- 14 - L'histoire de Sylène
- bleuts
- 16 nov. 2024
- 44 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
Partie 1 - La fondation du village
Aline, la Gardienne des Textes du village, sortit de son sac un petit carnet visiblement très ancien. Elle le tendit à David pour qu’il puisse le regarder. Il le feuilleta, comprenant qu’il s’agissait d’une sorte de journal.
« Sais-tu lire ? » demanda t-elle, bien qu’elle se doutait déjà de la réponse.
David secoua la tête négativement. Ayel lui avait bien enseigné les bases, mais rien qui ne lui permette de lire un ouvrage en entier. Il ne pouvait que reconnaître des symboles et avec beaucoup de concentration, en comprendre vaguement le sens.
« Alors, je vais le lire pour toi. »
Warin, qui tournait en rond dans la pièce, soupira de frustration et partit. Il n’avait aucune envie de supporter une séance de lecture, qui à ses yeux était profondément inutile. Aline inspira
Nous sommes les enfants du Creux de GemmeNoire, hommes et femmes vivant dans l’ombre des souterrains.
Mais il fut un temps où notre caste vivait à la lumière du soleil, dormait à la lueur de la lune et voyageait sur les routes sans destination précise. Nous n’avions ni village, ni attache. Les chemins que nous empruntions étaient notre seule demeure.
Nous étions libres de voyager là où notre cœur nous guidait, mais à chaque instant la peur d’être découvert l’enserrai.
Le bonheur de vivre en suivant notre foi compensait l’angoisse que nous ressentions à l’idée d’être un jour surpris et pendus par les Nordans.
Mais le jour où Werxas devint notre meneur fut le début d'un long changement.
Contrairement à son prédécesseur, Werxas n’aimait pas notre vie sur les routes. Il rêvait de fonder un foyer, un village où nous pourrions enfin pour reposer de nos incessants voyages.
« Je ne veux plus fuir. Je veux vivre. »
Il en était certain : quelque part dans ce royaume, un lieu attendait patiemment notre arrivée. Et toute sa vie, il mena notre groupe à sa recherche.
Sans jamais faillir, malgré les années et les nombreuses déceptions, Werxas continua de chercher. Pourtant chacune de ses tentatives se montra vaine. L’animosité et la malveillance des Nordans nous empêchaient de nous installer où que ce soit.

Mais les dieux ne nous avaient pas oubliés. Après des décennies de recherches, une piste s’offrit à nous. Alors que nous avions fait halte dans un petit village, Werxas entendit parler d’une légende intrigante
C’était un voyageur jeune et fougueux, s’étant arrêté comme nous dans la taverne, qui évoqua ce lieu étrange. Il répétait à qui voulait bien l’entendre que sous la capitale, GemmeNoire, se trouvaient des souterrains immenses dont l’entrée avait été scellée bien des siècles plus tôt.
« On dit que tout a été détruit, car la cité est construite sur ses décombres ! » affirmait-t-il avec passion. « Mais je n’y crois guère ! Si j’en trouve l’accès, peut-être y obtiendrais-je quelques trésors qui feront ma richesse ! »
Werxas décela dans cette légende le dernier espoir de réaliser le rêve de sa vie. Il était devenu vieux, fatigué et savait que ses jours étaient comptés. Alors si ces souterrains existaient, il les trouverait avant de mourir. Il s'en fit la promesse.
Comme il était inconcevable pour lui de mener les nôtres dans une quête aussi dangereuse que démente, il prit la dure décision de quitter notre groupe, confiant notre avenir à son fils aîné.
Mais il ne partit pas seul.
Mon nom est Sylène.
Et en tant que fille de Werxas, il était hors de question que j’abandonne mon vieux père lors de son dernier voyage. C’est ensemble que nous prîmes la route.
Durant de nombreux mois, nous cherchâmes l’entrée de ces souterrains mythiques. Sans jamais nous arrêter, nous arpentâmes la ville, vivant chaque jour, chaque heure et chaque minute dans la peur, terrifiés à l’idée d’être arrêtés puis pendus.
Des Abarians dans la capitale du Nord ? Folie !
Ces souterrains existaient-ils seulement ? Pourquoi risquions-nous notre vie ainsi ? Il m’arrivait parfois de douter. Mais le rêve de mon père m’aidait à m’accrocher. Il était devenu le mien.
Lorsque nous interrogions les personnes qui croisaient notre route, leurs réponses étaient toujours vagues. Nombreux étaient les habitants de cette immense cité à fair mine de ne jamais ne seraient-ce qu’avoir entendu une fois cette légende.
Si des galeries se trouvaient sous leurs pieds, alors ils n’en avaient pas conscience. Et ça ne leur importait que bien peu. D’où diable ce voyageur avait-il pu sortir cette histoire ?

Le temps passait, et tandis que mon père était sur son lit de mort, je continuais mes recherches. Mes pas m’avaient menée dans la forêt de GemmeNoire. Toute une partie de ces bois était interdite d’accès. On disait qu’elle était maudite, qu’il ne fallait pas s’y rendre sous peine de mourir dans d’atroces souffrances.
C’était l’endroit idéal pour cacher un secret.
Et j’eus raison, car ce fut une grotte scellée par une porte magique et abandonnée depuis longtemps, en partie recouverte par la végétation, qui se dressa devant moi.
C’était une énigme à la hauteur de mes talents.
Je ne voudrais point sembler arrogante, mais en tant que puissante Mage du Sang, les sceaux et protections magiques ne pouvaient me résister bien longtemps. J’allais ouvrir cette porte. Ce n’était qu’une question de temps.

Après de longues semaines de recherches et de travail, je parvins à ouvrir la porte de pierre qui scellait la grotte dans les bois. Ce ne fut guère aisé, car elle était fermée à l’aide d’une magie très ancienne et différente de tout ce que je connaissais.
Mais rien n’était impossible pour moi.
J’étais fière de mon exploit et trouvais cela amusant que ce royaume qui interdisait la magie… s’en serve autant pour cacher ses secrets.
Lorsque j’entrai dans la grotte, ce que j’y découvris me laissa sans voix. Ce n’était pas qu’un simple souterrain qui se trouvait sous la cité, mais un passage vers les entrailles de la Terre.
Plus grand, imposant et vaste que dans mes rêves.
Des jours durant, je l’explorais, torche à la main, risquant ma vie dans ce labyrinthe de galeries. Il y avait tant de ruines ; c’était les vestiges d’une époque dont je ne connaissais pas l’histoire. Des symboles effacés par le temps, des outils abandonnés… Quel était cet endroit ?
Des gens y avaient vécu, j’en étais certaine. Ce n’était pas qu’un simple souterrain. C’était une cité sous la cité. Les restes d’un temps oublié.
Il y avait cependant quelque chose d’étrange.
Parfois, je trouvais des statues aux allures effrayantes. À moitié détruites par le temps, je pouvais néanmoins distinguer leur forme : on aurait dit des monstres endormis, portant des masques d’os. C’était des statues rudimentaires de bois, de terre et pierre.
Ils me fascinaient, mais je n’en comprenais pas l’utilité.

Les retrouvailles avec mon peuple ne furent pas aussi heureuses que je l’avais souhaité. Le temps avait passé et les rêves de mon père n’étaient plus ceux de mon frère.
Le groupe s’était agrandi, accueillant d’autres Abarians en son sein. Ils avaient installé un camp dans les montagnes, là où personne ne les dérangerait, et ils tentaient de survivre malgré le froid et les tempêtes de neige.
Si mon frère n’avait pas été là, jamais je n’aurais pu les trouver. Ce sang que nous partagions m’avait guidé jusque lui. C’était un lien fort et puissant que seule la magie pouvait rendre visible.
Mais il avait changé. Mon aîné menait le groupe et refusait d’entendre raison.
« Je n’ai aucune envie de vivre sous terre ! Nous sommes des hommes, pas des taupes. » me répondit-il, en colère.
Cependant, je sentais que tous les membres du groupe ne partageaient pas son avis. En les poussant quelque peu, je pourrais les rallier à ma cause.
Ainsi, mon travail commença. Je leur parlais lorsque mon frère ne pouvait m’entendre. Je leur expliquais qu’ils seraient bien mieux avec moi, dans les souterrains. Nous pourrions partir ensemble, en ne laissant derrière nous que ceux qui ne souhaitaient pas nous accompagner.
S’ils n’étaient pas capables de comprendre la chance que je leur offrais, alors ils ne méritaient pas que l’on s’attarde pour eux.
Finalement, plus de la moitié du groupe accepta de partir à mes côtés. Mon frère m’accusa de traîtrise, mais qui était le véritable traitre ? Celle qui avait trouvé un foyer pour son peuple, ou celui qui s’acharnait à vivre là où seul le froid et la mort résidaient ?
Traverser les montagnes pour se rendre à la capitale ne fut pas sans pertes. Quelques vies s’éteignirent en chemin. Nos compagnons les plus âgés n’avaient pas eu la force de survivre à un tel voyage.
Mais peu importait leur disparition. L’avenir appartenait à nos jeunes pousses, dont la fougue et le courage m’emplissaient de fierté.

