
RITUHËLL
Illustrations & Légendes

PARTIE XVIII : FORET
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​Octobre 712
Je ne t'ai pas écrit durant les longs jours de mon voyage,
pour profiter pleinement des années qui m'ont été offertes.
Je me sentais comme un nouvel homme.
Plus serein, plus paisible.
Nombreux sont les villages à m'avoir chassé.
Et nombreux sont ceux à m'avoir accueilli.
Nos descendants se portent bien.
Ils se cachent de nous, mais mènent des vies magnifiques.
Bien plus belles que celles qu'ils avaient dans notre chaotique cité.
J'ai rencontré de nombreuses personnes qui étaient nées dans ces
villages. Qui ne connaissaient d'Abar, notre cité, que le nom et de
sombres rumeurs.
Ces enfants-là avaient peur de moi, mais ne pouvaient s'empêcher
de me poser mille questions.
Je leur répondais avec joie.
Parler de chez moi me réconfortait.
Décembre 712
Je suis reparti il y a peu et voilà deux mois que je marche.
Je prends la direction de la cité, mais le chemin que j'emprunte
m'est inconnu.
Peu de personnes s'aventurent près de ces montagnes.
On dit qu'elles sont le théâtre de manifestations mystiques.
Que des divinités d'autrefois s'y retrouvent autour de fabuleux repas
et chassent les marauds qui osent s'aventurer trop près de leur
demeure. Quelles sont ces divinités ?
D'où proviennent ces rumeurs ? Je n'en sais rien.
Mais ma curiosité me pousse à aller voir.
Peut-être rencontrerai-je mes parents ?
Janvier 713
J'ai rencontré une femme étrange à l'orée d'une forêt aussi grande
que le monde lui-même.
Les arbres étaient si majestueux que je me sentais écrasé sous leur
regard. Ils étaient recouverts de feuilles si claires et si colorées
qu'elles tranchaient avec le paysage hivernal.
La forêt tout entière semblait vivre.
Et il y avait cette femme.
Petite, le visage caché sous ses longs cheveux bruns.
Ses yeux me transperçaient.
Ils m'interdisaient le passage.
Pourquoi ?
J'aurais pu l'attaquer. La tuer. L'assommer.
Mais je n'ai pas pu m'y résoudre.
Je suis resté à l'orée de la forêt.
Février 713
La femme ne parle que très peu.
Elle me surveille.
Chaque pas que je fais en direction de la forêt la rend nerveuse.
Parfois, je m'amuse à m'approcher pour voir son regard briller
de colère. Elle est comme un petit animal sauvage.
Chaque soir, je retourne près de la rivière gelée.
J'y ai établi mon campement. Mais le froid me fatigue.
Je pense souvent à Guadrevin. Je m'imagine ce qu'il fait.
Je le vois, en train de travailler, les sourcils froncés par l'inquiétude.
Des multitudes de badauds autour de lui, réclamant toute sorte d'aide
qu'il ne peut leur accorder.
A-t-il trouvé un nouveau conseiller ? M'a-t-il remplacé ?
M'a-t-il oublié ? Pense-t-il à nous ?
Mars 713
La femme se nomme Amha. Je lui ai demandé asile.
Je ne sais pas ce qui me pousse à rester ici, à regarder cette forêt
chaque jour, mais je sais que quelque chose m'attire.
Et je veux comprendre quoi.
Mai 713
Quelque chose chez Amha me rend nerveux.
Voilà quelques mois que je suis chez elle, à l'aider.
Nous n'entrons jamais dans les bois. Ils sont sacrés.
Elle affirme qu’elle est le berceau de la nature et que seuls ceux qui
la comprennent réellement peuvent s'y fondre.
J'aime son regard, quand elle évoque le chant des oiseaux.
Sa bouche, quand un sourire vient éclairer son visage.
Ses cheveux doux, que je peux caresser du bout des doigts.
Quelque chose chez Amha me rend heureux.
Juin 713
Je me fiche de la forêt. La traverser n'a aucune importance.
Mais je lui demande chaque jour, si le droit m’est accordé.
Ce n'est qu'une excuse idiote pour rester ici.
Pour voir ses yeux me fixer et lire en moi.
Juillet 713
Ses yeux sont comme la source.
