- 17 - Le don de Söl
- bleuts
- 11 nov. 2024
- 24 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
Partie 1 - La légende du Lethes
Lorsque Ayel se leva, à peine deux heures plus tard, il était épuisé. Se faire réveiller en pleine nuit par David et Tyra l’avaient coupé dans son repos, et il avait eu peine à se rendormir.
Il faut dire que David, bien qu’assommé par l’alcool, était câlin et l’avait collé. Il lui avait même bavé dessus ! Dégoûtant.
Après s’être préparé tranquillement en étant accompagné des ronflements de David, Ayel sortit de la hutte pour partir travailler. Il remarqua alors la présence de Tyra.
Elle s’était recroquevillée et dormait devant chez eux. Il fronça les sourcils. Elle n’était donc pas rentrée chez elle ?
« Quelle idiote... » grommela-t-il.
Il s’en voulut alors de l’avoir jeté dehors sans vérifier qu’elle était capable de retourner chez elle. À vrai dire, il ne savait même pas où elle habitait. Il faisait froid à cette heure-ci, et elle n’était même pas couverte !
Ayel soupira et retira sa cape. Il la déposa sur les épaules de la jeune femme qui ouvrit péniblement les yeux.
« Hein ? »
Mais le temps qu’elle réalise, Ayel avait déjà filé.

Lorsque David se réveilla à son tour, quelques heures plus tard, il avait l’impression que son crâne allait exploser.
« Bon sang. » grommela-t-il.
Sa bouche était sèche, son haleine pâteuse, et tout son corps ne lui demandait qu’une chose : retourner dormir. Ce qu’il aurait fait, si Tyra n’avait pas ouvert les rideaux de sa hutte en s’écriant :
« David ! Enfin debout ? C’est l’heure de te lever ! »
Il cligna des yeux, ébloui par la lumière des lampes extérieures. Il étouffa un bâillement et se leva à contrecœur. Comment pouvait-elle être en forme après tout ce qu’elle avait bu la veille ?
« Sors tout de suite de chez moi. » grogna-t-il.
Tyra sourit et répliqua :
« D’accord, mais dépêche-toi ! Il est déjà midi, et Söl nous a convoqué tous les deux. Il ne faut pas la faire attendre. »
Que lui voulait donc la dirigeante du village ? Se moquer de son état de la veille ? Il grimaça. Tout, mais pas ça ! Ses souvenirs étaient flous. Il avait bien des bribes, mais aussi beaucoup de zones noires. Qu’avait-il fait ?
Après s’être préparé, il partit donc en direction de la hutte de Söl. Cette dernière, fidèle à son habitude, était déjà en train de boire. La vue de l’alcool lui donna la nausée, mais il réprima son envie de vomir. Söl, amusée, s’exclama :
« Alors ? Comment vont mes deux alcooliques préférés ?
– Mal à tête. » affirma David. À contrecœur, il ajouta : « Tu n’aurais rien pour ça ? S’il te plaît ?
– Oh si bien sûr ! » répondit-elle avec le sourire.
Elle saisit une bouteille sur l’étagère et expliqua :
« C’est un remède contre la gueule de bois, très efficace et un petit peu magique. C’est le fameux fournisseur que je t’ai présenté il y a quelque temps qui me le fabrique.
– Oh fantastique, je te remercie… »
David avait commencé à tendre le bras pour attraper la bouteille, mais Söl recula et la reposa sur son meuble.
« Je t’ai dit que j’en avais. Pas que je t’en donnerai.
– Tu…
– Petite punition pour avoir osé me comparer à un Sylène hier. »
David serra les dents. Il ne se souvenait pas de ça. En tournant la tête vers Tyra, il se rendit compte que celle-ci rosissait et baissait les yeux.
« Je suis désolée. » gémit-elle, penaude.
Söl lui donna une tape sur la tête et répondit :
« Toi ça va, tu es mignonne même quand tu as bu alors tu es toute pardonnée. Mais David est moche quand il est bourré et il a l’air stupide. Ça lui apprendra à mieux se tenir.
– Mais…
– Tututut, pas de mais. N’oublie pas à qui tu parles. »
David souffla, déjà agacé. Son mal de tête ne lui donnait absolument pas envie de jouer à ce jeu-là.
« Mais si je vous ai fait venir, ce n’est pas que pour me moquer de vous.
– Je t’écoute. » soupira-t-il.

Le sourire de Söl s’agrandit.
David n’aimait pas ça. Pas du tout.
Sans mot dire, elle se retourna pour s’asseoir dans son fauteuil et croisa les jambes.
Elle attrapa sa pipe et l’alluma avec précaution. Entre deux bouffées, elle expliqua alors :
« J’ai décidé d’accéder à votre requête. Il se trouve que les esprits m’ont soufflé de vous faire confiance.
– Notre requête ? »
Söl se régala de leurs expressions étonnées, et attendit quelques secondes avant de continuer.
« Hier soir, vous vouliez parler avec un Sylène, n’est-ce pas ?
– Euh… »
David, qui ne se souvenait pas de ça, plissa les yeux. Il sentait les embrouilles à plein nez.
Tyra quant à elle se passa une main sur le visage, comprenant ce dans quoi elle les avait embarqués. Elle murmura :
« Vous souhaitez que…
– Oui. »
Söl expira et un long filet de fumée serpenta dans l’air autour d’eux. David secoua la main pour la disperser.
« Votre traduction du carnet de Sylène m’a fait réfléchir. Il y a des points que je veux éclaircir avant toute chose. Je vais préparer une expédition avec quelques hommes dignes de confiance, et vous les accompagnerez.
– Et Warin ? Il est au courant ?
– Non. Et je vous interdis de lui en parler, ainsi qu’a quiconque ne faisant pas partie de l’expédition. »
Söl se leva, elle s’approcha de Tyra et plongea son regard dans le sien.
« Surtout, tu ne dois pas en parler à Soren et Senna.
– Vous avez peur que Soren… ? »
Söl ne répondit pas à la question.