Mon peuple s’installa dans les souterrains et les mois qui suivirent furent dédiés à la création de notre nouveau foyer. Nous établîmes un territoire proche de l’entrée de la grotte. J’étais euphorique : enfin nous allions vivre en paix sur une terre qui n’appartenait qu’à nous !
Mais en tant que meneuse, j’avais défendu quiconque d’en outrepasser les frontières.
Il était hors de question de perdre des membres du village, car ceux-ci avaient eu l’idée sotte d’explorer les ténèbres. Je n’avais aucune envie de devoir partir à leur recherche.
La seule personne assez compétente pour explorer ces galeries était déjà occupée à diriger le village. Nous avions bien assez à faire avec le territoire que je nous allouais.
Ce qui fut salvateur pour nous lors de l’installation fut la découverte de passages menant directement dans de vieux bâtiments abandonnés de la basse-ville. Scellés à l’aide de la même magie que l’entrée dans les bois, il s’agissait d’escaliers menant à des trappes qui ne furent guère difficiles à ouvrir, entre autres grâce aux connaissances que j’avais accumulées.
Ces bâtiments étaient le refuge de voleurs, de parias et de mendiants affamés. Ce ne fut guère plus difficile de les convaincre de nous rejoindre en l’échange de leur conversion au culte.
Plus de main-d’œuvre, voilà qui était une aubaine.
Je n’avais évidemment aucunement l’intention de leur offrir une véritable place dans le village. Ils seraient des réprouvés, rien de plus. Ils n’étaient pas réellement des nôtres après tout. Ils n'étaient pas abarians.
Ainsi, tandis que nous leur confiâmes toutes les basses besognes, le village s’agrandit et devint un lieu où il était agréable de vivre.

Ainsi, tandis que nous leur confiâmes toutes les basses besognes, le village s’agrandit et devint un lieu où il était agréable de vivre. Les mois, puis les années passèrent.
Je travaillais avec ardeur pour faire de notre village un lieu de paix où il faisait bon vivre. Mon peuple était heureux, et cette pensée me comblait à mon tour de bonheur.
Leurs sourires épanouis étaient ma plus grande source de fierté.
Mes talents en magie étaient particulièrement prisés, car il était difficile de trouver une Mage du Sang convenable dans un royaume qui interdisait toutes les pratiques magiques.
Je vendis donc mes services aux plus offrants, risquant ma vie en échange d’or et de protection. Cet argent me fut particulièrement utile, car il me permit d’acheter une taverne en ville dont le sous-sol était relié aux souterrains.
Ce passage était salvateur, car il nous évitait un long détour et nous aida à accroître plus facilement notre influence.
Notre Caste se fondit dans la capitale, profitant également des entrées dans la basse-ville pour être partout et nulle-part à la fois. J’étais douée pour nouer des contacts et augmenter le pouvoir de mon peuple sur les milieux les plus sombres. Tous avaient besoin de notre aide.
Nous étions devenus des mercenaires, des voleurs, des messagers, des marchands… Et je régnais autant sur les souterrains que sur la rue.
Ainsi, notre groupe continua de s’étendre, recrutant parfois de nouvelles âmes.
Les orphelins me plaisaient plus particulièrement, car ils étaient bien trop jeunes pour avoir été contaminés par les croyances ignobles des nordans. Sans famille pour les retenir, ils nous rejoignaient dans l’espoir d’une vie meilleure.
Leur misérable existence se retrouvait ainsi éclairée par cette chance que nous leur donnions de servir notre village. Il était particulièrement aisé de les remodeler à notre image.
Mais plus la Caste grandissait, plus nous avions besoin de ressources. Ce territoire que j’avais choisi s’épuisait. Il était temps de chercher plus loin.
Le lieu où nous nous étions installés était comparable à un vestibule : ce n’était que l’entrée des souterrains. Plus loin se trouvaient d’étranges passages, menant plus profondément sous terre. Les rares ayant désobéi et tenté de s’y rendre à mon insu n’étaient jamais revenus de leur voyage.

Nous décidâmes d’explorer les passages les plus profonds des cavernes. Avant cela, nous étions restés dans les limites de notre territoire, car nous n’avions guère besoin de plus.
L’espace que je nous avais alloué était assez vaste et fertile pour les quelques familles qui avaient fondé ce village à mes côtés, mais aujourd'hui cela ne suffisait plus. Il était temps de remédier à ça.
Les souterrains fonctionnaient comme des étages. Plus nous allions loin, plus nous descendions dans les entrailles de la terre.
Mais je n’avais pas de volontaires. Tous avaient peur de l’obscurité. Les disparitions inquiétaient certains villageois, qui répandaient des rumeurs terrifiantes.
Dans ce cas, qui pourrait m’accompagner ? Mes plus braves guerriers se battaient déjà à la surface, surveillaient nos entrées et le secret de l’emplacement de notre caste. Je ne pouvais décemment pas les contraindre à abandonner leur poste.
Je décidais donc de former un groupe qui serait dédié à cette tâche.
Les réprouvés de la Caste, hommes et femmes n’ayant jamais trouvé leur place… rejoindraient ce groupe. Ensemble, nous allions découvrir d’autres lieux sous terre. De nouvelles ressources. Et s’ils se montraient dignes, peut-être leur offrirais-je plus de droits.
Cette décision provoqua de nombreux conflits avec les réprouvés, qui n’appréciaient déjà que trop peu leur situation et leur mise à l’écart du village. Mais s’ils voulaient rester, ils n’avaient pas le choix : l’idée d’être bannis et de devoir vivre dans la misère de la rue était assez convaincante pour les faire taire.
Ainsi, nous préparâmes notre toute première expédition.
Mais elle ne se passa pas comme prévu.
Nous avions tout organisé correctement, galvanisés à l’idée d’obtenir de nouveaux terrains de chasse et de pouvoir agrandir notre territoire. J’avais choisi les cinq réprouvés les plus forts et les plus intelligents pour m’accompagner, dans le but d’ensuite, leur confier les rênes de ce groupe.
Il s’agissait de personnes en qui je fondais beaucoup d’espoir, car ils m’avaient prouvé à maintes reprises leur implication dans la vie du village. J’étais terriblement sotte.
À la première occasion, trois d’entre eux tentèrent de me tuer. À peine avions-nous quitté le village qu’ils me dévoilaient enfin leur duplicité. Je leur avais pourtant tout donné.
Ils possédaient un toit, ils mangeaient à leur faim, ils ne manquaient de rien grâce à moi. Leur ingratitude était écœurante. Mais les tuer ne me procura aucun plaisir. Leur sang avait le goût de charogne. Impur, comme leur âme.
N’ayant aucune envie de revenir bredouille au village, je décidai de persévérer avec les deux réprouvés restants. Ils m’avaient défendue lors de l’attaque, et je leur en étais reconnaissante.
J’avais arpenté les souterrains sans le soutien de personne avant de m’y installer : je n’avais pas besoin de l’aide de traîtres. À trois, nous étions largement assez pour continuer.

À peine avions-nous mis les pieds dans les galeries plus profondes que nous commençâmes à ressentir des choses étranges. Comme une voix, qui nous invitait à lâcher prise et à nous enfoncer plus profondément dans les ténèbres.
J’étais capable d’y résister sans peine, car j’étais préservée par ma propre magie : depuis quelques années, je me gravais des sceaux de sang dans la chair afin d’être protégée dans n’importe quelle situation.
C’était l’une des qualités de la Magie du Sang, un pouvoir hérité du plus puissant des dieux : Khüd. Ma lignée était forte et ces aptitudes nous avaient permis de diriger la Caste depuis plusieurs générations.
Mais les deux réprouvés qui m’accompagnaient n’avaient aucune sorte de protection. Leurs yeux devinrent ternes. Plus nous nous enfoncions, plus ils perdaient leur esprit. Ils ne réagissaient plus lorsque je leur parlais, comme absents.
S’ils n’avaient été des réprouvés, je les aurais immédiatement ramenés au village pour les protéger. Mais ils n’étaient pas aussi importants que ma curiosité. Je décidai donc de les suivre.
Nous marchâmes durant un temps qui me parut interminable. Je ne saurais dire s’il s’agissait de minutes ou d’heures. Et finalement, nous arrivâmes dans une salle immense.
J’avais ressenti quelque chose de profond et de puissant en découvrant cette pièce. Comme si j’étais enfin à ma place. Mais j’avais vite repris mes esprits. Je ne devais pas flancher.
Il y avait une statue d’une taille incroyable au centre. Elle représentait un monstre immense. Elle n’avait rien à voir avec les pitoyables figures qui se trouvaient autour de notre village. Elle évoquait puissance, force et pouvoir.
Malheureusement, tandis que j’analysais ce nouvel environnement, je ne surveillais plus les deux réprouvés. Ils étaient toujours sous l’emprise de cette énergie mystérieuse et lorsque je me tournai vers eux, je compris qu’il était trop tard.
Les deux réprouvés s’étaient donné la mort, sans aucune raison. Ils étaient tombés à genoux, leurs yeux écarquillés, fixant la statue en se vidant de leur sang. Et ce fut à cet instant que je remarquai enfin les sillons gravés dans le sol. Le sang coulant dedans, formant d’étranges symboles et rejoignant les rochers autour du monstre.
À ce moment, je pensais ma dernière heure venue. Et si ce monstre n’était pas une statue ?
Mais rien ne se passa. Il ne se réveilla pas. Le sang coula, déborda, dans une triste danse qui n’avait aucun sens. Pourquoi étaient-ils morts ?
Je n’en savais rien.
Je ne comprenais pas.
Durant les heures qui suivirent, je remplis toutes les fioles que contenait mon sac.
Je récoltais ainsi le sang des défunts pour l’étudier et l’utiliser dans mes sorts, mais également de la mousse, des cristaux et diverses plantes qui poussaient sur cette statue étrange.
Il y avait des sortes de coffres scellés autour d’elles. Des offrandes ? Des trésors ? Elle portait également un masque immense, que j’aurais aimé rapporter comme trophée. Mais j’étais loin de mon village et déjà encombrée.
Je me fis alors la promesse de revenir. Cette salle m’appelait. Je le sentais au plus profond de mon âme. Pourquoi ? Je voulais comprendre.

