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- 11 - La Caste de GemmeNoire

  • bleuts
  • 20 nov. 2024
  • 37 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 déc. 2024

Partie 1 - La cité noire


Ayel et David n’étaient plus très loin de GemmeNoire. Une grande partie du trajet s’était déroulée sans encombre. Dans cette région du royaume, les auberges et villages ne manquaient pas. Et tant qu’ils n’étaient pas trop près de la capitale, les prix restaient corrects.


Ils avaient pu faire plusieurs haltes, se reposer et se préparer mentalement. Ayel avait commencé à utiliser le maquillage que Tarek lui avait offert. Cacher ses lunes sur le visage allait beaucoup l’aider à se fondre dans la masse. La crème était d’une qualité rare, couvrant parfaitement les encrages qui se trouvaient sur ses joues. L’illusion était parfaite.


« Je te préfère comme ça », fit remarquer David. « J’aime beaucoup tes encrages, mais moins sur ton visage.

– De toute manière, tu n’aimes jamais rien.

– Si, je t’aime toi.

– C’est une déclaration d’amour ça ? Je n’y crois pas une seconde.

– Peut-être, ou peut-être pas ? »



« Et toi ? Quand est-ce que tu te coupes les cheveux et que tu te rases ?

– QUOI ? PLUTÔT MOURIR. »



Plus ils approchaient de GemmeNoire et plus Ayel angoissait. Il avait toujours vécu dans un petit village exilé, où il pouvait vivre sa religion comme il le voulait et assumer sa sexualité sans crainte.


Certes, il avait dû cacher sa relation avec David, mais jamais il n'avait eu de problème avec son homosexualité. Il avait la chance de ne jamais s’être inquiété à ce sujet auparavant.


Mais maintenant, Ayel était terrorisé à l’idée de faire la moindre erreur. De se trahir sans faire exprès et d’ainsi risquer leurs vies. Ni David ni Ayel, jamais ne vécut dans une grande ville. Et on disait de GemmeNoire qu’elle était immense, dangereuse et rude.


Même PierreBrulée était un minuscule village à côté. Alors demain, ce serait pour eux un saut vers l’inconnu.



La cité était immense, plus grande que tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Haute et profonde, un labyrinthe. Les remparts de la ville étaient à l’origine de son nom, entièrement constitués de pierres très sombres, presque noires.


C’était oppressant, ça donnait la sensation d’entrer dans une prison. Il faisait presque nuit quand ils entrèrent dans la basse-ville et leur priorité fut de trouver un endroit où se poser.


David, qui avait toujours écouté les récits des voyages de Léo avec fascination, chercha une auberge en particulier : l’auberge de la Citrouille.


Léo y avait travaillé quelque temps, à l’époque où il économisait assez d’argent pour s’enfuir avec Esther. Mais c’était difficile de se repérer dans un lieu inconnu. Ils étaient fatigués du trajet, épuisés par l’angoisse… ils mourraient d’envie de se reposer.


« On fait de bien piètres voyageurs. » fit remarquer Ayel, avec un gloussement nerveux.


David ne répondit pas, un sourire au bout des lèvres. Il venait d’apercevoir l’auberge, au bout de la ruelle.



David et Ayel s’installèrent à l’auberge. Le premier soir, Ayel but plus que de raison. Il avait besoin de se lâcher, d’oublier l’angoisse et la fatigue.


David le surveillait de près. Ayel aimait boire et se laissait facilement aller, une mauvaise habitude qu’il avait héritée de son maître. Il tenait assez bien l’alcool, mais dépensait beaucoup trop d’argent dedans. Durant leur voyage, David lui avait souvent fait remarquer.


« Radin.

– Non, économe. »



La suite était claire : David et Ayel devaient trouver la Caste qui se cachait dans la cité. Ils se doutaient bien que ce ne serait pas facile, ils ne pouvaient pas aborder le premier venu en demandant :


« Vous savez où trouver un groupe qui pratique un culte interdit en secret ? »


Mais alors qu’ils étaient attablés, discutant à voix basse de leurs objectifs pour la suite, un homme les aborda. David lui demanda plusieurs fois de les laisser seuls, mais il faisait la sourde oreille.


Ayel s’amusait devant le comique de la situation, pendant que David s’agaçait de plus en plus. Il commença à leur poser de nombreuses questions, ponctuées de petites remarques que David n’apprécia pas du tout.


« Et sinon, ta mère a baisé quoi pour que tu sois comme ça ? Un arbre ? »


Ayel perdit son sourire, David sa patience. Il se leva, attrapa l’homme et gronda :


« Un mot de plus et je te refais le portrait. »



David relâcha l’homme, qui est parti sans demander son reste. Mais il remarqua bien trop tard que son escarcelle était ouverte. L’homme avait filé avec sa bourse, qui contenait une petite partie de leur argent et des choses auxquelles David tenait.


« Je vais le tuer ! »


Alors qu’ils désespéraient, la fille du tenancier vint vers eux. Lysa. Elle leur avait déjà parlé plusieurs fois depuis leur arrivée. La jeune femme les appréciait beaucoup, car les deux hommes étaient plus serviables et polis que ceux qui traînaient dans l’auberge habituellement.


David, qui ne décolérait pas, lui demanda si elle savait par où le voleur aurait pu partir. Elle leur indiqua la direction du quartier Brun, où ils avaient le plus de chances de le retrouver.


« Mais faites attention à vous ! »


David ne perdit pas une seconde. Il n’en pouvait plus de se faire marcher dessus et n’avait pas l’intention de se laisser faire une nouvelle fois. Cette ville c’était une chance de tout recommencer à zéro. Il ne voulait plus être le jeune homme qui ne disait rien et qui supportait tout. Pas question.


Ayel le suivit, totalement dépassé par les événements. Il n’avait jamais vu David dans cet état. Heureusement, la direction que Lysa leur avait conseillé de suivre fut la bonne, car ils retrouvèrent sans peine le voleur. Assis sur un tonneau, il comptait les pièces avec un petit sourire satisfait.


David ne laissa pas au voleur le temps de réagir ou de se défendre. Il l’attrapa et lui colla son poing dans le visage, avant même qu’il ne puisse comprendre ce qui lui arrivait. Quand il l’eût bien amoché, il l’attrapa par le col et gronda :


« Si je te revois, tu es un homme mort, c’est bien clair ? »


Le voleur opina du chef, la peur dans les yeux. Satisfait, David le relâcha. Il récupérera sa bourse qui était tombée par terre. Quelques pièces s’étaient dispersées, qu’il ramassa aussitôt. Mais rien ne semblait manquer à l’appel, fort heureusement.


« Tout y est, tu as de la chance. »



Ayel avait assisté à la scène sans réagir. Il n’avait jamais vu David dans cet état et faire preuve de violence jusqu’aujourd’hui. La scène l’avait tétanisé, il avait eu l’impression de se retrouver dans un mauvais rêve. De mauvais souvenirs.


Il lui faisait peur.


De plus en plus de personnes s’attroupèrent autour d’eux pour voir ce qu’il se passait. Quand David relâcha le voleur, une jeune femme courue vers lui en criant son nom. Elle le serra dans ses bras, visiblement inquiète. Cette vision réveilla Ayel, qui secoua la tête et décida de partir avant que les choses s’enveniment.


Il attrapa David par l’oreille et prit la direction de l’auberge.


« Ayel ? »



Ce fut une soirée bien morose. Ayel refusait de parler à David et même de l’écouter. Il était terriblement contrarié par la scène qui avait eu lieu plus tôt.


Ce n’est que plus tard, quand ils furent seuls dans leur chambre, qu’il lui donna une chance de s’expliquer. Quand David comprit qu’il l’avait effrayé, il s’en voulut énormément. Sur le coup, la colère avait pris le dessus. Néanmoins il devait bien avouer qu’il avait adoré ça.


C’était comme relâcher la pression après des années à tout encaisser sans broncher. C’était si bon ! À ses yeux, ce voleur avait amplement mérité son sort. Mais il n’aimait pas du tout l’idée qu’Ayel lui en veuille. Eux qui ne se disputaient jamais…


Son regard et son silence lui avaient fait plus de mal que tout ce qu’il avait dû endurer jusqu’aujourd’hui. Plus jamais il ne voulait revivre ça, alors David se fit la promesse de se contenir en sa présence.



