- 03 - Cerfblanc
- bleuts
- 3 déc. 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 déc. 2024
Partie 1 - L'ébéniste de Cerfblanc
Pendant ce temps, David se faisait plutôt bien à la vie dans le village. Lui qui avait toujours été très manuel et travailleur se plaisait à aider tout le monde dans les tâches quotidiennes. Il se sentait utile et apprécié. Les Abarians étaient très communautaires, ils s’entraidaient et se connaissaient tous. Et ils l’avaient accueilli à bras ouvert.
David commençait à se sentir chez lui ici.

La dirigeante du village se nommait Irma. Depuis quelque temps, elle surveillait David et son intégration dans le groupe. Tout le monde appréciait le jeune homme, qui était facile à vivre et serviable.
Mais du fait de son ancienne vie d’esclave, il n’avait pas de compétence particulière, plus exactement… il n’avait pas de métier. Dans les villages Abarians, il était primordial que chacun ait sa place. Tout s’organisait autour de ça.
L’éducation se faisait de façon à ce que chacun puisse effectuer un apprentissage. Durant de longues années, les jeunes du village étaient formés à leur futur métier par les plus âgés.
David n’avait jamais vécu ça. Il avait appris à toucher un peu à tout, sans vraiment penser à l’avenir. On lui ordonnait et il exécutait. Mais s’il voulait s’intégrer, il ne pouvait pas continuer comme ça. Irma s’en rendant compte, fit connaître son point de vue à Léo. Elle souhaitait que l’homme tâte le terrain, pour voir si son fils se sentait prêt à chercher sa voie.

Léo et David avaient pris l’habitude de discuter tous les soirs, afin d’apprendre à se connaître et rattraper le temps perdu. Le courant passait très bien entre eux et David se sentait maintenant parfaitement à l’aise avec Léo. Il avait l’impression de l’avoir toujours connu.
C’est donc naturellement que Léo lui fit part de l’idée de Irma. Il était du même avis que sa dirigeante. Le jeune homme avait besoin d’être guidé. Il voyait que David n’espérait qu’une chose : trouver sa place.
Après tout, le voyage qu’il avait entamé était en partie dans ce but, n’est-ce pas ? Léo lui expliqua qu’il s’agissait de suivre une formation auprès d’un « Maître », une personne ayant un métier.
Cette personne serait chargée de tout lui apprendre sur son travail, la vie dans la communauté abarianne et les traditions. David accepta avec joie de tenter l’expérience.
Léo connaissait justement un très bon ébéniste dans un village voisin, qui se ferait une joie de guider David.

Léo et David se rendirent dans le village voisin. Il se trouvait de l’autre côté de la forêt, non loin de là. Léo souhaitait présenter David à son ami ébéniste afin de voir s’il pouvait le prendre comme apprenti.
Il en avait déjà discuté avec Irma, qui avait accepté que David fasse son éducation là-bas. Les deux villages étaient amis et très liés, sans doute parce qu’en plus d’être voisins, leurs deux chefs étaient amantes.

L’homme que Léo présenta à David se nommait Ayel. David pensait qu’il aurait le même âge que son père, il fut donc surpris de découvrir un homme à peine plus vieux que lui.


Léo expliqua à Ayel la raison de leur venue. Il faut dire que ce n’était pas une situation des plus habituelles. Ayel connaissait déjà la famille, puisqu’il était un ami de longue date d’Elen. S’il avait souvent entendu parler du frère disparu, il ne s’attendait pas à ce qu’on lui demande de le guider.
Mais Léo connaissait bien le jeune homme. Il ne savait pas dire non.
Ayel accepta de s’occuper de David. Si les deux chefs de leurs villages étaient d’accord pour qu’il prenne un apprenti, il ne pouvait pas refuser. Ça ne faisait que cinq ans qu’il avait fini son propre apprentissage, mais il se sentait capable d’enseigner à son tour.



Après cette première rencontre avec Ayel, Léo et David retournèrent dans leur village. Ils devaient tout organiser pour l’apprentissage de David, ça ne se ferait pas du jour au lendemain. Les abarians étaient à cheval sur les coutumes, David allait devoir les suivre à la lettre.
En parlant de lettre, il demanda de l’aide à Léo, pour qu’il en écrive une de sa part à Öta. Le jeune homme lui manquait énormément. Il aurait aimé qu’il soit à ses côtés et il s’inquiétait pour lui.

