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PARTIE XXIV : REVOLTE

 

​

Juin 1004
Ekhlat n’a pas reparlé de son désir de prendre la place de Guadrevin.
Mais je vois dans ses yeux qu’il ne lâchera pas prise.
Il fomente un mauvais coup.
Nous le surveillons de près.


Septembre 1004
Avec Feths, nous parlons souvent de ce que va devenir Guadrevin.
Nous nous posons des questions.
Notre compagnon n’est plus que l’ombre de lui-même.
Il a perdu toute joie de vivre.
Tout plaisir innocent.
Il est froid et sanguinaire.
Mais peu importe, je n’imagine pas Ekhlat prendre sa relève.
C’est impensable.
Nous n’avons qu’un seul Roi depuis le début de notre existence.
Comment effacer mille ans de règne ?
Nous ne pouvons pas oublier.


Novembre 1004
Guadrevin est venu me voir.
Il souhaite que je tue Ekhlat.
Plus précisément que je le défie en duel lors du solstice.
Un duel mêlant armes et magie.
Je ne sais pas si c’est une bonne idée.
J’ai beau être le dieu de la Magie, Ekhlat est incroyablement doué.
Nos niveaux sont égaux.
Et si je me faisais tuer ?


Décembre 1004
Le mois de décembre s’achève et j’ai cédé à Guadrevin.

Lors du solstice, durant mes démonstrations, je me suis tourné vers
Ekhlat. Devant notre peuple réuni, je l’ai défié.
Un combat à mort.
Il a hésité. Il est trop bon pour accepter ces jeux sanglants.
Mais les cris excités du public l’ont forcé à s’avancer, la lance à la
main.
Nous avons combattu vaillamment durant de longues minutes.
Au point que personne n’arrivait à voir lequel de nous deux aurait le
dessus.
Plus d’une fois, j'étais sur le point de perdre. Mon œil borgne était un
grand handicap et Ekhlat le savait parfaitement.
Et finalement, j'ai été écrasé par sa force.
Il était au-dessus de moi, sur le point de m’achever, lorsque
Guadrevin lui à planté son épée dans le dos.
Un silence de mort a suivi cet instant, tandis qu’Ekhlat se retournait
pour voir une dernière fois le visage de son frère aîné.
Dans son esprit, je pense qu’il essayait de comprendre ce qui venait
de se passer.
Comment Guadrevin avait-il pu briser la tradition, pour s’immiscer
ainsi dans le combat ?
Comment avait-il osé me sauver ?
Ekhlat est mort.
Le cri de douleur de Dynia a transpercé mon âme.
Nos descendants ont crié au scandale et la fête a fini en chaos.
Nous avons dû nous enfermer dans le château.
Je crois que tuer Ekhlat était une très mauvaise idée.
Maintenant, nous avons tout un peuple qui demande justice.


Janvier 1005
Nous avons dû fermer toutes les portes du château et congédier les
nobles. Seuls les soldats les plus fidèles sont restés.
Plus d’une fois, nous avons failli nous faire envahir, à cause de
traîtres prêts à nous sacrifier pour leur cause.

 

Février 1005
C’est le chaos dans les rues de la cité. Deux factions s’opposent.
Nos fidèles, qui se font massacrer les uns après les autres... Et les
autres... Les « révolutionnaires ».
Ils existent depuis longtemps, mais nous n’avions jamais pris leur
menace au sérieux. Maintenant, le peuple s’est rallié à eux.
Supprimer Ekhlat était la pire chose à faire.
Il était aimé et apprécié.
Ils le nommaient « Le Protecteur du Royaume ».
Je crois qu’ils l’auraient souhaité comme roi.


Mars 1005
Feths dit que nous ne tiendrons plus très longtemps.
Les révolutionnaires ne sont plus aux portes du château, mais ne
devraient plus tarder à revenir.
Chaque jour, un soldat déserte.
Dans quelques semaines, nous ne serons plus protégés.
Je garde mon épée près de moi et attends avec impatience le mo-
ment où le sang coulera.


Avril 1005
Ils sont venus.
J’ai un mal fou à écrire.
En ce moment même, je suis enfermé dans une chambre gardée
par des hommes armés.
Ma seule consolation, c’est toi, mon journal.
Je te lis et te relis pour essayer de comprendre ce que nous avons
fait pour mériter ça.
Mais tu ne dois pas comprendre.
Je vais te résumer ces derniers jours.
Pardonne-moi d’avance pour mes mots hésitants. Je me perds.
Peu après ma dernière pensée, nous avons été attaqués.
Une attaque d’une telle ampleur que nous n’avions rien pu faire.

