui l’accompagnait. Ce dernier tendit la main vers David. Son sourire était amical, mais quelque chose de froid et faux s’en dégageait. David lui serra la main, sur ses gardes.
« C’est un plaisir de rencontrer notre nouveau membre. J’espère que tu te plairas parmi nous.
– Je n’en doute pas.
– Parfait dans ce cas. »
Soren recula et désigna le paquet enveloppé sur la table, le regard fier.
« Parce qu’il se trouve que j’ai fini de préparer ton masque. Souhaites-tu le voir ? »
Sous le regard inquiet de David, Soren ouvrit délicatement le paquet qui se trouvait sur la table, retirant avec soin le tissu qui enveloppait.
À l’intérieur, un superbe masque semblable à ceux des autres veilleurs. Il était encore vierge de toute peinture ou décoration, à l’inverse de ceux qu’il avait pu voir jusque maintenant.
Il déglutit, mi-apeuré, mi-fasciné : ce masque avait été fabriqué à partir de celui qu’il avait trouvé dans les décombres. À partir du masque d’un ogre. Quel étrange objet. Soren le souleva délicatement, le tenant avec un morceau de tissus pour le protéger. Il expliqua :
« Tant que le rituel n’a pas eu lieu, je suis le seul à pouvoir le manipuler.
– Le rituel ? » répéta David, suspicieux.
Il avait eu sa dose de rites étranges après ses trois jours passés seul dans les souterrains. Il n’était pas question qu’il recommence. Soren hocha la tête, expliquant :
« Nous devons te lier au masque, pour qu’il soit tien. C’est un rituel important pour être un véritable Veilleur. Nous passons tous par là. »

Comme s’il lisait dans ses pensées, Warin ajouta alors :
« Mais ne t’en fais pas, tu ne devras pas retourner seul dans les souterrains. Vois plutôt ça comme une fête pour célébrer ton intronisation dans nos rangs. »
Voilà qui le rassurait en partie. Une fête, ce n’était pas bien méchant. Il y survivrait.
« Sur ce, nous devons finir de tout préparer. Demain soir sera un grand jour pour toi, David. » fit Soren, en refermant délicatement le linge qui contenait le masque.
Il se tourna ensuite vers Tyra et lui lança un regard froid. Sèchement, il s’adressa à elle :
« Tyra, je compte sur toi pour m’aider lors du rituel. Tu t’es entraînée avec les sceaux que je t’ai appris ?
– Je… euh.. » bredouilla Tyra « Un peu.
– Un peu ce n’est pas suffisant. Continue de travailler et montre-moi ça demain matin. Ne me fais pas honte. »
Tyra ne répondit pas, gardant les yeux baissés et les épaules tendues.
David n’appréciait pas du tout le ton avec lequel cet homme parlait à son amie. Il n’avait qu’une envie, le remettre à sa place. Mais il n’eut pas le temps de réagir, car Soren se tourna ensuite vers Senna et attrapa sa main avec tendresse. Son regard changea instantanément, devenant plus doux.
La jeune femme lui sourit et l’embrassa avec amour. Quoi ? Abasourdi, David regarda la scène sans comprendre. Et alors que Soren répondait à son baiser avec passion, ils furent coupés par la voix de Warin.
« Tu profiteras de ta femme ce soir. Retournons travailler, le rituel ne va pas se préparer sans nous.
– Oui, pardonnez-moi. »
Il s’éloigna de Senna avec un petit sourire et quitta la pièce après avoir récupéré le masque. David se tourna alors vers elle, étonné. Tyra le devança, s’étant détendue à l’instant même où Soren était parti :
« Je te présente Soren, mon abruti de frère. » grinça t-elle. « Il est beau garçon, mais c’est un vrai connard. Je ne sais vraiment pas ce que Senna lui trouve.
– Il est parfois un peu rude, mais c’est un homme admirable. » répondit-elle.
Tyra secoua la tête et soupira.
« Moi, les hommes rudes j’ai donné. Hors de question que j’en épouse un !
– C’est moi qui suis mariée à Soren, pas toi. » sourit Senna. « Et si tu faisais tes exercices, il ronchonnerait moins.
– Mouais. »

David se mordit la lèvre, pensif. Soren. C’était donc lui, le frère de Tyra ? Celui avec lequel elle s’était disputée, quelques jours plus tôt ?
Il ne se souvenait que trop bien du visage dévasté de la jeune femme, qui sanglotait au bord du lac. Que lui avait-il dit déjà ? Qu’elle n’avait qu’à refaire un enfant, si elle souffrait de la perte de son bébé ?
Un salaud, songea-t-il. Il ne sentait définitivement pas cet homme. Peu importe que Senna soit sa femme et l’aime, il y avait quelque chose en Soren qui lui déplaisait fortement.
« Vous ne vous ressemblez pas du tout. » fit-il remarquer alors, en s’adressant à Tyra. « Je n’aurais jamais pu le deviner seul.
– Oui, on me le dit souvent. » répondit-elle, triste. « Soren est la fierté de la famille. Il ressemble à notre père, et il est fort, intelligent, beau. En plus, il a un rôle important dans la Caste. Tandis que moi… »
Elle laissa sa phrase en suspens, détournant les yeux.
« Pour la beauté, je suis d’accord. Mais pour l’intelligence… » rétorqua Senna, tentant de détendre l’atmosphère : « ... il a encore des progrès à faire. Avant-hier je lui ai dit que j’aimerais le voir avec une barbe et il a passé trois heures à se tresser les cheveux pour essayer de se faire une fausse barbe pour m'amuser. Il avait vraiment l’air stupide. »
Tyra gloussa, tandis que David levait les yeux au ciel ne pouvant s’empêcher de sourire à cette idée.
« Trois heures pour se tresser les cheveux ? C’est long, non ?
– Il n’est pas vraiment doué avec un peigne. »
Tyra eut un petit rire moqueur, ajoutant :
« Je me souviens, avant votre mariage c’était un désastre ! Ses cheveux étaient tout le temps emmêlés et gras. Tu as fait des miracles.
– Merci, ce n’était pas une mince affaire. »
L’atmosphère s’étant détendue, ils discutèrent encore quelques minutes avec le sourire. Finalement, Senna décida de clore la conversation en expliquant :
« Si le rituel a lieu demain soir, alors il faut que vous vous reposiez. Nous ferions mieux d’en rester là pour aujourd’hui.
– Ah, j’ai hâte de rentrer. » répondit-David, étouffant un bâillement.
Toutes ces émotions, voilà qui l’avait épuisé.