C’était une époque où nous n’avions pas encore l’habitude de vivre dans la douleur. Nous étions encore ignorants de la véritable souffrance. Le village était paisible et l’échec de l’expédition fut un choc.
Tous avaient pleuré plusieurs jours la disparition des deux réprouvés qui avaient trouvé la mort à mes côtés durant cette première expédition. J’avais décidé de saluer leur sacrifice, offrant à leurs familles le droit d’aspirer à une véritable place dans le village.
C’était un grand honneur, qui les aida à faire leur deuil. Je n’étais pas ingrate, je savais que leur mort ne devait pas rester vaine. Les trois traîtres quant à eux furent bannis dans la mort, et leurs proches exécutés sur la place du village.
Ce fut une grande fête.
Leur sang servi d’offrande aux dieux afin qu’en échange ils refusent le repos aux mutins. Il n’était pas question qu’ils trouvent la paix dans la mort. Mais, c’était aussi un avertissement. Ceux qui oseraient me défier savaient maintenant quel sort je leur réservai.
Nous avions récupéré les corps et ils avaient fini accrochés nus à l’entrée du village, là où tous les verraient. Ce ne fut que quand l’odeur devint insupportable que nous décidâmes de les jeter.
Les jours suivants, je m’enfermai dans mon bureau pour réfléchir. Que devais-je faire ? Les niveaux plus profonds étaient dangereux. Je ne pouvais pas laisser n’importe qui s’y rendre.
Il était hors de question que mon peuple soit victime de la magie étrange qui avait provoqué la mort des deux réprouvés.
Mes recherches me convainquirent d’ériger une limite plus précise de notre territoire. Nous érigeâmes des frontières marquées, délimitées par des dolmens qui étaient ornés de mes sceaux de sang.
Ceux que j’avais gravés dans ma peau m’avaient protégé du sort. Ma magie était plus forte que celle des souterrains. C’était un avantage non négligeable et je devais en profiter. J’en reproduisis des semblables dans le village et ses alentours.
Chaque fois que je gravais un sceau, j’offrais mon sang en échange pour qu’il soit assez puissant et puisse perdurer. Tout ce travail m’épuisa, et plus d’une fois je perdis connaissance.
Malheureusement je ne pouvais pas me reposer sur l’aide des miens, car j’étais la seule mage du sang adulte du village. Et il était hors de question que je demande à mes enfants de m’assister. Mes petits étaient bien trop jeunes pour s’infliger un tel supplice. Lorsque j’eus fini mon travail, j’étais si épuisée que durant un mois je ne pus quitter mon lit.
Mon époux veilla sur notre peuple tandis que je reprenais des forces.

Un mois après le désastre de la première expédition, nous commençâmes à préparer la seconde. Je voulais retourner dans la grande salle que j’avais découverte, afin d’obtenir plus d’informations.
Mais il n’était pas question de reproduire les mêmes erreurs. Je convainquis mon époux, Avel, de nous accompagner.
Ce n’était pas que gaîté de cœur, car il était habituellement celui qui dirigeait nos guerriers et protégeait le secret de notre Caste à la surface. Son travail était primordial, mais avec cet homme à mes côtés je me sentais beaucoup plus rassurée.
Bien que je ne le connaissais que peu, car nous ne parlions pas souvent, je savais qu’il me défendrait au péril de sa vie. Je l’avais épousé pour cette raison, et il était toujours très doux avec moi. Je l’appréciais beaucoup à cette époque.
Il m’aida à tout organiser, préparant la charrette et les sacs que nous allions prendre avec nous. Nous partîmes tôt le matin.
Cette fois, nous étions dix dans cette aventure. Tous avaient reçu ma protection, acceptant que je grave leur chair de sceaux de sang. Mais seuls mon époux et moi-même étions armés, par sécurité.
Retrouver la salle fut difficile.
Je ne me souvenais plus parfaitement du chemin, car le temps avait passé. Mais finalement, nous l’atteignîmes. C’était étrange.
La première chose que je remarquais… était que la statue semblait avoir changé. Quelque chose était différent. Mais quoi ? Sa position ? L’angle de son visage ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus.
La seconde chose fut que les corps des deux réprouvés avaient disparu. Où étaient-ils passés ? Tandis que j’y réfléchissais, mes compagnons pillaient les coffres tout autour. Nous avions pris tous les outils pour les ouvrir facilement.
Je pensais y découvrir de l’or, des trésors ou des reliques. Quelque babioles que je pourrai vendre à la surface ou qui m’apprendrait des choses sur ces souterrains. Mais il n’y avait que des fleurs séchées, de vieilles plantes sans valeur.
De rage, je les renversai sur le sol.
Si ces coffres ne renfermaient rien d’important, je pouvais au moins prendre le masque du colosse. Il me fascinait plus que de raison.
Il était fait d’une matière incroyable, que j’avais déjà pu entrevoir sur les vieilles statues à moitié détruites qui traînaient autour du village.
C’était à mi-chemin entre le bois et l’os, mais qui aussi malléable que le métal. Nous avions déjà récupéré des fragments que nous avions fondus pour fabriquer quelques objets pour le village.
Mais ce masque-là, il était immense. C’était de la folie de le prendre.
Mais je le voulais absolument.

Tandis que nous prenions la route pour retourner au village, je me réjouissais avec mon époux que l’expédition se soit passée sans encombre. J’étais rassurée, satisfaite que mes sceaux aient fonctionné.
« Nous n’avons plus de soucis à nous faire. » m’avait-il affirmé avec le sourire. « Grâce à toi nous pourrons chasser et travailler dans cette partie des galeries. »
Avel avait décidé que nous allions chasser sur le chemin du retour, afin de ramener de la viande fraîche au village. Nous nous trompions lourdement. Les ennuis ne faisaient que commencer.
Tout débuta par des ombres.
Parfois, j’avais l’impression de voir des mouvements dans l’obscurité, des taches se mouvoir. Mais, lorsque je tournais la tête et tentais de les fixer, inquiète, il n’y avait rien. Puis, il y eut les bruits.
Nous n’étions définitivement pas seuls. Prenant mon époux à part, je lui chuchotai à l’oreille de faire attention.
« Avel, nous avons de la visite. »
Seuls Avel et moi étions armés, les huit réprouvés nous accompagnant n’avaient que les outils que nous avions pris pour ouvrir les coffres. Je leur ordonnai dans un chuchotement de s’en emparer. Me munissant de mon arc, j’étais prête.
« Je sais que vous êtes là ! Sortez de votre cachette ! » avais-je crié, ma voix résonnant dans les cavernes.
Soudain, une dizaine de créatures nous attaquèrent. Je me souviens encore de leurs visages déformés par la rage, leurs grands corps maigres couverts de peinture, leurs dents pointues… ils ressemblaient à des monstres.
Il ne leur fallut pas longtemps pour nous encercler. Ils avaient le dessus facilement.
Je n’avais pas eu le temps de tirer beaucoup de flèches, mais l’une d’entre elles avait transpercé l’épaule d’une de ces bêtes.
Ils nous criaient dessus, dans une langue inconnue, pointant leurs lances sur nous. Je pensais ma dernière heure arrivée lorsqu’ils commencèrent à fouiller notre charrette.
Lorsqu’ils soulevèrent le tissu que nous avions posé au-dessus, leurs visages furent déformés par la terreur. La vue du masque que nous avions pris les terrifiait.
Ils se mirent à hurler entre eux, reculant, les yeux écarquillés et montrant du doigt le masque en continuant de brailler dans leur langue étrange. Ils en avaient peur. Cette révélation fut salvatrice.
Malgré la lance toujours pointée sur moi, je décidai de tenter le tout pour le tout. Je me mis à courir vers le masque et l’attrapai, en dépit de sa taille énorme et son poids.
En me voyant le toucher, les cris redoublèrent d’intensité. La moitié d’entre eux s’enfuirent, tandis que les autres nous regardaient avec un mélange de peur et de colère.
Je m’avançais, le masque dans les bras, vers mon époux qui était toujours bloqué. Le monstre qui le retenait recula, cracha sur le sol et fit signe à ses compagnons.
Nous étions de nouveau seuls.

