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- 06 - La célébration de Mortherbe

  • bleuts
  • 29 nov. 2024
  • 16 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 déc. 2024

Partie 1 - Préparation à Morthebois


Les semaines qui suivirent furent assez calmes pour Öta. Avant le départ de son oncle, il avait réussi à convaincre son père de l'aider à retirer les feuilles. L'aide d’Üter avait été précieuse et la cicatrisation se passa bien.


Ëten avait d'abord été soulagé, imaginant qu’Öta se détournait de la magie, avant de replonger dans le mutisme en apprenant qu'il n'en était rien. Après tout, ce n'était qu'une question de temps avant qu’Üter ne revienne avec le livre. 



Öta passait beaucoup de temps dans le bureau de son père, où il s'était installé pour travailler. Il bougeait sans cesse, se levait très tôt et travaillait toute la nuit. C'était un rythme soutenu, qui lui faisait réaliser à quel point son père s'était tué à la tâche toutes ces années.


On lui en demandait beaucoup, il était souvent perdu, mais il s'accrochait pour qu’Ëten puisse profiter de son repos. Quand il ne s'occupait pas du domaine, il continuait d'étudier les plantes avec Élan dans une étude qu'ils avaient installée.


Il ne renonçait pas, plus le temps passait et plus il tenait à devenir herboriste comme lui. Jamais rien ne l'avait autant passionné. Il voulait faire ça de sa vie. Plus que tout.


Mais Élan commençait à s'inquiéter. Il ne voyait jamais Öta dormir et craignait qu'il ne finisse par s'écrouler un jour. 



Élan avait remarqué qu’Öta appelait souvent l'une des servantes du domaine par son prénom, la remerciant quand elle venait lui apporter une boisson chaude le soir. Alors il en profita pour le taquiner, espérant le sortir de sa morosité.


Cela fonctionna, mais il regretta très vite d'avoir abordé le sujet. Parler des femmes était un sujet qu'Öta appréciait bien trop. Il ne pouvait même pas le taquiner dessus !



Alors qu’Öta travaillait dans le bureau de son père, son visage s'éclaira à la lecture d'une lettre. Une très bonne nouvelle qui lui donna le sourire pour les jours à venir.


La famille d’Öta était conviée à participer à une célébration qui n'avait lieu que tous les quinze ans, dans un des plus vieux villages du domaine. Öta y avait déjà assisté dans sa petite enfance. Mais il ne s'en souvenait pas réellement, car il était très jeune à l'époque.


Sa mère lui en avait souvent parlé. C'est à ce moment-là qu'il avait découvert son amour pour les robes et tenues traditionnelles du Nord. Amour qu'il avait dû mettre de côté durant son voyage avec David. Il avait pris l'habitude de privilégier les vêtements simples et confortables. Mais tout ça lui manquait tant...


« Il va me falloir une tenue ! » 



Ëten n'avait jamais vraiment aimé les célébrations des vieux villages nordans. Il répétait à qui voulait l'entendre qu'elles étaient longues, ennuyeuses et fatigantes. Faire tout le trajet pour ça, ce n'était pas un plaisir pour lui.


Après tout, Ëten n'était pas originaire de ce pays et n'était pas croyant. Les créatures ancestrales à honorer, les prières et toutes ces coutumes étaient vaines pour lui. Il préférait encore rester seul pour garder le domaine les quelques jours d'absence d’Öta, plutôt que de se déplacer pour ça.


Surtout qu’Öta à l'inverse, était très pieux. Il était très attaché aux croyances que sa famille maternelle lui avait transmises. Y participer l'enchantait. Prendre la place d’Ëten en tant que seigneur local durant la célébration était un honneur dont il voulait se montrer digne. 



Élan avait bien l'intention d'accompagner Öta. Il avait toujours été passionné par les croyances et rites du Nord. À l'époque où il avait rencontré sa femme, il tenait même un carnet sur le sujet. C'était quelque chose qui le fascinait, lui qui venait d'un pays où la croyance principale, la norme était de ne pas croire.