« Mais chaque chose en son temps. Nous discuterons de l’expédition et de son organisation plus tard. Ce ne sera pas avant de nombreuses lunes. »
Söl se leva et fit signe aux deux jeunes veilleurs de la suivre. Elle quitta la tente, Tyra sur les talons. David hésita, avant de discrètement attraper la bouteille de potion et d’en boire une gorgée. Il la reposa et sortit aussitôt. Söl parlait devant, discutant joyeusement avec Tyra.
Ils marchèrent dans le village et au bout de quelques minutes, Söl expliqua alors :
« Bien que tu n’aies pas encore fondé une famille, il est temps que tu aies ta propre hutte, Tyra. Tu ne peux pas rester chez ton frère éternellement.
– Je… vraiment ? »
Le visage de Tyra s’éclaira.
Un sourire immense l’illumina.
David fut surpris. Il ne savait pas que Tyra vivait chez Soren mais il avait compris que leur relation était assez problématique. Il fut heureux pour elle à cette nouvelle. C’était le premier pas vers l’émancipation.
« Oui. Tu vas récupérer celle de Gérard. Avant de mourir, il m’a demandé que sa hutte te soit transmise.
– Oh. »
Tyra perdit le sourire.
Gérard était un homme bon.
Et il n’était pas n’importe qui pour elle : il lui avait enseigné le métier de Veilleur avec passion. Sa mort l’avait bouleversée. David quant à lui fronça les sourcils. Gérard. Gérard ? Ce nom lui disait quelque chose.
« Il s’agit de l’homme qui me secondait. » expliqua Söl, qui avait surpris l’expression de David. « Tu l’as remplacé plusieurs fois en m’accompagnant à la surface.
– Oh. » David se souvenait maintenant. « Mais vous n’aviez pas dit qu’il était simplement blessé ?
– Il a succombé à ses blessures… » murmura Tyra, attristée.
David s’en voulut d’avoir posé la question. Elle avait vraiment l’air de tenir à lui.
« Je suis désolé. » répondit-il, en lui posant une main sur l’épaule.
Elle opina, sans mot dire. Il était toujours difficile de perdre un proche. Ce n’était pas la première ni la dernière fois que ça lui arriverait. Mais ça ne l’empêcherait pas de continuer à avancer. Söl ajouta alors :
« Et si tu as ta propre hutte, tu n’auras plus besoin de dormir devant celle de David. »
Tyra bredouilla, tandis que David tournait la tête vers elle :
« Quoi ? »

Lorsqu’ils parvinrent à la hutte de Gérard, Söl entra sans attendre, suivie de Tyra. David hésita, avant de les imiter. C’était étrange d’entrer ainsi chez une personne décédée. Il ne se sentait pas à l’aise. Comme s’il n’avait pas le droit d’être là.
La hutte qu’il occupait avec Ayel était aussi à un homme mort peu de temps avant leur arrivée, mais elle avait été vidée avant. Celle-ci était encore remplie. Un bazar sans nom, beaucoup de bricoles éparpillées.
Söl commença à fouiner dans les affaires, expliquant à Tyra :
« Il y a beaucoup de trucs ici, Gérard aimait bien accumuler des souvenirs. Tu devras faire le tri de ce que tu gardes ou non. Les biens dont tu n’as pas besoin iront dans la réserve du village.
– D’accord.
– David t’aidera à nettoyer, n’est-ce pas David ? »

Il hocha la tête, comprenant qu’il n’avait pas le choix. En vérité, l’idée ne le dérangeait pas. David adorait faire le ménage. Söl continua en le fixant droit dans les yeux :
« D’ailleurs, la tenue de veilleur dont tu as hérité était l’une de celles de Gérard, prends-en soin. »
David se demanda alors comment Tyra avait ressenti le fait de le voir porter les vêtements de son ami, lorsqu’il était arrivé après le rituel. Peut-être avait-ce réveillé quelque tristesse en elle. Mais cette dernière lui sourit et expliqua :
« En échange de ton aide, si tu trouves dans ses affaires quelques vêtements à ta taille, sers-toi. »
David accepta l’offre qu’elle lui faisait, reconnaissant. Les vêtements et toute autre pièce de tissus étaient des trésors coûteux, c’était extrêmement généreux de sa part.
« Atchoum ! »
Il renifla en grognant. Toute cette poussière n’arrangeait pas son mal de tête. La potion ne semblait pas marcher pour le moment. Combien de temps prendrait-elle avant de faire effet ? Söl sourit et murmura :
« Elle agit en une heure, patience. »
David fronça les sourcils.
Il allait lui répondre, mais Söl s’était déjà détournée de lui. Baissée, elle fouillait dans un coffre avec attention. Plus le temps passait, plus il la trouvait étrange. Comment Söl avait-elle pu apprendre qu’il avait dérobé quelques gouttes de potion ? Il en était sûr, elle ne l’avait pas vu faire.
Alors, tandis que la meneuse fouillait dans un coffre, il se pencha vers Tyra. Cette dernière leva la tête, interrogative. Que lui voulait-il ?
Il chuchota, tentant d’être discret :
« Söl est effrayante. Parfois, j’ai l’impression qu’elle sait tout. »
Cette idée le taraudait depuis un moment. Ce n’était pas la première fois qu’elle devinait des choses. Qu’elle comprenait ses sentiments mieux que quiconque, sans avoir besoin de mots. Tyra ferma les yeux, un petit sourire au bout des lèvres, et répondit :
« C’est normal… c’est parce qu’elle SAIT tout. »