Lors de leur fuite, les monstres avaient abandonné derrière eux l’un des leurs. Celui que j’avais blessé d’une flèche. Nous décidâmes de le capturer pour l’interroger.
Nous ne savions pas encore comment communiquer avec lui, ni même s’il survivrait à ses blessures, mais il était notre meilleure chance de comprendre ce qu’il s’était passé. Nous avions nous aussi eu des pertes.
Deux des réprouvés avaient été tués durant l’altercation, en tentant de se défendre. Nous embarquâmes leurs corps sur notre charrette, pour les ramener à leurs familles.
Lorsque nous arrivâmes au village, nous fîmes le nécessaire pour que personne ne puisse voir le monstre avant que je ne l’enferme dans une geôle. Mon époux se chargea d’annoncer le décès des deux réprouvés à leurs familles.
J’avais décidé que les villageois ne devraient pas savoir pour le monstre. Je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent. Nous inventâmes un mensonge, et Avel calma les foules en affirmant que les deux morts s’étaient entre-tués suite à une dispute violente.
Pendant ce temps, je m’occupais du prisonnier.
Je le soignais, afin qu’il puisse nous parler à son réveil. Nous l’avions enchaîné, liant ses mains et ses pieds.
Lorsqu’il se réveilla, ce fut dur. Il refusait d’ouvrir la bouche, de se nourrir, et de me parler. D’un regard profondément méprisant, il me fixant en silence. Cette bête ne semblait pas comprendre mes mots, mais sa haine était visible dans ses yeux.
Même dans ceux des nordans, je n’avais jamais vu un tel éclat.
Je refusais que quiconque soit avec moi lorsque je l’interrogeais, préférant demander à toutes les personnes disponibles de surveiller le village. Et si ces bêtes préparaient une attaque ?
Après avoir tenté en vain d’être douce avec lui, je décidais de passer à la manière forte.
Je le torturais. Je le blessais. Je le menaçais.
Mais jamais il ne flancha. Les seuls moments où la terreur prit, son regard fut quand j’apportai le masque dans sa cellule. Il était terrorisé.
Si je l’approchai de lui, il hurlait à la mort.
Je décidai d’apporter les morceaux de masques brisés des statues qui se trouvaient autour du village. Sa réaction fut la même. Même lorsqu’il s’agissait d’un petit éclat, la peur le prenait.
C’était bon à savoir. Nous avions un bouclier contre ces monstres.
Je tentais la même expérience avec diverses choses ramenées des souterrains. Il avait aussi peur des cristaux, mais les plantes et le sang ne lui faisaient rien.
Et un jour, alors que je revenais dans sa cellule pour continuer mes expériences, je me rendis compte qu’il n’était plus là. Il était parvenu à s’enfuir.

La fuite de notre prisonnier provoqua le début d’un conflit sans fin. C’était une haine froide et profonde qui s’installa entre nos deux clans.
Durant les semaines qui suivirent, nous remarquâmes plusieurs fois le passage des créatures près de nos frontières. Ils peignaient des symboles sur nos murs, avec le sang d’animaux sacrifiés.
Des menaces, sans aucun doute. Ils furetaient, mais ne s’approchaient pas. Toujours cachés dans l’ombre, à nous fixer.
Heureusement, nous avions fait le nécessaire pour les empêcher d’entrer dans notre territoire. Mon devoir était de protéger mon village, il n’était pas question que je laisse des monstres s’attaquer à mon peuple.
Grâce à mes recherches, j’avais pu user de toutes mes connaissances pour apposer des sceaux aux différents passages, afin qu’ils bloquent les créatures. Et tous ces sceaux que j’avais créés depuis que nous vivions ici, je les avais notés dans un carnet que je transmettrai à mes enfants lorsqu’ils seraient prêts à prendre ma relève.
« Si un jour vous venez à disparaitre, nos enfants seront là pour suivre vos traces. » m’avait murmuré Avel, dont c’était l’idée.
Il s’impliquait de plus en plus souvent dans la vie du village, m’aidant et m’épaulant. Lui, qui dirigeait jusqu’alors nos guerriers à la surface, avait finalement décidé de laisser sa place à un homme de confiance. Il préférait se concentrer sur l’entraînement des réprouvés.
Nous devions former ces personnes pour nous opposer aux créatures, et il était l’homme idéal pour diriger ce groupe. Il avait l’expérience et les connaissances. De plus il savait diriger et fédérer.
Tous les réprouvés que nous recrutâmes furent formés, et Avel leur donna le titre de
Veilleurs.
Il souhaitait qu’en leur offrant un nom et un but, il puisse leur conférer ce sentiment d’appartenance qu’il leur manquait.
Quant à moi, je partageais chacune de mes découvertes avec Avel. Malgré la fuite de notre prisonnier, nous avions recueilli assez d’informations importantes pour mieux nous défendre.
Avec le masque que nous avions pris dans les souterrains, nous pûmes en fabriquer plusieurs semblables à notre taille. C’était rudimentaire, mais ainsi nous espérions que nos ennemis ne pourraient pas nous attaquer.
Nous avions aussi confectionné divers bijoux avec les cristaux, dans ce même objectif. Je ne me' souvenais que trop bien du regard effrayé de la bête.
Et notre idée fonctionna, car lors d’une expédition quelques semaines plus tard, nous pûmes mettre aisément les monstres en déroute.
Depuis notre première altercation, ils nous surveillaient. Et ils nous avaient tendu un piège, ayant l’intention de nous capturer ou de nous tuer. Mais en nous voyant approcher affublés ainsi, ils prirent la fuite.
Ce fut une grande victoire et nous revînmes de la chasse avec de nombreuses prises. Le village put se régaler d’un festin de rois.

Les expéditions suivantes furent plus sanglantes. Les monstres parvenaient parfois à nous surprendre. Il n’était pas rare de devoir se battre et de perdre des gens dans les tunnels. Le sang coulait, mais nous étions toujours là. Les pertes nous permettaient de survivre.
À force de porter ces masques, nous nous étions rendu compte qu’ils ne faisaient pas que peur à nos ennemis. Ils rejetaient aussi l’étrange attraction des souterrains, celle qui nous entraînait vers les statues.
Je n’avais donc plus besoin de m’épuiser à les protéger chacun avec des sceaux de sang. Mon aide' était devenue superflue. C’était un soulagement pour moi ».
Et bien que je n’accompagnais plus les veilleurs en expédition, Avel préférant que je reste au village en sécurité, je surveillais leurs résultats du coin de l’œil.
Aline referma le livre, sous le regard étonné de David. Était-ce déjà fini ?
Elle le posa sur la table, avant de le pousser vers lui. David l’attrapa et le feuilleta rapidement, curieux. Effectivement, du peu qu'il en comprenait, le journal s’arrêtait là. Il releva la tête vers elle, interrogateur. L’air attristé, elle expliqua :
« Malheureusement, Sylène n’a jamais pu terminer ses écrits. Elle est morte avant d’avoir achevé son histoire.
– Elle est morte ? » répéta David, qui était encore secoué par cette histoire.
Il n’appréciait pas du tout cette femme, qui avait fait tant de mal autour d’elle. La protection de son village ne justifiait pas le pillage, la haine et le meurtre. Sa façon de traiter les réprouvés, comme s’ils étaient de simples esclaves, l’avait dérangé.
Et pire, l’idée qu’elle ait volé et saccagé le lieu de repos d’un ogre le révoltait. Dans ses écrits, elle ne semblait pas réaliser que ce n’était pas des statues… mais des êtres ayant vécu autrefois.
« De ce que nous savons, à l’époque où Sylène a débuté l’écriture de ce journal, le village était en plein conflit avec les créatures. Elle n’a pas eu le temps d’aller aussi loin dans son texte, mais de ce que l’on sait la guerre fut sanglante. Ils étaient parvenus à déjouer ses protections. » murmura Aline.
« Comment est-elle morte ? » demanda David, intrigué.
Elle paraissait si sûre d’elle, si forte. Il ne s’attendait pas à une fin aussi brutale.
« Sa fille cadette fut capturée par les créatures, qui s’étaient faufilées dans le village. Mais personne n’eut le courage de partir à sa recherche. Tous avaient peur.
– Elle est partie seule. » compris David.
Avait-elle sacrifié sa vie pour sauver celle de son enfant ?
« Exactement. Ce fut son mari qui annonça sa mort, après avoir retrouvé son corps démembré loin de nos frontières dans les souterrains. Il l’enterra sur place et lui succéda ensuite, devenant notre nouveau meneur. »
David soupira.
« Je ne sais pas quoi penser… »

Sous le regard patient de Aline, qui lui laissait le temps d’assimiler tout ce qu’il venait d’apprendre, David feuilleta plusieurs minutes le journal. Il ne put s’empêcher d’être admiratif devant les quelques croquis qu’avait laissés Sylène. En plus d’avoir une écriture propre et soignée, elle avait un très bon coup de crayon.
« Et moi qui ne parviens pas à tenir une plume sans faire de grosses tâches… » songea-t-il, quelque peu jaloux.
Sylène avait beau dire qu’ils étaient des monstres, les créatures des souterrains étaient particulièrement belles lorsqu’elle les représentait. Il y avait quelque chose de doux dans leurs traits, c’était très différent de celui qui avait tenté d’attaquer David plus tôt.
« Je me demandais… » commença-t-il, brisant le silence. « Pourquoi avoir baptisé vos ennemis avec le nom de votre dirigeante ? C’est étrange. »
Aline sourit. Elle attendait cette question.
« Ce fut l’idée d’Avel. Il voulait rendre hommage à sa femme et que son nom ne soit jamais oublié. Pour que son sacrifice reste dans les mémoires à jamais. »