Toutes ces personnes qui honoraient des choses qu'elles n'avaient jamais vues, pour la simple raison que leurs ancêtres en faisaient de même, ça l'avait toujours intrigué.


Le père d’Öta, qui partageait les origines d’Élan, n'avait jamais enseigné à son fils qu'il ne fallait pas croire. Il avait accepté que sa femme lui transmette son héritage, conscient que c'était quelque chose de très important dans la construction de son identité.


Après tout, même si Öta était originaire de l'Est par son père, il était l'héritier d'une vieille famille du Nord et allait vivre toute sa vie dans ce royaume. Il avait le droit de connaitre et d'aimer ses racines. 



Après un échange de lettres avec son grand-père maternel, Öta avait décidé de reprendre le tablier de sa mère sous ses conseils. Il faisait le bon gabarit et le tablier se transmettait dans sa famille depuis de nombreuses générations.


La tenue complète, bien que féminine pour les standards actuels, était considérée comme unisexe autrefois. Les robes nordantes étaient portées par des hommes tout comme par des femmes, sans distinction. Mais Öta était particulièrement androgyne et aimait beaucoup en jouer. 



Évidemment, Élan devait lui aussi porter la tenue traditionnelle. Il parvint à s'arranger pour que la coupe ne soit pas trop féminine, mais impossible d'éviter le port de la jupe et du tablier.


Si Alda avait été présente, elle en aurait profité pour se moquer de lui et n'aurait jamais oublié cette vision, prête à lui rappeler à toutes les occasions. Il était donc très heureux qu'elle ne soit pas là. 



Partie 2 - La célébration


La célébration avait lieu dans le village de Mortherbe. Ce dernier se trouvait au plus profond des terres, entouré de forêts et de marécages. C’était un endroit sombre, presque lugubre.


Il y avait de nombreuses légendes effrayantes qui circulaient sur la région de Morthebois. Malgré sa curiosité, Élan n’était pas rassuré de s’aventurer dans les terres.



Mortherbe était un vieux village à moitié détruit par le temps. Ni riche ni grand. Mais il était tout de même particulier en son genre. On trouvait dans le village, et tout autour de lui, de grands rochers peints d’une figure féminine.


Élan en avait déjà vu des semblables dans les livres. Il s’agissait de la représentation d’une Abonde, une créature mythique vénérée depuis des temps immémoriaux dans le Nord. Il existait plusieurs Abondes, chacune liée à un lieu différent.


La célébration était en l’honneur de celle de la région. Mais peu de gens croyaient et honoraient encore les Abondes dans le Nord. Cette tradition était typique des plus anciens villages, dans les régions les plus reculées, qui refusaient d’oublier les vieilles croyances.


Élan qui s’était renseigné sur le sujet autrefois et qui avait lu de nombreux livres les évoquant trouvait ça fascinant.



Évidemment, en arrivant, ils eurent le droit aux regards curieux et parfois haineux des villageois. Ni Öta ni Élan n’étaient surpris. Ils avaient l’habitude d’être jugés pour leur apparence depuis toujours. Le racisme et le mépris étaient habituels dans ce royaume, et tous ceux qui n’étaient pas humains en étaient victimes.


Les cornes d’Öta et les oreilles d’Élan étaient quelque chose d’étrange, de différend, qui attirait toujours le regard des autres. Dans les villages les plus éloignés, où les étrangers ne venaient jamais, c’était d’autant plus vrai. Les deux hommes étaient préparés à ça, et aux remarques désagréables qui allaient suivre. C’était prévisible.


Öta savait également que le sujet de sa mère serait abordé, encore et encore. Elle était autrefois très appréciée dans le village. Mais ses actions, son jugement et sa mort avaient sans aucun doute dû changer la donne. On retournait vite sa veste et les rumeurs allaient de bon train.


Öta y était préparé et savait y faire face, ce n’était pas ça qui allait lui retirer le plaisir de la célébration. Même si au fond de lui, ça le blessait.