Les jours suivants, David et Ayel débutèrent leurs recherches. Ils ne savaient pas vraiment par où commencer pour trouver la Caste, si bien qu’ils rentrèrent plusieurs fois bredouilles à l’auberge. Néanmoins ils avaient de la patience et du temps à revendre.


David avait remarqué qu’il était souvent épié. Il était habitué à être regardé de travers, entre sa taille et sa couleur de peau, il y avait de quoi faire parler. Que ce soit durant sa jeunesse dans le domaine d’Öta ou durant ses voyages, il s’était toujours heurté à ces regards.


Ici, ce n’était pas différent. Les gens s’écartaient sur son passage, marmonnaient des insultes, les yeux le fixaient souvent avec peur ou curiosité déplacée. Il était une bête curieuse pour ces personnes-là.


Ce n’est donc pas immédiatement qu’il remarqua qu’une femme le suivait. Une femme qu’il n’avait jamais vue. Quand il s’en rendit compte, il décida de se séparer d’Ayel. Prétextant qu’il avait envie de se promener un peu seul, il se dirigea vers une allée plus tranquille.


La femme qui le suivait le rejoint. Il avait donc raison.


« Pourquoi me suivez-vous ? Que me voulez-vous ? » grogna-t-il.



La femme éclata de rire. Elle ôta sa capuche, croisa les bras, s’appuya contre le mur, puis rétorqua :


« C’est plutôt à toi de me dire ce que tu veux. Tu furettes dans mon quartier, à poser des questions très intéressantes. Si tu ne voulais pas te faire remarquer, c’est raté. »


David rougit de honte. Ils avaient des progrès à faire en discrétion. Lui qui pensait que leurs questions étaient mesurées et bien amenées… Voyant qu’il ne savait pas quoi répondre, elle soupira et dit :


« Montre-moi ton soleil et je te montre le mien. »



Sur le coup, David ne comprit pas. Il lui fallut quelques secondes pour traiter l’information. Le Soleil noir ! Ayel lui en avait parlé plusieurs fois. Les maîtres Abarians recevaient tous le même tatouage lorsqu'ils finissaient leur apprentissage pour devenir un membre actif de leur culte.


Ce symbole signifiait "Foi", il était très important, imposant le respect et la confiance envers la personne qui le portait. Ayel et Léo l’avaient sur le torse, tandis que Kadh l’affichait fièrement sur son épaule.


David n’y avait pas le droit, il n’était apprenti que depuis un an. Et au rythme où allait son apprentissage, ça ne risquait d’arriver avant bien longtemps.


« Je ne suis qu’un apprenti, je ne peux pas. » se risqua t-il à répondre, espérant avoir vu juste.


La femme écarquilla les yeux et éclata de rire une nouvelle fois :


« À ton âge, tu n’es encore qu’un apprenti ? Soit t’es pas très doué dans ton domaine, soit t'es pas né dans une caste. Alors, quelle est la bonne réponse ?

– La deuxième option » répondit David.


La bonne humeur de la femme était contagieuse, il se détendit légèrement. Il avait enfin trouvé une vraie piste, une personne de la caste qu’il cherchait ! Il ne comptait pas la laisser filer, oh ça non.


« Mais mon ami pourra vous montrer le sien.

– Ton amant tu veux dire ? » rétorqua-t-elle aussitôt.


David rougit et s’exclama :


« Je ne vois pas de quoi vous voulez parler !

– Mais oui, bien sûr. Bon rendez-vous ici, ce soir, à minuit. » se moqua-t-elle en repartant, laissant David seul avec plein de questions.



« Tu es sûr que ce n’est pas un piège ? » demanda Ayel, après que David lui ait raconté son entrevue.


Il était heureux qu’ils aient enfin une piste, c’était même un soulagement. Mais il avait aussi peur, après tout ce qu’on disait sur la haine et la chasse aux abarians… Ce n’était clairement pas rassurant.


Néanmoins, que cette femme demande à voir son Soleil noir était un point très positif. C’était une technique qu’utilisaient les Abarians pour se reconnaitre et s’entraider. À l’époque où Léo voyageait, il s’en était plusieurs fois servi pour demander de l’aide à des castes. Ayel avait entendu plus d’une fois ces histoires.


« Dans tous les cas, nous n’avons pas le choix. » répondit David. « C’est notre seule piste, profitons-en ! 

– Faisons attention, tout de même… je tiens à ma tête. »



Le soir venu, ils se rendirent sur le lieu de rendez-vous. Ils appréhendaient cette rencontre, ne sachant pas ce qu’elle allait leur apporter. Une entrée dans la Caste de GemmeNoire, ou bien un aller simple vers la potence ?


Ils espéraient de tout leur cœur que ce soit le premier cas.


David les mena jusque dans la ruelle où il avait rencontré la femme, mais il ne vit aucune trace d’elle. Ils attendirent dans l’ombre, mais personne ne vint. Dans le froid et l’obscurité, ils s’interrogeaient. Avait-elle changé d’avis ? Pourquoi ?


Tandis qu’Ayel tentait de se réchauffer en se frottant les bras, David faisait les cent pas. Il tournait en rond, agacé. Finalement, son regard se porta sur un élément étrange. Il n’avait pas remarqué avant, mais quelque chose dépassait entre deux pierres du mur où la femme se tenait auparavant.


Il tira dessus et découvrit un papier. Ayel lui arracha des mains pour le lire, fronça les sourcils et marmonna :


« C’est écrit en vieil Abarian. Il va falloir résoudre cette énigme. »


Partie 2 - Le chemin des ogres


Ayel et David retournèrent dans l’auberge. Ils s’installèrent à une table, éclairés par la faible lueur d’une bougie. Le parchemin qu’ils avaient découvert était écrit en vieil Abarian, un langage très difficile à lire.


Autrefois, les abarians n’écrivaient pas avec des phrases précises comme aujourd’hui. Ils s’exprimaient avec des images, qui étaient toujours accompagnées de quatre symboles positionnés dans les coins.


C’est en interprétant l’image par rapport aux symboles que l’on pouvait en déduire une histoire. Les ouvrages et documents rédigés ainsi étaient un calvaire à comprendre et à traduire, car de nombreuses interprétations pouvaient découler de cette écriture énigmatique.


« Au moins, nous pouvons être sûrs que nous avons bien affaire à la caste. » soupira Ayel.



Il se concentra. Les quatre symboles étaient ceux du règne, du passé, de la peur et de la mort. L’image centrale quant à elle représentait une créature cornue et sombre, qui semblait recouverte de végétaux. Elle tenait dans sa main deux hommes minuscules. Ayel ne comprenait pas du tout ce que cette créature représentait. Elle ne lui disait rien du tout.


« Je n’ai jamais entendu le moindre mythe abarian à ce sujet. »


David, qui fixait la feuille, releva la tête et répondit :


« C’est un ogre. C'est évident. »

– C'est quoi ça, un ogre ? » marmonna Ayel, perdu.


En comprenant que sa question était sérieuse, David écarquilla les yeux et s’exclama :


« Comment ça ? Tu ne connais pas l’histoire du Royaume ? »


David savait que l’ancien village d’Ayel était loin de tout et peu ouvert aux traditions du Nord, mais de là à ignorer ça… C’était une part importante de l’histoire ! Devant son regard perdu, il a dû se résoudre à lui expliquer.



Selon les légendes du Nord, les ogres étaient les fondateurs du Nord. Une race de créatures immenses et intemporelles, qui n’étaient faites ni de chair ni de sang. Seule la nature pure comme le bois, la roche, la terre… les formait.


Les légendes disaient que les humains étaient autrefois leurs esclaves, jusqu’au jour où ils se rebellèrent. Ils étaient bien plus faibles que les ogres, mais beaucoup plus nombreux : c’est ce qui fit pencher la balance après des siècles de soumission.


Après des guerres interminables et de nombreuses morts, les ogres finirent par disparaitre. Le Nord devint le royaume des humains tel qu’ils ne connaissaient aujourd’hui.