David grimaça.
« Cet Avel avait mauvais goût. Ce n’est pas un compliment d’être assimilé à ses propres meurtriers.
– Tu as raison. »
Aline ajouta, après avoir cherché ses mots quelques secondes :
« Cependant aujourd’hui peu de personnes connaissent l’histoire de notre fondatrice. Lorsque l’on pense à la création de la caste, nombreux sont ceux à avoir le nom d’Avel en mémoire. Il faut dire qu’il a régné très longtemps après elle. »
David ne savait pas quoi penser de cet Avel. Il avait l’air d’être un bon dirigeant, incluant les réprouvés en formant les veilleurs. Et son nom était très proche d’Ayel. Du coup, son opinion était forcément biaisée, étant donné qu’il l’imaginait comme son compagnon.
David aurait apprécié qu’Ayel soit à ses côtés, pour connaître son avis sur les notes de Sylène. Le roux aurait été sans aucun doute fasciné, lui qui aimait tant les histoires.
« J’ai une autre question. » continua David, curieux. « Sylène semblait dire que le rôle de meneur de la Caste se transmet dans sa famille. Est-ce vrai ?
– Oui et non. Le meneur choisit lui-même son successeur et s’il meurt avant d’avoir fait ce choix il y a deux solutions : soit le rôle se transmet à ses descendants s’il en a, soit le Shaman de la Caste interroge les dieux pour connaître le nom du prochain chef. Oh. Et si le meneur est tué lors d'un duel, celui qui l'a vaincu devient chef.
– Et donc ? » continua David, en se penchant sur la table avec une expression confuse. « Söl est-elle une descendante de Sylène et Avel ? »
Aline gloussa et répondit :
« Absolument pas ! À vrai dire, elle est comme toi : elle n’est pas née ici. Mais tous ses prédécesseurs étaient de la famille de Sylène, oui.
– Oh. »
David fronça les sourcils, déçu. Il aurait aimé rencontrer un ou une descendante de la fondatrice. Aline sembla lire dans ses pensées, car elle ajouta :
« Par contre, tu as croisé Tyra n’est-ce pas ? » David opina. « Et bien, elle est l’arrière-petite-fille de Sylène. »
Il écarquilla les yeux, étonné. Tyra ? Il n’y aurait jamais pensé !
« Comme quoi, on ne ressemble pas toujours à ses ancêtres. » murmura-t-il. La personnalité de Tyra était aux antipodes de celle de Sylène.
Sans compter que physiquement, David n’aurait jamais pu deviner que Tyra avait du sang orian mélangé à son sang humain. Elle était si petite et fine qu'elle ne ressemblait pas du tout aux autres orians.
« Bon. » ajouta Aline, en brisant de nouveau le silence. « Assez parlé de Tyra. J’ai autre chose à te montrer ! »
Elle se pencha vers son sac et en sortit un second ouvrage, qui semblait tout aussi ancien que le précédent. Elle expliqua :
« Il s’agit du carnet qu’évoque Sylène dans ses mémoires, celui dans lequel elle à noté tous ses sorts. C’est un livre qu’elle à transmis à ses enfants. Je possède l’original, mais nous en avons fait une copie qui sert énormément aux veilleurs.
– Et si j’ai bien compris, ces sorts nous protègent en ce moment même ?
– Exactement. » sourit Aline. « Au sein des veilleurs, il y a toujours au moins un mage pour assurer la sécurité du village. Actuellement, il s’agit de Ralf, le cousin de Tyra. »
David hocha la tête, invitant Aline à continuer. Qu’avait cet ouvrage de si important ? Plus le temps passait, et plus il était curieux d’en savoir plus. Jusqu’aujourd’hui, tous le traînaient partout sans jamais lui expliquer quoi que ce soit. Il appréciait énormément que Aline prenne le temps de répondre à ses questions.
« Ce qui est intrigant, c’est que dans l’ouvrage original il y a des parties incompréhensibles. »
Aline ouvrit le livre et lui désigna des pages noircies de mots.
« Elles sont écrites avec l’alphabet abarian, mais les mots formés n’ont aucun sens. » continua t-elle. « Comme si Sylène avait souhaité transmettre un message à ses enfants en le codant. Mais personne n’est jamais parvenu à le traduire.
– Vous pensez qu’il s’agit d’informations importantes ?
– Pourquoi pas ? » répondit Aline, soucieuse. « Peut-être que ce sont des sorts plus puissants qui nous aideraient à vaincre les créatures ? Ou des secrets qu’elle ne voulait transmettre qu’a ses descendants ? »
David fit la moue. Il ne comprenait pas pourquoi Aline lui montrait ça. Si elle n’avait aucune idée du contenu, pourquoi lui en parler ? Aline comprit sa question muette, et poursuivie :
« Sylène était une voyageuse très cultivée avant d’être notre fondatrice. Elle a parcouru le Nord durant des années. Elle a eu le temps d’accumuler de nombreuses connaissances durant ses voyages.
– Comment ça ? »
Aline soupira. Pour elle, c’était pourtant clair. Elle expliqua :
« Et si Sylène connaissait le vieux-nordan, cette langue dont tu nous parles ?
– Ça n’a pas de sens. » rétorqua David, qui comprenait enfin où elle voulait en venir. « Si elle connaissait cette langue, elle aurait pu communiquer avec les créatures ! Ce n’est pas logique !
– Tu as sans doute raison. » admit-elle. « Mais j’aimerais vraiment vérifier. Nous avons déjà tenté en vain de vérifier avec plusieurs variantes de Sudan et d’Estan, car nous ne mettons de côté aucune possibilité. »
David plissa les yeux. En voyant sa mine perplexe, elle ajouta :
« Je rêve de lire ces notes depuis que je suis toute petite, j’ai tenté de nombreuses choses… un échec de plus ne me coûtera rien. Accepterais-tu de m’aider ? »

David hésita. En soi, l’idée d’apporter son aide ne le dérangeait pas. Il ne s’agissait que de vérifier une théorie, qui avait plus de chances d’être fausse qu’autre chose.
Mais il avait l’impression de n’être qu’un outil pour la caste.
Depuis qu’il avait dévoilé sa connaissance du vieux-nordan, l’ancienne langue du Nord encore parlée dans certains villages de Morthebois, tous cherchaient le meilleur moyen de se servir de lui. Et il n’aimait pas du tout ça. Il n’était plus un esclave, il n’avait d’ordres à recevoir de personne.
Néanmoins, Aline était gentille avec lui. Contrairement à Warin, elle avait pris le temps de lui parler et de répondre à ses questions avant de demander son aide. Et elle ne prenait pas son renfort pour acquis. Elle ne lui ordonnait rien.
« D’accord. » finit-il par grommeler. « Mais je vous rappelle que je ne sais pas lire. Enfin j’ai quelques bases, mais j’ai beaucoup de difficultés. »
Le visage d’Aline s’éclaira. Elle répondit à David par un grand sourire heureux, qui lui fit détourner les yeux. Cette dame était vraiment adorable.
« Je peux tenter de lire quelques phrases, et tu pourras me dire si tu comprends quelque chose ? »
David acquiesça. Il se pencha sur la table, posant ses coudes dessus avec une expression concentrée.
« Je vous écoute.
– Bien, bien. »
Aline rouvrit le livre et chercha le début du texte codé. Elle toussota, avant de commencer à lire d’une voix tremblante, hésitant sur les mots. Au bout de deux phrases, David l’arrêta :
« Bon sang, je vous en supplie… arrêtez, votre accent est déplorable. »
La gardienne rougit, gênée. Elle murmura, pleine d’espoir :
« Ça signifie que tu as compris quelque chose ?
– Ouais, je pense. »
Aline hoqueta. Elle n’avait pas beaucoup d’attente jusque maintenant et ne prévoyait pas cette réponse.
« Malgré votre manière effroyable de prononcer ces mots, j’ai cru comprendre les termes « aujourd’hui », « lettres », « langue » et « ogre ».
– C’est tout ? Pas de phrases ? »
David croisa les bras, irrité :
« Hé, je ne fais pas de miracles. Surtout en si peu de temps. Je ne parle pas tous les jours le vieux-nordan. »
Après une seconde de réflexion, il poursuivit :
« Mais si vous me laissez le temps, je peux voir pour faire quelque chose. »
– Tu auras tout le temps que tu veux. » fit Aline. « Même si ça doit prendre des années. Je saurais être patiente. »
Elle tendit le carnet à David, sous son regard étonné. Il demanda :
« Qui lira pour moi ? Vous ?
– Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais j’ai des obligations. Ce seront Tyra et Senna qui te guideront, tu les connais, elles savent lire et connaissent très bien l’histoire de Sylène. Vous pourrez commencer demain. »
David fut soulagé. Il avait eu peur de devoir faire ça avec un inconnu, ou pire… Warin. Mais l’idée d’être épaulé par les deux jeunes femmes lui plaisait : il les appréciait. Aline ajouta :
« Et si tu as d’autres questions qui te viennent en tête, je serais ravie de t’aiguiller. »
Il réfléchit quelques instants, avant de secouer la tête négativement. Aline se leva et s’exclama :
« Dans ce cas, prévenons Warin que nous avons fini. Je te parie que ce vieil ours est en train de faire les cent pas en grommelant que nous sommes bien trop longs. »
Pari gagné. Warin redressa la tête en entendant la porte s’ouvrir et se dirigea vers eux, grognant :
« Vous avez enfin fini ? Je commençais à m’impatienter.
– Oui, il est tout à toi. »
David grimaça. Il avait fini par oublier que Warin comptait le soumettre à un interrogatoire, voulant absolument tout savoir sur Morthebois. Après qu’ils se soient réinstallés dans le bureau, David parla de la culture de sa région natale, de la langue, des ogres et des légendes associées. Aline notait tout ce qu’il disait, fascinée.
« Sylène a toujours pensé que les carcasses étaient des statues, mais après sa mort les recherches ont continué et nous avons compris qu’il s’agissait de ce que les nordans appellent Ogre . » expliqua t-elle. « Mais nous en savons trop peu dessus, le sujet est tabou et il est difficile de trouver des sources fiables. »
David opina. Il comprenait les obstacles qui existaient lorsque l’on souhaitait se renseigner. Il était rare de trouver un nordan parlant ouvertement des ogres et de leur légende. Et d’autant plus dans la capitale où tout avait été fait pour rayer leur existence de l’histoire.
« Nous savons les grandes lignes, mais pas les détails. Ce serait fantastique si tu pouvais nous en dire plus. »
Si seulement Öta avait été là, il aurait pu leur donner plus d’informations que lui… Il connaissait ce sujet sur le bout des doigts. Tout ce que David savait venait de lui.
La discussion dura ensuite plusieurs heures durant laquelle David n’eut pas l’impression de donner des renseignements utiles. Mais Aline notait chacune de ses phrases avec attention. Warin fidèle à lui-même le coupait régulièrement, le contredisant chaque fois que David affirmait que les ogres avaient régné sur le royaume.
« Fadaises. Ces mythes ne nous aideront pas, on ne combat pas des monstres avec des contes pour enfants. Donne nous des informations plus utiles. »
David grinça des dents. Décidément, plus le temps passait, moins il appréciait son nouveau maitre. Finalement, ils mirent fin à cette discussion au bout de ce qui semblait être une éternité pour David.
Il avait eu la sensation de parler à un mur tout du long, et il avait une vilaine migraine qui pointait le bout de son nez.
« Humpf. C'était décevant. » fit Warin avant de partir.
Aline lança un regard gêné à David et murmura avant de sortir à son tour :
« Désolé pour son mauvais caractère, et bon courage. Et ne lui parle pas du carnet, ce sera notre petit secret, d'accord ? »