Les autres années, le grand-père d’Öta présidait la célébration. C’était la coutume, un homme devait montrer la voie. Un homme dont le sang était celui de ceux à qui appartenaient les terres depuis des siècles.


Si Öta n’avait pas pu venir, le vieil homme aurait dû faire le chemin pour l’occasion. Ëten ne pouvait le remplacer, car il n’y était lié que par le mariage. Mais le grand-père d’Öta n’était plus tout jeune. Il n’était plus en état de voyager, et encore moins depuis que sa fille avait dévoilé son vrai visage. Il avait beaucoup souffert en apprenant son crime et la renier avait été déchirant.


C’était donc à Öta de prendre sa place.



L’Abonde de Mortherbe.


On disait d’elle qu’elle protégeait la région, soignait les malades, apportait abondance et fertilité… à condition qu’elle soit honorée comme il se doit. Toute l’année, des offrandes lui étaient faites régulièrement sur des autels éparpillés dans la région.


Fruits, pains, étoffes… Lorsqu’on voulait demander une faveur à l’Abonde, il fallait apporter quelque chose en retour. Et tous les quinze ans, hommes et femmes se réunissaient pour l’honorer au cours d’une célébration.


Ce n’était pas quelque chose d’aussi joyeux, copieux et ouvert que les festivals abarians. Non. C’était plus solennel. C’était l’occasion de renouveler les peintures et gravures sur les rochers, de prier et de faire un banquet sous la lumière de la lune.


Mais surtout, cette célébration avait un but précis.


On disait qu’autrefois, le seigneur de ces terres avait conclu un pacte avec elle. En échange de son sang, il l’avait persuadée de leur apporter sa protection. Seigneur qui était un ancêtre de la famille d’Öta. D’où l’importance de sa présence.


Tous les quinze ans, un homme de son sang devait renouveler le pacte. Il devait assumer cette responsabilité et montrer à l’Abonde qu’il n’oubliait pas qu’elle leur avait apporté richesse et abondance. Car sans elle, ils ne seraient rien.


Autrefois, c’était un doigt entier qui était offert. Mais la pratique avait évolué avec les siècles. Aujourd’hui seul le sang suffisait, accompagné d’une prière et d’un rituel.



Öta offrit son sang comme le voulait la tradition et se montra digne. Il connaissait le rituel et l’accomplit parfaitement. Suivre les traces de ses prédécesseurs, honorer et se lier à celle qui leur avait apporté en abondance… c’était un honneur. Il en était fier.


Même s’il devait bien l’avouer… Il avait appréhendé ce moment. Élan ne pouvait participer à la cérémonie, mais son soutien et sa présence dans le village l’avaient beaucoup aidé à se préparer mentalement.


Öta avait angoissé les jours précédents la célébration, persuadé qu’il allait se tromper et apporter la colère de l’Abonde sur le village. C’était une grande responsabilité, qu’il ne pouvait pas prendre à la légère. Il avait également eu peur que sa magie ne lui joue des tours.


Et si l’Abonde refusait son offrande de quelque manière que ce soit, parce qu’il avait du sang magique ? Et si elle le rejetait parce qu’il n’était pas humain ?


Mais quand la cérémonie avait commencé, ses doutes s’étaient volatilisés. Il s’était senti étrangement apaisé.



Tous les membres du village n’étaient pas hostiles envers Öta. Nombreux furent ceux à venir le féliciter après le rituel et à le remercier. Ceux qui le firent étaient surtout de jeunes adultes, car les plus âgés du village n’arrivaient pas à accepter un « étranger » parmi eux.


Öta passa une grande partie de la soirée entourée, à répondre aux questions sur ce qu’il avait ressenti pendant la cérémonie et sur sa vie dans son domaine. Mais les questions qui revenaient le plus souvent étaient :


« Quand comptez-vous vous marier ? Avez-vous déjà trouvé une fiancée ? »



La célébration continua jusque très tard dans la nuit. Après s’être débarrassé de tous ceux qui lui parlaient de mariage, Öta s’installa avec les plus jeunes du village. C’était assez valorisant de les voir écarquiller les yeux, impressionnés qu’il daigne passer quelque temps avec eux. Öta en profita pour se vanter de tout et de rien. Souvent en exagérant.