« Et tu crois vraiment que des créatures immenses et cornues vivaient ici autrefois ? Votre culture est étrange.

– Ce n’est pas plus étrange que de croire en des centaines de dieux aux noms bizarres. Gras de vin ?

– Attention, David, soit respectueux. On dit Guadrevin. »


Ils discutèrent encore quelques minutes avant de se replonger dans leurs recherches. C’était bien beau de voir un ogre sur l’image, mais ça ne les avançait pas plus que ça. Ils avaient disparu depuis des siècles, quel était le rapport avec la Caste dans tout ça ?


« Dans ce genre de texte, les deux premiers symboles font souvent directement référence au sujet de l’illustration. Ici, les ogres qui régnaient sur le nord autrefois.

– Et les deux derniers symboles ? C’est quoi déjà ?

– Peur et mort. »


David remuait ses souvenirs, les histoires qu’on lui avait racontées sur le sujet depuis tout petit. Et finalement, il trouva.


« Et si ça faisait référence aux ruines des ogres ?

– Comment ça ? »


Quand les humains s’étaient rebellés contre les ogres, la violence des affrontements avait fini par tout détruire. Il ne restait que des ruines de cette ancienne civilisation. Ce fut sur certaines de ces ruines que les humains du Nord construisirent leurs cités. Dont GemmeNoire.


Toutes les parties extérieures de l’ancienne ville furent remplacées par les constructions humaines, ne laissant aucune trace visible du passé. Mais sous la ville, des lieues de souterrains, catacombes, anciens tunnels furent simplement condamnées. Les hommes du Nord étaient superstitieux et certains de ces lieux abritaient les carcasses des ogres d’autrefois.


Ils n’étaient pas de chair et de sang après tout. Ils ne pourrissaient pas après la mort. Ils s’éteignaient simplement, leur esprit retournant à la nature tandis que leur corps restait là, éternels.


Leurs carcasses terrifiaient les Nordans, qui n’osaient pas s’en approcher. On disait que quiconque tentait de les détruire se retrouvait maudit, devenant un ogre à son tour. La peur et les superstitions avaient suffi aux hommes pour qu’ils décident de simplement tout cacher, comme si ça n’existait pas.


« Mais comment tu sais tout ça ? » demanda Ayel. « Tous ces détails sur le sujet ? »


David rougit et détourna le regard.


« C’est mon ami d’enfance qui m’en parlait souvent. Öta est fasciné par les ogres, il rêve d’en voir un pour de vrai.

– Drôle de fascination.

– La région dont nous sommes originaires, Morthebois, est constellée de ces ruines. Nos croyances et traditions sont des vestiges de celles des ogres. Öta est très pieux, c’est logique qu’il s’intéresse à cette part de l’histoire. »



Si le message faisait vraiment référence aux ruines, alors c’est là que devaient se cacher les Abarians de GemmeNoire. C’était plutôt logique. S’ils avaient rouvert un passage en secret, personne n’irait les chercher là-bas. David frissonna. Il n’avait aucune envie d’y aller, mais il n’avait pas le choix.


Ils se couchèrent l’esprit bouillonnant de questions et d’espoirs.


Le lendemain, ils partirent à la recherche d’une entrée. Logiquement, si elle existait, elle devait se trouver dans les vieux quartiers de la cité. L’endroit était malfamé et pauvre, c’était une partie dangereuse de GemmeNoire.


Ils arpentèrent les rues toute la journée, en vain. Il n’y avait aucune trace de ce qu’il cherchait. Le soleil se couchait au moment où Ayel remarqua quelque chose. Les abords de la ville étaient non loin du quartier où ils se trouvaient à ce moment-là.


Là-bas, il y avait de nombreuses maisons à moitié détruites et abandonnées, menaçant de s’écrouler. Et si l’entrée était dans l’une d’entre elles ? Il se pouvait qu’elle ait une cave menant aux souterrains, ce n’était pas improbable.


Ils commencèrent à regarder les bâtiments, s’approchant quand personne ne les regardait.


Ils finirent par repérer l’un d’entre eux, qui se trouvait en retrait. Un très vieux symbole abarian était gravé grossièrement sur la porte. Assez petit pour n’être visible que par un regard attentif. C’était trop beau pour être vrai ! Ils entrèrent. Ayel, qui devançait David, s’exclama :


« Je crois que j’ai trouvé ! »



Une fois qu’ils eurent trouvé l’entrée des souterrains, ils descendirent les escaliers pour évaluer la situation. Se rendant compte que c’était extrêmement profond et sombre, ils remontèrent et décidèrent de se préparer.


Ils ne savaient pas du tout ce qui ne les attendait là-bas ni à quelle distance se trouvait la Caste de cette entrée. Peut-être se trouvaient-ils justes en bas, à les attendre patiemment. Ou peut-être que David et Ayel devaient traverser les tunnels durant des heures pour les rejoindre.


Dans tous les cas, se précipiter n’était pas la meilleure idée. Ils fabriquèrent une torche et prirent une lanterne. Ils récupérèrent des habits chauds, quelques vivres, de quoi tenir un petit moment. Ils n’étaient pas très doués pour la survie, mais tentaient de faire de leur mieux.


Et finalement, ils s’enfoncèrent dans les entrailles de la cité. Les escaliers étaient terriblement longs, ils s’enfonçaient encore et encore, mais ils parvinrent finalement à atteindre les tunnels.


Ils étaient sombres et froids, terriblement silencieux. Chacun de leurs pas résonnait, leur glaçant le sang. Les tunnels du début étaient grands, d’une hauteur impressionnante. Mais ce n’était rien comparé à ce qu’ils découvrirent en s’enfonçant plus profondément.


Ils furent rapidement remplacés par des espaces immenses, au plafond terriblement haut. Ils se sentaient minuscules dans cet endroit. Et surtout, de la végétation s’y trouvait. De la mousse, des plantes, quelques arbres, le tout dans un noir de fumée.


Comment quoi que ce soit arrivait à pousser ici ?



Ils commencèrent à dépasser des formes étranges. Si au début, ils prenaient ça pour des amas de terre et de plantes, ne les voyant pas distinctement dans le noir… en s’approchant, ils se rendirent compte que ce n’était pas ça. David marmonna :


« Ce sont des carcasses d’ogres, comme évoquées dans la légende. »


Ayel ne croyait pas du tout à cette légende, il répétait à David :


« Ce ne sont que des sculptures de pierre et de bois, ne t’en fais pas. »


Mais David n’en menait pas large. Il n’était pas une personne particulièrement pieuse, qui croyait à des entités supérieures ou autre, mais il avait grandi bercé par ce folklore. Les ogres existaient, c’était sûr. C’est ce qu’on lui avait appris depuis toujours. Et dans sa petite enfance, ça le terrorisait.


« Si tu n’es pas sage, les ogres viendront te manger ! »


Évidemment, il lui arrivait d’apprécier les histoires sur le sujet. Quand Öta lui en parlait, c’était un plaisir de l’écouter. Mais descendre dans leur antre, voir leurs carcasses de ses propres yeux, c’était trop pour lui. Alors quand Ayel ramassa un masque par terre, s’exclamant :


« Regarde la taille de ce masque ! C’est énorme ! »


Il décida qu’une fois hors de ce cauchemar, il allait tout faire pour se venger de son compagnon. Ayel avait peur des araignées ? Parfait, c’était facile à glisser dans un lit.



Alors qu’ils se demandaient s’ils n’étaient pas perdus, ils commencèrent à voir des traces de vie sur le chemin. Des lumières éclairaient les couloirs. Et surtout ils remarquèrent des peintures plus fraiches que tout ce qu’ils avaient pu voir jusque maintenant dans les souterrains.


Des peintures aux motifs qu’Ayel reconnut immédiatement comme étant des symboles abarians.


« Tu avais raison ! Ils sont là ! »


Ils suivirent les lumières, accélérant le pas. Puis une forme se dessina dans l’horizon, qui ne laissait aucun doute. Un village ? Oui. Ils avaient trouvé la Caste. Ils s’enfoncèrent dans le village, sans trop savoir ce qu’ils devaient faire. Aborder une personne pour lui poser la question ? Trouver par eux-mêmes la hutte du chef ?