Partie 2 - Les mots cachés
Ce soir là, David raconta les grandes lignes de sa journée à Ayel, sans donner de détails pour ne pas laisser échapper les éléments qu’il n’avait pas le droit de révéler.
Les recherches des veilleurs et leurs combats avec les Sylènes n’étaient pas partagés avec les villageois, une règle qui le frustrait particulièrement. Alors, David ne put que râler, encore et encore, du mauvais caractère de Warin.
« Tu radotes comme un petit vieux. » ricana Ayel, alors que David ressassait une nouvelle fois son exaspération. « Et je comprends mieux pourquoi Söl a choisi ce maitre pour toi. »
David haussa les sourcils, curieux.
« Comment ça ?
– Grognon, râleur et buté… Ce Warin est ton portrait craché ! »
David ronchonna puis le poussa, faisant tomber Ayel sur sa paillasse. Ce dernier éclata de rire, avant d’ajouter en gloussant :
« Au moins, tu sais à quoi tu ressembleras plus tard ! »
L’idée d’être comme Warin plus tard fit gémir David. Il se savait borné et grognon, mais pas à ce point. Si ? Il fronça les sourcils.
« Mais j’aime bien ton mauvais caractère. » ajouta Ayel pour le rassurer. « C’est ce qui fait ton charme. Les gros ours bourrus, ça me plait.
– Donc ça signifie que Warin aussi est ton type d’homme ? »
Ayel s’étouffa.

Lorsque David retrouva Senna et Tyra le lendemain, il avait hâte de se mettre au travail ; l’idée d’en savoir plus sur Sylène avait piqué sa curiosité.
Mais, il avait également beaucoup d’appréhensions. Et si finalement, il se montrait incapable d’accomplir cette tâche ? Saurait-il traduire un texte, alors qu'il n'avait plus parlé en vieux-nordan depuis longtemps ?
Il décida de mettre ses doutes de côté. Il n’avait pas vraiment le choix après tout. Les deux jeunes femmes l’attendaient dans le bureau où il se trouvait la veille.
« Je n’arrive pas à y croire ! » fit Tyra joyeusement lorsqu’il arriva. Elle se précipita vers lui et lui donna une tape dans l’épaule, en s’exclamant : « Je ne pensais pas du tout que ce serait toi qui nous donnerais la clef pour traduire ce foutu carnet ! Plus personne n’y croyait, on s’était résolu à ne jamais pouvoir le comprendre.
– Je n’y croyais pas moi-même… »
Tyra sourit et ajouta :
« T’as d’autres révélations bizarres à nous faire ? Un autre talent caché ? Non parce que maintenant, plus rien ne peut m’étonner. »
David réfléchit un instant, avant de répondre :
« À vrai dire, en ce qui concerne les révélations bizarres, tu me dépasses largement. T’es la descendante de la fondatrice du village ? C’est assez impressionnant. »
Tyra se renfrogna en détournant les yeux, sous le regard amusé de Senna qui restait en retrait. En voyant sa gêne, David ajouta d’une voix plus douce :
« Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Si tu ne souhaites pas en parler, y’a pas de soucis t’en fais pas. »
Elle releva les yeux, embarrassée.
« C’est bon. Tu peux me poser des questions si tu le désires, de toute façon on va devoir parler de ça lors de la traduction.
– C’est pas faux. »
Ils discutèrent quelques minutes, et David finit par demander :
« Mais du coup, tu es une mage ? »
La Magie étant rare et héréditaire, David ne pouvait s’empêcher de l’envier un peu. Il n’en avait vu que très peu, étant donné que c’était interdit et sévèrement condamné dans le royaume, mais il en avait gardé une assez bonne impression.
« Ouais on peut dire ça… » murmura Tyra en rougissant. « Mais à vrai dire, je ne suis pas très douée. »
Senna, qui écoutait sans vraiment parler, se redressa et gronda :
« Tyra. Je te l’ai déjà dit, arrête de te dévaloriser.
– Mais c’est vrai ! Mes sceaux sont nuls, mes sorts pathétiques, et je n’aide personne… Ils ont même choisi mon abruti de cousin comme mage principal des veilleurs. Je suis une ratée. »
David posa sa main sur son épaule et répondit :
« Tu es loin d’être une ratée. Tu es très forte, astucieuse, belle et courageuse. Je donnerai n’importe quoi pour te ressembler. Tu m’impressionnes vraiment, tu sais ?
– Mais comparée à Sylène…
– On n’est pas nos ancêtres, ça ne sert à rien de vivre dans leur ombre. »
Tyra fit la moue, néanmoins touchée par les mots de David. Ne voulant pas continuer cette discussion, elle se redressa et tenta d’alléger l’atmosphère en s’exclama, amusée :
« Forte ? Belle ? Courageuse ? Tenteriez-vous de me courtiser David-parle-monstre ? Je ne suis pas femme facile, sachez-le mon brave.
– Il n’en est rien ! Ma dame, votre cœur est un trésor que je ne saurais mériter. »
David ajouta ensuite, plus bas :
« Et j’ai un roux très facilement jaloux qui m’attend de pied ferme chez moi. »

« Bon, comment fait-on ? » demanda David lorsqu’ils furent installés dans le bureau.
Tyra posa ses mains sur la table et expliqua :
« Déjà, nous devons décider qui de Senna ou de moi va lire le texte. Ainsi, l’autre s’occupera de retranscrire ce que tu nous diras.
– Je vois. » David réfléchit un instant, avant de répondre : « Dans ce cas, lisez chacune la première ligne. Celle qui aura l’accent le moins catastrophique lira le journal.
– Bonne idée ! Et je suis sûre que je vais gagner. »
Alors, chacune leur tour Tyra et Senna commencèrent à lire le début des notes de Sylène. Au vu de leurs difficultés à les prononcer, elles ne comprenaient définitivement pas un traître mot de ce texte.
« Senna, ce sera toi. » décida David après leur piètre performance.
Tyra gonfla les joues et fit mine de bouder, provoquant un sourire amusé de Senna… qui exprimait clairement sa fierté d’avoir gagné.
« On commence tout de suite ? Je suis prête à retranscrire !
– Du calme. Pose ta plume Tyra, pour le moment Senna va juste me lire tout le premier passage en entier. J’ai besoin de comprendre sa globalité si je veux pouvoir l’expliquer.
– Ah oui. »
Tyra, qui avait déjà sorti le matériel pour écrire et était parée à griffonner reposa doucement ce qu’elle avait en main, avant de croiser les bras et de se laisser choir sur la table. Senna commença alors la lecture, sous le regard curieux de David. Elle avait du mal à prononcer certains mots, mais se débrouillait beaucoup mieux que sa mère.

Cependant, au fil de la lecture, le visage de David se décomposa. Ses sourcils se froncèrent et lorsque Senna eut fini, il lâcha :
« Bordel de merde. »
Si quelqu’un parvient un jour à traduire mes notes, cela signifie qu’une personne du village connaît la langue des créatures et l’alphabet abarian. J’espère que nos deux peuples sont aujourd’hui en paix.
Car moi, je suis pieds et mains liées.
Je sais que je vais mourir bientôt et les mots que j’écris dans mes mémoires sont surveillés attentivement par Avel. Il n’y avait qu’une seule façon de cacher un message… le faire dans ce carnet de sorts et de sceaux que j’écris à sa demande.
Ce recueil est un moyen de me rendre inutile : nos enfants prendront ma relève et mes connaissances perdureront sans moi.
Alors chaque jour, il vérifie ce que j’y écris, mais n’y comprend pas grand-chose : le langage de la Magie du Sang est bien différent de l’Abarian.
Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que je n’écris pas avec la langue du Sang. Ce serait trop dangereux. Je ne veux pas que quelqu’un puisse lui traduire mes mots de mon vivant. Il le détruirait et mon effort serait vain.
Je veux que ce carnet perdure, et qu’un jour lorsqu’il sera mort depuis longtemps, ma mémoire soit enfin révélée.
Alors, j’ai décidé d’écrire dans la langue des souterrains. Celle qu’aucun membre du village ne connait. Comment le pourraient-ils ? Nous sommes en guerre après tout.
Mais je m’éloigne. Permettez-moi de rétablir la vérité.
J’ai entendu Avel discuter avec un de ses hommes. J’étais cachée, car je me doutais de quelque chose.
Il veut me tuer hors du village.
Il compte faire croire à mon peuple que ma fille à été capturée par les créatures et que je suis partie à sa recherche. Depuis le début, il souhaite prendre ma place. Cette histoire de capture n’est qu’un stratagème, afin de justifier ma disparition. Cet homme n’a pas de cœur.
Mais je dois vous l’avouer aujourd’hui, ce ne sont pas les seuls mensonges.