Ce soir-là, David rentra épuisé à la hutte qu’il partageait avec Ayel. Il n’avait qu’une envie : s’allonger et s’endormir pour plusieurs jours. Plonger dans le pays des rêves et se débarrasser de l’angoisse des derniers événements.
Il ne voulait plus penser aux Sylènes, à ce maudit carnet, et à ce qui l’attendait le lendemain. Non. Il préférait tout mettre de côté et enfin souffler.
Mais lorsqu’il arriva, Ayel n’était pas encore rentré. Et il était hors de question de s’endormir sans l’avoir vu. Il savait que s’il fermait les yeux, il ne les rouvrirait pas avant le lendemain. Ils ne se voyaient que trop peu avec leurs activités respectives pour sacrifier leurs quelques moments ensemble. Il comptait bien profiter de sa présence tant qu’il le pouvait.
Ayel rentra une heure plus tard. Il était rouge et sentait l’alcool. Son sourire était immense, et il s’exclama de joie en apercevant David.
« David ! Je reviens de la taverne !
– Je vois ça. » répondit-il, se retenant de lever les yeux au ciel. Ah, Ayel et l’alcool c’était toute une histoire d’amour.
« Ce sont les autres artisans, ils ont organisé une petite fête. C’était vraiment génial. Je commence à bien m’entendre avec eux, je suis content. »
Il souriait béatement, heureux. David ne put s’empêcher de sourire à son tour, amusé par l’euphorie de son compagnon. L’apprenti veilleur était posé contre le mur, à moitié allongé sur leur paillasse. Ayel se faufila contre lui et colla son visage au sien avant de dire :
« Et toi ? Tu as fait quoi ?
– Je ne peux rien te dire. Secret. »
Ayel plissa le nez, mécontent, avant de sourire de nouveau et d’insister d’une voix mielleuse :
« Allez ! Raconte-moi ! S’il te plait, ô, grand et beau David ! »
David pouffa, amusé. Ayel continua :
« Sinon, je te rote à la gueule ! »
En entendant ces mots, David perdit le sourire. Soudainement sérieux, il se redressa, faisant vaciller Ayel. Il colla à son tour son visage contre le sien, se concentra, attrapa la respiration dans sa gorge et lui offrit le plus beau rot qu’il pouvait lâcher. Gras et fort. Ayel recula, gémissant :
« Berk, espèce de gros porc.
– Tu l’as bien cherché. »

Après s’être chamaillés plusieurs minutes, ils s’échangèrent un sourire complice. Ayel posa la tête contre le torse de David et soupira d’aise. Il ferma les yeux, heureux. David inspira, caressant doucement le dos de son compagnon. Quelques secondes plus tard, n’en pouvant plus, sa voix brisa le silence :
« Ayel, en fait tu es plutôt mignon quand tu ne dis pas de bêtises. »
Le concerné releva la tête, outré.
« Moi ? Dire des bêtises ? Bah voyons. Regarde-toi avant de parler !
– Hm, je préfère te regarder toi. Tu es magnifique. »
Ayel fit la moue, touché, ses joues devenant rouges. David baissa alors la tête en levant les sourcils, l’air entendu.
« Je ne rougis pas à cause de toi, c’est l’alcool.
– Mais bien sûr. » se moqua David, avant de lui dérober les lèvres. Il répondit au baiser, heureux.
Lorsqu’ils se séparèrent, il murmura :
« Tu as remarqué que tes cheveux bouclent un peu ? C’est mignon.
– Les tiens aussi. Ils étaient tout raides, et maintenant tu as de jolies ondulations. »
David se redressa et ajouta :
« C’est peut-être l’air des souterrains qui fait ça ? Ma peau me semble plus douce aussi depuis notre arrivée.
– Peut-être. » Ayel réfléchit quelques secondes avant de conclure : « En tout cas, j’aime bien. »