Ils avancèrent, regardant autour d’eux avec curiosité. Les quelques villageois qu’ils croisèrent ne leur prêtaient pas plus attention que ça. David et Ayel n’osèrent pas les déranger. Jusqu’au moment où une tornade brune s’abattit sur eux.


C’était un jeune garçon qui leur sauta dessus en leur posant plein de questions sans leur laisser le temps d’y répondre.


« Suis-je bête ! » finit-il par s’exclamer, après plusieurs minutes. « Vous devez vouloir rencontrer notre Chef ! Je vous guide, suivez-moi. »



Ayel et David s’échangèrent un regard mi-amusé mi-consterné, tandis que ledit Max trottinait devant eux. Le garçon les guida jusqu’à la hutte du chef. Ils étaient étonnés, car sur le chemin ils avaient pu remarquer qu’il y avait beaucoup plus d’habitations et de personnes que ce qu’ils avaient imaginé.


C’était un vrai village, bien rempli et vivant. Il n’avait rien à envier à PierreBrulée et Cerfblanc.



La chef était une femme assez impressionnante. C’était une Etris aux cornes immenses, à qui il manquait l’œil gauche et un doigt. On sentait à travers son physique et sa manière de se tenir qu’elle avait vécu, mais sa voix était douce et posée. Rassurante.


En les voyant entrer, elle ne sembla pas étonnée. Elle les invita à s’installer sur des coussins et les laissa parler.


Ayel prit la parole, en respectant les règles et usages abarians. Il expliqua leur situation et lui tendit la lettre de recommandation que le chef de PierreBrulée leur avait confiée. Il tremblait.


Elle l’écouta calmement sans le couper, puis lut la lettre avec un sourire au coin des lèvres. Finalement, elle répondit simplement :


« Comment refuser l’asile à un couple si mignon ? Vous êtes les bienvenus dans notre modeste caste. » sourit elle, avant d'ajouter d'un air narquois : « Du moins si l’humidité, l’obscurité… et les insectes… ne vous font pas peur. »



Après ça, elle les guida jusque une hutte qu’elle leur présenta comme l’endroit où ils pourraient s’installer. Elle était un peu sale et désordonnée.


La dirieante leur expliqua que son précédent propriétaire était mort quelques mois auparavant et qu’elle était à l’abandon depuis. Mais un peu de ménage contre un endroit où se poser ? C’était peu cher payé et clairement mieux que tout ce qu’ils avaient pu espérer.


Ils ne s’attendaient pas à être accueillis aussi facilement. Elle les laissa là, en ajoutant :


« Reposez-vous et si vous avez besoin de quelque chose, demandez à Max. Demain, je vous expliquerai le fonctionnement de la Caste et on verra comment vous rendre utile. »



Épuisés par toutes ces émotions et les longues heures de marche dans les souterrains, ils s’installèrent dans la hutte avec soulagement. David et Ayel ne savaient pas du tout ce que l’avenir leur réservait. Ils allaient devoir faire leurs preuves et trouver leur place dans le groupe, comprendre comment cette caste pouvait vivre sous terre… était-ce vraiment fait pour eux ? Ils ne pourraient le savoir qu’en essayant.


Alors qu’Ayel l’embrassait, David marmonna :


« Tu sais qu’il y a probablement beaucoup d’araignées dans cette vieille hutte abandonnée ? Il y a une toile juste derrière toi.

– Je te déteste. »



Le lendemain de leur arrivée dans la Caste de GemmeNoire, Ayel fut sur un petit nuage. Tant qu’il restait dans les souterrains avec les autres abarians, il n’aurait plus besoin de cacher ses tatouages. Cette idée le fit sourire.


« En plus, je n’ai plus beaucoup de crème pour les cacher. Je dois faire attention à ne pas la gâcher. »


Ce matin-là, il se fit même le plaisir de se refaire quelques peintures rouges, en chantonnant. David le regarda faire, attendrit. Il ne savait pas encore s’ils seraient réellement chez eux dans la caste, car ils devaient encore faire leurs preuves. Mais il l’espérait : voilà un moment qu’il n’avait pas vu Ayel sourire comme ça. Depuis qu’ils avaient quitté CerfBlanc, il était terriblement angoissé.


Une bonne nouvelle ne lui ferait que du bien.



Partie 3 - Chercher sa place


Ce jour-là Söl, la dirigeante du village, prit le temps de leur expliquer comment fonctionnait leur groupe et les règles à respecter. Ils vivaient en suivant les lois abariannes, ce qui impliquait un code de conduite qu’Ayel connaissait déjà très bien. Il s’agissait du même que dans son village d’origine.


« Néanmoins, nous savons faire la part des choses. » ajouta t-elle en plissant les yeux. « Par exemple, nous ne punissons pas des personnes dont le seul crime est de s’aimer. »


David et Ayel rougirent. Elle continua son explication. Les seules choses qui changeaient dans la liste des règles établies concernaient les souterrains.


« Tant que vous êtes à l’essai, vous ne pourrez pas sortir en ville à votre guise. C’est pour notre sécurité à tous, on doit savoir si on peut vous faire confiance avant.

– Et si on est indigne de confiance ? » rétorqua David.


Söl haussa les épaules.


« Les accidents sont vite arrivés par ici. Se perdre dans les souterrains, tomber dans un trou, un éboulement... »


Les visages des deux hommes se décomposèrent, tandis qu’elle éclatait de rire.


« Et bien, maintenant que nous avons mis au clair tout ça, je vais vous donner du travail. »


Elle se leva et leur fit signe de la suivre :


« Pas question de rester les bras croisés ! Ici tout le monde travaille. Ça tombe bien, on a justement besoin de main-d’œuvre. »



Söl les présenta à un groupe de personnes qui s’activaient dans ce qui semblait être un atelier.


« Ayel, tu es ébéniste c’est bien ça ? » demanda-t-elle. « Alors tu vas pouvoir nous montrer tes compétences. Tu vas aider les artisans, il y a beaucoup de choses à faire. Le village a toujours besoin de main-d’œuvre. »


Elle se tourna ensuite vers David. Même avec ses immenses cornes, elle paraissait bien petite à côté de lui. Mais ça ne l’impressionnait pas du tout.


« Quant à toi, tu vas plutôt les assister pour le transport des matériaux et autres tâches qui nécessitent de la force. Vu ton gabarit, je ne doute pas que tu en as à revendre.

– Effectivement.

– Et on verra plus tard pour ton apprentissage. »


Ce fut ainsi que les jours qui suivirent, David et Ayel passèrent tout leur temps à travailler. Ils adoraient ça. Plusieurs jours après leur arrivée, David se montrait déjà plus souriant et détendu. Il aimait travailler et se dépenser, ça lui faisait énormément de bien.


Ayel put profiter pleinement de cette joie. David venait l’embrasser à tout moment de la journée, le prenant à part pour lui dévorer les lèvres. Parfois même brusquement. Il se s’était jamais montré ainsi, ou du moins pas à ce point. Mais Ayel ne s’en plaignait pas. Au contraire. Il aimait quand David menait la danse.



Le soir, lorsqu’ils retournaient dans leur hutte pour se reposer, ils prenaient toujours le temps de parler et de s’offrir quelques gestes de tendresse.


« J’aime ton odeur », fit Ayel en se blottissant contre David. « Elle est forte et chaleureuse.

– T’aime bien renifler ma transpiration ?

– Abruti. 

– Je t’aime.

– Tu me l’as déjà dit.

– T’es d’un romantique, c’est charmant.

– Moi aussi je t’aime. »



Un matin, alors que David et Ayel venaient d’arriver à l’atelier pour travailler, discutant joyeusement avec les autres artisans, Söl vint les voir. « Alors ? Vous vous plaisez ici ?

– Parfaitement ! » répondit Ayel, qui était ravi de pouvoir de nouveau exercer ses compétences.


Ils s’entendaient très bien avec les personnes du village, qui étaient toutes très amicales avec eux. On leur posait beaucoup de questions, tous voulant savoir comment étaient la vie dans leur village d’origine et les différences entre leurs traditions.