Il haussa les sourcils, interrogateur. Que voulait-elle dire par là ? Était-ce de l’humour, ou bien pensait-elle réellement ce qu’elle disait ? Tyra, ne tentant absolument pas de chuchoter, expliqua :
« Tu ne savais pas ? Söl est une Sybil.
– Une Sybil ?
– Ouais. La voix des dieux. »
Il ne comprenait strictement rien à ce qu’elle racontait. Alors qu’il allait poser une question, une voix se fit entendre derrière lui, le faisant sursauter :
« Vous parlez de moi ? Vous n’êtes pas très discrets. »
David grimaça. Il aurait préféré que Söl n’entende rien. Mais cette dernière souriait, amusée. Il soupira, vaincu.
« Je me demandais, pour la potion, comment…
– Oh ça ? Pas besoin d’être devin pour comprendre que tu allais te servir. Tu es si prévisible… »
Touché. Il croisa les bras. Si c’était comme ça, il ne poserait plus de questions ! Söl lui donna une petite tape dans le dos, et continua :
« Mais effectivement, j’ai quelques dons. Je peux pressentir des choses et j’ai des visions. Je tiens ça de mon Totem. Par exemple, je sais que.... tu adores balayer ! Alors au travail ! »
Elle saisit un balai qui trônait contre le mur et lui lança. Il l’attrapa par réflexe. Il fixa ensuite l’objet, perdu. Söl avait effectivement raison. Il aimait particulièrement balayer.
David roula des yeux et reposa le balai à côté de lui. Il était hors de question qu’il fasse le ménage de suite. C’était bien inutile tant que la pièce était encombrée. De toute façon, il avait trop d’interrogations.
« Quel est ton animal totem ? » demanda-t-il, sans y mettre les formes.
Tyra se cacha les yeux. Söl, qui était en train de s’éloigner, s’arrêta. Elle se tourna de nouveau vers lui, un léger sourire au bout des lèvres.
« Ha ! C’est très intime comme question ça, David. »
Il haussa les épaules, indifférent. Il ne voyait pas le problème. Ayant grandi avec deux Etris, Öta et son père, il connaissait bien le principe d’animal totem.
Chaque Etris naissait avec un animal lié à son âme. Ce dernier se manifestait dans la plupart des cas dans son apparence physique : des oreilles, des cornes, de la fourrure, un museau, une queue....
Öta, son ami d’enfance, avait une créature étrange comme Totem. On n’en trouvait pas dans le Nord. C’était une… euhm… une anti quelque chose. Antisope ? Antirope ? Il avait déjà oublié le nom exact.
Mais jamais il n’avait entendu parler d’un animal qui possédait un don de divination. Il était curieux. Très curieux.
« Dis-le, c’est quoi ? Je garderai le secret, allez.
– J’aime quand tu insistes comme ça. »
Elle montra ses cornes du doigt, puis son museau.

« Alors ? » sourit-elle. « À quoi ça te fait penser ?
– Euh, aucune idée ? Ah si, un élan ! »
Söl se retint de rire. Un élan, n’est-ce pas ? Ou bien, un Élan ? Elle pouffa mentalement cette blague douteuse. Mais elle secoua la tête.
« Laisse-moi réfléchir ? Hm, non.
– Je suis bête. » maugréa David. « Tu as des cornes, pas des bois.
– En fait, tu n’es pas si loin de la vérité. Oublions cette histoire de cornes. » expliqua t-elle. « Que penses-tu d’un cerf ?
– Un cerf ?
– Oui. Mais pas n’importe lequel. Un animal cornu, d’une blancheur immaculée, qui n’a de Cerf que le surnom.
– Je ne vois pas du tout. »
Ce fut Tyra qui répondit alors, expliquant :
« Le Lethes, aussi surnommé le Cerf Blanc ! »
David, qui n’avait jamais entendu parler de cette créature, fronça les sourcils. Cerf blanc ? Ce n’était pas le nom du village de Ayel, ça ? Comme si elle avait lu dans ses pensées, comme à son habitude, Söl répondit :
« C’est vrai que le village d’où vous venez s’appelle Cerfblanc. C’est amusant.
– Effectivement. Dis-moi en plus, je veux tout savoir de cet animal. »
Söl se mit alors à chercher quelque chose dans la hutte. Elle ouvrit les coffres, fouilla les tiroirs, en marmonnant :
« Je me souviens que Gérard avait de quoi écrire… où a-t-il rangé ça ? »
Soudain, elle sortit victorieusement un pot d’encre. Après avoir trouvé une plume et une feuille, elle commença à dessiner avec précaution.
« Une image vaut mieux que tous les mots ! Voici ce à quoi un Lethes ressemble. » s’exclama-t-elle, dévoilant ainsi son œuvre.
David hésita. Était-elle sérieuse ? Il plissa les yeux, et grogna :
« C’est moche. Tu dessines mal. »
Tyra pouffa de rire. Le visage de Söl vira au pourpre.