Et l’alcool, qui coulait à flots, ne l’aida guère à garder les idées claires.



Le lendemain matin, lorsqu’Élan vint réveiller Öta, il eut la surprise de le découvrir aux côtés d’une jeune femme. Il n’y avait aucun doute sur la nature de leurs activités cette nuit-là, mais Öta, qui était d’une incroyable répartie, ne trouva à dire que cette phrase :


« Ce n’est pas ce que tu crois ! »



La jeune femme avec qui Öta avait passé la nuit n’était pas n’importe qui. La fille du chef. Elle se nommait Maryse. Il n’y avait pas pensé sur le coup, beaucoup trop saoul pour réfléchir aux conséquences de ses actes. Comme toujours.


Élan le sermonna. Et si son père l’apprenait ? Et s’il demandait réparation ? Et s’ils réclamaient un mariage ? Et si elle tombait enceinte ? Assumerait-il ?


Le monde était cruel envers celles qui élevaient seules un enfant. Öta devait intégrer qu’il ne pouvait pas espérer fuir éternellement ses responsabilités. La jeune femme avait le droit de faire ce qu’elle voulait de son corps. Ils n’avaient aucun droit de la juger. Mais Öta devait comprendre ce que ça impliquait pour lui.


Et à ce moment-là, Élan avait vraiment l’impression d’être son père.



Élan savait bien qu’il n’avait aucun droit sur ce que faisait Öta de ses nuits. Il pouvait le mettre en garde, mais pas lui interdire quoi que ce soit. Qu’il fasse tout ce qu’il veut, tant qu’il assumait ses actes et que c’était dans un consentement mutuel !


Mais, il y avait une chose dont il n’avait pas le droit : toucher à SA fille. Un jour où l’autre Öta allait rencontrer Jol. Ce n’était qu’une question de temps. Et Élan n’avait aucunement l’intention de laisser son apprenti seul avec sa fille. Pas quand il voyait la façon dont Öta se comportait.



Quand il fut parti, son sermon enfin terminé, Maryse se montra. Elle avait tout entendu et rassura Öta. Et il faut croire que le sermon d’Élan n’avait pas eu beaucoup d’effet, car ils décidèrent de recommencer.


Il restait un peu de temps avant le départ d’Öta, alors autant en profiter ?



Quand vint l’heure du départ, Öta regretta de ne pas avoir pu passer plus de temps dans ce village. Les habitants n’étaient pas tous aussi désagréables qu’il avait pu le croire au début et l’ambiance de la région lui plaisait beaucoup. Tout était si calme… comme protégé du monde extérieur, par une bulle hors du temps.


Peu importe quand il reviendrait, dans un an, dans dix ans, dans quinze ans… rien n’aurait changé. C’était ce qui faisait le charme de ce lieu.



Ce fut le cœur plus léger qu’Öta rentra chez lui. Comme s’il avait laissé derrière lui une part de ce qui le rongeait depuis si longtemps. Son âme était plus sereine, comme bénie par l’Abonde.



Partie 3 - La vérité sur les feuilles


La vie d’Öta continua tranquillement après ça. Malgré tous les événements qui s’enchainaient autour de lui, il lui arrivait souvent de penser à David. Il n’en parlait à personne. Pas même à son père ou à Élan. Il avait trop honte, il se sentait mal d’avoir trahi sa promesse de revenir au plus vite.


Quand il était seul le soir, il relisait les quelques lettres que David et lui s’étaient échangées.


Il repensait souvent à leur voyage et regrettait son immaturité de l’époque. Il aurait aimé être un meilleur soutien pour lui.