« Que nous vaut l’honneur de votre visite, dame Söl ? Avez-vous besoin de notre aide ? » demanda l’un des artisans.

– Je viens chercher notre mule préférée. »



Söl invita David à la suivre, et lui expliqua ce qu’elle attendait de lui en chemin. Le soir même, elle avait rendez-vous à la surface avec l’un de ses fournisseurs et souhaitait qu’il l’accompagne.


« Habituellement, c’est Gérard qui m’accompagne. Un grand barbu musclé, ça impose le respect. Les gens y réfléchissent à deux fois avant de me refuser un marché lorsqu’il est là. Mais il s’est blessé. »


David ne comprit pas. Voulait-elle qu’il remplace cet homme ? Pourquoi lui ? Lorsqu’il posa la question, elle leva les yeux au ciel et éclata de rire :


« C’est quand la dernière fois que tu t’es vu dans un miroir ? T’as vu ta taille ?

– Mais…

– Puis la couleur de ta peau, y’a de quoi imposer le respect. On n’a pas beaucoup de gars avec un tel potentiel dans le village. Et avec un peu de travail, on pourra même te faire perdre cet air niais.

– Niais ? Je ne vous le permets pas. » grogna David, vexé et rougissant.


Elle sourit et secoua la tête, amusée.


« Enfin bon, ton travail ce sera surtout de porter les marchandises que je vais récupérer ce soir. Ça va me permettre de te jauger un peu. Félicitations, tu passes du rang de mule… au rang de mule.

– Génial. »



Le rendez-vous de Söl avec son fournisseur se passa très bien. David resta en arrière, se questionnant sur son utilité dans cette histoire. Söl avait réussi l’exploit de lui faire quelques peintures abariannes, arguant que ça lui donnerait un air plus crédible. Il se sentait idiot comme ça.


« C’est un toujours un plaisir de faire affaire avec vous. » conclut Söl, alors que David commençait à compter les fourmis sur le sol.



Une fois l’homme parti, elle se tourna vers lui et leva les yeux au ciel :


« On dirait un gosse, incapable de se concentrer quelques minutes.

– Mh.

– Mais globalement, ça allait. Maintenant, il va falloir porter tout ça. C’est précieux, fais-y attention. »


La transaction avait eu lieu dans une maison abandonnée. À l’instar du passage qu’il avait découvert avec Ayel, il y avait non loin une entrée menant directement dans les souterrains. Le quartier était à moitié détruit et abandonné, ils ne risquaient guère de croiser quelqu’un. Et en quelques minutes, ils étaient de nouveau plongés dans l’obscurité des souterrains. David regarda leur cargaison, qui était moins imposante que ce qu’il avait imaginé, et demanda :


« À quoi ça sert au juste ?

– C’est de la drogue.

– Ah. »



Il resta silencieux, ne sachant pas quoi dire de plus. À une époque ça l’aurait sans doute dérangé, mais aujourd’hui il s’en moquait bien.


Lorsqu’ils arrivèrent au village, Söl le mena à la réserve où ils déposèrent leur cargaison. Il y avait un sacré bric-à-brac là-dedans, les denrées alimentaires ne remplissant qu’une petite partie du bâtiment.


« Interdiction de toucher à quoi que ce soit se trouvant ici, ça appartient au marché noir. » expliqua Söl, en le poussant dehors. « Maintenant va te reposer. Après-demain, on à un autre rendez-vous important. »


Elle hésita, puis sourit :


« Je vois bien que t’es pas croyant, mais je t’aime bien. J’ai envie de te donner une chance de t’intégrer parmi nous. »



« Tu es maquillé ! »


Ce soir-là, lorsque David rentra, Ayel se jeta sur lui. Il tourna autour de David puis admira son visage de près en commentant ses peintures. C’était du très beau travail, il était évident que David n’avait pas pu faire ça tout seul. Était-ce Söl qui l’avait ainsi grimé ?


« Arrête de me dévisager comme ça ! » grogna David en détournant les yeux.


Ayel se colla à lui. Son visage était à quelques centimètres du sien. Il susurra :


« Moi aussi je veux te maquiller. Appliquer la peinture du bout de mes doigts, sur toutes les zones de ton corps.

– Pervers. »


Ayel sourit. Il toucha la ligne qui courrait sur le cou de David et murmura :


« Jusqu’où descend-elle ? Je veux voir, je veux savoir. »


David devint encore plus rouge.



Durant les deux jours qui suivirent, David ne retourna pas travailler à l’atelier avec Ayel. Il réalisa quelques tâches pour Söl, qui lui trouvait toujours de nouvelles choses à faire. Comme il appréciait se rendre utile, c’était avec grand plaisir et motivation qu’il lui apportait son aide.


« Tu ne te plains jamais, c’est bien. » fit remarquer Söl, tandis qu’il portait des caisses jusque dans la réserve. « Ça me change de certains mollassons du village.

– Je sais, je suis une perle rare. » répondit David.


Il plissa les yeux. Un sourire railleur étira ses lèvres, tandis qu’il ajoutait :


« Bientôt, vous ne parviendrez plus à vous passer de moi. »


Plus tard dans la soirée, il accompagna de nouveau Söl à l’un de ses rendez-vous nocturnes. Il avait lieu dans le même quartier, mais dans une maison différente. Tout aussi abandonnée et sale. Lorsqu’ils arrivèrent, l’endroit était encore vide.


« C’est un fournisseur important. » expliqua Söl, tandis qu’ils attendaient dans l’ombre. « Mais c’est surtout un baratineur de première et un arriviste. J'ai vu que vous aviez l'une de ses créations en arrivant au village. La crème que ton joli roux portait pour cacher ses encrages. »


David fut aussitôt intrigué. Quelques minutes après, le fournisseur entra dans le bâtiment. Söl murmura :


« Quand on parle du loup… »


L’homme était plutôt grand. Tout comme Söl, c’était un Etris.


« Un chat ? » se demanda David, qui ne pouvait détacher les yeux de ses oreilles.


L’homme dut sentir son regard, car il grogna vers lui :


« Raton laveur, inculte. »


David s’empourpra. Söl commença les négociations, sous le regard attentif de David. Mais rapidement, ces dernières prirent une tournure très différente. Ils ne parlaient plus affaires. Non, ils flirtaient de manière tout sauf subtile.



« Ton décolleté est toujours aussi indécent. » fit l’homme en se rapprochant d’elle.


Lorsqu’ils s’embrassèrent, David ne sut plus où se mettre. Il était gêné et mal à l’aise d’assister à une telle scène.


« J’ai pas dit oui pour ça, on m’a pas prévenu… » songea-t-il, en rougissant. « Si c’est pour bécoter son fournisseur, elle n’a pas besoin de moi. »


Il se demandait s’il devait faire quelque chose ou attendre, lorsque l’homme commença à retirer les vêtements de Söl. En voyant sa poitrine, David décida qu’il devait définitivement sortir de là.


Alors qu’il quittait la pièce, l’homme était en train de dévorer le cou de Söl. Elle tourna la tête vers David et ses yeux croisèrent les siens. Son regard était très clair :


« Si tu pars trop loin, t’es mort. »


Message reçu. David se posa à l’extérieur, contre un mur dos à eux. Elle pouvait voir son ombre grâce à la fenêtre. Il soupira. Était-ce un truc spécifique aux etris de ne penser qu’à copuler ? Öta, Söl et cet homme… Tous pareils.


« Aucune décence, pfft. »



David se posa dehors, adossé contre le mur de la maison. Personne ne passait par là, l’endroit était désert et la nuit profonde. Pour s’occuper, il commença à réfléchir et imaginer des choses. Il ressassait la scène, se demandant comment ses proches auraient réagi à sa place.


Il aimait bien faire ça lorsqu’il était seul. Ça l’amusait.


Ayel ? Il aurait certainement agi de la même manière, sortant rapidement de la maison. Gêné, sans aucun doute. Mais, non sans en profiter pour mater un peu. Ayel avait les yeux baladeurs, ce n’était pas un secret.


Léo ? Avec lui, ça aurait sans doute fini autrement. David ne voulait pas y penser. Imaginer son père dans une certaine position le dérangeait plus qu’autre chose.