Partie 2 - Le rituel
« Je dois vraiment mettre ça ? » grogna David le lendemain « Je ne peux pas simplement porter mes propres vêtements ? »
Voilà près d’une heure que Warin et deux autres veilleurs l’aidaient à se préparer pour le rituel. Et une nouvelle personne, une femme qu’il avait déjà entraperçue dans le village venait tout juste d’entrer. Elle lui dévoilait la tenue qu’il devrait porter.
Des habits très chauds, de cuir et de fourrure. Il ne les trouvait pas laids, au contraire. Mais pourquoi devait-il se changer ? Rien ne valait le confort de sa tunique.
« Ce sont tes propres vêtements maintenant. » répondit la femme, amusée. « Chaque veilleur possède une tenue pour les expéditions dans les souterrains. Normalement elle devrait être à ta taille, essaye-la donc. »
David s’exécuta à contrecœur, embarrassé de devoir se changer devant plusieurs personnes. Le cuir était doux, un peu usé. Il sentait fort, mais bon.
« Comment avez-vous eu le temps de les faire aussi rapidement ? Et à ma taille en plus ? » s’enquit-il, en enfilant les vêtements.
Warin, qui était en train de mélanger des poudres pour préparer de la peinture rouge abarianne, releva la tête et répondit :
« On ne fabrique pas une tenue à chaque fois. La tienne appartenait à un ancien veilleur, qui avait à peu près ta corpulence.
– Ancien veilleur ? Que fait-il aujourd’hui ?
– Il est mort. »
David grimaça. Évidemment.
Il ne voulait pas en savoir plus, l’idée d’hériter des vêtements d’un défunt lui plaisait guère. Mais Warin continua, imperturbable :
« On l’a retrouvé à la frontière, une flèche dans l’œil. Son masque ne l’avait pas protégé. Ça arrive, parfois.
– Ah.
– Il était parti en expédition avec son apprenti et est le seul à être revenu. Dommage. Pauvres gars.
– D’accord. »
À son tour, la femme ajouta en soupirant :
« Je me souviens de lui. Retirer le sang du cuir, c’était éprouvant. Il se peut qu’il en reste un peu, mais ce n’est pas très grave. »
David verdissait au fur et à mesure que les deux veilleurs parlaient. Finalement, après un silence lourd et gênant, Warin éclata de rire.
« Si tu voyais ta tête !
– Vous devriez arrêter de faire cette farce à tous les apprentis, vous allez les faire fuir. » ajouta le troisième veilleur, qui n’avait pas encore parlé. « Le pauvre, il va vomir. »
Warin ricana, retournant à son travail sans rien ajouter. Il semblait particulièrement fier de lui.
« Mon garçon, ne t’en fais pas, on ne donne pas la tenue d’une personne qui est morte dedans, ce n’est pas respectueux. » continua le troisième veilleur.
David hocha la tête, restant silencieux. Bon sang, quelle blague de mauvais gout ! Il avait envie de hurler.

Après avoir été préparé par Warin et ses compagnons, David rejoignit les autres veilleurs. Un campement avait été érigé assez loin du village, là où commençait le dédale qui formait le passage vers les profondeurs.
C’était une zone formée de grands rochers aux symboles anciens, couverts de mousse et entourés d’arbres sombres. De nombreuses tentes étaient installées, des tables de bois ainsi que des tonneaux de bière et d’alcool divers.
Ils n’avaient pas menti.
C’était bien une fête.
Tyra et Senna étaient assises non loin de là, posées autour d’un feu de camp, mangeant et buvant en discutant avec d’autres personnes. Elles ne remarquèrent pas son arrivée. Lorsque David fit mine de vouloir les rejoindre, Warin secoua la tête.
« Non. »
L’homme le poussa vers la sortie du campement. Ils prirent la direction du dédale, la musique et les rires des veilleurs s’estompant puis s’effaçant au profit du silence des souterrains.
« Tu pourras profiter avec eux après le rituel. » expliqua Warin, alors qu’ils marchaient depuis déjà plusieurs minutes. « Patience. »
Ils prirent un chemin sombre. L’air était lourd, l’odeur métallique. Il y avait d’étranges rochers tout autour de la route, marqués de symboles rouges. Et tout au bout, une structure de pierre se dressait derrière un puits de sang. Comment était-ce possible ?
« Commençons. » fit la voix de Soren, tout au bout du chemin.
Warin se couvrit la tête avec le capuchon de sa cape. Il porta son masque au visage. Soudain, de derrière les rochers surgirent d’autres personnes masquées. Ils se mirent tout autour du chemin, sans mot dire.
Warin les rejoignit en silence. David s’avança vers l’étrange puits de sang. Soren était là. Avec lui, il était le seul à ne pas porter de masque. Il lui tendit une dague et murmura :
« Le sang neuf doit rejoindre le sang ancien. »
Warin lui avait expliqué ce qu’il devrait faire à ce moment-là. Alors, il attrapa la dague et se coupa la main en retenant une grimace. Son sang coula dans la mare rougeâtre.
Soren psalmodia dans une langue qu’il ne comprenait pas, durant des minutes qui paraissaient des heures. Lorsqu’il eut fini, il posa sa main sur celle de David.
Il ressentit une chaleur intense et soudainement la blessure se referma, comme si elle n’avait jamais existé. Soren ramassa alors un gobelet d’or qu’il plongea dans le sang. Il lui tendit, ordonnant :
« Nous sommes tous liés par le sang. Bois. »
Profondément dégouté, mais n’ayant pas le choix, David s’exécuta. Nauséeux, il se força à finir. Soren hocha la tête, satisfait.
« Tu es des nôtres maintenant. La sève des précédents guerriers coule en toi, comme elle coule en chacun de nous.
– La sève coule en toi, comme elle coule en nous. » répétèrent les veilleurs.