Comment ça, son dessin était moche ? Vexée, elle fixa la feuille de papier avec attention. David avait tort. Il était magnifique.
« Tu n’y connais rien, c’est tout.
– Je ne reconnais rien, surtout. »
Son dessin ne ressemblait même pas à un animal ! En plissant les yeux, il pouvait vaguement voir un caillou avec des branches. Il secoua la tête.
« Tu ne peux pas être douée dans tous les domaines.
– Hé ! »
Söl lui balança la feuille dessus et s’exclama :
« Et bien si ça ne te plaît pas, débrouille-toi tout seul pour en apprendre plus sur le Lethes ! Je ne te dirais rien. »
Elle quitta la hutte, laissant David pantois. Il se tourna vers Tyra, qui le fixait, les yeux écarquillés.
« Elle va t’en vouloir, tu sais ?
– C’est pas ma faute si elle dessine mal. » bouda-t-il.
Tyra soupira :
« T’étais pas forcé de lui dire.
– Bah ouais, mais t’étais pas mieux. Je t’ai vu pouffer de rire. »

La jeune femme rougit légèrement de honte.
« Ne t’en fais pas, dans une heure elle aura oublié.
– Si tu le dis.
– Dans le pire des cas, je lui amènerai une bouteille d’hydromel pour me faire pardonner.
– Et où tu veux la trouver ? » demanda Tyra, suspicieuse.
David haussa les épaules :
« Tu vas souvent à la surface non ? Je compte sur toi. »
– Tu crois vraiment que je suis ta mule, et que je vais monter à la surface t’acheter une bouteille d’hydromel ? » s’offusqua Tyra, qui n’en croyait pas ses oreilles.
Quel toupet !
« Pas une. Plusieurs.
– Hein ?
– Bah une pour Söl, le reste pour nous. Je paye, évidemment. »
Tyra ouvrit la bouche, puis la referma. Elle ne put retenir un petit sourire et marmonna :
« Mmmmh dans ce cas…
– C’est d’accord ?
– Je vais y penser… »

Puisque Söl les avait laissés avec seule consigne de nettoyer la hutte, ils n’avaient pas traîné et s’étaient attelés à la tâche. Plus vite ils auraient fini, plus vite Tyra pourrait s’y installer. Tandis qu’il était en train de secouer une grande couverture, qui aurait mérité un bon lavage au vu de l’odeur, David demanda :
« Et du coup, toi tu ne peux pas m’en parler ?
– De quoi ?
– Bah de l’animal totem de Söl. »
Tyra sourit et arrêta ce qu’elle faisait. Elle se dirigea vers la table qui trônait au centre de la hutte et s’assit dessus.
« Il était temps que tu me le demandes ! Je veux bien te raconter, mais uniquement si tu continues de nettoyer pendant ce temps.
– D’accord. »
Elle chercha ses mots quelques secondes, inspira, puis entama son histoire :
« Autrefois, à l’époque où les dieux régnaient sur le monde, existait un animal d’une pureté et d’une bonté sans égale. Son pelage était aussi blanc que la neige immaculée et son regard aussi noir que le charbon. Son nom était le Lethes. On disait de lui de nombreuses choses, mais le mythe le plus connu raconte qu’il était le familier d’une des entités ayant fondé le monde : Esprit. Il gardait pour elle une source très ancienne, aux pouvoirs miraculeux. »
David écoutait avec attention Tyra. Depuis quand racontait-elle aussi bien ? Depuis quand sa voix était-elle aussi douce et posée ?
« Une source ?
– Oui, celle de l’Âme. On disait de cette source que s’y baigner guérissait toutes les blessures, même les plus profondes. Même celles du cœur. Le Lethes, en digne gardien de cette source, ne laissait passer que ceux qui en avaient réellement besoin.
– Mais comment pouvait-il savoir qui laisser passer ? Je veux dire, les blessures physiques c’est assez évident, mais les autres ?
– Il le savait, car il le sentait. Le Lethes avait don, un héritage de l’entité Esprit, qui lui permettait de ressentir les émotions, les peines et les tourments de ceux à qui il se montrait. Il pouvait lire les souvenirs. Tous les souvenirs.
– Tous ? Comment ça ?
– Les souvenirs du passé, mais aussi ceux du futur. Il devinait les chemins que l’âme du visiteur pouvait emprunter et prenait sa décision en fonction de ce qu’il voyait. »
David fronça les sourcils. Il hésita, avant de demander :
« Et c’est ça, le don de Söl ? »
Tyra ne répondit pas. Elle continua :
« Il y a d’autres légendes sur le Lethes. Une de mes préférées dit qu’il vit dans toutes les forêts du monde et qu’il est l’âme des bois. Si le Cerf est le roi de la forêt, alors le Lethes est leur dieu…
– C’est le sanglier, le roi de la forêt. » ne put se retenir de répondre David, dont les croyances différaient un peu.
Tyra gloussa, mais ne releva pas.
« … d’où son nom de Cerf Blanc, bien qu’il n’en soit pas un. Dans cette légende, le Lethes ne se montre aux personnes qui ont besoin de son aide. Ceux dont le passé les empêche d’aller de l’avant. Il purifie leurs âmes et efface leurs souvenirs, afin de leur donner une chance de tout recommencer à zéro.
– C’est une belle légende.
– Oui, je trouve aussi. » fit Tyra. « Mais chaque fois qu’il prend des souvenirs sur lui pour aider son prochain, son pelage se ternit un peu plus et sa vie se raccourcit. Et lorsque le Lethes ne peut plus supporter le poids et la douleur de toutes ces vies, il se laisse mourir et devient un nouveau fleuve, lac, ou rivière dans la forêt. Alors, à ce moment-là, l’Entité Esprit façonne un nouveau Lethes pour qu’il puisse à son tour guider les âmes perdues. »
David imaginait parfaitement cette créature, aussi belle que noble. Aussi pure que généreuse. Bien qu’il ne croyait pas à toutes ces légendes, il ne pouvait s’empêcher d’être touché. C’était magnifique.
« Il faudra que je te montre, on a fait de nombreuses fresques dans les souterrains et il y en a une du Lethes !
– Maintenant que tu le dis, je crois que je les ai déjà vues pendant que je me baladais avec Ayel !
– Près des escaliers ?
– Oui, c’est ça. »