« Je me demande si David porte toujours le bijou que je lui ai offert ? Est-ce qu'il aurait aimé la célébration de Mortherbe ? J'aurais adoré qu'il soit là... »


Plus d’un an était passé depuis leur séparation. Depuis qu’il avait appris la vérité sur la mort de sa mère. Et même si la douleur était encore présente, elle n’obstruait plus ses pensées comme autrefois. Avec le temps, il avait fini par s’en détacher.


Il voulait tant le revoir ! Mais ce n’était pas possible. Pas maintenant. Il avait tant de choses à faire, tant de responsabilités… Entre les devoirs liés à son rang, les soins qu’il devait prodiguer à son père, son apprentissage aux côtés d’Élan, les recherches sur ses étranges feuilles, ses rêves et espoirs pour l’avenir… il était sans cesse occupé.


« Je ne t’oublie pas. »



Un message prévenant Öta que son oncle revenait très bientôt, lui parvint un matin. Il avait hâte ! Même s’il en parlait sur le ton de la plaisanterie, il apréhendait son retour, angoissant beaucoup à l’idée que quelque chose puisse empêcher Üter d’arriver sain et sauf.


Il devait récupérer un grimoire appartenant à la famille. Dans celui-ci, tous ses aïeux avaient noté au fil des siècles les vertus des feuilles qui naissaient de leur magie. Öta ne savait que peu de choses sur sa famille et ses origines, Ëten restait très vague sur le sujet.


Il avait donc hâte de le tenir entre ses mains. C’était un moyen de l’aider à comprendre quelles vertus pouvaient avoir ses propres feuilles, mais c’était également une manière d’enfin s’approprier l’histoire de ses ancêtres.


Alors quand Üter arriva, Öta laissa tout en plan pour se précipiter à sa rencontre.



Ce ne fut pas avec un, mais deux livres qu’Üter revint. Il avait fait copier le grimoire afin de laisser l’original dans son foyer d’origine, car après tout Öta n’était pas le seul descendant de la famille.


Dans l’Est, il avait des cousins, des parents éloignés. Tous étaient aussi concernés que lui par cette « malédiction ». Ils ne pouvaient pas se permettre d’abandonner une telle trace de leur héritage.


Üter avait également pris le soin d’emporter avec lui une copie du vieux journal de sa mère, un concentré de recettes et expériences sur ses propres feuilles. Il se disait que ce petit journal pourrait toujours servir pendant leurs recherches. Chaque information avait son utilité.


Öta et Élan s’attelèrent donc à la tâche. Malheureusement, si Élan lisait parfaitement la langue du pays de l’Est, Öta quant à lui n’en avait que quelques bases… mauvaises. Couplé à l’écriture désastreuse de ses aïeux, il avait beaucoup de mal à déchiffrer les lignes du grimoire.


C’était déjà un exploit que ces personnes aient eu la chance d’être un minimum lettrées et d’avoir pu consigner leur histoire. Mais leur vocabulaire était pauvre, leur patois indigeste. Le copiste engagé par Üter avait sans aucun doute dû s’épuiser à recopier tout ça. Certaines pages reproduites à l’identique étaient simplement illisibles.


Ce fut donc Élan qui écopa de la traduction du grimoire, tandis qu’Öta lisait le carnet de sa grand-mère. Cette dernière était beaucoup plus soignée et appliquée dans ses mots. Öta le dévora, heureux d’apprendre à connaitre son aïeule.


Üter quant à lui ne se mêla pas de ça. S’il voulait s’occuper du domaine à la place d’Öta et aider son frère, il avait du pain sur la planche.



Durant les jours qui suivirent, Élan prit le temps de lire et relire le grimoire. Il y avait beaucoup d’informations intéressantes dedans, mais aussi beaucoup de contradictions et de parties illisibles.


Chaque membre de la famille avait apporté son lot de théories. Il y avait de tout et de rien. Par exemple, certains clamaient haut et fort qu’il fallait se mettre nu et danser dans la forêt un jour de pleine lune pour entendre la voix de la nature.