Öta ? Ah, il l’imaginait bien sortir rapidement puis se poser à la fenêtre pour regarder toute la scène… en commentant joyeusement. Et en invitant David à en faire de même.


Et David ne pensait absolument pas à ça, car Öta l’avait déjà fait. Non, bien sûr. En repensant à Öta, son esprit dériva et il s’amusa à se remémorer quelques scènes de leur enfance, un petit sourire au bout des lèvres.



Au bout d’un certain temps, jugeant que l’homme et Söl avaient eu le temps de finir leur affaire, David retourna à l’intérieur. Il n’y avait plus de bruits douteux, mais des discussions animées ; ils étaient en pleine négociation.


« Et j’ai également apporté de nouveaux talismans, pour vos clients du marché noir. Mon apprenti fait du bon travail, nous avons pu doubler la production.

– Parfait. »


David se posa contre un mur, les bras croisés. Il les écouta d’une oreille distraite, leur discussion ne l’intéressant pas particulièrement. Il ne connaissait rien dans le domaine, leurs mots étaient pour lui comme une langue étrangère. L’homme sortit une grande bouteille de ses bagages et s’exclama :


« J’ai également une nouveauté à te proposer, c’est un produit miraculeux !

– Oh ? 

– C’est un élixir dont quelques gouttes suffisent pour accentuer grandement les effets des potions médicinales. » expliqua l’homme, avec fierté.


Söl sembla très intéressée et posa de nombreuses questions. Lorsqu’elle entra dans les détails, il la coupa. Un sourire rusé sur le visage :


« La composition est secrète. Mais je peux t’assurer que c’est fabriqué à partir d’une plante magique rarissime, que je suis le seul à pouvoir cultiver. Tu ne trouveras jamais ce produit ailleurs. »



Ils en discutèrent longtemps. Söl était visiblement intéressée, quoique suspicieuse. Son intérêt ne fit que croître lorsque l’homme ajouta qu’il possédait un second élixir de cette plante secrète, qui pouvait dissiper la plupart des poisons.


« J’ai besoin de temps pour réfléchir à ta proposition. C’est une sacrée somme que tu nous demandes.

– Je comprends. Je vous laisse une lune pour vous décider. Après, j’irai voir la concurrence. »


Elan sortit un minuscule flacon de son sac, contentant une infime quantité de l’élixir.


« Voici un échantillon, cadeau de la maison. Au moment venu, j’enverrai mon apprenti quérir ta réponse. »



Une fois que Söl eut fini les négociations avec son fournisseur, ils rentrèrent. Il y avait plus de poids que la fois précédente, mais David n’eut pas trop de difficultés à transporter les marchandises.


« Que tu es fort ! » gloussa Söl en le reluquant d’un œil appréciateur. « Dommage que tu sois si jeune et attiré par les hommes, je t’aurais bien croqué.

– Que c’est regrettable ! » répondit David, levant les yeux au ciel.


Il savait très bien qu’elle n’était pas sérieuse. Et à vrai dire, il aimait bien ses petites taquineries. Elle était amusante et lui rappelait énormément Léo. Alors qu’ils arrivaient au village, David demanda :


« Dis-moi Söl…

– Oui ?

– Je me demandais, ça t’arrive que certains fournisseurs tentent de t’escroquer ? Comment tu fais dans ce cas ? »



Lorsqu’il rentra, après avoir aidé Söl durant quelques heures supplémentaires, le jour s’était levé. Évidemment, ce n’était pas visible depuis les cavernes. Le manque de lumière du jour était très déstabilisant et épuisant.


Ayel était déjà debout, et attendait le retour de David avec impatience. Il s’était levé aux aurores, car il voulait le voir avant de partir travailler.


« Déjà debout ? » s’étonna David en arrivant. « Ça tombe bien ! J’ai un cadeau pour toi.

– Oh vraiment ? Pour moi ? Ça se mange ? »


David éclata de rire.



« Je n’ai jamais vu quelqu’un manger autant que toi, t’es un gouffre sans fond.

– Je suis gourmand, c’est tout.

– Pas gourmand, goinfre. »


Le cadeau que David avait apporté à Ayel était bel et bien de la nourriture. Tout un sachet de douceurs et petits gâteaux, sur lequel l’ébéniste se jeta avec passion. Il engouffra tout ce qu’il pouvait, gémissant de plaisir.


« Tu mets des miettes partout ! » râla David, tandis que Ayel s’enfilait un nouveau gâteau.

« Mmmh » répondit Ayel « Mmmhmmmhmhmh. »


David regarda avec dépit le sol, sachant qu’il devrait balayer après. Ayel se posa contre lui, bienheureux. Il savourait ce cadeau.


« Comment tu as pu te les procurer ? » demanda-t-il au bout d’un moment, curieux.


David répondit :


« Disons que je me suis servi pendant que Söl regardait ailleurs.

– Tu les as volés dans la réserve ?! »


Ayel se redressa, les yeux écarquillés. Il regarda le gâteau qu’il mangeait, puis David, puis de nouveau du gâteau.


« T’as pas osé ?

– Si. » David sourit, fier de lui, avant d'ajouter, railleur : « Tu es le complice de mon méfait, vilain délinquant.

– Je te déteste ! Si Söl l’apprend, on est des hommes morts !

– Mais non, elle nous coupera juste les couilles.

– Je te hais. »



Les jours suivants, ils continuèrent leur routine quotidienne. Ayel avait adopté un train de vie qui lui plaisait, loin des problèmes qui l’angoissaient autrefois. Sa personnalité assez calme et chaleureuse l’avait vite rendu populaire auprès des autres artisans, avec qui il s’était lié d’amitié.


Dans le groupe se trouvait Max, le jeune homme qu’il avait rencontré lorsqu’il était arrivé dans le village avec David. C’était un apprenti très enjoué, parfois beaucoup trop bavard, qui ne savait pas tenir en place plus de deux minutes.


Un jour, alors qu’Ayel travaillait, Max déboula dans son atelier en s’exclamant :


« Ayel ! J’ai une bonne nouvelle ! »


Laissant de côté ce qu’il était en train de faire, Ayel se retourna, interloqué. Quelle nouvelle ?


« Söl va enfin prendre une décision vous concernant, David et toi ! Elle est partie interroger les dieux, quand elle reviendra vous saurez enfin si vous êtes officiellement membres de la Caste ! »



Lorsqu’Ayel retrouva David dans leur hutte, il lui annonça la bonne nouvelle. Bien entendu, ce fut près l’avoir réprimandé une nouvelle fois au sujet des biscuits volés. Le message que Söl voulait leur transmettre était clair :


« Je vous surveille, petits cons. Amicalement. »


Ce jour-là David avait remarqué l’absence de Söl, mais ne s’était pas inquiété. Elle lui avait donné tant de travaux à faire qu’il n’avait pas eu le temps de se poser la moindre question. Maintenant qu’il était posé, il s’interrogeait.


« Comment fait-elle pour interroger vos dieux ? » demanda-t-il, curieux.


Ravi de pouvoir partager sa culture, Ayel se lança dans de longues explications. David ne comprit pas tout, mais les grandes lignes se dessinèrent.


En tant que Grande-Maîtresse de la Caste, Söl devait se montrer juste et impartiale. Pour que son jugement ne soit pas altéré par ses propres sentiments, elle devait revêtir un masque durant trois jours et trois nuits.


Durant ce laps de temps, elle devait rester dans la Salle des Dieux, un lieu que possédait chaque Caste et qui était dédié à la spiritualité.


« Habituellement, la salle se trouve au sommet de la tour de la Caste. Mais ici, il n’y a pas de tour. Je suppose que ce doit être dans une caverne isolée. »


Une fois ce laps de temps passé, elle était selon la loi capable de rendre le jugement des dieux. Cela concernait les décisions importantes, telle qu’accueillir des étrangers au sein du village ou de valider le passage au rang de maître d’un abarian.


Mais tous les chefs de Castes n’appliquaient pas cette tradition.


Lyna par exemple, qui dirigeait le village d’où venait Ayel, n’en était pas adepte. Elle préférait se reposer sur un conseil qu’elle avait formé et prendre les décisions avec eux. La voix des dieux étant alors incarnée par son shaman, Hem.