« C’est quand même impressionnant cette histoire de Totem.
– Oui, Söl est spéciale. C’est pour ça que c’est une bonne dirigeante. » répondit Tyra, amusée. « Elle pourrait être le personnage principal d’un roman ou d’un conte, tu ne trouves pas ? Aaah… un livre sur Söl, ce serait fantastique !
– Je suis sûr que personne ne voudrait lire un truc pareil. » grommela David, pour le plaisir de ronchonner.
Tyra ricana et rétorqua :
« Même en le souhaitant, tu ne pourrais pas. Tu ne sais pas lire !
– Je me débrouille de mieux en mieux, je te signale. J’arrive à reconnaître certains symboles et déchiffrer des phrases simples. » bouda David, vexé. « C’est juste que je manque d’entraînement. Comme Ayel n’est plus mon maître, il n’essaye même plus.
– Comme c’est étonnant. » répondit Tyra.
Elle comprenait totalement Ayel. Qui voudrait enseigner pour le plaisir à une tête de mule pareille ? Il était évident que le compagnon de David devait se sentir bien soulagé d’être débarrassé de cette corvée.
« D’ailleurs c’est amusant, je n’aurais jamais cru ça de toi. » ajouta David, faisant sortir Tyra de ses pensées. « Tu t'en sors bien.
– De quoi ?
– Tu racontes très bien les histoires. Et tu as l’air d’avoir lu plusieurs livres, non ?
– Pourquoi ça t’étonne ? » siffla t-elle, outrée. « Je suis très cultivée !
– Mouais. »
Tyra se redressa et s’exclama :
« Mon père m’a fait lire tous les livres de la Caste quand j’étais enfant ! »
David hocha la tête. Voilà qui devait faire beaucoup d’ouvrages. Il n’aurait pas aimé être à sa place. Tyra baissa alors la voix, et ajouta dans un murmure :
« J’aimais bien lire, mais je n’aimais pas lorsqu’il nous frappait Soren et moi parce que nous ne comprenions pas certains ouvrages.
– Il vous battait ? »
La jeune femme tenta d’imiter son père. Elle fronça les sourcils, posa ses mains sur les hanches et grogna d’une voix grave :
« Les enfants du chef doivent tout savoir ! C’est une question de fierté. Vous devez faire honneur à notre longue lignée, bla bla bla. »
Quel homme adorable.
« Les enfants du chef ? Le prédécesseur de Söl était ton père ?
– Oui ! Et j’étais bien contente lorsqu’elle l’a tué. »
David écarquilla les yeux. Il fixa Tyra et répéta :
« Lorsqu’elle l’a… tué ?
– Ouais. »
Tyra se releva et expliqua :
« C’est une raison pour lesquelles je l’admire ! C’est même elle qui m’a donné envie d’apprendre à me battre avec une lance. Je me souviendrai toujours du moment où elle l’a empalé sur la sienne. Tu sais qu’elle me l’a donné ensuite ?
– C’est avec la lance qui a tué ton père que tu te bats ?
– Oui ! Je suis plutôt douée, mais ça tu le verras quand on travaillera ensemble sur le terrain. »
David ne s’y attendait pas. Il dévisagea Tyra avec incompréhension. Mais finalement, au bout de quelques secondes, il haussa les épaules et décida que ce n’était qu’une chose bizarre parmi tant d’autres. Après tout, les gens dans ce village étaient tous fous.
« Au moins, Tyra n’est pas malheureuse d’avoir perdu son père. » songea-t-il.
C’était le principal, non ?