Je me trouvais sur les remparts, aux côtés de Feths quand tout a
commencé. Nous parlions de l’avenir.
De ce qui allait advenir de nous.
Feths me proposait d’abandonner Guadrevin. De le livrer aux re-
belles en échange de notre liberté. Je refusais bien évidemment.
Mais il insistait.
Il me proposait de m’enfuir avec lui, de quitter la cité pour tout re-
commencer à zéro. Ensemble. Il me parlait de notre amour. De notre
vie commune.
Mais je ne voyais en lui qu’un traître et un lâche qui ne songeait
qu’à abandonner sa famille.
Mon rejet lui a brisé le cœur. Je l’ai vu dans ses yeux.
Il a voulu partir en me maudissant, en souhaitant ma mort.
Alors qu’il descendait les escaliers, il s’est retourné.
Sans doute pour me regarder dans les yeux une dernière fois, alors
que les larmes coulaient sur nos visages.
Je ne me souviens pas clairement ce qu’il advint après ça.
Je me souviens de son corps, en bas des escaliers.
Son crâne ouvert, et son sang coulant sur mes pieds.
Je me souviens de l'avoir vu tomber et n’avoir rien fait pour l’aider.
Je me souviens être parti, alors qu’il rendait son dernier souffle, seul.
Mes larmes ne coulaient plus.
Une mort pitoyable, pour un homme pitoyable.
À ce moment-là, un bruit incroyable fit s’ébranler les murs.
Et je compris que les rebelles venaient d’entrer dans le château.
Mais quand je fus arrivé à la salle du trône...
Je ne vis rien d’autre que Guadrevin, enchaîné et ma vie se briser.
À mon tour, je me fis emprisonner.
Je n’avais plus la force de bouger.
Je voyais celui que j’aimais se faire emmener loin de moi, par ceux
qu’auparavant je considérais comme des amis.
Comme des compagnons. Comme ma famille.
Ils m’installèrent dans une cage en bois, sur la place centrale.
Je n’étais pas seul. De nombreuses personnes ayant refusé de se
laisser faire avaient été placées ici.Las, je m’étais écroulé sur le sol, les larmes aux yeux, quand Neil
est arrivé. Neil. Le fils de ma douce Scelia.
Un traître. Un fourbe à qui j’avais offert tous mes secrets.
Mon ami. Mon ennemi.
Celui qui avait tout fomenté depuis le début.
Il avait perdu la raison.
Il voulait brûler Guadrevin.Après avoir passé la soirée à attendre que la mort vienne me chercher,
je fus emmené dans des gradins qui venaient d’être aménagés.
Et alors que je me demandais ce qu’ils tramaient, je vis le bûcher.
Ils allaient réellement brûler notre Roi.
J’eus beau crier, pleurer, me débattre, rien n’y fit.
Sa mort fut atroce.
Ses cris de souffrance résonnent encore dans mon âme.
Ses cendres emplissent notre air.
Mon cœur est à jamais brisé.
Comment ont-ils pu oser le tuer ?
Comment pourrai-je vivre maintenant, sachant que celui que j’aime
est mort ?
Je n’ai plus personne. Ni Feths, ni Guadrevin.
Est-ce là le destin que nos parents voulaient pour nous ?


Mai 1005
Je viens d’apprendre que Vinksi est mort.
Il était enfermé, tout comme moi, mais ne supportait plus l’isolement.
Il s’est jeté du haut d'une fenêtre.


Août 1005
Finalement, j’ai pu sortir de ma prison.
Maintenant qu’ils sont sûrs que je ne risque plus de les tuer.
Je n’en ai plus la force.
Je ne suis qu’une loque sans âme.
À quoi bon vivre ?


Décembre 1005
Guadrevin. Guadrevin. Guadrevin. Guadrevin. Homme.
Tu me manques. Où es-tu? Quand reviendras-tu?
S’il-te- plaît. Réponds-moi.
Reviens.
Reviens.
Reviens.
Reviens.

 

Juin 1006
J’en viens même à regretter Feths.
Maintenant qu’il n’est plus là, que je l’ai laissé mourir, je me rends
compte à quel point je tenais à lui.
J’aurais voulu que tout se passe autrement.
Si seulement... Si seulement.

J’étais amoureux de lui, mais je me refusais d’y croire.
Mon cœur était pris entre mon roi et mon époux.
Il l’est toujours.
Je ne peux pas les oublier.


Octobre 1006
Neil vient me voir parfois. Il a un regard si désolé.
Si compatissant.
Je meurs d’envie de lui arracher les yeux.
Laisse-moi donc mourir en paix.


Décembre 1007
J’écris et je détruis. J’écris, et je détruis.
Qu’ai-je donc de beau à te raconter ?
Rien.
Strictement rien.
Car la vie n’est plus.
Comment cette cité ose-t-elle prospérer sans Guadrevin ?
Comment ?
Comment Müss a-t-il osé succéder à son père ?
Devenir roi ?
Nous n’avons qu’un roi.
Celui qui a lâchement été brûlé par une bande de fous sans cœur !
Des bandits !
Des criminels !
À quoi bon pleurer ?
Ce monde n’a aucun sens.


Mars 1010
Qu’ils crèvent.


Septembre 1011
La trahison ne pouvait pas se stopper ici, non.
Après la mort de Guadrevin, de Feths, de Ekhlat, de Gaya et de Vinksi...

Il fallait aussi qu’ils s’en prennent à mon frère.

Linds est morte.

Tuée par un fou du nom de Sharok.
Je me souviens de lui. Parfaitement.
Il la courtisait sachant qu’elle était déjà mariée.
Il ne supportait pas de la voir appartenir à Rythm.
Il ne supportait pas qu’elle le repousse.
Alors, il l'a empoisonnée.
Elle est morte.
Et mon frère est dévasté.


Décembre 1011
Ce sera la dernière pensée de ce journal.
Sharok a maudit Rythm.
Il l’a enfermé au fond d’un de nos vieux labyrinthes abandonnés
pour se venger.
Se venger de quoi ?
D’avoir osé vivre heureux ?
D’avoir épousé celle qu’il aimait ?
De ne jamais avoir oublié de sourire même dans les pires moments ?
Neil a puni Sharok. Cet homme a été brûlé, comme Guadrevin.
Neil aime brûler les gens.
Sentir l’odeur de leurs corps carbonisés.
Entendre leurs cris d’agonie.
Leur désespoir.
Mais la faute reste là.
Personne ne peut briser la malédiction.
Mon frère est piégé à tout jamais là où je ne pourrai me rendre.
Car seule la réincarnation de Linds pourra le délivrer.
Beau, mais futile.
En attendant ce jour, je ne peux faire qu’une chose.
Je garderai le labyrinthe pour protéger mon frère.
J’abandonne tout, pour devenir un maudit moi aussi.


Au bout de cette ligne, je suis mort.

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