D'une teinte si pure qu'ils semblent irréels.
Août 713
Je comprends maintenant, les relations entre Rythm et Linds. Feths
et Elena... Je n'ose pas la toucher, de peur de briser cette chose qui
se crée entre nous.
De peur de briser cette bulle qui nous enveloppe.
Elle ne dit rien.
Je ne sais pas ce qu'elle ressent.
Septembre 713
Je crois que je suis amoureux.
C'est étrange.
Octobre 713
Je l'ai embrassée. Elle m'a repoussé, le visage rouge.
Elle m'évite. Elle baisse les yeux dès que je la vois.
Que dois-je faire ?
Novembre 713
Finalement, je n'en pouvais plus de la voir m'éviter.
Son regard me manquait.
Je l'ai coincée contre un mur et je l'ai embrassée de force.
Elle s'est débattue, a tenté de me repousser, mais pour la première
fois j'étais le plus fort.
Finalement, elle s'est laissée aller et m'a rendu mon baiser.
Nous sommes restés ainsi plusieurs heures, collés l'un à l'autre,
nos respirations se mélangeant et nos cœurs battant la chamade.
Décembre 713
Je n'arrive pas à la convaincre d'aller plus loin.
Elle me laisse l'embrasser, la caresser, lui chuchoter des mots doux
au creux de l'oreille. Mais elle refuse de se mettre nue devant moi.
Elle dit ne pas se sentir prête.
Je ne comprends pas ce que ces mots signifient.
Janvier 714
J'aime dormir avec Amha contre moi.
La chaleur d'une personne me manquait tant que même en fantasme,
elle me semblait irréelle. Je tente toujours d'aller plus loin.
Elle me reproche mon insistance.
Février 714
Un homme a tenté de traverser la forêt.
Amha ne parvenait pas à le stopper. Elle qui est pacifiste, ne pouvait
se résoudre à le frapper ou le forcer.
Il ne l'écoutait pas alors je l'ai tué. Je n'ai pas pu m'en empêcher.
Son sang me rappelait des sensations perdues.
Des sensations que j'aime.
Je me suis laissé aller et j'ai souillé son corps.
Amha criait, mais je n'en avais cure.
Je devenais fou.
Je l'ai embrassée alors que j'étais dans un état second.
J'ai tenté de la forcer.
Je l'écrasais sous mon poids.
Elle m'a repoussé, puis s'est enfuie.
Me voilà seul depuis une semaine.
Mars 714
Amha est revenue.
Chaque geste que je fais en sa direction la fait sursauter.
Je crois qu'elle m'en veut pour cet accès de folie.
Je me suis excusé. J'ai pleuré.
Mais elle reste silencieuse.
Les yeux fermés.
Avril 714
Je l'aime tant que c’en est insupportable.
Mon cœur ne devrait pas avoir à subir de tels tourments.
Je ne parviens plus à dormir, la sachant aussi près de moi.
Aussi loin de mon âme.
Je rêve de son pardon.
Juin 714
Elle me regarde parfois.
Je ne comprends pas pourquoi elle ne me chasse pas.
A-t-elle peur de moi ?
A-t-elle peur de ne pas en avoir la force ?
Ou doute-t-elle ? Pense-t-elle réellement que je l'agresserais si elle
tente de m'effacer ?
Juillet 714
Je n'en pouvais plus. Je me suis mis à nu face à elle et je lui ai
dévoilé tous mes sentiments.
Mes tourments.
Mon incompréhension.
Elle m'a pris dans ses bras et m'a consolé.
Nous avons pleuré, l'un contre l'autre.
Deux âmes en peine.
Août 714
Nous avons décidé d'oublier le passé. Je ne la touche plus.
Je la laisse venir vers moi.
Elle est timide.
Elle n'a jamais réellement connu l'amour.
Elle ne sait pas comment agir.
Elle découvre de nouvelles choses, à mes côtés.
Je tente d'oublier ces mauvaises choses que m'ont enseigné Feths
et Guadrevin. Je ne veux pas leur ressembler.
Je ne veux pas la faire pleurer.
Comment ai-je osé vouloir lui infliger ce que j'ai subi toutes ces
années ?
Septembre 714
J'aimerais tant l'épouser.
Ce ne sera jamais possible. Pas hors de la cité.