Élan n’était pas convaincu. Voir Öta se trémousser dans la neige l’appareil à l’air ne lui donnait pas très envie. Il laissa donc ces idées de côté, se concentrant à la recherche d’un point commun entre les différents témoignages, un schéma qui pourrait se répéter.


Et il trouva. En analysant les différentes feuilles décrites dans le grimoire, Élan avait réussi à trouver des pistes de réflexion.



De base, il existait plusieurs types de feuilles : celles qui agissaient sur les êtres vivants et celles qui agissaient sur la nature.


Certaines avaient un effet direct. Il suffisait d’entrer en contact avec elle pour le ressentir. C’était souvent le cas des plus dangereuses ou puissantes. D’autres nécessitaient d’être sous une forme différente pour manifester leur effet. Par exemple en étant séchée ou mélangée.


La forme, la couleur, l’odeur… tous ces éléments l’aidaient à comprendre la logique derrière tout ça.


Selon Élan, les feuilles d’Öta entraient dans la catégorie de celles qui n’avaient pas d’effet direct. Si quelqu’un venait à les ingérer tel quel, rien ne se passerait. C’était une bonne nouvelle car dans l’immédiat, elles n’étaient pas dangereuses pour autrui.


Ce qui voulait dire que pour trouver leur vertu, ce serait plus compliqué. Il fallait faire des tests. Les sécher, extraire leur essence, les mélanger avec diverses choses… C’était dangereux, mais Élan adorait ce genre d’expériences.



Öta fut heureux de pouvoir utiliser de nouveau la magie. Cette sensation lui manquait énormément, lui qui aimait tellement ça !


L’objectif était de récolter des feuilles fraiches pour faire des tests dessus, les comparer à celles décrites dans le grimoire, etc. Évidemment même s’ils n’avaient pas osé y toucher, ils avaient gardé les feuilles séchées de la première fois. Elles serviraient de ressources intéressantes pour leurs tests.


Au final, si Öta prenait des risques en utilisant la magie, Élan en prenait également en manipulant les feuilles et en les étudiant. Mais il était prêt à tout pour aider son élève et pour satisfaire sa propre curiosité.



Le père d’Öta restait en retrait. Il n’approuvait pas les recherches, persuadé que ça n’apporterait que du malheur à leur famille. Il avait tenté plusieurs fois de les dissuader, en vain. Il avait fini par se faire à l’idée qu’il ne parviendrait pas à les convaincre d’abandonner.


Ëten en voulait à son frère d’être entré dans le jeu d’Öta. De l’avoir aidé en apportant le livre. Depuis le début, il répétait que c’était une mauvaise idée. Il gardait également un œil sur Élan, qu’il ne connaissait pas très bien. Il n’arrivait pas à décider si l’homme avait une bonne ou mauvaise influence sur son fils. Mais une chose était sûre : chaque fois qu’Öta utilisait la magie, il avait peur.



Les feuilles d’Öta recommencèrent à pousser sur son bras.


Il se rendait compte qu’elles lui avaient vraiment manqué, étrangement il se sentait mieux avec. Et tant qu’elles restaient sur ses bras, il pouvait les cacher efficacement. Son père lui avait donné une des recettes de baume qu’il utilisait pour ralentir ou stopper la croissance de ses propres feuilles autrefois. Élan l’avait modifié pour que son effet soit plus efficace.


Ëten lui avait également donné des conseils et des techniques pour empêcher sa magie de se concentrer aux endroits où il ne voulait pas que les feuilles poussent. Son expérience était très enrichissante, et le fait qu’il fasse enfin un pas vers Öta rendait ce dernier très heureux. Le silence de son père ces derniers mois l’avaient vraiment attristé.


Öta faisait très attention à bien respecter toutes ces précautions.



Durant les semaines qui suivirent, Élan fit de nombreux tests. Il compara les feuilles d’Öta à celles qui semblaient identiques et fit de nombreuses expériences évoquées dans le grimoire. Mais il n’avait toujours pas trouvé leur vertu.