Partie 2 - L'équinoxe de l'espoir
Les Abarians étaient très attachés aux traditions. Dans cette culture, avant de devenir officiellement l’apprenti d’un maître, il fallait d’abord obtenir l’approbation d’Astre, la grande entité du Soleil et de la Lune.
Cette approbation se déroulait sous la forme d’une fête où les futurs apprentis se présentaient et démontraient leur détermination. La fête en question n’avait lieu qu’une fois par an, lors de l’équinoxe de printemps.
Si le rituel était plus symbolique qu’autre chose, un point néanmoins était extrêmement important : c’est lors de cette fête que les abarians recevaient leur premier tatouage.
David, qui était un cas spécial, n’était pas forcé de se plier à la coutume. La chef du village se rendait bien compte que tout ça était nouveau pour lui et qu’il se sentait dépassé. Elle lui avait donc laissé le choix.
David, prenant son courage à deux mains, avait choisi d’accepter cette tradition.

Le jour de l’équinoxe arriva. David, qui avait redouté de se faire maquiller et vêtir pour l’événement, apprécia finalement cette étape. Le rituel se déroulait dans un lieu que David n’avait encore jamais vu auparavant : pour cause, il se trouvait caché dans la forêt qui séparait les deux villages.
C’était une petite tour masquée par les arbres dont la façade était recouverte de lierre. De l’extérieur, elle ne paraissait pas en très bon état. On aurait dit un monument abandonné, oublié depuis toujours.
Léo expliqua qu’habituellement, chaque village avait sa propre tour. C’était un lieu très important dans leur croyance. Mais dans le Royaume du Nord, il était interdit d’ériger des lieux de cultes abarians. La haine des Nordans pour cette culture les obligeait à se faire discrets.
Les deux villages partageaient la même tour et tentaient de garder son emplacement secret. Ainsi, si des soldats nordans venaient à attaquer l’un des villages, la tour et toutes les reliques qu’elle abritait auraient plus de chance d’échapper à la destruction.
En entrant dans le bâtiment, David apprécia immédiatement l’atmosphère sereine qui s’en dégageait. Les murs étaient recouverts de tentures et de peintures, des coussins jonchaient le sol. Il n’y avait pas de fenêtres, mais la douce lueur des bougies et des lanternes donnait un aspect apaisant au lieu.
Seuls les futurs apprentis et leurs familles étaient autorisés à y entrer durant l’équinoxe. La présence de Léo rassurait David.

Le pendentif que portait David lui avait été offert par Léo. Il s’agissait du symbole de son village « VieuxBois », utilisé uniquement pour décrire ses habitants.
Chaque villageois possédait son propre pendentif, soit offert par la caste à la naissance, soit hérité de ses parents. Léo avait fait le choix d’offrir ceux de ses parents à ses fils. Elen possédait celui de son grand-père, le père de Léo. Quant à David, c’est celui de sa grand-mère qu’il obtint.
Les villageois ne portaient ces pendentifs que lors des cérémonies importantes, comme symbole d’appartenance.

Les futurs apprentis étaient appelés chacun leur tour. Ils se rendaient alors seuls en haut de la tour pour faire face au maître et au shaman de la caste. Le temps qu’ils passaient en haut était variable.
En attendant, à l’étage inférieur, les quelques personnes présentes discutaient à voix basse et mangeaient ensemble. Un conteur était là, narrant avec passion quelques-unes des légendes abariannes. David, qui adorait les histoires, buvait ses mots.

Quand David fut enfin appelé, il monta à l’étage. Il avait appréhendé ce moment toute la journée. Il savait qu’il n’avait rien à craindre, mais il avait peur de faire mauvaise impression.