« J’ai lu de nombreuses choses sur cette pratique dans des livres ! Dans trois jours, nous devrons la retrouver dans la Salle des Dieux. »



Durant les trois jours qui suivirent, David et Ayel furent fébriles. Ils jouaient leur destin, la décision de Söl allait influencer leur vie et leur avenir d’une manière irrémédiable.


L’angoisse les rendait gauches. Plus d’une fois, Ayel fit des bêtises en travaillant, n’étant pas assez concentré sur ce qu’il faisait. Les autres artisans comprenaient sans mal qu’il était inquiet. Ils tentaient de le rassurer.


« Il n’y a pas raison que vous soyez rejetés. Vous avez votre place parmi nous, personne ne peut dire le contraire. »


Pendant ce temps, David avait terminé les tâches que Söl lui avait confiées. Il aidait de nouveau à l’atelier, comme aux premiers jours. Mais souvent, il se perdait dans ses pensées. Il songeait aux longues discussions qu’il avait eues avec Söl.


Ces derniers jours, la femme l’avait interrogé plus d’une fois sur ses croyances, sur ses objectifs, ses passions, son passé, etc. David n’avait pas eu la force de mentir, répondant sincèrement. Partageant des pensées que même Ayel ignorait.


De toute façon, s’il mentait, elle l’aurait remarqué. David était persuadé que Söl avait un sixième sens pour ces choses-là. Mais, il s’inquiétait. Il espérait que tout ce qu’il lui avait dit ne lui porterait pas préjudice maintenant.



Quand le moment de retrouver Söl vint enfin, Ayel et David étaient plus inquiets que jamais. Ils s’avancèrent, main dans la main. La salle des dieux était une grotte se trouvant au fond des galeries, un endroit étrange et immense où de nombreuses peintures se mêlaient aux roches.


Était-ce des peintures abariannes ou des peintures d’ogres ? C’était difficile à dire.


En y regardant de plus près, on pouvait remarquer que ces fresques étaient un mélange de couleurs récentes et anciennes. Comme si les abarians avaient peint au-dessus, en reprenant les figures déjà existantes.


Alors qu’ils admiraient la salle, fascinés, la voix de Söl les fit revenir à eux. Elle aurait dû être étouffée par le masque qu'elle portait, mais elle était au contraire claire et forte. Impressionnante. Il était temps pour elle de rendre son jugement.


« Ayel, tu es le bienvenu dans notre Caste. Tu es maintenant un maître ébéniste du Creux de GemmeNoire, puissent les dieux veiller sur toi. »


Un immense sourire étira les lèvres d’Ayel, qui sentit son cœur bondir de joie. Il était accepté ! Il n’était plus une sans-caste ! Les larmes perlèrent aux coins de ses yeux. Il se retournait vers David, heureux, lorsque la voix de Söl continua :


« Quant à toi, David… »



Söl inspira, laissant le temps aux deux jeunes hommes de se tourner de nouveau vers elle. Sous son masque, elle ne souriait pas.


« À partir de ce jour, tu n’es plus l’apprenti d’Ayel. Je te délie de tout devoir envers lui, du serment que tu as fait de respecter ses enseignements. Tu ne seras jamais ébéniste, ce métier ne t’était pas destiné. L’ébénisterie est un art sacré, que l’on ne peut confier qu’aux plus pieux. Ton manque de patience et de foi te retire le droit de l’exercer. »


David écarquilla les yeux. Il allait ouvrit la bouche pour répliquer lorsqu'elle continua :


« Mais rassure-toi. Les dieux ont entendu tes doutes, tes questions et tes besoins. Tu seras dorénavant un apprenti veilleur. Ton maître est dès cet instant Warin, il saura te guider dans la voie. Tu le rencontreras d’ici peu. »



Söl descendit du rocher sur lequel elle était placée. Elle se posa devant eux, un coffret en bois ouvragé dans les mains. Elle en sortit deux pendentifs et leur cordon en cuir, qu’elle leur offrit à chacun.


« Je vous confie le symbole de notre village, preuve que vous êtes des nôtres aujourd’hui. Son nom est la roue solaire, elle éclairera votre chemin peu importe l’adversité. Portez-la fièrement et gardez-la précieusement. Si un jour vous avez des descendants, vous aurez le devoir de leur transmettre. »


C’était une vieille tradition que partageaient toutes les castes abariannes, chacune ayant son propre symbole. Ayel serra fort le pendentif dans sa main, les yeux embrumés de larmes, tandis que David le fixa avec tristesse.


Lorsqu’ils avaient dû quitter le village de Cerfblanc, suite au bannissement d'Ayel, ce dernier avait dû rendre le pendentif qu’ils possédait à l’époque. Ayel l’avait très mal vécu. Il y tenait plus que tout. Cet objet était son dernier lien avec ses parents, décédés dans son enfance.


Mais Lyna avait été intransigeante, lui ordonnant de lui rendre le collier afin qu’il soit détruit car il n'avait plus de famille à qui le léguer. David quant à lui, avait rendu le sien à Léo.


Il y eut quelques secondes de silence, avant qu’Ayel inspire et mette le collier.


« J’en prendrai soin, merci, Söl. » finit-il par répondre.


David en fit de même, inquiet. Depuis que Söl avait annoncé son verdict, Ayel évitait délibérément son regard. Lorsqu’ils quittèrent la Salle des dieux, Ayel se montra très distant avec David. Troublé.


Sa joie d’être enfin accepté dans le village avait été balayée par la nouvelle d’avoir perdu son apprenti. Il n’y avait pas pire honte pour un maître abarian. Un échec devant les dieux. Une fois seul, il s’emporta :


« Que lui as-tu dit ?! Que tu ne te plaisais pas avec moi ? Que quelque chose ne convenait pas ? Tu aurais dû me le confier, j’aurais adapté mes enseignements !

– Ce n’est pas ça… »


Profondément blessé et vexé, Ayel se détourna. Il ne voulait pas entendre les excuses de David. C’était trop pour lui. Il se sentait trahi.


« J’ai besoin de temps. Laisse-moi respirer et va rencontrer ton nouveau maître.

– Comme tu veux. »


Le cœur serré, David n’insista pas, sentant qu’Ayel était beaucoup trop à cran pour converser normalement. Il n’avait pas envie de se disputer avec lui. Il se doutait que d’ici quelques heures, il aurait digéré la nouvelle et serait plus ouvert au dialogue. Mais pour l’instant, Ayel avait besoin de réfléchir. Seul.


De plus, David ne pouvait pas traîner. Warin l’attendait, son nouveau maître. Un veilleur. Il marmonna :


« C’est quoi ça, un veilleur ? »



« Il va devoir s’y faire. » marmonna David, la colère se mélangeant à l’inquiétude.


Il se sentait coupable de ne pas avoir confié plus tôt à Ayel ses doutes. Voilà un moment qu’il ne trouvait plus vraiment d’attrait à l’ébénisterie. C’était un art fascinant, mais qui ne le passionnait pas autant qu'il aurait du. La seule chose qui lui donnait envie de travailler et d’étudier… c’était la proximité d’Ayel.


Mais de peur de le blesser, il lui avait caché son désintérêt. Il n’avait pas su duper Söl, qui avait vite remarqué qu’il avait besoin d’autre chose. Durant ces longues journées où il l’aidait, il avait pu se confier à elle. Lui partager ses craintes, sa peur de ne pas être à sa place, sa peur de devoir faire ce métier toute sa vie, son envie d’arrêter.


« Je ne pense pas avoir vraiment envie d’être ébéniste… » avait-il soufflé.


Söl avait compris son message. David était à la fois soulagé et angoissé à l’idée de changer d’apprentissage. Mais, et si être veilleur ne lui plaisait pas ? Était-ce vraiment sa destinée ? Il ne savait presque rien d’eux. Tout était trop rapide.


Un homme s’approcha alors de lui et se présenta comme étant Warin. Orian, tout comme lui, il était assez grand et fort.