Soren continua de parler durant de nombreuses minutes. Il psalmodiait des mots, dans une langue sifflante, presque chantante. Mais David ne l’écoutait pas. Il ne l’entendait pas.
Sa tête tournait, il ne voyait plus rien. Il sentait le sang couler en lui. Dans chacune de ses veines. Ce n’était pas douloureux, c’était fort. Comme une pulsation qui prenait tout son corps.
Il sentait le goût poisseux du sang dans sa bouche. Collant, métallique, chaud. Il ne parvenait pas à s’en débarrasser. La nausée, l’envie de vomir le saisissait à chaque respiration. Quand ce calvaire allait-il enfin s’arrêter ?!
Et soudain, plus rien.
Ce goût âpre avait disparu. La douleur s’était estompée, comme envolée. Il eut l’impression de se réveiller d’un long cauchemar. Il ouvrit les yeux. Non. Ils étaient déjà ouverts. David ne les avait jamais fermés. Tout était plus clair que jamais. Plus net. Plus réel.
Soren le fixait, le regard satisfait. Il s’approcha de David et traça un symbole sur son front, murmurant :
« L’homme s’endort et le veilleur s’éveille. »

Après cet étrange rituel, David savait apprécier la douce saveur d’une activité n’impliquant pas de boire du sang aux origines douteuses entouré d’hommes masqués et encapuchonnés.
Pourquoi diable avait-il accepté de participer à ça ?
Assis sur un rocher, il s’était laissé faire tandis que Soren lui mettait le masque sur le visage avec beaucoup de précautions. Ses gestes étaient doux, précis et curieusement rassurants.
« Il est important que je place le sceau des veilleurs pendant que tu le portes. » expliqua l’homme. « Ainsi, il sera définitivement lié à toi. Tu pourras le confier à qui tu le désires, mais personne ne pourra le revêtir sans ton consentement.
– Que se passerait-il si quelqu’un essaye ? » demanda-t-il, curieux.
Soren sourit, amusé, et répondit mystérieusement :
« Ah ça, tu ne veux pas le savoir. »
Il attrapa alors la main de David. Il lui piqua le bout du doigt à l’aide d’une aiguille et ordonna :
« Warin. La peinture. »
L’homme lui tendit un des pots qu’il avait préparé quelques heures plus tôt. Soren déposa une goutte du sang dedans, et mélangea précautionneusement.
David grogna. Encore et toujours du sang. Ne pouvaient-ils pas faire comme tout le monde et peindre avec de la peinture ? Avoir des puits normaux, boire de l’eau ...?
Soren plongea alors un pinceau dans la peinture, et marmonnant dans le même langage que celui du rituel, il traça la marque des veilleurs.
Durant un bref instant, la vision de David devint noire, avant que tout ne redevienne normal. Que s’était-il passé ?
« Et voilà. » fit Soren, quelques secondes plus tard. Il l’aida à retirer le masque et lui tendit.
David regarda le motif noir, le même que celui de Tyra et Senna, haussa les sourcils, étonné.
« C’est tout ? C’était rapide. Vous ne faites pas d’autres dessins dessus ?
– Désolé de décevoir tes attentes mon grand. » répondit Warin. « Mais c’est fini. À présent, si tu veux décorer ton masque tu te débrouilles tout seul. »
Bien.
« Donc, hm, je peux rentrer maintenant ? »

Partie 3 - L'ivresse
Lorsqu’il rejoignit le campement des veilleurs, la fête battait son plein. Warin lui donna une tape dans le dos et s’exclama :
« Allez, mon garçon va retrouver tes amies ! Profite bien, tu vas voir que même les Veilleurs savent s’amuser. »
Et sans attendre, l’homme se dirigea vers une table, attrapa une chope et cria :
« J’ai soif ! Faites-moi couler d’la bière bande de vauriens ! »
David s’éloigna en secouant la tête, un petit sourire au bout des lèvres. Il décida de partir à la recherche de Tyra et Senna. Ne les trouvant pas, il s’arrêta et prit à son tour une chope de bière. Après tout ce qu’il venait de subir, il pouvait bien se le permettre, n’est-ce pas ?
Il remarqua qu’il n’y avait pas que des veilleurs, mais aussi leurs proches. Il pensa alors à Ayel. Son compagnon aurait adoré être là. Mais David était bien heureux que ce ne soit pas le cas. Tout cet alcool… il aurait été incapable d’y résister !
En parlant de ça, sa chope était déjà vide. Alors qu’il se dirigeait vers un fut de bière pour se resservir, il entendit de la musique. Intrigué, il décida d’aller voir.
Ce n’était pas souvent qu’il pouvait écouter des musiciens jouer. C’était un plaisir rare, mais qu’il appréciait particulièrement.
Une petite foule s’était formée autour d’eux. Et au centre, une jeune femme dansait. Avec cette tenue et les cheveux coiffés ainsi, il avait fallu quelques secondes à David pour reconnaître Tyra.
Elle était magnifique, épanouie et heureuse, se mouvant au rythme de la musique sous les acclamations des quelques spectateurs.
David resta à la regarder sans voir le temps passer, avant qu’elle ne s’arrête, visiblement épuisée. Il remarqua alors que Söl l’avait rejoint, se tenant à côté de lui avec un sourire fier. Il n’avait pas imaginé que la dirigeante de la caste se joindrait à la fête, mais ce n’était finalement guère surprenant. Söl ? Manquer une occasion de s’amuser ? Le contraire aurait été étonnant.
« Elle est belle, hein ?
– Superbe. Je ne pensais pas qu’elle savait aussi bien danser.
– Et pourtant, elle adore ça. »
Il entendit alors des cris et releva la tête. Soren faisait face à Tyra, visiblement mécontent. Tyra, qui semblait s’être disputée avec son frère, détourna les yeux piteusement. Elle remarqua alors David, et son regard s’éclaira. Quittant Soren, elle rejoignit David en essayant de cacher son air triste.
« Traînée. » murmura Soren derrière elle, de manière à ce que seule Tyra l’entende, avant de lui tourner le dos et de partir à son tour.
Tyra se tendit, mais tenta de ne rien laisser paraître. Elle traversa les derniers mètres qui la séparaient de David.
« David ! Tu m’avais presque manqué ! » s’exclama-t-elle, avec joie, avant de remarquer la meneuse : « Söl !
– Moi aussi je suis contente de te voir, Tyradorable. » répondit Söl avec un sourire attendri. « Mais je vais vous laisser. J’ai encore beaucoup de choses à faire.
– Comme vider un fut de bière ? » rétorqua David.
Söl éclata de rire.
« Exactement ! »