Moi aussi, je vous ai caché la vérité. Il est étrange pour moi d’en parler, car je ne l’ai jamais avoué à personne auparavant.
Avel et son entourage haïssent les créatures des souterrains depuis qu’ils les ont vus pour la première fois. Comment leur en vouloir ? C’est une réaction normale. Et j’ai toujours fait croire qu’il en était de même pour moi. Que je méprisais ces « bêtes », ces « monstres ».
Mais la réalité est autre.
Je n’ai pas torturé notre prisonnier. Je l’ai soigné, aidé et ensuite je suis parvenue à communiquer avec lui. Lorsque j’ai pris cette décision, celle de mentir et de le sauver, je ne savais pas encore dans quelle histoire je m’engageais.
J’étais juste fascinée par tout ce que je pouvais apprendre, tout ce que je pouvais comprendre sur cet endroit qui m’attirait depuis le premier jour. D’où venait ce peuple ? Qui étaient-ils ? Que pouvaient-ils nous dire sur ce lieu magique ?
Avant cela, jamais je n’aurais pensé être capable d’une telle faiblesse. Épargner mes ennemis ? Mentir à mes villageois ? Autrefois, cette idée m’aurait paru inconcevable.
Mais quelque chose changeait en moi.
Alors je l’ai libéré en profitant des quelques moments de répits que me laissait Avel pour berner tout le monde. J’ai fais croire qu’il s’était enfui. Pour que personne ne sache ce que j’avais fait.

Après avoir libéré le prisonnier, je me sentais coupable de trahir mon village.
Traître. Ce mot me brûlait les lèvres.
Je sentais qu’Avel prenait du pouvoir, qu’il voulait toujours diriger plus. Mais je n’y accordais pas d’attention. Je ne le prenais pas assez au sérieux. Je ne me rendais pas compte qu’il retournait tout le monde contre moi. Qu’il se rendait indispensable aux yeux de tous, pour que son autorité soit plus importante que la mienne.
Mon esprit était ailleurs. J’étais obsédée par le prisonnier. Je voulais qu’il m’explique tout. Qu’étaient ces statues étranges qui faisaient peur à leur peuple ? Quelle était cette magie qui avait fait couler tant de sang ?
Ma soif de connaissances était plus importante pour moi que de banales luttes de territoire. J’avais besoin de réponses. Ça m’obsédait.
Alors, nous commençâmes à nous rejoindre en secret dans un passage isolé. Au début, il ne souhaitait pas répondre à mes questions, mais il m’apprenait sa langue.
C’était incroyable.
Il se nommait Eyun, et était plus intelligent que tous ceux que j’avais pu rencontrer dans ma vie. Il avait une sorte de sagesse, comme s’il avait vécu des siècles durant.
Pourtant, selon ses dires, il n’était qu’un simple chasseur pour sa tribu. Il était fier d’aider les siens, mais ne se sentait ni important ni supérieur aux autres. Il avait cette humilité qui me faisait défaut, et qui me faisait réaliser qu’au fond, je n’étais rien.
Nos rencontres furent nombreuses. Son peuple n’en savait rien. Ils haïssaient les miens autant que les miens les haïssaient. Nous étions deux complices, traitres à nos clans.
Et plus je le fréquentais, plus je réalisais que ce n’était ni un monstre ni une créature.
C’était un homme.
Au début, il était parfois difficile de communiquer. Mais je ressentais qu’il se passait quelque chose entre nous.
Il me murmurait dans sa langue que j’étais belle, il me dévorait du regard avec convoitise et envie. Il cherchait toujours à se rapprocher de moi, ses mains touchaient mon corps, il me caressait comme jamais aucun autre ne l’avait fait avant lui.
Et avant que je ne comprenne réellement ce que ça impliquait, je m’étais éprise de lui. Des sentiments nouveaux, quelque chose de fort et profond. Je suis tombée désespérément amoureuse.

Eyun est mon Soleil et moi je suis sa Lune. Ensemble nous sommes les deux faces d’Astre. Quand il me fait l’amour, je me sens enfin complète. Il sait me combler.
Cette chose qui me manque depuis toujours, je l’ai trouvée en lui. En sa présence, j’oublie tout. L’angoisse qu’implique mon rôle, la terreur de la surface, la tristesse de la solitude, la honte du sang qui coule sur mes mains.
Plus rien n’existe lorsque nous sommes ensemble.
Nous sommes tels les dieux Scelia et Khüd, nous retrouvant en secret pour vivre notre amour. Je prie pour que comme eux, nous puissions fuir et fonder quelque chose de nouveau.
Je prie pour que comme eux, nous puissions fuir et fonder quelque chose de nouveau. Eyun est tout ce que j’ai toujours cherché. Il est le centre de ma vie. Je ne pensais pas être un jour capable d’écrire ça, moi qui ai longtemps refusé de croire en l’amour.

Je ne souhaite qu'être qu’auprès de lui. Jusqu’alors je ne pouvais pas car mon village avait besoin de moi. Mais est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Ils me regardent comme si j’étais un monstre, ils chuchotent sur mon passage.
Je sais que personne n’est au courant de ma relation avec Eyun. Les mots qui se murmurent sont plus insidieux que ça. Ils proviennent d’Avel. Il alimente la haine à mon sujet.
Les réprouvés qu’il a inclus dans le village sont tous à son service. Certains étaient amis avec les traîtres que j’ai fait exécuter. En se liant avec mon peuple, les veilleurs manipulent leur opinion pour les retourner contre moi.
Je ne suis plus Sylène la Fondatrice, mais Sylène la Sanguinaire.
Celle qui a tué leurs amis.
Avel oublie de leur rappeler qu’il était toujours à mes côtés lorsque je donnais ces ordres. Autrefois, il m’encourageait même sur cette voie… Mais c’était afin de mieux me faire tomber.
Depuis combien de temps rêve-t-il de m’évincer ? Et surtout… Ai-je réellement envie de mourir pour un village qui ne veut plus de moi ? Non. Demain, date à laquelle Avel souhaite me piéger, je serais morte aux yeux du village.
Mais si tout se passe bien, je serais loin et en vie aux côtés de mon bien-aimé.

À partir du moment où j’ai eu vent de la vérité, j’avais trois jours devant moi. Durant ce temps, je n’ai pas fait qu’écrire ces mots. J’y ai mûrement réfléchi avant de prendre ma décision. J’avais assez d’informations pour me préparer convenablement.
Avel compte profiter de l’effet de surprise pour m’abattre. Il sait qu’autrement, il n’est pas de taille. Peu importe le nombre de guerriers qui pourront l’accompagner, aucun ne fait le poids face à ma Magie.
Avel est peut-être le meilleur guerrier du village, mais moi je suis sa meilleure Mage. Et je ne maîtrise pas n’importe quelle magie. La Magie du Sang ne se résume pas à quelques sceaux de protection. Bien utilisée elle devient puissante, violente, mortelle.
Plus tranchante qu’une épée. Et mes aptitudes ne s’arrêtent pas là. Bien que ce soit accepté dans notre culture, j’ai toujours caché ma connaissance de la Magie Noire. La Magie la plus sombre et la seule à ne pas être héréditaire.
Un secret qui me sera sans doute utile si je suis acculée. Ainsi, si mon plan tourne mal, je saurais me défendre.
Mais je ne tuerai Avel que s’il ne me laisse pas le choix. Je vais le suivre dans les souterrains. Le moment venu, je lui parlerai. Je compte lui proposer de faire un Serment de Sang.
C’est un rituel magique ne pouvant être rompu de quelque manière que ce soit. Je lui proposerai de disparaître de sa vie en échange de ma liberté.
C’est un homme calculateur et sournois, il est loin d’être un idiot. Si je reste en vie, même loin du village, mes sceaux protégeant le territoire perdureront. Tant que mon cœur battra, ils seront en sécurité.
Ce qui laissera le temps à mes enfants de prendre ma relève, plutôt que de les forcer à user de leur magie aussitôt après ma mort. Je serais plus utile en vivant loin d’eux, que morte.
Mais s’il refuse, son sang tapissera les souterrains et ses entrailles nourriront la terre. Je n’aurais aucune pitié s’il m’attaque malgré ma clémence. Et après tout cela, je rejoindrai Eyun.

Je dois vous avouer que ma peur de la confrontation avec Avel est moins grande que ma hâte de pouvoir rejoindre Eyun. Au sein de son peuple, j’en saurais enfin plus.
Pour l’instant, tout ce que je sais est que le nom qu’ils se donnent est Aytrüs.
Ils ne sont pas les seuls à résider dans les souterrains. Il y a plusieurs clans, très différents les uns des autres. J’ai hâte de les rencontrer. Eyun est heureux que je vienne vivre à ses côtés. Je ne lui ai pas encore annoncé, mais j’attends son enfant.
Mon ventre n’est pas encore assez arrondi pour que ce soit visible. Personne ne le sait.
J’espère que notre bébé trouvera sa place dans ce monde.
C’est sur ces derniers mots que je m’en vais.