Léo ne pouvait pas le suivre, il était maintenant seul. L’homme qui l’attendait en haut se nommait Hem. C’était le Shaman du village. Il demanda à David de s’installer, lui proposa un thé et des biscuits, tentant de mettre le jeune homme à l’aise.
Il lui posa diverses questions. D’où il venait. Comment il se sentait. Sa relation avec Léo. Ce qu’il pensait du village, etc. Sa voix était douce et profonde. David se détendit. L’odeur de l’encens et les teintes chaleureuses du lieu l’apaisaient.
Alors petit à petit, habilement, il réussit à délier la langue de David. Ils discutèrent longtemps. David parla de tout. Il vida son sac. Il évoqua autant sa vie d’esclave que son voyage, ses sentiments, de ses rêves… son viol.
Étrangement, parler à cet homme le soulagea. Il n’avait plus besoin d’avoir peur. Il se sentit comme libéré d’un poids. Il n’avait jamais osé aborder le sujet de son viol avec Léo. La pudeur et la honte le bloquaient. Mais là tout était différent.
L’homme ne le jugeait pas. Il écoutait, patient et compréhensif. Il connaissait les bons mots, ceux qui orientaient la discussion sur les sentiments les plus profonds de David.
Quand la discussion prit fin, la nuit était tombée.
Hem passait rarement autant de temps avec un futur apprenti, mais au cours de cette discussion il s’était rendu compte que David avait besoin de s’exprimer. De relâcher la pression.
Et surtout, qu’il avait besoin d’être guidé. D’être aimé. De trouver sa place. Il avait besoin de stabilité. Et le village pouvait la lui apporter.
« Comme tu as pu le voir, habituellement ceux qui deviennent apprentis ont la moitié de ton âge. Mais tu n’as aucune honte à avoir. Cette cérémonie n’a pas d’importance spirituellement, c’est surtout un rite de passage qui célèbre notre unité. Elle permet à nos enfants d’apprendre l’importance de la vie en groupe. Et nous, elle nous permet de rencontrer ces âmes qui sont l’avenir du village. En acceptant nos règles, nos lois, notre culture… tu deviens un membre de notre famille. L’encrage que tu recevras, il sera là pour te rappeler que quoi qu’il arrive, tu seras toujours chez toi ici. »
Dans cette région du nord, la magie était interdite. Elle était considérée comme dangereuse, autant pour les hommes que pour la nature. C’était quelque chose de craint. Mais les abarians, qui étaient déjà dans l’illégalité par leur simple existence, se fichaient bien de cette loi. Contrairement aux nordans d’autrefois, ils n’abusaient pas de la magie. Ils la respectaient.
Seules les personnes de foi, celles qui étaient en harmonie avec la nature, l’utilisaient. Hem en faisait partie. Pour apaiser le cœur de David, il usa d’un rituel. Il l’utilisait pour aider ceux qui ne parvenaient pas à se défaire de leurs démons. Ce n’était pas un remède, seulement un réconfort. Une étreinte de douceur.
Cette magie aidait à s’harmoniser avec soi-même, à retrouver l’équilibre pour mieux avancer.

Lorsque David retrouva son père, la nuit était déjà bien entamée. Léo s’était inquiété, voyant qu’il ne redescendait pas. Il n’avait jamais vu un apprenti prendre autant de temps lors de son entretien.
Mais lorsque David apparut enfin, Léo comprit que Hem l’avait aidé avec l’un de ses rituels. Le jeune homme paraissait plus calme, plus tranquille.
Ils s’installèrent dans un coin. David lui raconta ce qu’il avait ressenti, les sensations et la douceur de la magie. Il posa plein de questions sur le sujet. Lui qui n’en avait jamais vu auparavant, était curieux d’en savoir plus.
Léo lui expliqua ce qu’il savait. Ils avaient le reste de la nuit devant eux, le rite de l’encrage avait lieu à l’aube. Quand il demanda à David pourquoi il ne portait plus son maquillage, ce dernier répondit qu’il n’était pas encore à l’aise avec.
Hem l’avait aidé à le retirer, afin qu’il puisse se détendre lors de la séance de magie.

À l’aube, Léo accompagna David dans le sous-sol de la tour. Ce dernier savait déjà quel serait son encrage, Hem lui ayant révélé avant de le quitter.
« Espoir »
Le rituel avait lieu dans le sous-sol de la tour. C’était le domaine de l’encreuse, la femme qui tatouait les abarians. Chaque village possédait son propre encreur, c’était un rôle très important et respecté.
Avant d’encrer une personne, il y avait une étape importante. Il fallait que l’encreur harmonise ses énergies avec celle de la personne. Si cette dernière était trop troublée ou en mauvaise santé, l’encrage ne pouvait avoir lieu. Les Abarians considéraient qu’autrement, à l’instant où elle se mêlerait avec le sang de la personne, l’encre du tatouage serait corrompue.

Ils s’installèrent dans une petite salle aux couleurs chaudes et l’encrage débuta.
Hem jouait du tambour et chantait, sa magie imprégnant la pièce, pendant que l’encreuse travaillait la nuque de David. Malgré la douleur, David garda son calme. Il avait subi bien pire qu’autrefois et relativisait.
L’encrage était sur sa nuque. Normalement, la tradition voulait que les tatouages soient réalisés sur le visage. Mais le Nord était un pays sans pitié. Si les abarians pouvaient se permettre de se montrer fièrement dans leur pays, où être tatoué était la norme, ici ce n’était pas pareil.
Ils avaient dû adapter leurs traditions. Peu d’abarians dans le Nord s’encraient le visage, afin de pouvoir se fondre dans la masse. Évidemment, quelques groupes le faisaient, mais ils y risquaient leur vie.
Seuls ceux dont le rôle était important spirituellement au sein du village osaient respecter cette tradition. David devait bien avouer que si l’encrage avait dû être sur le visage, il n’aurait jamais accepté.
Lorsque ce fut terminé, l’encreuse purifia son travail. Une étape longue, mais primordiale.
« Tu es maintenant l'un des nôtres. Puisse ton futur apprentissage t'apporter le bonheur et la paix. »

Léo était fier de David, heureux que le jeune homme se sente à sa place et accepte de respecter ses croyances. Il jura que tant qu’il vivrait, il ferait tout pour rendre David heureux.

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