Lorsque Söl fut loin, David se tourna vers Tyra :
« Je te propose qu’on retrouve Senna et qu’ensuite on aille se poser quelque part. Tu en penses quoi ?
– Et bien… » Tyra se gratta la joue, gênée. « Senna est déjà partie. Elle était fatiguée et se sentait un peu nauséeuse.
– Oh. »
David soupira. Dommage, il aurait aimé profiter de la fête pour apprendre à mieux la connaître. Il espérait juste que ce n’était rien de grave.
« Mais moi, je suis partante pour passer la soirée avec toi. » ajouta Tyra en voyant sa déception. « Sauf si ma compagnie te déplaît.
– Au contraire. Ce serait avec plaisir. »
Ils s’installèrent à une table, non loin de la musique. Tyra était guillerette, ayant vite oublié la dispute avec son frère au profit de la joie de s’amuser dans un environnement aussi festif.
David quant à lui fut soulagé de se débarrasser du capuchon sur ses épaules. Il avait bien trop chaud. Il déposa ensuite son masque avec précaution. Depuis le début, il le tenait contre lui avec la peur de le casser.
Tyra remarqua alors la présence de l’objet et se pencha dessus avec attention.
« Je peux le toucher ?
– Oui bien sûr. Fait donc. »
Avec minutie, Tyra caressa le masque du bout des doigts. Elle fronça les sourcils, mais ne dit rien. Le visage sombre, elle l'examina quelques secondes. Finalement, son visage se détendit et elle s’exclama :
« Un très beau masque, prends-en soin !
– C’est prévu. »
Semblant alors se souvenir de quelque chose, Tyra attrapa son sac à côté d’elle et commença à chercher dedans. Elle en sortit une petite boite en bois et la tendit à David.
« C’est un cadeau, pour décorer ton masque si tu le veux. Ou alors, tu peux les accrocher à ta ceinture. »
David ouvrit la boite avec curiosité. Il s’agissait de deux bijoux en perles, avec de grosses plumes cirées au bout.
« C’est toi qui les as faites ?
– Non. C’est Senna qui fabrique ces bijoux. Je lui avais commandé pour moi, mais comme finalement je ne les porte pas je me suis dit que ça te ferait plaisir. J’ai travaillé dur pour les obtenir.
– C’est très gentil, merci. » sourit David « Tu mérites bien ton surnom… Tyradorable. »
Tyra s’empourpra.

Les musiciens étaient finalement partis pour animer un autre coin du campement, emportant avec eux la foule. David et Tyra profitaient du retour au silence et à la tranquillité, discutant joyeusement.
« Parfois, j’apprécierais vraiment d’être fille unique. » râla Tyra, avant de vider sa choppe cul sec. « Mon frère est tellement odieux !
– J’ai cru remarquer que ce n’était pas l’amour fou entre vous deux. » commenta David, intrigué. « Quel était le sujet de votre dispute tantôt ? »
Tyra hésita avant d’expliquer :
« Il n’aime pas me voir danser. »
Sa voix se cassa progressivement, tandis qu’elle ajoutait :
« Il pense que je fais ça pour aguicher les hommes…
– C’est un crétin. »
La voix de David avait claqué, intransigeante.
« Tu danses vraiment bien, tu sais ? C’était magnifique.
– Merci… »
Tyra détourna les yeux, troublée. Elle ne recevait pas souvent de remarques aussi gentilles et sincères. C’était réconfortant.
« Oh et sinon, tant que j’y pense ! » ajouta David, en s’approchant d’elle. Tyra le fixa, curieuse, tandis qu’il poursuivait : « J’aime beaucoup ta coiffure !
– Vraiment ?
– Oui, je te trouve beaucoup plus jolie comme ça… On voit mieux ton visage ! »
Elle rougit, ne s’attendant pas à recevoir un tel compliment.
« Si je peux me permettre, je pense, vraiment que c’est dommage quand tu as tes deux mèches autour du visage. C’est comme si tu te dissimulais. »
Sans réfléchir, elle répondit :
« Ah bon ? Nora aime bien pourtant, il me dit tout le temps qu’il me trouve plus jolie comme ça. »
Elle s’arrêta de parler, réalisant ce qu’elle venait de dire. Ses yeux s’écarquillèrent et elle fixa David avec effroi :
« Arg. Oublie ce que je viens de dire. »

David avait bu. Beaucoup trop bu. Chope après chope, il avait enchainé tout en conversant avec Tyra. C’était la première fois qu’il était aussi loquace, relatant des anecdotes de son enfance et plaisantant avec la jeune femme.
Il ne se rendait pas compte qu’il en révélait bien plus sur lui qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Et il commençait à saisir ce que Ayel appréciait tant dans le fait de boire. Il ne s’était jamais senti aussi bien, aussi léger. Aussi détaché.
Si bien qu’il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre lorsque Tyra se colla à lui et rapprocha son visage du sien.
« Tyra, qu’est-ce-tu… »
Mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase.
Tyra venait de l'embrasser.