[Bien qu’elles restent lisibles, les dernières lignes sont en partie effacées. Des traces de larmes ont fait baver l’encre et gondoler le papier à cet endroit].
Senna du relire plusieurs fois le texte à voix haute, avant que David ne puisse en traduire les grandes lignes aux deux femmes. Il n’était pas capable d’en faire une transcription littérale, mais il avait déchiffré la majorité des mots de Sylène.
Il était certain de ce qu’il avait compris, mais là était tout le problème.
« C’est incroyable… » murmura Tyra, les yeux écarquillés. « Nous étions dans l’ignorance depuis tout ce temps… »
David hocha la tête, la bouche sèche. La version officielle de l’histoire de Sylène était récente dans son esprit, il n’avait donc pas de difficultés à croire ce qui était écrit dans le carnet. Mais pour ceux ayant grandi avec, ce devait être terriblement troublant.
Senna se mordit la lèvre, réfléchissant à toute vitesse à tout ce que les révélations de Sylène impliquaient. Qu’Avel ait trahi Sylène était déjà difficile à encaisser, étant donné l’admiration et le respect qu’avait le village pour lui. Il était un modèle, une figure emblématique et le premier chef des veilleurs.
Tous espéraient pouvoir un jour lui ressembler. C’était dur de voir cette image voler en éclat.
Mais apprendre que Sylène avait eut une relation avec une créature, qu’elle en était tombée amoureuse et enceinte, c’était encore pire. Comment expliquer ça aux autres ? Ils étaient dans la merde jusqu’au cou.
« On ne peut pas le dire aux autres veilleurs. C’est trop dangereux.
– Mais c’est une information capitale ! » rétorqua Tyra, en fronçant les sourcils. « On se doit de partager ce que l’on a appris ! »
Senna étant la fille de Aline, la Gardienne des Textes du village, elle avait été éduquée dans un foyer prônant la recherche de connaissances et son partage. Dans ces conditions, comment pouvait-elle ne serait-ce que songer à cacher la vérité aux autres ?
« Tyra, les autres veilleurs ne vont jamais accepter cette histoire. Toi et moi on ne risque pas grand-chose hormis notre place, mais David… tu sais très bien comment ils sont. Ils vont l’accuser de blasphème et d’autres absurdités du genre.
– Mais ta mère…
– Ma mère n’est pas toute puissante ! David vient d’arriver, il est étranger, parle la langue des Sylènes, et maintenant affirme que nos Fondateurs ne sont que des menteurs hypocrites ayant chacun trahi le village ? Comment crois-tu que Warin et les autres vont le prendre ?
– Mal.
– Oui ! Très mal ! »
Tyra soupira, réalisant à quel point ils étaient coincés. Elle lança un regard peiné à David, qui grimaça. Il attrapa le livre et réfléchit quelques secondes avant de proposer :
« Dans ce cas, mentons sur son contenu. »

Tyra s’étouffa sous le regard ébahi de David. Une fois son souffle repris, elle s’exclama :
« Mais c’est la pire idée qu’il soit !
– Ce n’est pas ce que vous vouliez ? » rétorqua David en haussa un sourcil. « Cacher la vérité et mentir, c’est la même chose.
– Pas du tout ! »
Senna croisa les bras et resta en retrait, admirant David et Tyra débattre avec énergie pendant plusieurs minutes. Elle se doutait déjà de la façon dont cette histoire allait se terminer et ne voyait pas l’intérêt de s’en mêler. Finalement, Tyra marmonna :
« Et bien dans ce cas, on devrait juste en parler à Söl. Elle saura quoi faire, elle. »
Senna sourit. Elle avait encore deviné juste. Quoi qu’il arrive, Tyra s’en remettait toujours à la dirigeante du village, qu’elle respectait et admirait plus que tout au monde.
« Pourquoi ce rictus satisfait ? » demanda David en remarquant l’attitude de Senna.
Elle haussa les épaules et répondit :
« Rien, j’avais juste parié avec moi-même que Tyra dirait ça.
– Grmbl » grogna la concernée en rougissant. Elle tenta d’expliquer : « Contrairement aux veilleurs, Söl nous écoutera, elle est —
– Parfaite, intelligente, belle, puissante et respectable. » la coupa Senna, amusée.
« J’allais dire qu’elle est réfléchie.
– Bien sûr. »

David ne put s’empêcher d’être à son tour amusé par la réaction de Tyra, ce qui allégea grandement l’atmosphère. La pression était déjà un peu moins forte, et il finit par soupirer :
« Je suis d’accord, parlons-en à Söl. »
David, Tyra et Senna discutèrent encore quelques minutes, avant de conclure qu’en parler à Söl était définitivement la meilleure solution.
« Nous devons en référer au shaman afin qu’il nous arrange une rencontre. En général il faut trois jours pour qu’une demande d’audience auprès d’elle soit acceptée. Pendant ce temps nous- » fit Senna sérieusement, en calculant et réfléchissant à la façon la plus pratique de s’organiser.
David fronça les sourcils et la coupa :
« Demande d’audience ? Pourquoi ?
– Et bien pour avoir l’autorisation de lui parler, c’est évident. C’est notre dirigeante, elle est très occupée. C'est le protocole. »
David leva les yeux au ciel, consterné. Depuis quand fallait-il obtenir le droit de s’adresser à Söl ? Rien que l’idée lui semblait bizarre.
« Il n’est pas question que j’attende trois jours. J’y vais tout de suite.
– David, attends ! Ça ne marche pas comme ça, tu sais ! » fit Senna en le rattrapant, mais il se contenta de répondre par un petit rire avant d’accélérer le rythme.
Finalement, après avoir traversé le village, ils atteignirent leur destination. Senna fronçait les sourcils, agacée, tandis que Tyra s'amusait de la situation. Senna ne semblait pas apprécier la tournure des évènements, n'appréciant visiblement pas qu'ils en parlent aussi rapidement, mais David n'y fit pas attention.
Il entra dans la hutte de Söl.
Cette dernière était posée, fumant sa pipe tranquillement. À côté d’elle, quelques bouteilles vides trônaient de manière désordonnée. Visiblement, elle prenait du bon temps.
« Vous voyez ? Elle n’est pas occupée, on peut la déranger. » fit David en se tournant vers ses deux camarades, fier de lui.

« Je vous présente nos plus sincères excuses, nous sommes navrés de vous déranger ainsi. » fit aussitôt Senna en s’adressant à Söl, la tête inclinée et les yeux baissés de honte. « Si ça n’avait tenu qu’à moi, nous aurions suivi le protocole.
– C’est bon. Détendez-vous. » répondit Söl en se levant, posant un regard bienveillant et maternel sur les deux jeunes femmes.
Il était évident que ce manque flagrant de savoir-vivre était uniquement de la faute de David. Elle tangua légèrement, avant de parvenir à se redresser. Elle se tourna ensuite vers lui, croisa les bras et gronda, mécontente :
« Quant à toi… Si je pouvais les atteindre, je t’arracherais les oreilles. J’espère que la raison de ta visite est capitale, parce que sinon… »
David, qui avait toujours le carnet de Sylène dans les mains, ne fut pas plus impressionné que ça. Il le tendit aussitôt à Söl. Elle le prit et regarda David sans comprendre.
« Ce sont les notes de Sylènes ? Et alors ?
– En fait, j’ai saisi les grandes lignes du texte inconnu. »
Söl plissa les yeux.
« Oh. Ce n’est pas rassurant. Si tu viens me voir moi, c’est que quelque chose ne va pas.
– Effectivement. »
Elle se dirigea vers l’entrée de sa hutte et après avoir vérifié qu’il n’y avait personne, elle ferma les rideaux avant de se tourner vers eux :
« Je suis tout ouïe. »

Ils lui expliquèrent alors tous ce qu’ils avaient compris, ainsi que leurs doutes et peurs quant aux réactions que ça pourrait engendrer. Söl les écouta attentivement sans les couper, et lorsqu’ils eurent fini elle soupira :
« Vous avez bien fait de venir me voir. Je n’aime pas mentir, mais il est effectivement mieux de ne rien dire. A personne. Et plus particulièrement à mon mari. »
David toussota légèrement, un rictus moqueur au bout des lèvres. Söl n’aimait pas mentir à Warin, mais ça ne l’empêchait pas de le tromper et de batifoler gaiement avec un de ses fournisseurs. Söl lui lança un regard meurtrier, comprenant tout de suite le sens de sa réaction.
« Nous ne devons pas dévoiler le contenu de ce carnet pour le moment, du moins tant que nous n’en saurons pas plus.
– Que devons-nous faire alors ? Et Aline ?
– Ne lui dites rien. Pour l’instant, faites croire que vous avez des difficultés à traduire le carnet. Dites que sa teneur est banale. Prenez un maximum de temps. »
David allait demander ce qu’ils devraient faire ensuite, lorsqu’elle ajouta :
« Pendant ce temps, je vais réfléchir et interroger les esprits. Je vous préviendrai lorsque j’aurai pris une décision. Si vous avez besoin, n’hésitez pas à revenir me voir.
– Bien. »
Söl plongea son regard dans celui de David et gloussa :
« Mais annoncez-vous avant d’entrer la prochaine fois. Vous ne voudriez pas me surprendre en pleins ébats avec mon époux, n’est-ce pas ? »
David grimaça et elle ajouta :
« À moins que l’idée de voir Warin nu t’émoustille ? Petit coquin. »
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