Parfois, il avait l’impression de toucher au but puis se rendait finalement compte qu’il n’y était pas du tout. C’était très frustrant, mais il s’accrochait.



Élan et Öta continuèrent leurs recherches et avaient adopté un rythme de travail soutenu. C’était assez dur, mais très stimulant pour Öta, qui alternait son apprentissage, la pousse de ses feuilles et l’aide qu’il apportait à son père.


Élan était quant à lui toujours le nez dans les livres. Les vapeurs de ses décoctions et son jardin d’herbes lui rappelaient sa petite maison.


Et finalement, après toutes ces recherches… ils trouvèrent la réponse à leur question. Les feuilles d’Öta avaient beaucoup de points communs avec celles de sa grand-mère et d’une autre de ses aïeules. C’est ce qui avait aiguillé Élan dans ses recherches.


Elles n’avaient pas un effet direct, dans le sens où seules elles étaient parfaitement inutiles.


Mais bien traitées et mélangées correctement à d’autres plantes, elles montraient leur vertu… celle de fortement changer ou améliorer les propriétés des autres plantes. C’était par exemple le cas avec certaines plantes médicinales, ça les rendait plus fortes, plus efficaces.


Ça ne semblait cependant pas s’appliquer à toutes les plantes et pas de la même manière, parfois l’effet inverse se produisait. Élan avait remarqué que certains poisons perdaient en intensité avec son contact. En résumé, il lui faudrait encore du temps pour démêler tout ça.


Mais ils avaient fait un grand pas en avant.



Le père d’Öta fut rassuré. Malgré toutes les incertitudes et le temps qu’il faudrait pour comprendre le fonctionnement exact des feuilles, c’était une délivrance de savoir qu’elles n’étaient pas dangereuses. Il était soulagé de voir que son fils n’avait pas hérité de son malheur. Peu importe ses choix, le destin d’Öta ne serait jamais le même que le sien.



À présent, Öta avait la liberté de pouvoir décider de ses futurs projets. Son oncle avait pris le relais, aidant Ëten à gérer le domaine. La présence de son frère à ses côtés lui donnait le sourire, mais surtout la force dont il avait besoin pour tenir.


Öta comptait bien profiter de ce moment de répit pour partir. Maintenant qu’il connaissait les vertus de ses feuilles, bien que toutes les utilisations possibles soient encore un mystère, il n’avait plus rien à craindre de ce côté-là. Il comptait laisser faire le temps, apprendre à les utiliser sans se presser.


Son apprentissage quant à lui avait bien avancé. Élan et Öta avaient discuté longuement pour décider de la marche à suivre. Qu’allaient-ils faire maintenant ?


Ils se mirent d’accord pour un voyage jusque GemmeNoire, la capitale.


Élan y avait quelques contacts herboristes qu’il jugeait bons de présenter à son apprenti. Ces derniers possédaient des plantes et livres rares qu’Öta se devait de connaitre. Élan avait également beaucoup de marchandises plus ou moins légales à livrer à ses clients.


GemmeNoire était la capitale du Royaume, le centre de tout. Lorsqu’il s’y rendait, une à deux fois par an, Élan gagnait assez d’argent pour faire vivre son foyer.



Évidemment, Élan prévoyait de passer chez lui avant de prendre la route pour GemmeNoire. Son village se trouvait à mi-chemin entre le domaine d’Öta et la capitale, et il devait bien avouer que sa femme lui manquait énormément.


La chaleur de son foyer. Sa petite maison, sa forêt alentour, l’odeur des plantes, la douceur de Alda… il avait hâte de retrouver tous ces petits bonheurs du quotidien.



Avant de partir, Öta rédigea une lettre pour David. Il avait l’espoir de le revoir, même si c’était impossible dans l’immédiat. Il voulait lui montrer qu’il ne l’oubliait pas. S’excuser de son silence.


« Même si je suis loin, je pense à toi. J’espère que tu es heureux et que tu as trouvé ta voie. »


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