Lorsqu’il sentit les lèvres de Tyra se poser sur les siennes, David réagit aussitôt en la repoussant sans aucune douceur. Sa réaction était si brusque qu'elle recula, les yeux écarquillés.
Écœuré, les sourcils froncés, il s’essuya la bouche en la fixant. Et une fois qu’il eut assimilé ce qu’il s’était passé, il feula :
« Qu’est-ce qu’il t’a pris de faire ça ? Tu es folle ?!
– Mais, je pensais que…
– Tu pensais que quoi ? » la coupa-t-il, furieux.
Tyra sentit les larmes perler aux coins de ses yeux.
« …que tu voulais coucher avec moi. » répondit-elle, comme s’il s’agissait d’une évidence.
David s’étrangla, ne s’attendant pas à ça.
« Quoi ?! »
Devant l’air surpris de son ami, elle s’empourpra et cacha son visage dans ses mains, embarrassé.
« Mais, mais… Si ce n’est pas mon corps, je ne saisis pas ce que tu veux de moi. »
David ne comprenait rien au discours de Tyra. Que lui baragouinait-elle ?
« Mais, Tyra. » répondit-il lentement, en tentant de se calmer. Il souffla, fermant les yeux quelques secondes pour baisser le ton de sa voix. « J’ai un compagnon. J’aime Ayel. Pourquoi je voudrais... ?
– Mais tu m’as dit que j’étais belle. Les hommes ne me font jamais de compliments sans demander quelque chose en retour. »
David se leva, irrité. Il fit mine de partir, avant de revenir sur ses pas. Il ouvrit la bouche, puis la referma avant de nouveau tourner le dos à la jeune femme.
« David ? »
Il soupira et se retourna.
« Tyra, je n’aime pas les femmes. Si je t’ai dit que tu es belle, c’est parce que tu es belle. Comme une fleur ou le coucher du soleil. Pas parce que je te trouve séduisante ou attirante. Pas parce que je veux… »
Il tiqua et s’arrêta, ne désirant pas finir cette phrase.
Elle baissa les yeux, honteuse. Cependant au fond d’elle, elle était touchée. C’était la première fois qu’un homme lui faisait des compliments sans arrière-pensée. Son cœur se serra. Elle ne devait pas tomber amoureuse, non. Enfouissant ses sentiments naissants au fond d’elle, elle releva la tête et fit un petit rire gêné :
« Et si on oubliait tout ça ? Je suis désolée. J’ai trop bu. »
Sa voix se cassa, tandis qu’elle retenait ses larmes. David secoua la tête. Devant la détresse de la jeune femme, sa colère s’était envolée.
« C’est déjà oublié. »
Il lui tendit la main.
« Et si on allait chercher Söl ? Je te parie qu’elle est déjà ivre morte. Je veux absolument voir ça pour me moquer d’elle demain. »
Tyra ne put retenir un petit sourire.

David avançait sans mot dire. Les mots de Tyra résonnaient dans son esprit. Il ne savait pas quoi penser. La jeune femme était tantôt forte, tantôt fragile.
Lorsqu’il s’agissait de son travail, elle était épanouie et souriante. Elle progressait d’un pas sûr, rassurant. Mais lorsqu’il s’agissait de son rapport aux autres, elle devenait hésitante, angoissée, bouleversée par son passé.
David se retrouvait beaucoup trop en elle, et il n’aimait pas ça. Non pas que Tyra le dérangeait, au contraire : il s’inquiétait pour elle.
Tandis qu’ils traversaient le campement, à la recherche de Söl, il remarqua alors les regards des hommes. Il n’y avait jamais prêté attention jusque là. Nombreux étaient ceux qui la fixaient. Ivres et amusés, ils ne s’en cachaient même pas. Ils la déshabillaient du regard.
David entendait maintenant leurs murmures. Ces œillades prononcées et lubriques, comme si elle n’était qu’une pièce de viande. C’était répugnant.
Comment avait-il fait pour ne rien apercevoir jusque là ?
Il lança un regard furieux vers eux, posa sa main sur l’épaule de la jeune femme et pressa le pas. Étonnée, Tyra ne comprit pas.