Et je sais qu'elle n'acceptera jamais.
Elle est comme un animal sauvage.
L’enchaîner serait la pire bêtise de ma vie.
Octobre 714
Un an s'est écoulé depuis notre premier baiser.
J'aime la serrer dans mes bras et lui murmurer mon amour.
Encore et encore. Toujours. Je l'aime tant.
Novembre 714
Elle me laisse de plus en plus souvent lui toucher le corps.
Elle n'est jamais entièrement nue.
Comme si elle avait encore peur de moi.
Je reste au-dessus d'elle et je lui transmets mon amour du bout des
doigts.
Décembre 714
Je lui apprends nos connaissances. Je lui enseigne l'écriture.
Elle veut pouvoir lire mon journal.
J'aimerais pouvoir lui laisser cette partie de mon esprit, la laisser
découvrir mon passé.
Lui offrir ce que je n'ai jamais offert à qui que ce soit.
Janvier 715
J'aime la voir gambader autour de la forêt, dans la grande pairie
qui borde notre maison. Elle court avec les animaux.
Elle est proche d'eux. Comme moi, autrefois.
Elle parle aux loups, aux renards, aux lapins... Aux ours aussi !
Ils viennent la voir, quand ils sont malades.
Elle est comme une mère pour eux.
Février 715
Le nom que lui donnent les animaux est « druidesse ».
Ça signifie qu'elle est la personne la plus importante de la forêt.
Celle qui soigne et qui prie pour que les divinités soient clémentes.
Elle transmet la paix, l'amour et le réconfort.
Mars 715
Aujourd'hui, nous avons fait l'amour. Elle était pure.
D'une pureté si éblouissante que j'en fus troublé.
Jamais je n'avais ressenti de tels sentiments.
Avril 715
Elle tente de m'enseigner le langage des animaux.
Ce langage que j'ai perdu le jour où je suis devenu un oiseau en
cage. Je retrouve mes marques, parfois.
Mais mon esprit semble refuser d'assimiler les sons et les gestes qui
feraient de moi un souvenir d'autrefois.
Mai 715
Nous avons nos habitudes, maintenant.
J'ai l'impression que nous sommes ensemble depuis des siècles
et pourtant... J'aurais aimé qu'elle me voie avec mes bois.
Elle les aurait aimés comme personne.
Je la vois admirer les cerfs et les daims.
Leur ramure fait briller ses yeux.
Je ne suis plus le roi de la forêt.
À ses côtés, je regrette ce choix.
Juin 715
J'aime quand nous nous aventurons plus loin que ces terres
pour chercher des fruits sauvages.
Nous rencontrons parfois des voyageurs.
Souvent, ils me reconnaissent.
Ils me demandent des nouvelles d'Abar.
Que pourrais-je leur répondre ?
« Tout va bien ».
Juillet 715
Je lui ai encré mon symbole sur l'épaule.
Me souvenir des composants pour l'encre était assez laborieux.
Mais finalement, je suis arrivé à mon but.
Je n'aimais pas la voir frissonner quand je piquais sa peau.
Mais elle semblait si heureuse d'avoir cette part de moi en elle.
Elle trouve mon symbole magnifique.
Septembre 715
Parfois je repense à Guadrevin.
Il me manque.
Je l'aime toujours.
Je ne sais pas si je serai capable de faire un choix, un jour.
Feths aussi me manque, à sa manière.
Octobre 715
Elle se laisse de plus en plus souvent aller, le soir, quand nous nous
aimons. Parfois je pense à Guadrevin quand je suis en elle.
J'ai honte.
Décembre 715
Maintenant qu'elle sait lire, je lui ai confié certaines pages de mon
journal.
Elle pleurait en les lisant.
Je ne comprenais pas ce qui pouvait la toucher autant.
Elle me dit haïr Feths et Homme.
Elle les trouve répugnants et bestiaux.
Elle pense qu'ils ne devraient
pas avoir le droit d'infliger tant de douleur à une personne aussi
sensible.
Suis-je sensible ?
Janvier 716
Amha m'a demandé pourquoi je ne m'étais jamais enfui.
Pourquoi je n'avais pas tué mes persécuteurs.
Que pouvais-je lui dire ?
Que j'étais trop faible ?
Que j'avais peur ?
Que je devenais fou ?
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