Bien plus tard dans la soirée, David rentra chez lui pour profiter d’un repos bien mérité. Nettoyer la nouvelle demeure de Tyra l’avait épuisé. Il était frustré de ne pas avoir pu finir aujourd’hui. À ses yeux c’était certes rangé, mais loin d’être propre.
Mais Tyra semblait totalement satisfaite de l’état de la hutte et lui avait assuré que c’était parfait.
« Mais la paillasse empeste la bière !
– Moi j’aime bien. »
Peu importe ses remarques, elle trouvait toujours une justification. Mais après tout, si Tyra souhaitait vivre dans une hutte ordonnée, mais sale, c’était son problème.
À l’inverse, Ayel et lui étaient plutôt le type de personne à privilégier le propre, mais désordonné.
Il regarda autour de lui avec amusement. En réalité, la pagaille était surtout l’œuvre de Ayel.
En rentrant le soir, il laissait souvent ses affaires par terre. Des outils éparpillés, des vêtements à même le sol, le tout accompagnés de petits jouets qu’il fabriquait durant son temps libre.
Il y en avait partout. David nettoyait, Ayel désordonnait.
« À quoi tu penses ? » demanda justement Ayel, qui était assis en face de lui et taillait un nouveau jouet.
David, qui n’avait aucune envie de parler de la hutte de Tyra, répondit :
« Mh rien d’important. Mais j’ai appris quelque chose aujourd’hui ! Tu savais que Söl est devenue notre meneuse en tuant son prédécesseur ? Et ce dernier était le père de Tyra !
– Oui j’en ai entendu parler. » répondit Ayel, peu concerné.
Il s’était exprimé sans lever les yeux, concentré sur son ouvrage.
« Et ça ne te choque pas ? Elle a tué une personne quand même.
– Vu ce que j’ai entendu dire sur le précédent meneur, je le préfère mort. » répondit Ayel avec amusement, en levant enfin les yeux vers David. « C’était un sacré con.
– À ce point ?
– Ouais. » Ayel haussa les épaules et ajouta : « De toute façon, s’il avait été en vie, jamais nous n’aurions pu rejoindre la Caste. Il ne nous aurait pas acceptés. Ce qui aurait été dommage, vu que j’aime bien mon quotidien ici.
– Ah. Moi aussi. » opina David.
Malgré la folie ambiante du village, les secrets étranges, des veilleurs bornés et une dirigeante hors norme, il se plaisait bien et s’imaginait sans peine rester. Il s’était vite habitué à ce lieu hors du commun.

Partie 2 - Une commande particulière
Tyra était partie aux aurores. Après avoir récupéré de l’argent auprès de David et lui avoir assuré qu’elle serait de retour avant midi, elle avait pris la direction de la surface.
« Tyra ! Ça fait un moment que tu n’étais pas montée. Tu es de mission aujourd’hui ? » lui demanda le veilleur qui gardait l’entrée.
Elle secoua la tête et répondit joyeusement :
« Non ! J’ai juste une petite course à faire. Tu n’en diras rien aux autres, n’est-ce pas ?
– Je ne t’ai pas vue. » affirma-il en cachant ses yeux avec un sourire.
Tyra le remercia et il en profita pour enchainer :
« Oh ! Si tu veux me remercier, je suis disponible cette nuit. Tu sais, si tu veux venir me voir dans ma hutte…
– Pas cette fois ! Allez j’y vais, encore merci ! »
Elle se faufila hors de l’auberge qui servait d’entrée. Ah ! Quel bonheur de sentir les rayons du soleil sur son visage ! Elle en frissonna de plaisir. Elle lança ensuite un regard amusé derrière elle, fixant l’enseigne de fer grinçante de l’auberge de la Citrouille.
« Et dire qu’ils ont fait tout le tour pour venir ! » ricana-t-elle, en repensant à l’arrivée de Ayel et David dans la caste.
Lorsqu’elle avait expliqué à David que l’auberge où il avait logé avec Ayel cachait également l’une des entrées les plus proches du village, son visage s’était décomposé. Il avait alors réalisé qu’il avait pris le chemin le plus long et avait juré. C’était particulièrement beau, toute cette frustration.
L’auberge de la Citrouille appartenait aux Abarians, mais les clients étaient des personnes ignorant tout de ses secrets. Ils accueillaient toutes races, toutes religions et les voyageurs de passages étaient nombreux.
David et Ayel, à l’instar des autres clients, n’avaient donc eu aucune raison de se douter de quelque chose.
Tyra arriva alors au niveau de son fournisseur d’hydromel préféré. Après avoir fait ses achats, elle fit un petit tour en ville. Elle avait réussi à obtenir un rabais, ce qui lui laissait un peu d’argent. Tyra aurait bien entendu pu rendre cet argent à David, étant donné qu’il s’agissait du sien, mais elle décida de se faire plaisir.
Elle acheta un petit pain aux graines, encore chaud, et le dégusta assise sur le bord du fleuve qui traversait GemmeNoire. Une belle journée, sans aucun doute.
Mais peut-être aurait-ce été mieux avec ses amis ?
Lorsqu’elle rentra, quelques heures plus tard, elle se promit d’emmener David la prochaine fois. Après tout, si David demandait gentiment à Söl l’autorisation de sortir peut-être accepterait-elle ?
« Ce serait chouette. » murmura t-elle pour elle-même, tandis qu’elle descendait les escaliers qui la mèneraient au village.