Alors que David et Tyra se promenaient tranquillement à la recherche de Söl, le visage de Tyra s’éclaira. Elle se précipita vers une table, laissant un David étonné derrière elle. Que se passait-il encore ?
« Regarde ! Ils ont de l’hydromel ! J’adore ça ! »
La jeune femme semblait déjà avoir oublié sa gêne, car elle attrapa le bras de David et sautilla sur place.
« Je veux en boire, on s’arrête là ! » décida-t-elle, trépignant d’impatience. « Allez !
– Non. On a assez picolé. » rétorqua David, plus responsable.
Mais Tyra, les joues rouges, secoua la tête :
« C’est jamais assez lorsqu’il s’agit d’hydromel. » grommela t-elle en cherchant autour d'elle. « J’ai oublié ma chope. Est-ce qu’il y en a une de vide ici ? »
Elle aperçut l’objet de son désir, posé en évidence sur la table. Tandis qu’elle allait s’en saisir pour pouvoir se servir et délecter l’hydromel qui la faisait tant rêver, David l’attrapa et tendit le bras en hauteur.
« D'accord. Si tu chopes la chope, j’accepte de boire avec toi.
– C'est pas drôle. »

Tyra parvenait toujours à ses fins. Toujours.
L’hydromel coulait à flots. Ce n’était pas très raisonnable, mais ils ne pouvaient résister à son goût unique. C’était trop tentant. Tyra se pencha vers David, les joues rougies par l’alcool.
« J’ai un secret à te dire. » tenta-t-elle de lui susurrer, sans se rendre compte qu’elle criait à moitié.
David gloussa. Il n’y avait rien de drôle, mais il ne pouvait s’empêcher d’être amusé. Elle lâcha alors :
« Soren a une tache de naissance en forme de pénis sur la fesse ! »

Si Tyra était dans un piètre état, ivre et joyeuse, David n’était guère mieux. Rouge, affalé sur la table, il pouffait de rire en sirotant son hydromel. Il tenait si mal sa chope qu’il s’en était renversé plusieurs fois dessus.
« C’pas grave, tu sentiras bon comme çaaa !
– Mais j’sens d’ja bon, même des d’sous d’bras. C’est Ayel qui l’dit !
– J’voulais paaas savoir. »
David ricana et but une gorgée de plus.
« Et d’ailleurs, même que Ayel, beeeen il a des… euh…
– Il a des quoi ?
– Euh. J’sais plus. »
Il fronça les sourcils et chercha ses mots, avant de d’ajouter :
« Ah si ! La chatte d’Ayel est toute douuuce !
– Quoi ?!
– J’adore lui faire des bisouuuuus ! Elle me maaaanque. »
Tyra se leva, tangua vers David et posa une main sur son épaule, solennellement.
« J’te comprends, la bite de Nora m’manque parfois. Söl elle m’a dit qu’elle allait la couper et m’l’offrir dans un bocal.
– Erk, pourquoi tu m’dis ça. C’est dégoûtant beeeeh.
– Ah euh ? J’sais plus. »
Tyra haussa les épaules et se rassit à côté de David, perplexe.
« Ah si ! J’savais pas que Ayel avait une chaaaatte.
– Ouais, et même qu’elle a eu pleiiiin de chatons quand on est parti ! J’voulais les voir moi.
– Des chatons ? » répéta-t-elle bêtement. « Aaaaah d’accord. »

« À nos amiiiis ! » s’exclama David. « Hic !
– Et à nos amaants !
– À mon Ayel !
– Et à… euh tes d’sous d’bras qu’il aime taaaaant !
– Mais ! »
David secoua la tête, gloussa et continua :
« À la chatte d’Ayel !
– Héhéhé, à la bite de Nora dans un bocaaal !
– Et à la chèvre d’mon enfance ! »
Tyra cligna des yeux, déboussolée. Elle se pencha en avant vers David, sa chope suivant le mouvement. Mais cette dernière étant presque vide, le désastre fut fort heureusement évité. Elle bredouilla :
« T’as eu une chèvre ?
– Ouais, c’était mon meilleur ami !
– T’es bizarre toiii. »

Bam ! Tyra tapa sa chope sur la table, provoquant un bruit fort qui fit sursauter David. Ce dernier, qui commençait à piquer du nez, releva la tête avec l’air perdu.
« Hein ? Quoi ?
– Ne t’endors paaas ! » s’écria-t-elle, retapant de nouveau sur la table. « J’ai une trop bonne id... idéeeee ! »
David cligna des yeux, sans comprendre. De quoi parlait-elle ? Tyra continua, sérieuse et sûre d’elle :
« On va sauver l’village ! Tuer les Syl.. sylee… eeeeuh les monstres. Et voilàaaa !
– Faut pas tuer les gens, s’pas bien ! » répondit David, en se redressant. « Faut parler avant d’tuer !
– Alors, on va leur parler ! Et sauver l’village ! T’sais leur parler toi ?
– Aaaahh ! Ouais ! »
Tyra se leva en tanguant, suivie de David. Ce dernier renversa son banc, mais n’y prêta pas attention.
« D’aboooord, on va récupérer des armes ! S’pour se défendre hein.
– J’sais pas tenir une arme moi !
– Bah j’vais t’montrer ! Allez ! On y vaaaa ! »

David et Tyra avançaient vers le quartier général des veilleurs, babillant joyeusement sur leur fantastique plan. En sauvant le village des Sylènes, ils seraient des héros !
Des figures emblématiques reconnues de tous ! Plus personne ne leur ferait la moindre réflexion et ils seraient enfin tranquilles. Quelle plaisante perspective !
Soudain, David s’arrêta. Tyra manqua de trébucher, ne s’y attendant pas. Elle se redressa avec peine, se tenant à son ami pour rester debout.
« C’est Söl ! » s’exclama David, sans aucune discrétion.
Ladite Söl était accompagnée de son mari et les fixait l’air étonné, un sourcil relevé.
« Wow, en fait elle ressemble vachement à un… Syl… un Sylè… Sylène. Les cornes quoi !
– Han, mais t’as pas tooort ! » répondit Tyra, les yeux écarquillés.
Elle lui donna un coup de coude et ordonna :
« Va lui parler !
– Hein ?
– Bah ouaiiis, faut t’entraîner quoiii !
– Aaaaah. »
David tangua en direction de Söl. Il chercha ses mots, concentré sur ce qu’il devait dire.
« B’jour, j’viens en paix. Moi c’est David ! » dit-il en tendant la main vers Söl.
Elle le dévisagea, perplexe, puis se tourna vers son mari en murmurant :
« Ils nous font quoi là ?
– Je sais pas. Ils ont l’air salement éméchés. »
Tyra cria alors :
« Mais t’es con, parle-lui en langue des Sylène !
– Aaaah, pas bête !! Mais elle va pas comprendre !
– On s’en fout, c’est un entraiiinement ! »