« David n’est-ce pas ? Bienvenue dans la famille. On n’a pas le rôle le plus glorieux de la Caste, mais je suis certain que tu vas te plaire parmi nous. »


Il ajouta, avec un sourire :


« Moi c’est Warin, je suis l’époux de Söl. »



Lorsque Warin se présenta comme étant l’époux de Söl, David frissonna. Il avait tout intérêt à taire ce qu’il avait vu quelques jours plus tôt. Söl lui avait dit de ne rien répéter, lui faisant promettre de garder le silence.


« Je n’avais pas vraiment prévu de retomber dans ses bras, je suis faible face à lui. Il m’insupporte autant qu’il m’attire, rah. » avait-elle grogné, tandis qu’ils rentraient.


David déglutit.


« Je dois faire attention à ce que je dis. » songea-t-il.


Warin guida David jusqu’un bâtiment isolé des autres. C’était l’une des constructions les plus grandes et anciennes du village, que David avait déjà remarquée depuis longtemps.

Au vu de sa taille, il était difficile de la manquer.


Ils entrèrent à l’intérieur et s’installèrent pour parler. Il y avait de nombreuses tables, des paillasses, des chopes, des bouteilles vides et divers objets étalés un peu partout. David remarqua même les nombreuses armes qui étaient rangées ensemble dans un coin de la pièce.


Warin se servit une bière puis lui en proposa une, ce que David accepta poliment. L’homme but une gorgée puis posa sa chope sur la table, l’air sérieux. Sa voix était très grave et profonde, assez intimidante :


« Tu te poses de nombreuses questions sur le rôle des veilleurs, pas vrai ? » affirma-t-il. « Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Est-ce que ce rôle te convient ?

– Oui, je suis perdu. »


Warin hocha la tête. C’était tout à fait normal. David n’avait pas grandi dans cette caste, il n’en connaissait ni l’histoire ni les traditions.


« Nous sommes les gardiens de la caste. Nous la protégeons, nous l’aidons et nous travaillons pour qu’elle puisse survivre. Contrairement aux autres métiers, notre rôle ne se résume pas à une seule tâche.

– C’est-à-dire ?

– Nous réalisons les travaux qui ne sont assignés à aucun métier traditionnel. Par exemple, nous explorons les cavernes, nous en gardons l’entrée, nous négocions et transportons les marchandises, et de nombreuses autres choses. »


David fronça les sourcils, réalisant quelque chose. Tout ce que Söl lui avait fait faire ces derniers temps, pour remplacer un certain Gérard ; était-ce pour voir si le travail d’un veilleur lui convenait ? Il posa la question à Warin qui opina du chef :


« Effectivement. Et tu as déjà rencontré d’autres veilleurs depuis ton arrivée. Tyra, la jeune femme qui vous à guidé jusque nous, est aussi l’une des nôtres. Nous surveillons la cité, nous sommes les gardiens de la caste. »



« Avant toute chose, tu dois aussi connaître nos origines. Autrefois dans notre caste, les veilleurs étaient des réprouvés. »


Dans les villages abarians, être un apprenti ne signifiait pas devenir obligatoirement un maître à part entière un jour. À la fin de son apprentissage, il devait faire ses preuves et être accepté par les dieux. Tous n’y parvenaient pas.


Un apprenti qui échouait n’avait pas de seconde chance. Il devenait alors un réprouvé. On lui confiait les tâches peu enviables, son rang n’étant alors rien d’autre que le serviteur de la caste. Sauf s’il décidait de partir. Dans ce cas, il devenait un banni. David en avait déjà vu dans le village d’Ayel. Il n’aimait pas du tout ça. À ses yeux, c’était de l’esclavage déguisé, rien de plus.


« Nous étions considérés comme des moins que rien. » continua Warin. « Mais la vie dans les souterrains nous a permis de nous rendre indispensables.


Aujourd’hui, veilleur est un métier à part entière et respecté. Sans nous, la caste meurt. La survie du groupe dépend de nous.


« Mais, où vont les réprouvés alors ?

– Depuis que Söl est au pouvoir, nous n’utilisons plus ce mot. Et nous donnons une seconde chance aux personnes qui échouent. Ils peuvent nous rejoindre s’ils le souhaitent. Malgré leur échec, leurs connaissances sont un atout. Et depuis que Söl est là, le nombre d’apprentis échouant a diminué drastiquement. Elle ne prend pas à la légère les affectations et surveille de très près les apprentis. »


David tria toutes ces informations. Au final, il ne connaissait vraiment pas les détails sur ce rôle. Seulement qu’il était autrefois méprisé, et qu’ils se chargeaient des sales besognes. Sur le papier, ce n’était pas très attirant.


Warin le coupa dans ses réflexions :


« Tu dois te dire que tu es mal tombé, mais détrompe-toi. Veilleur est une occupation incroyable. Nous avons toujours quelque chose à faire, c’est galvanisant et palpitant. Nous ne nous arrêtons jamais, nous pouvons arpenter la ville et les souterrains à notre guise. Si Söl t’a confié à nous, c’est que tu es une personne qui ne tient pas en place. Tu es comme moi, tu as besoin de bouger et de te rendre utile, n’est-ce pas ? Tu détestes faire la même chose en boucle et tu as besoin de te dépenser. »


Il avait vu juste. David soupira. Söl l’avait bien cerné, et son mari semblait tout aussi clairvoyant.


« Quoi qu’il en soit, les premières semaines tu vas continuer à remplacer Gérard lorsque Söl le demandera, et je te formerai le reste du temps. » continua Warin.



Pendant ce temps, Ayel était bien décidé à passer le reste de sa journée dans la petite taverne au centre du village. Il ressassait les derniers événements, honteux et déçu.


Certes, il était heureux d’être accepté ici et de pouvoir refaire sa vie. Mais il avait tant espéré pouvoir guider David jusqu’au bout ! L’idée de travailler main dans la main, c’était un de leurs rêves. Ils en avaient tant parlé ensemble.... Alors pourquoi David ne lui avait-il rien confié de ses doutes ?


C’était évident que Söl n’avait pas pu prendre cette décision seule. Pour le changer ainsi de maître, David avait dû en faire le souhait. Était-il un si mauvais guide que ça ? Sans doute. Encore une fois, il avait déçu les dieux. Il se sentait si mal…


Söl entra dans la taverne. Elle se posa à côté de lui, souriante et joyeuse. Toujours aussi rayonnante, tel un soleil.


« Je peux te rejoindre ?

– Mh. »


Elle grimpa sur le tabouret adjacent, commanda une bière et la sirota. Le silence était gênant. Elle décida d’y mettre fin.


« Tu n’as pas de honte à avoir, tu sais ? »


Ayel ne répondit pas. Il détourna les yeux.


« Si tu ne veux pas parler, pas de problème. Mais laisse-moi te dire que tu as été un très bon maître pour David. Il n’a pas cessé de me vanter tes qualités. Dès le début, tu as su l’intéresser et lui offrir les bases de notre culture.

– Mais vous me l’avez retiré… » répondit doucement Ayel. « J’aurais pu le guider jusqu’au bout !

– Non. David m’a raconté son arrivée dans ton village et comment tout s’est déroulé rapidement, sans préparation. Votre dirigeante aurait dû s’interroger sur sa personnalité et ses besoins avant d’accepter de te le confier. Elle n’a pas fait son travail correctement. Ce n’est pas toi qui es en tort, mais elle. Au vu de la situation, tu as été un excellent guide.

– Merci… »


Ayel fixa sa boisson, un peu rassuré par les mots de Söl. Et il était heureux d’entendre que David ait pu dire tant de bien de lui ! Lui qui était si avare de compliments, si silencieux et secret…


« Et nous avons beaucoup d’enfants dans le village qui cherchent leur voie. Tu devrais leur parler et leur montrer ton métier, peut-être qu’un jour l’un d’entre eux voudra devenir ton apprenti, qui sait ?

– Merci, Söl. Tu es si différente de mes précédentes cheffes... Plus accessible. – J'essaye. Mon seul but, c'est que vous trouviez votre place, d'accord ? Donc n'hésite jamais à venir me parler, Ayel. David et toi êtes mes protégés désormais. »


Elle se leva après lui avoir ébouriffé les cheveux affectueusement.




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