Lorsque Tyra était revenue de sa virée à la surface, brandissant fièrement ses bouteilles d’hydromel, David lui avait proposé d’en ouvrir une ensemble.
« D’accord ! » avait-elle répondu. « Mais cette fois on la déguste. Pas question de se l’enfiler d’un seul coup, c’est une boisson de qualité qu’il faut apprécier à sa juste valeur.
– Parce que celle durant la fête était de piètre qualité ?
– Non, mais celle de la fête on ne l’avait pas payée. » rétorqua Tyra dans un rire communicatif.
Effectivement, vu ainsi…
Tandis que David mangeait et sirotait son verre d’hydromel, Tyra lui raconta joyeusement sa journée : les endroits qu’elle avait vus, son envie d’y retourner avec lui, la beauté des lieux et les personnes qu’elle avait croisées…
« Il y avait une vieille femme, son nez était si long qu’il aurait pu toucher le sol ! Elle était courbée et son dos m’évoquait à un pont ! Elle ressemblait à un personnage de conte.
– Mh. » opina David, peu concentré.
« J’ai aussi vu un petit orian dérober un morceau de pain. Il était si rapide que personne n’est parvenu à le rattraper !
– Je vois. » répondit David, toujours aussi peu concentré.
« Et j’ai croisé un Etris qui avait des cornes presque aussi longues que Söl ! Il était d’une incroyable beauté. Mais je me demande comment il fait pour passer les portes.
– Ouais, je vois. » ajouta David, dont la concentration n’était clairement pas à son paroxysme.
Tyra rougit en se rendant compte qu’elle parlait toute seule et s’exclama, outrée :
« Hé ! Tu m’écoutes au moins ?
– Non. »
Elle s’étouffa de colère devant un tel affront et lança une pomme sur David, qui se la prit en plein front. Il grogna :
« Mais ça fait mal ! T’es dangereuse ma parole !
– Ne t’en fais pas, on ne peut pas blesser une tête vide. »
David ramassa la pomme et croqua dedans, agacé. Il rétorqua alors, mesquinement :
« Alors comme ça, les cornes, ça t’attire ? Söl, cet Etris… la prochaine fois, tu vas nous annoncer que tu veux épouser un Sylène ?
– … mais ! » s’empourpra Tyra, qui ne s’attendait pas à ça.
David continua :
« Je te surveillerais durant l’expédition, il ne faudrait pas que ça arrive. Après tout, tu pourrais suivre les traces de ton ancêtre. Une belle romance dans les souterrains, avec un membre du groupe ennemi…
– T’es qu’un abruti ! » bouda Tyra en croisant les bras.
David ricana, fier de lui :
« C’était si facile. »

« J’ai dit à ma mère que nous ne parvenions pas à traduire le carnet. » expliqua Senna, lorsqu’elle retrouva Tyra et David.
Ces derniers discutaient tranquillement dans la salle de repos des veilleurs, attendant l’arrivée de leur amie.
« Elle est déçue, mais n'est pas étonnée. Et pour le moment le projet va être mis en pause. Je pars dès demain .
– Oh, une expédition ?
– Oui, on doit chercher des plantes lumineuses pour remplacer celles de la partie ouest du village. Warin veut aussi que l’on vérifie l’activité des Sylènes et que l’on trouve de nouvelles pierres de protection. »
Tyra hocha la tête. Un programme chargé et intéressant.
Elle eut néanmoins une petite pointe de jalousie dans le cœur. On ne lui proposait jamais d’accompagner ce type de mission. Bien qu’elle affirmait préférer être une Veilleuse du Soleil et travailler en ville, elle aurait aimé contribuer un peu plus.
Néanmoins, elle se rassurait en songeant qu’elle participerait bientôt elle aussi. Dès que Söl aurait fini d’élaborer leur propre expédition. Ce n’était pas pour tout de suite, il y avait de nombreuses choses à préparer en amont.
Mais elle avait hâte.
David quant à lui demanda :
« Warin ne m’a rien dit. Et pour mon apprentissage ? Je vous accompagne ?
– Non, il veut que tu t’entraînes au combat pendant son absence. Tu pourras demander aux autres veilleurs de t’aider. Tyra par exemple, elle est libre.
– Il aurait pu me le dire lui-même. » grogna-t-il, agacé.
Senna haussa les épaules :
« Comprends-le, il est occupé. »
Tyra sembla alors se réveiller, elle secoua la tête et demanda à Senna :
« Et tu comptes partir en expédition dans ton état ?
– Non, ne t’en fais pas. Mais je t’ai déjà dit d’être discrète à ce sujet. Je ne veux pas que ça se sache pour le moment, il est hors de question que j’arrête de travailler. »
David, qui ne comprenait rien à l’échange, fit :
« À quel sujet ?
– Senna est enceinte ! » lui murmura Tyra dans l’oreille.
Senna leva les yeux au ciel, grommelant :
« Je te remercie pour ta discrétion.
– Roh, mais c’est David ! Il ne connaît personne, à qui tu veux qu’il le répète ?
– Hé, je connais des gens !
– Qui par exemple ?
– Euh… Ayel ? »
Tyra donna un coup de coude à son amie et s’exclama :
« Tu vois ! Rien à craindre.
– Je vous fais confiance alors, ne me trahissez pas. » répondit Senna, qui était tout de même un peu angoissée.
Elle leur expliqua ensuite qu’elle ne pouvait pas rester, car elle devait finir de se préparer pour le départ.
Une fois seuls, Tyra et David échangèrent un regard.
« Ça ne se voit pas encore. Soren est au courant ?
– Non. C’est tout récent, elle veut lui faire la surprise. Senna lui annoncera sans doute après l’expédition. Le connaissant, dès qu’il le saura, elle ne pourra plus faire un pas hors de leur hutte. Je pense qu’elle attend pour ne pas être coincée trop tôt.
– Mh je vois. »

Warin avait beau être parti en expédition sans lui, ces derniers jours, David ne s’ennuya pas une seule seconde. Au contraire, il n’avait jamais autant bougé ! Avec l’absence de Senna, ils avaient totalement arrêté de se préoccuper du carnet.
Tyra, dont la plupart des missions consistaient en temps normal à de la surveillance et de la revente de produits illicites en surface, avait fait la demande pour s’occuper de David pendant l’absence de Warin.
Elle l’avait guidé plusieurs fois dans leur territoire pour le familiariser avec les ruines.
Parfois, elle le traînait plus loin et lui apprenait à bien porter son masque, les gestes de survie essentiels, comment repérer les traces de passage, et bien d’autres.
Ce soir là, après avoir passé la journée à lui enseigner comment bien tenir une petite hache pour se défendre, elle avait clos leur séance en expliquant qu’ils ne se verraient pas le lendemain :
« Söl m’a dit que vous aviez prévu quelque chose d’important. Je te laisse à sa bonne garde. »
À cet instant, David avait alors réalisé qu’une lune s’était écoulée depuis le moment où il avait escorté Söl à son rendez-vous avec son fournisseur.
Il lui avait laissé une lune pour décider si elle souhaitait acquérir sa potion bizarre, un truc médicinal à la couleur peu naturelle. Comptait-elle toujours sur lui pour l’accompagner à la rencontre ? Avait-elle finalement choisi d’acheter ce drôle de produit ?