« Que ce soit clair : la prochaine fois que vous me comparez à un Sylène… » David et Tyra se tendirent en entendant l’agacement transpercer dans la voix de Söl. « … Je vous arrache les yeux, je coupe vos deux misérables langues en petits morceaux, et je vous fais pendre nus au centre du village. »
Les deux compagnons s’échangèrent une œillade apeurée et déglutirent de concert. Il n’était jamais bon de mettre en colère la dirigeante.
« C’est compris ?
– Oui… » répondirent-ils, penauds.
« Bien. Maintenant vous allez me faire le plaisir de rentrer chez vous et de dormir. »
Tyra et David ne se firent pas prier, s’enfuyant à toute vitesse loin du regard agacé de Söl. La meneuse passa la main sur son visage, soupirant :
« Au moins, j’ai de quoi me moquer d’eux demain. Mais ils vont finir par me tuer. »
Warin sourit, mais ne répondit pas. Il se colla à sa femme, la prenant dans ses bras. L’air taquin, il murmura :
« Et si on oubliait ces deux idiots ? J’ai d’autres choses en tête, beaucoup plus plaisantes.
– Tu as raison. J’ai hâte de découvrir ce charmant petit coin à l’abri des regards dont tu m’as parlé. »

Une fois loin du courroux de Söl, Tyra se retourna vers David.
Encore apeurée, elle chuchota :
« On fait quooi ? On continue ou pas ? »
David secoua la tête. Il bâilla, épuisé. Il sentait le poids de la journée.
« Bwarf. Demain.
– T’es trop nul.
– Maiiis ! J’ai envie de voir Ayel. Je veux lui faire des câliiiins. »
Tyra ricana. Elle donna un coup de coude à David et gloussa :
« Seulement des câlins, hein ?
– Bah oui. »
David leva les yeux au ciel. Il n’y avait rien de mieux que la tendresse de Ayel avant de dormir. Ses bras réconfortants, son sourire amoureux et sa douce voix apaisante… Rien au monde n’était plus agréable.
Il voulait expliquer tout ça à Tyra, mais ne parvint qu’à baragouiner quelques mots. Elle hocha la tête vigoureusement, n’ayant rien compris.
« Alors on va voir Ayel ? J’peux venir diiis ? »
Il opina. Lorsqu’ils atteignirent la hutte de David, Tyra chuchota :
« J’suis sûr il dort. Viens, on fait plein d’bruit !
– Il va nous détesteeer ! »
C’est en hurlant qu’ils entrèrent dans la hutte. Ayel, allongé sur sa paillasse, se réveilla en sursaut. Il se releva dans la précipitation, criant :
« Quoi ? Hein ? »
Avant qu’il n’ait eu le temps de comprendre, David l’avait attrapé, le serrant dans ses bras. Reconnaissant son compagnon, il soupira de soulagement. Il renifla. Cette odeur. C’était celle de l’alcool. Hydromel et bière, sans aucun doute. Il fronça les sourcils :
« Tu as bu ?
- Ouaiiiiiis. »
David répondit avec un sourire benêt. Ayel plissa les yeux. Les veilleurs avaient organisé une fête, il en avait entendu parler. David s’était visiblement fait plaisir.
Se détendant, profitant de l’étreinte un peu trop forte de David, il remarqua alors que quelqu’un d’autre l’enlaçait. Tyra, toute heureuse, participait au câlin groupé.
Son sourire se transforma en grimace.

Lorsque David n’eut plus envie de câlin, il se détacha de Ayel. Avec un sourire idiot, il lui tendit sa choppe en s’exclamant :
« Regaaaarde, je t’ai apporté de l’hydromeeeel ! »
Ayel fixa la chope, désabusé. David la tenait à l’envers. Elle était vide depuis longtemps. David s’en rendit alors compte et pouffa :
« Oups ! »
Durant les minutes qui suivirent, Ayel du alors supporter la joie et les rires niais des deux amis. David et Tyra ne semblaient pas pressés de finir leur soirée.
Mais Ayel n’appréciait pas vraiment la présence de Tyra dans sa hutte. Agacé et fatigué, il tenta de lui faire comprendre qu’il était temps de partir. Il était tard, David avait clairement trop bu et devait dormir maintenant.
Mais elle ne réagissait pas, trop occupée à rire et parler avec son ami. Finalement, il la poussa dehors sans ménagement. David gémit :
« Mais c’est mon amiiiie !
– Et ce sera toujours ton amie demain. »
Tyra resta quelques minutes devant la hutte. Ayel, remarquant qu’elle ne partait pas, glissa sa tête entre les rideaux et grogna :
« Bonne nuit.
– Mais…
– BONNE NUIT. » insista t-il, avant de fermer les rideaux.

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