David avait deviné juste : Söl lui avait demandé de l’accompagner à son rendez-vous avec son fournisseur. Elle souhaitait accepter la transaction.
« J’ai pu tester cet élixir, Élan m’en avait donné un échantillon. C’était vraiment très efficace, il m’en faut absolument.
– À ce point ? » demanda-t-il, intrigué.
« Oui. Quelques gouttes dans nos potions médicinales suffisent pour en accentuer les effets d’une façon incroyable. J’ai pu l’essayer sur plusieurs blessés, c’est d’une efficacité incroyable.
– Ce sera très utile lors des expéditions des veilleurs alors ! » comprit David, fasciné.
Mais lorsque Söl lui évoqua le prix de vente d’une seule bouteille, il s’étouffa. C’était horriblement cher ! Même avec tout l’argent que Léo lui avait offert pour subvenir à ses besoins, il ne pouvait pas s’en payer une. En quoi était faite cette potion ? En or brut ?
« C’est pour cette raison que j’hésitai. » expliqua Söl en remarquant la réaction de David. « Mais… si ça peut sauver la vie de nos frères et de nos sœurs, ça en vaut la peine.
– C’est vrai…
– Si j’avais eu cette potion plus tôt, j’aurais pu sauver la vie de Gérard. » ajouta-t-elle tristement.
Söl avait perdu un veilleur, mais surtout un ami. Ce Gérard avait l’air d’énormément compter pour elle. David eut de la peine et se promit de tout faire pour qu’elle ne manque jamais de soutien.
Après tout, il le réalisait maintenant : il s’était vraiment attaché à elle.

Le rendez-vous avec le fournisseur de Söl ne se passa pas comme prévu. Loin de là.
L’homme était venu seul, pour s’enquérir de sa réponse. Il avait l’air épuisé, le visage creusé, les yeux cernés… Il semblait être en proie à un profond désespoir, un désarroi inégalable.
Il n’avait plus rien de la personne que David avait pu rencontrer une lune plus tôt. L’amant de Söl n’était plus que l’ombre de lui-même.
« Élan ! » sourit Söl en arrivant, ne faisant aucun commentaire sur son état. Si elle était inquiète, elle n’en laissait rien paraître. « Alors, où est cet apprenti que tu devais me présenter ? N’était-ce pas lui qui devait se charger de récupérer ma réponse ?
– Il ne viendra pas… » répondit Élan, la voix cassée. Söl rétorqua aussitôt :
« Ah ! Avoue-le, tu avais envie de me revoir.
– Je ne suis pas là pour ça, il faut que… »
Söl le coupa. Elle agita la main en expliquant :
« Oui. Les affaires. C’est une sacrée somme que tu me demandes, tu sais. Mais j’ai réfléchi et…
– Oublions ça. Je te donne ce que tu veux si tu peux me rendre un service. »
Sa voix était pressante et il agrippa Söl par les épaules, ses yeux injectés de sang plongés dans les siens. Elle grimaça de douleur. Sa poigne était dure et ses mouvements bien trop brusques. David s’interposa alors immédiatement. Il repoussa l’homme sans douceur et grogna :
« Ne la touchez plus, sinon…
– C’est bon, David. » soupira Söl, en lui posant une main sur le bras.
Rassuré, David hocha la tête et se décala. Söl continua :
« Que se passe-t-il ? Je t’écoute.
– J’ai besoin que tu fasses tuer quelqu’un. Je veux qu’il souffre, je veux que tes hommes le torturent jusqu’à la folie. »

Söl croisa les bras. Pensive, elle dévisagea Élan et tenta d’en savoir plus. Alors comme ça, même lui succombait à la vengeance ?
Sa fille ? Ah.
Elle lisait en lui le malheur et la souffrance d’un père. Elle s’imagina à sa place, ses enfants subissant le même sort que la petite Jol… et une profonde haine envahit son corps. Elle ne pouvait que comprendre.
Finalement, après quelques secondes de réflexion, elle se tourna vers David :
« David, sors. Tu n’as pas à entendre ce qu’il va suivre. »
Il s’exécuta sans mot dire. Au moment de quitter la pièce, il écouta néanmoins quelques phrases qui lui firent froid dans le dos.
« Nos tarifs pour les assassinats ne sont pas donnés. Mais il est effectivement possible de s’arranger. Surtout dans ce cas.
– Ce regard… tu as lu en moi, n’est-ce pas ? Tu sais qui je veux tuer, ce qu’il a fait…
– Oui, je vois parfaitement. » répondit-elle posément.

« Et par sa sœur, j’ai cru comprendre qu’il avait autrefois eu une relation avec une membre de ton groupe, une certaine Tyra. » continua Élan. « Vous ne devriez pas avoir de mal à le trouver, elle sait à quoi il ressemble.
– Élan. » Söl posa sa main sur son épaule, rassurante. « C’est un homme mort, je te le garantis. »
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